Ur, été de 3010 av J-C
Je m’en souviens comme si c’était hier [ce qui est normal pour un démon, vous savez. Nous ne vivons pas ce que vous, les mortels, appelez « le temps » de la même manière que vous, tout simplement]; la première fois que mon essence a été tirée de l’autre place, la première fois où je me suis matérialisé dans votre dimension. Oh! Quel désagrément c’était de devoir prendre une forme pour la toute première fois! On ne s’y habitue pas, et je ne sais pas comment des sacs de peau comme vous le faites [enfin; je ne savais pas, plutôt, mais j’y reviendrai plus tard], avec vos corps disgracieux! Je ne me souviens pas du mage qui m’a appelé à lui [il est sans importance] mais je me souviens pertinemment, toutefois, de la tâche qui m’incombait : aller pincer la statuette d’une déesse de la fertilité! Oh, quelle joie c’était! Et- j’aurais pu vivre heureux dans ma servitude si tous mes maitres avaient eu ce sens de l’humour, vraiment. Mais dès ma seconde tâche, on m’envoya surveiller pour irriguer et cultiver les terres du croissant fertile [quel ennuis!]; c’est là que je compris que les mortels sont cruels, et sans goûts. M’envoyer moi, Sakhr al-Jinni, Djinn de quatrième niveau et esprit du quatorzième, faire une tâche aussi mondaine! Quel manque d’originalité! Et être forcé de prendre l’apparence d’un des aspects de l’eau -moi, un noble démon d’air et de feu! Je suis né pour fendre les siens et attiser les cœurs, pas pour ramper au sol!

Uruk, été de 2600 av J-C
Si le nom que j’utilise aujourd’hui est Sakhr al-Jinni [Un titre que me viendra dans les années 350 av J-C, lors de la destruction de Persépolis par l’entité Nouda le Terrible. Je me souviens distinctement qu’il était mauvais aux dés, et un encore plus mauvais perdant], ce n’est pas là mon titre favoris, ni celui pour lequel on me reconnait le plus aisément [Je possède, après tout, une certaine popularité qui est indéniable, tant par mon charme que par mes compétences qui dépassent largement celles des autres démon de quatrième niveau]. Le grand roi Gilgamesh fût mon premier maitre de grand renom; érudit de premier ordre, il vit évidemment en moi un grand atout pour sa cohorte; je l’aidé même à vaincre le géant Humbaba, et pourtant ce fait d’arme pâlit en comparaison du travail que j’ai accomplis durant la même période à Uruk] [Oh; fans que vous êtes déjà, vous devez savoir que je suis Bartimæus D'Uruk, je ne vous apprend donc rien], où j’ai bâtit, avec l’aide d’une armée de Djinn et divers esprits mineurs, à rebâtir les grands murs de la ville. Pendant 4500 ans, cela resta un de mes plus fiers accomplissements [et d’autres accomplissements, je ne manque certainement pas! Pour n’en nommer qu’un, je ne suis pas peu fier d’avoir ensevelie mon ancienne maitresse, la prêtresse d’Ur, sous une tonne de plomb. Fallait être là pour comprendre, mais elle le méritait vraiment]. Il parait qu’on peut encore entendre les cris des démons qui ont été encaissés vivant dans la grande muraille d’Uruk [Pas pour le plaisir, évidemment. Leur essence nourrit les protections magiques de la muraille].

