(Terminé) Dismantling the Twelve [Eve]

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

Le rire et le regard goguenard de Villanelle assombrirent le regard d’Eve qui, même si elle ne sut s’empêcher de sourire, donna une légère tape sur l’épaule de sa compagne.

- Rends-moi service et efface ça de ta mémoire, marmonna-t-elle, gênée d’avoir dû recourir à ce stratagème des plus ridicules.

Mais bon, si Villanelle continuait de vouloir l’épouser après une telle démonstration, alors Eve avait au moins la confirmation que la jeune femme était aussi cinglée qu’elle. Même si, en vérité, elle n’avait pas besoin de preuves supplémentaires pour affirmer une telle chose.

Mais cette interruption, même si elle avait mené Eve à agir d’une manière qu’elle aurait préféré occulter à sa fiancée, avait au moins eu raison de leur état de lubricité avancée qui, jusque-là, avait été un frein à toute pensée raisonnable. Et, cette fois-ci, la brune acquiesça lorsque la plus jeune l’embrassa et affirma qu’elles devaient réellement partir. Oui, il était plus que temps. Elles l’avaient échappé belle en cet instant, mais rien ne garantissait que d’autres intrus ne rappliquent pas ou que la concierge ne change pas d’avis.

Eve tenta tant bien que mal de se recoiffer, réarrangea ses vêtements et, surtout, se rinça les mains à l’évier de la cuisine, se débarrassant du sang qui teintait sa peau et la désignait immédiatement comme coupable. Une fois certaine que son apparence ne trahissait pas trop les activités délicieusement vicieuses qui venaient d’avoir lieu, Eve attendit la confirmation de Villanelle avant de quitter l’appartement et l’immeuble à ses côtés. Elles se hâtèrent d’établir le plus de distance possible entre elles et les lieux du crime, mais leur démarche prit rapidement une allure plus naturelle.

La main qui se glissa dans la sienne la fit sourire. Instinctivement, le corps d’Eve se rapprocha de celui de sa fiancée, comme si elles n’étaient que des amoureuses en promenade, exemptes de tout péché.

- Sereine, lui répondit-elle calmement.

Et c’était vrai. Elle ne ressentait pas de panique, certaine qu’elles sauraient éviter que l’on remonte jusqu’à elles. Et, quoiqu’il en soit, tout temps qu’elle était aux côtés de Villanelle, Eve était persuadée qu’elles seraient capables d’affronter tout ce que le sort leur réservait.

- C’est quoi, cette carte postale ?

Dismantling the Twelve

feat. Eve

« Je te le rappellerai chaque jour de ton existence », répond Villanelle d’un ton toujours aussi goguenard quand Eve lui demande d’effacer cet épisode de sa mémoire.

Elle a bien consciente que le fond d’agacement qui peuvent se ressentir dans sa voix et dans son regard sont bien réels, mais ce n’est pas pour autant que la tueuse a l’intention de se ranger à ses directives. D’autant que, en ce qui la concerne, Villanelle voulait se rappeler de chacun des instants qu’elles venaient de vivre, du plus absurde au plus exaltant, et ne surtout en oublier aucun… Cette journée restera à jamais gravée dans sa mémoire pour des dizaines de raisons différentes, c’est évident, et même quand elle doit se plier à ce genre de stratagèmes que l’on pourrait estimer indignes d’elle, Villanelle ne l’aime que d’autant plus : en vérité, elle n’a jamais eu davantage eu envie d’être sa femme qu’en cet instant, et pourtant, voilà longtemps maintenant qu’elle ne sait se voir autrement que comme son épouse.

Bientôt, elles sont suffisamment loin de la scène de crime pour ne plus redouter quoi que ce soit. Auront-elles laissé des indices ? Elles ont normalement été attentives, mais on ne peut pas prétendre qu’elles ont été très malines dans leur manière de s’éparpiller comme elles l’ont fait… Ceci dit, grâce à la petite mise en scène d’Eve, il est bien probable que l’on cherchera d’abord une maîtresse, quelle qu’elle soit, avant d’envisager d’autres hypothèses. Tout se passerait bien. Elles avaient été terriblement imprudentes (et c’était définitivement une pensée excitante), mais elles n’ont pas été complètement inconscientes pour autant, et c’est ce que Villanelle garde à l’esprit avant tout.

