La lune rouge se dressait haut dans le ciel, dominant l'île d'une lumière étrange et inquiétante. Je ne me souvenais plus de comment j'avais échoué ici, mais ce n'était ni la première fois, ni sans doute la dernière que je me retrouvais dans un endroit où les mystères se tissent aussi serrés que les filets d'un vieux pêcheur. Le vent marin soufflait doucement, porteur d'un parfum de sel, mais aussi d'une étrangeté qui me hérissait la peau. Un frisson me parcourut l'échine.
Je me tenais sur le rivage, mes bottes enfoncées dans le sable humide, observant les vagues qui venaient lécher la plage. Le reflet de la lune rouge se brisait sur l'eau, comme un présage de malheur. Pourtant, je n'étais pas homme à croire aux signes. J'avais vu trop de choses, vécu trop de vies, pour me laisser troubler par une simple couleur dans le ciel. Mais cette fois... Cette fois, je sentais quelque chose de différent. Quelque chose d'ancien et de puissant.
Je m'enfonçai plus profondément dans mes pensées, mon regard perdu dans l'horizon. L'île semblait déserte, mais je savais qu'il y avait d'autres âmes perdues, égarées ici, tout comme moi. Il y avait toujours d'autres joueurs dans ce genre de jeu, et j'avais appris à les reconnaître. Certains fuient, d'autres cherchent. D'autres encore, comme moi, se contentent d'observer en attendant leur moment.
Je me tournai lentement, laissant derrière moi les embruns et la mer pour m'aventurer dans l'épaisseur de la végétation qui bordait la plage. Le silence était presque total, à peine troublé par le froissement des feuilles sous mes pas. Chaque branche semblait vouloir raconter une histoire, mais je n'avais pas de temps pour écouter leurs murmures. Il y avait quelque chose dans l'air, une tension que je ne pouvais pas ignorer.
Soudain, au détour d'un sentier étroit, j'aperçus une silhouette. Une jeune femme, seule, accroupie près d'un arbre. Ses cheveux blonds luisaient faiblement sous la lueur de la lune, et elle semblait perdue dans ses pensées, tout comme moi quelques instants plus tôt. Elle ne m'avait pas encore remarqué, et je ne fis pas un bruit, préférant l'observer un moment. Je n'étais pas sûr de ce que je cherchais à deviner dans ses gestes, mais il y avait dans son attitude quelque chose de fragile, de désespéré.
Je me doutais que cette île n'épargnerait personne. Elle dévore les âmes comme la mer dévore le rivage, avec une lenteur cruelle et implacable. Pourtant, il y avait chez cette femme une sorte de résistance qui m'intriguait. Elle n'était pas du genre à se laisser abattre. J'avais rencontré assez de personnes comme elle pour le savoir. C’était le genre de choses que j’arrivais à deviner par moments.
Après quelques instants, je décidai de rompre le silence. Mes pas crissèrent sur le sol, suffisamment pour qu'elle lève les yeux vers moi. Je vis dans son regard une lueur d'alarme, mais aussi une étincelle de défi.
« Belle nuit, n'est-ce pas ? » dis-je d'une voix douce, presque détachée, comme si la situation n'avait rien d'extraordinaire.
Je supposais qu’elle devait avoir eu un cheminement de pensée semblable au mien…
« Ne vous en faites pas. Je suis un voyageur. Comme vous, j’imagine. » Je haussai légèrement les épaules, un sourire en coin.
« Un voyageur qui arrive en pleine nuit, dans un endroit pareil…» Nous restâmes là, à nous jauger du regard, comme deux loups solitaires qui se croisent pour la première fois. Je savais que cette île allait nous imposer bien des épreuves, mais je sentais aussi que cette femme, cette inconnue, serait peut-être plus qu'une simple rencontre de passage. Il y avait quelque chose en elle, quelque chose que je n'arrivais pas encore à cerner, mais qui me disait que nos chemins allaient se croiser à maintes reprises.
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