Barbe Bleue | Mathilde

La nuit était tombée depuis longtemps, déjà. Mathilde aurait dû être en train de dormir depuis plusieurs heures, mais elle n'y arrivait pas. Elle était restée longuement allongée, bien au chaud sous ses couvertures, mais il n'y avait rien à faire, le sommeil ne la trouvait pas. La jeune femme avait fini par se lever pour jeter un coup d'oeil dans la chambre de son fils, qui dormait paisiblement, avant d'aller se réfugier au salon, avec un livre. Ce n'était pas l'activité dont elle rêvait à cette heure de la nuit, mais il fallait bien qu'elle tente de se fatiguer comme elle le pouvait.

Et pourtant, elle aurait préféré s'adonner à cette activité pour des heures encore, plutôt que de disparaître dans un endroit aussi mystérieux qu'inconnu. Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait et elle gardait donc son sang-froid sans trop de difficultés. Doucement, ses yeux s'étaient habitués à l'obscurité de l'endroit, après avoir cligné des paupières plusieurs fois. Bien que calme, l'angoisse naissait et grandissait en elle, plutôt rapidement. Cet endroit n'avait rien de rassurant. Au contraire, même. Devant elle se dressait une grande maison dont elle ignorait absolument tout. Mathilde l'observait, sans savoir ce qu'elle était censée faire. Fuir ? Entrer ? Attendre de rentrer chez elle ?

Ses réflexions ne l'avaient pas menée bien loin qu'une voix familière la fit sursauter bruyamment. Une main sur le coeur - qui battait si vite qu'elle avait l'impression qu'il quitterait sa poitrine d'un instant à l'autre - Mathilde avait posé les yeux sur la personne désormais à ses côtés. « Elena... Tu m'as fait peur ! » Une faiblesse qu'elle avouait rarement, mais face à l'évidence, autant être franche. « Toi aussi tu viens d'apparaître mystérieusement ici ? » Parce que, finalement, c'était certainement l'explication la plus rationnelle dans cette ville étrange où il ne fallait chercher aucune logique. Les gens apparaissaient et disparaissaient dans des lieux mystérieux sans aucune explication logique depuis quatre ans qu'ils étaient ici. Une habitude, désormais. « Tu connais cet endroit ? » Mathilde avait entendu ces gens qui parlaient de leur monde d'origine, dans lequel ils seraient retournés, peut-être était-ce le cas pour Elena ? Peut-être que cette maison appartenait à son passé et que Mathilde, pour une raison ou une autre, s'était retrouvée là, également ?

Mathilde ne reconnaissait rien et ne savait même pas ce qu'elle faisait là. Comme cela semblait être fréquent dans cette ville, elle s'était retrouvée ici en un clignement d'yeux. Magie, folie ou hallucination, elle n'en savait absolument rien. Ce qu'elle savait, c'était qu'il fallait faire avec, qu'il fallait se débrouiller pour sortir d'ici et, de préférence, en vie.

Mathilde se croyait seule, au départ, jusqu'à l'arrivée surprise d'Elena, l'une de ses voisines, qui la fit sursauter. Si elle avait été surprise parce qu'elle ne s'y attendait pas, elle ne s'étonnait même plus des visages qu'elle voyait avec elle lors de ces étranges événements. Ils ne semblaient avoir aucun lien, aucune logique. Ils étaient là simplement. Parfois elle les connaissait, parfois elle ne les connaissait pas. Mathilde, après s'être remise de sa petite frayeur, demanda alors simplement confirmation : était-elle arrivée là mystérieusement, elle aussi ? A quoi bon continuer de s'interroger, de se suspecter ou de se questionner ? Les réponses étaient toujours les mêmes. Désespérément les mêmes.

Une fois la confirmation obtenue, Mathilde n'avait pas perdu davantage de temps. Elle devait rentrer chez elle, et au plus vite. Son fils était là-bas, chez elle, seul, et il ne pouvait pas le rester. Alors, d'un signe de la tête, la jeune femme avait désigné la maison : pensait-elle qu'il fallait y entrer ? Mais surtout, la connaissait-elle ? C'était ça, la première vraie question. Peut-être étaient-elles chez Elena ? Certains, d'après les dires des habitants, retournaient chez eux, alors peut-être était-ce le cas ? Elena lui assura alors qu'elle n'était jamais venue ici avant aujourd'hui. Question qu'elle lui retourna et pour laquelle Mathilde se contenta de secouer la tête de droite à gauche. Non, elle ne connaissait pas cet endroit.