Elle savoure autant, au moment de marcher, main dans la main, avec Eve à travers les rues de la ville, la joie simple d’être à ses côtés, et de passer au regard de tous ceux qu’elles croiseront comme un simple couple d’amoureuse, sans la moindre idée du sang sur leur main, de la cruauté de leurs actes, de tout ce qui pesait naturellement sur leurs consciences respectives. Mais leurs consciences sont-elles vraiment si affectées que cela ? Voilà longtemps que le meurtre n’éveille en Villanelle qu’un sentiment court de satisfaction et d’euphorie que rien d’autre avant Eve ne savait lui procurer, mais Eve lui fait comprendre qu’elle n’a ni remords, ni regrets. Elle pourrait remettre sa parole en question, elle ne le fera pas. A la place, elle sourit. Elle aime la savoir sereine, elle aime l’idée qu’elle ait fait ainsi un pas dans son monde et n’ait ressenti aucune forme d’angoisse ou de peur, juste un certain apaisement.

« Apparemment, c’est un bungalow sur la plage », répond Villanelle en haussant les épaules après avoir tiré la carte de sa poche pour la regarder avec plus d’intention avant de la retourner et de désigner une série de chiffre inscrits en tout petits caractères. « Je suppose qu’il suffira de décoder tout ça pour retrouver notre expéditeur haut placé », ajoute-t-elle dans un haussement d’épaules, comme si de rien n’était.

Ensuite, elles repartiraient en chasse.

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

C'était une forme de normalité terriblement ironique que de se déplacer sereinement en ville, main dans la main avec l'objet de son obsession. Eve aurait dû rejeter cet instant de calme pour passer au suivant, plus chargé d'adrénaline et de frissons. C'est ce qu'elle aurait fait avec n'importe qui d'autre, refusant de se laisser aller à ce qui pouvait très vite tourner à la mièvrerie. Mais Villanelle n'était pas n'importe qui. C'était la seule femme qui sache adoucir le caractère de plus en plus sombre d'Eve. Tout comme c'était la seule femme qui sache, mieux que qui que ce soit d'autre, avoir accès à sa part la plus monstrueuse et éveiller celle-ci à se montrer de plus en plus dévorante. Elle supposa que c'était ça, l'amour. L'amour entre deux femmes qui n'auraient jamais dû cesser de se haïr. Mais s'étaient-elles réellement haï, pour commencer ? Non. Pas selon Eve, en tout cas. Et c'était cette absence de haine qui les avaient menées à des tragédies. Elles avaient toutes deux frôlé la mort par la faute de l'autre. Et leur survie respective, plutôt que de les tenir à distance, les avait encouragées à se retrouver, encore et encore. Jusqu'à ne plus se quitter.

C'était une pensée obsédante que celle de passer le restant de ses jours aux côtés de Villanelle. Et de s'unir à elle, officiellement. Elles n'avaient pas besoin de mariage pour célébrer leur amour dangereux et pour s'appartenir mutuellement. Mais étonnamment, cette étape odieusement "normale" de toute vie de couple avait fini par attirer Eve, tout simplement car c'était la dernière chose que son entourage aurait attendu d'elle. Et que c'était, également, la dernière chose à laquelle elle aurait pensé quelques années plus tôt, lorsqu'elle s'était mise à traquer la tueuse.

La légèreté de son humeur, à cet instant précis, aurait dû l'alerter. Elle était certaine que Martin, le spécialiste de la psychopathie envoyé par Carolyn autrefois, aurait eu beaucoup de choses à dire à ce propos. Mais c'était inéluctable. En tuant en présence de Villanelle, elle démontrait à cette dernière, plus que jamais, à quel point elle était sérieuse dans sa démarche de connaître son monde et son état d'esprit.

- Il "suffira" de décoder ? Tu sais faire ça ? demanda-t-elle, impressionnée d'avance par les compétences de sa fiancée.

Un dilemme prit place dans son esprit. D'un côté, elle voulait reprendre la traque et pourchasser chaque membre des Douze, un à un, inlassablement. Mais d'un autre côté, elle voulait également profiter de cette euphorie post-violence, de cette satisfaction d'avoir obtenu ce qu'elle désirait.

- Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?