Égypte, 126 av J-C
Douces années que furent celles où j’ai servi Ptolémée, jeune mage égyptien aux questions inquisitrices qui ne maltraitait jamais ses servants. Il fût le premier -et seul, à ma connaissance- mage à se mettre au même niveau que ses démons, à les libérer de leur servitude et même à entrer dans notre dimension, l’autre place [et le tout à l’âge précoce de 14 ans]. Et moi, rêveur que je suis, je l’ai suivis au bout du monde; je l’aurais suivis dans la mort, même [c’est dire combien il compte pour moi, qui ne tient pas les mortels en mon cœur], s’il ne m’avait pas libéré, puis renvoyé dans l’autre place, quand les intrigues politiques l’ont rattrapé et que son cousin, roi d’Égypte, a orchestré sa mort. Parce que Ptolémée utilisait ses djinns de grand pouvoir [quoique pas tous aussi fabuleux que moi] pour aider le petit peuple, et qu’il avait gagné auprès d’eux une certaine popularité. Vous êtes cruels, mortels; mais vous le savez, ça, n’est-ce pas? Une semaine de liberté; cela peut vous sembler peu, mais c’est le plus qu’on m’ait jamais offert, et c’était un cadeau de Ptolémée pour mon aide lors d’une affaire sordide avec les Barbary. Grande trahison; je ne pourrai jamais aimer un mortel comme je l’ai aimé lui – vous portez tous le poids de sa mort avec vous. Je passerai les deux mille prochaines années à prendre sa forme quand je le peux; ma manière à moi de faire perdurer sa mémoire.


 Londres, années 2000+
Oh! Il s’en passa des choses avant l’heure fatidique ou John Mandrake, aka Nathaniel, m’invoqua dans la résidence de son maitre à Londres [mais je ne veux pas surcharger vos pauvres petits cerveaux de mortels avec les détails grandioses de ma vie; ma simple prestance devra vous suffire] pour m’obliger de voler l’amulette de Samarcande; deux intrigues politiques plus tard, nous avons ensemble sauvé le maire de Londres et ses plus grands mages de la mort [dommage], au nez et à la barbe de ce cher Farqual qui ne me manque pas du tout [je vous expliquerai bien qui il est, mais s amort rend cet exercice inutile]. Oh; dans la grande verrière où les mages s’étaient amassés sans soupçonner les dangers qui les guettaient, on pouvait facilement facile observer les astres de la nuit qui pointaient au-dessus de nos têtes. N’est-ce pas là la plus grande injustice, vraiment, que d’avoir risqué sa vie pour une bande de mages ingrats et véreux, le tout pour se retrouver prisonnier d’une de leurs farces? Parce que je ne saurais pas comment qualifier les événements qui suivirent autrement [et ce n’est pas faute d’avoir essayé, ou par fatigue intellectuelle] – comment qualifier autrement cette lune rouge de sang qui avait été utilisée, je le crois, pour favoriser l’invocation du démon de haut rang dont nous avions pourtant sauvés ces faibles mages. Aussitôt mes yeux se posèrent sur elle [fascination, curiosité, et pour lui envoyer un geste grossier de la main, également] que tout changea [moi le premier]. Je me suis réveillé [oh, comble du désespoir] dans ce déguisement ridicule de mortel qui est trop petit et trop peu malléable, qui ne contient pas très bien mon essence et qui, comme tous les mortels, a une apparence que je qualifierais de grotesque.

Impossible de se transformer ici; je suis condamner à errer sur terre [si c’est même là où nous sommes] pour le reste de l’éternité, sans aucun de mes pouvoirs, de mes amusements ou de mes intrigues; je suis relégué à devoir arnaquer les pauvres esprits [ce qui, vraiment, n’est pas aussi difficile que d’arnaquer de grands mages, et vraiment, où est le fun dans tout ça?] pour payer ma pitance, mais; dans cette dimension qui ne fait aucun sens [et ça en dit beaucoup, considérant que je viens de l’autre place, et que j’ai régulièrement visité les enfers], j’ai trouvé mon amusement, en la personne de mon collocataire : oh, il est tout simplement délicieux, et si j’avais mes pouvoirs, je l’aurait probablement dévoré tout entier. Qu’importe; il rend ma présence dans cet endroit plus douce, et c’est tout ce qui m’importe. Ça- et évidemment de retrouver tous mes pouvoirs. Je sais que c’est possible; je les sens comme fourmiller à l’arrière de mon crâne, inaccessibles mais tangibles. Et quand je les aurai retrouvés -alors je pourrai prendre ma vengeance pour ce qui m’arrive.