Elles n'étaient donc pas dans le souvenir de l'une ou de l'autre. Alors où étaient-elles et, plus important encore, qu'attendait-on d'elles ? Encore de la survie ? Qu'elles trouvent la réponse à une énigme ? Elena s'interrogeait. Que devaient-elles faire ? Mathilde l'ignorait. Et elle n'aimait pas particulièrement ça, ignorer les choses. Mathilde aimait savoir et avoir raison, dans ce genre de situation, elle se retrouvait démunie et elle n'avait pas le choix que de faire avec, malgré son agacement.

Etait-ce seulement prudent d'entrer dans une maison qu'elles ne connaissaient pas alors qu'il faisait nuit, qu'aucune lampe n'éclairait la maison et qu'elles n'étaient pas armées ? Non. Etait-ce davantage prudent de rester dans ce décor effrayant que représentait l'extérieur ? Non. « D'après moi, nous ne sommes en sécurité nulle part. Ni ici, ni dans cette maison. » Répondit-elle très franchement, tout en observant les alentours - inutilement puisqu'elle ne voyait presque rien. « On devrait aller y jeter un coup d'oeil. » Souffla-t-elle après un instant de réflexion. Peut-être était-ce une très mauvaise idée - sans doute était-ce une très mauvaise idée - mais elles n'allaient pas rester plantées là, dehors, bêtement. « Je pense que c'est une très mauvaise idée... » Expliquait-elle clairement, sans mensonge, avec toute la franchise du monde. « mais je suppose que c'est ce que l'on attend de nous et qu'il ne se passera rien si on ne le fait pas. » En d'autres termes, elles n'avaient pas réellement le choix. Il fallait se plier aux règles du jeu pour espérer quitter cet endroit, aussi cruelles puissent-elles être. « Tu es prête ? » Y avait-il seulement un moment pour être prête à faire ce genre de choses ? Certainement pas, en réalité, mais il fallait bien y aller, à un moment ou à un autre.

A leur problème, il n'y avait sans doute pas de bonne solution. Rester à l'extérieur ou entrer dans cette maison, Mathilde était prête à parier que des ennuis les attendaient dans les deux cas. Alors, peut-être encore était-il préférable de découvrir ce que cette maison cachait ? A l'intérieur, elles trouveraient peut-être des choses utiles, des indices et elles auraient moins d'endroits à surveiller que là où elles étaient actuellement, exposées à tous les dangers. De plus, Mathilde était prête à parier que cette maison était là pour quelque chose et que si elles voulaient voir les choses avancer, elle devait entrer à l'intérieur. Attendre que le temps passe ne les ferait certainement pas rentrer chez elles. Malheureusement.

Les deux femmes étaient donc décidées, elles allaient entrer. Elena s'approcha la première et ouvrit la porte. Cette dernière grinçait, ce qui rendait la situation plus angoissante qu'elle ne l'était déjà - était-ce seulement possible ? Son amie semblait hésitante, ce qui n'avait rien d'étonnant, cette maison n'était pas accueillante ou rassurante. Après un temps d'hésitation, Elena mit un pied à l'intérieur. Il le fallait bien de toute façon, puisqu'elles n'y voyaient rien du tout là où elles étaient. Après un certain temps, les secondes devenant des minutes à ses yeux, elles étaient entrées toutes les deux. Le coeur de Mathilde battait beaucoup trop vite. Elle avait peur. Non, elle était terrifiée.

A la proposition d'Elena, Mathilde se contenta de hocher la tête, sans même savoir si elle pouvait véritablement la voir. Elle n'était pas rassurée à l'idée de s'éloigner de son amie, mais elle n'avait pas le choix. L'important était de rester dans la même pièce, à proximité, pour pouvoir se réunir rapidement en cas de danger. Mathilde cherchait, à tâtons, ce qui se trouvait sur les meubles. Rapidement - trop rapidement - ses mains se posèrent sur ce qui ressemblait à deux bougies sur deux chandeliers. « J'ai trouvé. » Chuchota Mathilde, suffisamment fort pour se faire entendre. Elle les alluma - puisque tout était entièrement à disposition - et en tendit un à Elena. « Je ne sais pas toi, mais je trouve cela étrange que tout soit à notre disposition. » Comme si tout les attendait. Ou ce n'était qu'une coïncidence, après tout quoi d'étonnant à trouver des chandeliers sur un meuble, à proximité de l'entrée ?

« Cette maison a l'air grande. » Chuchota-t-elle en observant les alentours très rapidement. « Et très ancienne, aussi. » Mais ça, elle l'avait déjà compris. « Je te propose qu'on fouille ensemble ? » Inutile de se séparer dans ce genre de situation. La prudence voulait qu'elles restent ensemble. Et même si Mathilde avait cette tendance à être désagréable et à refuser l'aide de tout le monde, ce n'était pas le cas dans cette situation, beaucoup trop dangereuse et inconnue. « Par où commençons-nous ? » Les étages ? Les caves ? Cet étage ? Elle laissait le choix à Elena, parce qu'elle n'en savait rien, qu'elle était incapable de se décider et qu'elle avait l'impression que la décision ne changerait rien, de toute façon.