Dismantling the Twelve

feat. Eve

Villanelle hausse les épaules avec assurance quand Eve lui demande si elle sera vraiment à même de décoder le message crypté sans doute contenu au bas de la carte postale (à moins que ce ne soit qu’un leurre et que ce pauvre type soit mort pour rien – ce qui est une autre option, assez valable. Mais étant donné le moment qu’elles venaient de vivre, non, Villanelle était définitivement tentée de penser qu’Anton Sergeev n’était clairement pas mort pour rien). La vérité, c’est qu’elle ne peut pas être tout à fait certaine d’en être capable, mais c’est tout de même avec une aisance déconcertante et une confiance démesurée qu’elle prend la chose, tout à fait certaine que ce n’est pas ce point-là qui allait les retenir.

« Tu penses que j’en suis pas capable ? » répond-elle avec un fin sourire plutôt que de répondre directement à sa question.

Tout bonnement parce qu’elle n’en verrait pas l’intérêt, en réalité. Villanelle ne saura ce qu’il en est qu’au moment de se pencher très sérieusement sur la question. Ce qui… eh bien, attendra, car pour le moment, et même s’il est peut-être adéquat, la tueuse n’a pas forcément envie de se remettre dans le vif du sujet. En soi, il est certain qu’elles n’ont pas de temps à perdre, mais en même temps, en revenir aux aspects les plus pragmatiques de leur traque ne l’intéresse pas beaucoup pour le moment.

Bien sûr qu’elle est impatiente d’en finir une bonne fois pour toutes avec les Douze mais en même temps… Une pensée l’effleure doucement que son esprit n’avait pas jusqu’alors accepté de totalement conceptualiser. Quand elles en auront fini avec les Douze, quand elle sera libérée de leur emprise pour de bon, quand ils seront tous tombés un par un… Qu’est-ce que ça voudra dire pour elle ? Et pour sa relation avec Eve ? Si cette dernière ne se satisfaisait pas de la violence qui lui avait toujours été inhérente, est-ce qu’elles n’allaient pas droit dans le mur ? Certes, c’est ce qu’elle avait attendu d’elle, quand elle avait tout raccroché avant de retrouver Eve… Mais les Douze avaient frappé à leur porte presque aussitôt. La voix d’Eve chasse ces pensées tandis qu’elle lui demande à présent ce qu’elles pourraient bien faire.

« On peut rentrer, trouver ce qui se cache derrière cette carte postale et continuer le travail », suggère-t-elle sans conviction, car après tout, elles peuvent bien décider de s’y remettre plus tard. « Ou bien… » Elle adresse un regard souriant à Eve. « … Tu as faim ? »

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

La question qui répondit à sa propre interrogation adoucit son expression. Lorsqu'elle tourna les yeux en direction de sa fiancée, ses yeux pourtant sombres adoptaient toute la douceur et l'attirance du monde. Un regard dont Villanelle était la seule à bénéficier.

- Je pense que tu es capable de beaucoup, beaucoup de choses... Mais que je veux toutes te voir les faire.

Le manque de conviction de la jeune femme à poursuivre l'enquête lui causa une certaine surprise, pour commencer. Mais, à bien y réfléchir, elle n'était pas si étonnée. Eve aimait les enquêtes, et elle aimait récolter les indices pour dessiner une carte mentale des agissements des Douze. Mais Villanelle, elle, était plus sujette à l'ennui. La pensée qu'elle se soit lassée de participer à cette vengeance à ses côtés était... Plus douloureuse qu'Eve ne voulait bien l'admettre. Mais elle continua d'espérer qu'elles pourraient tout de même l'accomplir ensemble, même si cela prenait plus de temps que prévu.

La question la déconcerta. Mais comme bien souvent, Villanelle était capable de l'éveiller à sa propre conscience et de lui faire reconnaître ce sur quoi elle ne pensait pas à s'attarder. Et, cette fois-ci, c'était sa faim que Villanelle savait anticiper mieux qu'elle. Et pourtant... Il ne lui en fallut pas plus pour qu'elle s'aperçoive qu'elle avait étrangement envie de... Viande rouge ?

- Je meurs de faim.

Ce qui était, là encore, déstabilisant. La première fois qu'elle avait tué, elle avait été dans un tel état de choc qu'elle en avait presque immédiatement subi des nausées terribles. Et pourtant, cette fois-ci, le fait d'avoir tué leur cible ne lui causait pas de tels emportements. Bien au contraire. Elle ne mentait pas en affirmant qu'elle était sereine. Et le plus exaltant, dans cette affaire, était ce que ce fait témoignait de l'évolution d'Eve. Quelques mois plus tôt, elle aurait trouvé matière à culpabiliser de... ne pas ressentir de culpabilité. Or, rien de tel ne traversait son esprit en cet instant. Elle n'était pas certaine de vouloir rester aussi froide et imperturbable face à la mort et la violence. Mais pour tout le temps qu'elle passait à s'immerger dans sa vengeance contre les Douze, une telle implacabilité l'arrangeait. Cela lui donnait toute la concentration nécessaire à accomplir ce qui devait être accompli, y compris les horreurs et les actions les moins glorieuses. Cela lui donnait un but, et c'était, quelque part, rassurant.

Dismantling the Twelve

feat. Eve

« Toutes, tu es sûre ? » répond Villanelle avec un fin sourire empreint de malice, pas parce qu’elle doute des certitudes d’Eve, mais juste pour le plaisir de lui laisser suggérer qu’elle est encore capable de bien des choses qu’elle n’a pas eu l’occasion de voir encore.

L’idée qu’Eve puisse être le témoin privilégié du moindre de ses talents cachés est une pensée, il faut bien le dire, exaltante par bien des aspects. Et quand elle aura fini par avoir déployé le champ de toutes ses aptitudes, Eve la trouvera-t-elle toujours intéressante ? Sa fascination ne s’étiolera-t-elle pas tout naturellement ? Peut-être bien… C’est une pensée qui la traverse parfois, et qui ne lui donne que d’autant plus envie de laisser planer sur elle un mystère qui est loin d’être encore entier quand Eve a définitivement révélé à Villanelle bien plus d’elle-même que ce dont elle avait bien pu se croire capable.

Ses propres interrogations estompent celles de sa fiancée. Villanelle ne remarque pas qu’Eve remet en question son investissement dans leur investigation qui promettait d’être un combat de longue haleine, et qui n’en était encore qu’à ses plus stricts balbutiements. Pourtant, il n’en est rien, sa volonté est ferme, mais son esprit, en revanche, aisément distrait par les circonstances. Elles en ont fait assez. Villanelle est ainsi… Mue par la nécessité constante de se laisser distraire de toutes les manières possibles, de crainte d’une angoissante parce qu’ennuyeuse ligne directrice qu’elle devrait se contenter de suivre.

« J’en étais sûre », répond Villanelle avec un sourire quand Eve confirme qu’elle meurt de faim. « Ne meurs pas trop vite quand même, je pourrais encore avoir besoin de toi », ajoute-t-elle avant de déposer un baiser à la commissure de ses lèvres avant de reprendre sa marche, agitant le bras, celui dont la main serrait celle d’Eve, d’avant en arrière comme le ferait une enfant.

Qu’Eve ait faim est, physiologiquement, bon signe, la preuve qu’elle est prête, définitivement prête à apprécier la part la plus absolue – et aussi la plus séduisante d’elle-même. Et accessoirement, tuer et faire l’amour, ça creuse.

« Resto ? Je me taperais bien un bon steak. »

Peut-être qu’elles feraient mieux de rentrer tranquillement chez elles et de faire profil bas, en vérité, mais ce n’est certainement pas dans les intentions et dans les projets de Villanelle qui, à l’heure actuelle, a bien envie de prolonger ce moment, qui mériterait d’être célébrer quelque part, car pour Eve, c’est presque comme un baptême, non ? De ces étapes qu’il aurait peut-être fallu éviter, mais qui avaient été trop séduisantes pour les empêcher… être l’une avec l’autre, c’est aussi être elles-mêmes l’une avec l’autre, et nécessairement, ça pouvait – ou ça devait – en passer par là.

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

Eve apercevait le sourire de Villanelle, mais les questions de cette dernière la déconcertaient. Comme toujours soucieuse de comprendre aussi précisément que possible sa compagne, elle s'interrogea sur ce qui pouvait bien se cacher sous ses airs malicieux.

- Bien sûr. Je veux tout savoir de toi, répondit-elle avec douceur.

Y compris la marque de son shampoing, ou ce qu'elle aimait manger le matin... Deux interrogations, parmi tant d'autres, dont elle avait la réponse à présent. Ce qui était, en soi, miraculeux. Il ne se passait pas un jour sans qu'Eve ne s'émerveille avec une fascination peu saine de l'équilibre qu'elles avaient réussi à trouver et qui leur permettait, contre toute attente, de vivre ensemble sans que l'une ne consume l'autre. Elle avait toujours pensé mourir avant d'avoir le chance de connaître de tels instants. Et, dans la plupart de ses rêveries morbides, c'était Villanelle elle-même qui la tuait - de façon bien plus personnelle et homoérotique que le coup de feu à Rome qui avait bien failli l'achever.