Bougies en mains, les deux femmes pouvaient explorer cette maison à la recherche d'une issue ou, au moins, de réponses à leurs nombreuses questions. Mathilde trouvait étrange que les choses soient si simples, comme à leur disposition, et Elena partageait son avis. Elles devaient donc rester prudentes et sur leur garde - mais quelque chose lui disait qu'elles l'auraient été, quoi qu'il en soit. Si tout était trop simple, elles pouvaient tomber dans un piège à n'importe quel instant. Après tout, rien ne leur assurait que quelqu'un ou quelque chose ne les attendait pas. Il ne fallait donc pas baisser sa vigilance. A aucun moment.

Sans perdre de temps, désormais, il fallait fouiller la maison. Elles décidaient de rester ensemble quoi qu'il arrive. Se séparer dans ce genre d'endroit sinistre et effrayant, qu'elles ne connaissaient pas, était beaucoup trop risqué. Séparées, elles devenaient des proies faciles. Beaucoup trop faciles. Elles resteraient donc ensemble pour fouiller. Mathilde laissait le choix à Elena du premier endroit à visiter. Cette dernière préférait commencer par cet étage. Mathilde acquiesça et sans discuter se mit à fouiller. La jeune femme fouillait avec attention et essayait de regarder chaque recoin. Tout paraissait être à sa place, rien ne semblait suspect - si ce n'était que cette maison était d'une autre époque, clairement. Et s'il n'y avait tout simplement rien à découvrir ? Si rien ne se cachait ici ? Si elles s'étaient créé cette ambiance elles-mêmes ? Si cette maison était celle de quelqu'un d'honnête et d'innocent ? « Rien du tout. On peut changer de pièce. » Affirma-t-elle, en se déplaçant en même temps que son amie, sans perdre de temps en bavardages inutiles.

Les pièces se succédèrent alors et elles ne trouvaient jamais rien. Rien d'anormal, en tout cas. Mathilde perdait patience et commençait à croire que c'était peine perdue. Pourtant, qu'étaient-elles censées faire ? Elles n'allaient pas quitter cette maison sans rien. Comment rentreraient-elles chez elles, alors ? Fallait-il simplement attendre ? « Je crois qu'il n'y a rien à cet étage. » Souffla-t-elle. « Si on doit trouver quelque chose, on ne nous a pas facilité la tâche en nous le mettant à disposition. » Au rez-de-chaussée, c'était trop flagrant, trop facile, certainement. « Il y a des escaliers, là-bas, qui conduisent à un sous-sol, on va voir ? » Elle les avait vus en ouvrant une porte, peut-être que ça valait le coup de tenter ? Après tout, c'était un bon endroit pour cacher un indice ou quelque chose, non ? Un endroit où tout le monde n'oserait pas descendre parce qu'il inspirait la crainte.

Cet étage n'avait rien de particulier et ne renfermait pas d'indices sur ce qu'elles devaient faire. Pas d'après les deux femmes qui venaient de fouiller l'endroit, en tout cas. Elles pouvaient, bien sûr, être passées à côté de quelque chose d'important, mais il fallait continuer de chercher. Fouiller encore et encore le même endroit pouvait être une perte de temps considérable et leur temps était précieux - qui sait combien de temps elles avaient pour sortir d'ici ? « C'est le moins que l'on puisse dire. » Assura Mathilde à la réflexion de son amie. Ce monde avait la fâcheuse habitude de les mettre dans de drôles de situation et de tout compliquer. Ce ne serait pas amusant, autrement, non ?

Puisque cet endroit ne les aidait pas, Mathilde proposait de visiter le sous-sol. Elle avait trouvé des escaliers, peut-être était-ce une façon de les inviter à suivre ce nouveau chemin ? Ou peut-être n'était-ce rien du tout, rien de plus que des escaliers qui étaient là parce qu'ils étaient là depuis toujours et qu'il ne fallait rien y voir de particulier ? Mais il fallait bien faire quelque chose. Alors les deux femmes s'en étaient approchées et Elena était passée devant, sans que rien ne soit décidé entre elles à l'avance. Mathilde n'avait même pas cherché à protester parce qu'elle n'avait pas réfléchi véritablement au danger qui pouvait se cacher là et elle l'avait laissée passer.

L'endroit était terrifiant. Il s'y dégageait une ambiance absolument affreuse et qui faisait froid dans le dos. Si Mathilde n'avait écouté que sa petite voix, elle serait remontée aussitôt, sans même chercher à fouiller. Pourtant, elle ne le pouvait pas. Alors, les deux femmes s'étaient mises à fouiller. Il n'y avait pas grand-chose ici. Pas grand-chose d’intéressant en tout cas. Jusqu'à ce qu'Elena l'interpelle pour lui désigner la porte et la clé, tout du moins. Là, évidemment, les choses devenaient plus intéressantes et peut-être étaient-elles en train d'avancer vers une sortie ? Difficile à dire. Cette clé, posée là comme un cadeau, Mathilde s'en méfier plus qu'autre chose en réalité. « Je crois que c'est ce qu'on doit faire, ce qu'on nous invite à faire, tout du moins. » Il le fallait parce que tout les menait là, mais était-ce une bonne ou une mauvaise chose, ça, elle ne pouvait pas le dire. S'ouvraient-elles la porte de sortie ou se jetaient-elles dans la gueule du loup ?

Elena s'était donc emparée de la clé et avait ouvert, toute tremblante, la fameuse porte. Derrière se cachait une véritable scène d'horreur. Des corps et du sang. Partout. L'odeur était nauséabonde. La vision était affreuse. Mathilde en avait mal à l'estomac et elle restait pétrifiée par la peur. Seuls les bruits de pas qu'elle entendait désormais à l'étage lui avait permis de revenir plus ou moins à elle, complètement paniquée. « On fait quoi maintenant ? » Murmura-t-elle, paniquée, à son amie. « On ne peut plus retourner à l'étage et on ne peut pas... » Ses yeux se posèrent un instant de nouveau dans cette pièce avant de revenir à Elena, pleins de terreur, le coeur qui se soulevait. « on ne peut pas se cacher ici. » Jamais elle ne pourrait supporter de se cacher dans cette pièce où les pires crimes avaient dû être commis, dans cette pièce qui la terrifiait et éveillait en elle des craintes qu'elle n'avait même pas conscience d'avoir. Et surtout, elle ne voulait pas être la prochaine sur la liste du monstre qui vivait ici.

Ouvrir cette unique et mystérieuse porte dont la clé se trouvait à proximité avait sans doute été la pire erreur de leur vie. Elena avait poussé la porte pour y découvrir une scène terrible. Des corps de femmes gisaient dans leur propre sang. Mathilde ne supportait pas de voir une telle scène et son estomac semblait se rebeller, lui aussi. Evidemment, la peur et la panique l'envahissaient. Elles devaient quitter cet endroit au plus vite. Fuir. Se cacher. Se protéger. Il y avait fort à parier qu'on leur réservait le même sort, si elles avaient le malheur d'être découvertes.

Pourtant, elles ne pouvaient pas fuir puisqu'elles n'étaient plus seules. Les bruits de pas à l'étage étaient très distincts et ne laissaient aucun doute. Elles étaient coincées dans les sous-sols puisque quelqu'un se trouvait au rez-de-chaussée. Mathilde, peu habituée à vivre ce genre de situations, perdait le contrôle d'elle-même et paniquait. Il fallait espérer entendre une idée de génie sortir de la bouche d'Elena. Si elle n'avait pas encore de plan précis, cette dernière faisait les choses pas à pas. D'abord, refermer la porte puis reposer la clé. Ensuite, se cacher et attendre le bon moment. Mais se cacher où ? Et comment être sûres qu'on ne les démasquerait pas avant qu'un bon moment se présente ? D'ailleurs, c'était quoi le bon moment ? « Et si le bon moment n'arrive jamais ? » Rétorqua-t-elle dans la panique.

Elena tentait évidemment de la rassurer, ce qui ne fonctionnait pas vraiment. Elle avait confiance en son amie, mais elle ne pouvait pas deviner si elles allaient s'en sortir. Ses promesses n'y changeaient rien. Elena voulait alors accélérer les choses, mais, dans la précipitation, elle avait fait tomber la clé dans le sang. Clé qui en était désormais recouverte. Elena l'essuyait donc, en vain. Rien ne semblait effacer ces traces de sang. Pire encore, comme si une malédiction reposait sur cette chose, la tache revenait sans cesse de l'autre côté. En boucle. « Comment est-ce possible ? » De quelle magie s'agissait-il ? Comme c'était étrange. Mais il n'y avait pas vraiment le temps de s'en étonner.

A la demande de son amie, Mathilde avait attrapé la clé et avait tenté de l'essuyer, mais le même phénomène étrange se répétait. « Je n'y arrive pas, moi non plus. » Elle paniquait. Non, c'était même pire que ça. « Qu'allons-nous faire ? » Laisser la clé ainsi, c'était la preuve de leur présence. Voler la clé également. Alors, quel choix avaient-elles ? Aucun ? Finalement, cela importait peu puisque les bruits de pas se dirigeaient désormais vers elles. On pouvait, en effet, très distinctement entendre les pas dans les escaliers. Elles n'avaient plus le temps, elles devaient agir. Et un regard paniqué vers son amie indiquait que Mathilde n'avait pas la moindre idée de comment agir. Elle avait simplement l'impression qu'elle allait s'écrouler sur elle-même tant ses jambes tremblaient et tant la terreur envahissait tout son être.

Mathilde avait peur. Peur que cet homme les repère. Peur que cet homme leur réserve le même sort qu'à ces autres femmes qui baignaient dans leur propre sang. Il fallait espérer que cet homme s'éloigne afin qu'elles puissent prendre la fuite, le plus rapidement possible. Si elles reposaient cette clé, jamais il ne se douterait de leur présence. Malheureusement, la clé était tombée dans le sang et elle en était remplie. Impossible de l'essuyer. Elena avait essayé, encore et encore, mais en vain. Les taches réapparaissaient à chaque fois. Mathilde avait essayé à son tour, mais les taches restaient et réapparaissaient de nouveau, de l'autre côté. Qu'étaient-elles censées faire désormais ? Pourquoi ces taches ne disparaissaient pas, comme elles le devraient normalement, après avoir été essuyées ?

Mathilde avait peur. Non, Mathilde était terrifiée. Si les taches restaient, on saurait que quelqu'un se trouvait dans cette maison. Après tout, la clé n'avait pas pu ouvrir la porte toute seule, tomber dans le sang et reprendre sa place d'origine. Elles étaient fichues. Malgré la panique, Elena tentait de la rassurer. Ça ne fonctionnait pas vraiment. Mathilde était suffisamment terre-à-terre et réaliste pour savoir que non, ça n'irait pas, que non, ça ne pouvait pas aller quand un homme d'une telle violence se trouvait avec vous, dans sa maison. Elles allaient y rester, Mathilde le craignait.

C'en était fini d'elles. Les pas se dirigeaient dans leur direction désormais. Il n'y avait pas de solution miracle. Il n'y avait pas d'issue. Elles étaient fichues. Perdues. Mortes. Aux conseils de son amie, la jeune femme avait hoché la tête doucement. Ne pas faire de bruit. Ça, elle devait en être capable - même s'il était compliqué de calmer sa respiration. Lorsque Elena la poussa contre le mur, dans un endroit un peu à l'abri, dans l'obscurité, elle n'avait pas protesté. Leur vie se jouait à cet instant précis. Une seule erreur et elles ne s'en sortaient pas.

Courir. Elle allait devoir courir. Elle se préparait mentalement. L'homme passait devant elle. Mathilde avait arrêté de respirer, son coeur battant beaucoup trop vite. Elle avait peur. Terriblement peur. Et, à l'instant où ce monstre s'était retrouvé devant la porte, les deux femmes s'étaient jeté un regard entendu et s'étaient mises à courir de toutes leurs forces. Aussitôt, l'homme les avait repérées - ne pas faire de bruit n'aurait servi à rien puisqu'il avait déjà remarqué que la clé avait disparu. Maintenant qu'il était à leur poursuite, elles n'avaient plus qu'à courir vite et prier pour lui échapper.

Elles étaient fichues. Il n'y avait aucune issue. Elles étaient prises au piège. Cet homme, ce monstre, les avait vues - ou, tout du moins, allait bientôt les voir. Elles ne pouvaient pas simplement fuir et prier. Elles avaient face à elles un meurtrier - il suffisait de voir ce qu'elles avaient vu dans cette cave pour ne plus en douter. Elles étaient cachées dans un coin et, malgré la peur, elles tentaient de respirer sans faire de bruits. L'homme était passé devant elles pour s'approcher de la porte, après un temps infiniment long. Il ne lui fallait qu'une seconde pour remarquer la disparition de sa clé et comprendre qu'il n'était pas seul. Alors, elles devaient réagir au bon moment. Surtout, ni trop tôt, ni trop tard. Dans un cas comme dans l'autre, elles étaient fichues.

Elles s'étaient donc mises à courir, au moment qu'elles avaient jugé le plus opportun. Aussitôt, ce monstre les avait donc vues. Elles n'étaient plus juste des intruses, elles étaient également des cibles, désormais, puisqu'il savait qu'elles étaient toujours là. Elena et Mathilde étaient poursuivies par cet homme. Il fallait lui échapper, il fallait le distancer. Les deux femmes y mettaient toutes leurs forces, pour ne pas ralentir, pour ne pas s'arrêter, mais elles s'essoufflaient - courir dans les escaliers n'était pas une affaire facile pour Mathilde qui n'était pas une grande sportive. Heureusement, elles étaient au rez-de-chaussée et la porte d'entrée se dessinait devant leurs yeux. Un soulagement. Pour un court instant, tout du moins. En effet, Elena tenta de l'ouvrir, mais elle était fermée. Elle était fermée. Mathilde se le répétait encore et encore, après avoir entendu les mots de son amie. Elles étaient enfermées ici ? Avec ce monstre ? Non.

La panique de Mathilde augmentait et elle ne bougeait plus, paralysée par la peur. Heureusement, Elena l'avait attrapée au passage pour l'entraîner avec elle et ne pas la laisser derrière. La jeune femme se reprenait et se reconcentrait sur sa survie et sur celle de son amie. Elles tentaient donc de trouver une autre solution, mais comment en trouver une lorsqu'elles ne connaissaient pas les lieux ? Elles ne savaient pas les endroits sûrs ou ceux où elles pouvaient se cacher. Elles avançaient à l'aveugle et ça ne facilitait pas les choses, bien sûr. Bien au contraire.

Soudainement, Elena s'était stoppée. Elle avait raison, il n'y avait plus de bruits et l'homme ne semblait plus être à leur poursuite. Elle avait raison sur toute autre chose également, ce n'était pas normal. Mathilde n'aimait pas ça, elle non plus. Cet homme n'avait pas abandonné sa poursuite, cela n'aurait eu aucun sens. Soit il attendait qu'elles tombent dans un piège, soit il était là, caché quelque part, et n'attendait qu'elles. Le coeur de Mathilde se mit à battre plus fort encore - et elle ignorait que c'était possible, à ce stade - et son visage se décomposa plus encore. Elle était terrifiée, bien sûr. Ses yeux se posèrent partout autour d'elle, elle s'attendait presque à voir cette silhouette effrayante là, quelque part, dans un coin. « Il cherche à nous tendre un piège ? » Si elle le posait sous forme de question, elle connaissait déjà la réponse en réalité. « Qu'allons-nous faire ? » Elles n'étaient pas armées pour affronter ce genre de situation, alors qu'étaient-elles censées faire ? Accepter leur tragique destin ? Se battre pour une cause perdue, celle de leur survie ? Existait-il seulement une solution leur permettant de survivre à cette aventure ? « Nous devrions trouver de quoi nous défendre, non ? » Chuchota-t-elle. Mathilde ne savait pas particulièrement se défendre, mais avec une arme, n'importe quoi, elle aurait au moins une infime chance face à ce monstre. Et chaque chance était bonne à prendre. « Et trouver un endroit où nous réfugier. » En espérant ne pas aller très précisément là où ce monstre les attendait. Mais comment savoir ? Comment se mettre dans la peau de ce monstre pour réfléchir comme lui et faire tout l'inverse de ce qu'il attendait ?  

Dans cette situation, la première chose à faire était de trouver quelque chose pour se défendre. Comme elles ne connaissaient pas l'endroit et qu'elles ne pouvaient pas se promener partout sans risque, elles étaient en danger à chaque seconde et elles devaient trouver quelque chose le plus rapidement possible - et le plus près, également. « Bien sûr. » Répondit Mathilde, sans froideur ou sans prendre de haut sa camarade, trop apeurée pour perdre son temps avec tout cela.

Doucement et prudemment, les deux femmes avançaient, sans se lâcher. Très vite, Elena s'était stoppée pour se baisser et ramasser quelque chose. En se relevant, elle avait tendu quelque chose à Mathilde. Un morceau de verre. Ce n'était pas l'arme la plus efficace du monde, mais elle ferait l'affaire. « Je ferai au mieux. » Parce qu'il restait difficile de ne pas se trancher la main avec un morceau aussi tranchant en temps normal, avec la peur, cela risquait d'être plus compliqué encore. Cependant, elle se montrerait aussi prudente qu'il était possible de l'être.

Malgré la discrétion dont elles essayaient de faire preuve, le sol craquait sous leurs pas. Si cet homme était bel et bien là à les observer, il savait très précisément où elles devaient se trouver - ce qui n'avait, bien sûr, rien de rassurant. Elles devaient trouver une sortie ou un endroit où se réfugier, et vite. Alors, comme pour exaucer sa prière, sa compagne de mésaventure lui avait désigné un endroit de la main. Mathilde se sentait presque soulagée de voir cette faible lumière, à telle point qu'elle se précipitait vers cette potentielle sortie, vers cette potentielle fenêtre. Elle se précipitait... Il était bien là le problème. Elle en oubliait la prudence, la hâte de s'enfuir prenant le dessus.

Elle n'avait pas vu ce tapis. Trop pressée, elle n'avait pas fait attention à là où elle mettait les pieds. Alors, elle s'était pris les pieds dedans. Et elle avait chuté. Lourdement. Dans sa chute, sa main avait resserré ce qu'elle tenait. A cause de ce geste, elle s'était profondément entaillée la main. Face à la douleur ressentie, elle avait crié. Par réflexe. Sans pouvoir s'en empêcher. De peur que l'homme ne s'approche pour les tuer, puisqu'il était évident qu'il les avait entendues désormais, la jeune femme avait voulu se redresser à toute vitesse. Il fallait s'éloigner d'ici, et vite. Dans sa précipitation, elle s'était attrapée à un petit meuble et elle en avait fait tomber le contenu - à cause d'une sorte de nappe. Elles étaient fichues. L'enchaînement de ces différentes catastrophes avait forcément dévoilé leur position.

Habituellement, Mathilde n'était pas particulièrement maladroite. Cette fois-ci, elle avait eu son lot de malchance pour les cent prochaines années. Se retrouver enfermer dans la maison d'un monstre, se trouver prise au piège et prise en chasse, se prendre les pieds dans le tapis, tomber, se blesser avec ce qu'elle tenait dans les mains, crier par réflexe, faire tomber le contenu d'un meuble dans un bruit sourd et fracassant... Une véritable catastrophe. Une catastrophe terrible qui avait très certainement attiré le meurtrier qui traînait dans le coin et qui allait en profiter pour les trouver.

Sous le choc, Mathilde ne bougeait pas. Elena réagissait. Elle attrapa la nappe pour en couper un morceau et couvrir la blessure que Mathilde avait à la main. Pour arrêter le saignement, sans doute. Pour qu'elle ne perde pas trop de sang et pour éviter d'être suivie à la trace trop facilement. Toujours incapable de réagir, elle avait regardé sa main avant d'être entraînée sous la table avec Elena. Cette dernière se cachait. Mathilde n'avait pas entendu les bruits de pas, mais elle pouvait les deviner. Elle venait peut-être de les condamner toutes les deux.

Mathilde avait peur, mais elle se contrôlait. Il n'était plus question de faire une bêtise comme celle-là. Elle voyait l'homme approcher et son coeur qui ne faisait que battre plus fort. Pourtant, elle ne pouvait rien faire. Et elle ne savait pas qu'Elena avait un plan alors elle pensait simplement à son fils pour affronter ses derniers instants avec davantage de courage. Elle fut surprise de voir Elena lui enfoncer le morceau de verre dans la jambe, mais avait su réagir en entendant son amie hurler. Les deux femmes s'étaient alors précipitées hors du dessous de la table pour courir jusque dans la pièce qui faisait de la lumière. Elles n'étaient peut-être pas encore perdues.

L'homme était lent, mais était à leur poursuite. Arrivées dans la pièce, Mathilde avait refermé la porte et s'était collée à elle, priant pour ralentir davantage l'homme en bloquant l'entrée. A première vue, il n'y avait ni porte, ni fenêtre et cette idée la faisait paniquer davantage. « Il n'y a rien, nous sommes coincées ! » Et l'homme n'était plus qu'à deux pas de la porte, il suffisait d'écouter le bruit de ses pas pour le savoir.

Mathilde se sentait mal. Elle était coincée dans une maison avec un inconnu. Un meurtrier. Son seul espoir avait été cette pièce de laquelle semblait sortir une lumière, mais en arrivant à l'intérieur, il n'y avait rien du tout. Si, jusqu'à présent, elle avait été capable de garder un certain calme, cette fois-ci, elle avait l'impression de perdre pied. Elena tentait de la rassurer, en bloquant la porte, dans un premier temps. Ainsi, Mathilde n'aurait plus besoin de se coller contre elle pour empêcher l'homme d'entrer. Ce ne serait qu'une barrière provisoire, mais cela restait rassurant, tout de même.

Une chaise avait donc pris la place de Mathilde. Cette défense ne tiendrait pas au-delà de quelques minutes, mais ça leur donnerait peut-être le temps de réfléchir et de trouver une solution. La réflexion d'Elena était loin d'être stupide, bien au contraire. Si cet homme était sorti de cette pièce, il y était forcément entré - et par une autre porte puisqu'elles ne l'avaient pas vu. Il y avait donc une ouverture quelque part, il était là, leur espoir.

Alors que l'homme commençait à s'acharner sur la porte pour l'ouvrir, les deux femmes se mirent en quête d'une porte, d'une fenêtre ou d'une quelconque ouverture. Mathilde passait alors ses mains partout sur les murs, tentait de découvrir une poignée ou n'importe quoi d'autres. Et cela avait fini par payer. Il n'y avait ni poignée visible, ni rien, mais elle avait senti comme une longue ouverture, très fine, dans le mur. Doucement, elle avait poussé et un pan du mur s'était ouvert. Une porte était dissimulée dans ce dernier. Aussitôt, Mathilde avait appelé Elena. Il n'y avait plus de temps à perdre, qu'importe où cette ouverture menait. « Dépêche-toi ! » avait-elle ajouté rapidement, en voyant que la porte était en train de céder. Elles avaient trouvé au bon moment, mais elles n'étaient pas sorties d'affaire pour autant. Il fallait désormais fuir à travers la maison pour échapper à l'homme.

Désormais dans un long couloir étroit, elles avaient le choix : essayer d'emprunter une porte au hasard ou continuer jusqu'à espérer trouver des escaliers ou autre chose.

Trouver une ouverture et fuir. C'était la seule solution pour qu'elles puissent sortir de cet endroit en vie. Mathilde avait trouvé quelque chose et n'avait pas perdu de temps pour prévenir Elena. Elle avait poussé un pan de mur qui s'était ouvert. Aussitôt, suivie par Elena, elle s'y était engouffrée. Devant elles se dressaient un long couloir étroit et plongé dans l'obscurité. Tout au long de ce couloir semblait se dissimuler des portes. La question était simple désormais : emprunter l'une d'elles ou fuir jusqu'à espérer trouver une sortie au bout de cet interminable couloir.

Elles devaient prendre une décision, et vite. En effet, la porte avait cédé. L'homme était en train d'entrer dans la pièce avant le couloir. Il ne mettrait qu'un court instant à comprendre où elles étaient et à les rattraper si elles ne se décidaient pas rapidement. Elena, consciente des risques elle aussi, attrapa la main de Mathilde et la conduisit vers une porte. Sans hésitation, au hasard, elle l'avait poussée. Enfermées dans cette pièce, elles gagnaient quelques minutes. Le meurtrier allait avoir le choix entre toutes les portes et certaines s'étaient présentées avant celle-ci. Il fallait espérer que rien ne lui indique qu'elles étaient ici.

Elena avait refermé délicatement la porte et l'avait fermée à clé - pourquoi diable y avait-il une clé sur cette porte ? Toutes les portes en avaient-elles une ou cette pièce était particulière ? Avaient-elles choisi la mauvaise pièce ? L'esprit de Mathilde partait dans tous les sens à cause de la panique. Mais Elena la ramenait à la réalité en lui disant qu'il fallait trouver un moyen de quitter cet endroit rapidement. Elle en rêvait, mais ça lui semblait de plus en plus être mission impossible.

La jeune femme lui proposa alors différentes hypothèses afin de trouver ce qui pourrait leur permettre d'être autorisées à partir. Eviter et gagner du temps jusqu'à ce que le temps imparti soit écoulé ? Trouver la sortie ? Se battre ? S'en débarrasser ? Mathilde n'en savait rien, mais elle avait conscience de ce qu'elle était capable de faire ou non. « On peut fuir ou essayer de trouver une sortie. On peut essayer de survivre encore et encore, mais jamais nous ne serons capables de le tuer ou de le combattre. » Il fallait être réalistes. L'affronter, c'était la mort assurée. « Tu as vu le nombre de ses victimes ? Tu as vu sa carrure et sa force ? Nous n'avons pas la moindre chance, même à deux. » Non, Mathilde voulait se battre pour sa vie et ne pas se jeter dans la gueule du loup bêtement.

En observant la pièce, malgré l'obscurité, Mathilde en déduisit qu'il n'y avait rien d'intéressant pour elle. « J'ai peut-être une idée... » Souffla-t-elle hésitante. « Est-ce que tu as vu si cette porte avait une serrure à l'extérieur ? » Ou se fermait-elle seulement de l'intérieur ? « Si nous réussissons à nous cacher dans la pièce d'après - à supposer qu'il y en ait une - il nous suffit d'attendre qu'il entre ici et nous l'y enfermons. » Ce n'était pas le plan idéal, mais il fallait tenter quelque chose... « C'est risqué... Rien qu'ouvrir cette porte est risquée parce qu'il pourrait se cacher derrière et rien ne nous assure que nous pourrons nous réfugier dans l'autre pièce ou revenir à temps pour fermer celle-ci... Mais nous devons bien essayer quelque chose, non ? » Autant dire qu'elle n'était pas elle-même convaincue par son plan, mais elle était à court d'idées et il fallait absolument tenter quelque chose. Fuir encore et encore était épuisant et ne leur assurait pas de pouvoir fuir. Difficile de chercher une sortie lorsqu'on était poursuivie.