Elle s'extirpa de ses pensées trop sinistres et cyniques pour ne pas être excitantes, et reporta son attention sur sa fiancée en la gratifiant d'un sourire amusé.

- Tu serais complètement perdue, si je mourais, assura-t-elle avec une arrogance exagérée.

Même si, en vérité, elle ne pouvait effectivement plus s'imaginer une existence où l'une serait absente de la vie quotidienne de l'autre sans que celle-ci ne perde tous ses repères et ses derniers semblants de stabilité émotionnelle. Selon Eve, si Villanelle venait à périr ou, pire, à la rejeter, Eve s'enfoncerait dans un comportement de plus en plus auto-destructeur, flirtant avec le danger jusqu'à ce que ce danger finisse par mettre fin à ses jours. Et, toujours selon elle, si elle venait à mourir avant Villanelle ou, pire, à la rejeter définitivement... Eh bien, cette ville et surtout ses habitants avaient du souci à se faire. Villanelle n'avait jamais été aussi déchaînée, aussi incontrôlable et bestiale que lorsqu'elle avait pensé ne plus bénéficier de l'attention et de la présence d'Eve.

Mais pour en revenir à des sujets plus concrets, sans doute plus important aussi, n'en déplaise à l'esprit d'Eve Polastri, cette dernière avait, en effet, faim. Et, à présent que la proposition était faite, elle devait reconnaître qu'un steak bien saignant lui faisait diablement envie.

- Va pour le resto. Et je paye.

Dismantling the Twelve

feat. Eve

La réponse au fond très sérieuse d’Eve a le don de changer ses attitudes mutines en quelque chose de plus tendre. Quand elle lui dit vouloir tout savoir d’elle, Villanelle sait que c’est vrai. Ce n’est pas juste une formule, une façon de parler : non, c’est ce qu’Eve veut véritablement, et si Villanelle en est touchée, et que cette émotion est réciproque, elle en est aussi un peu troublée. Si vraiment Eve savait tout d’elle, en dépit de leurs manifestes ressemblances, et de toute l’horreur qu’elle est capable de voir en elle sans jamais se détourner, est-ce qu’elle voudrait encore d’elle ? Est-ce que son attirance ne tient pas dans cette infinie curiosité qu’elle ressent à son égard ? Et si cette curiosité venait à se tarir, si elle finissait par tout savoir, est-ce qu’elle ne se laisserait pas d’elle, finalement ?

« Tu es la personne qui me connaît le plus au monde, tu sais bien », répond Villanelle, en parfaite conscience du fait que ce n’est pas vraiment une réponse, au final, mais il est plus simple de se servir de cette parade que de promettre à Eve qu’elle lui donnera accès à la moindre facette d’elle (même si elle en a envie, malgré tout), ou de lui dire que ce sera impossible.

Ce qui n’est pas très équitable, bien sûr, puisque de son côté, Villanelle ne se prive évidemment pas de faire de même et de chercher à toujours creuser sous la surface jusqu’à obtenir la version la plus pure et sans mystère de la femme qui partage sa vie. Ceci dit, elle-même doit bien avouer qu’elle serait sans doute déçu de ne plus avoir à vivre de ces moments comme celui qu’elles viennent de partager, où elle peut apprécier une facette de sa moitié qu’il ne lui avait jamais été donné d’observer auparavant.

« Je m’ennuierai comme un rat mort, surtout », réplique Villanelle quand Eve affirme qu’elle serait complètement perdue si elle mourait.

Bien sûr que les termes d’Eve sont justes. Et elle le sait, parce que perdue, elle l’a été en effet, après avoir cru la tuer, et à présent que leur relation a atteint ce seuil de confiance, de passion et d’intimité. La vérité, c’est que leurs vies sont dorénavant si étroitement liées que Villanelle est dans l’incapacité totale d’imaginer cette vie sans elle. Toutes ses pensées orientées dans sa direction, elle est tout bonnement incapable de le voir d’une autre manière… Elle ne conçoit plus un seul pan de son existence où elle ne joue pas un rôle… et c’est le cas depuis si longtemps, en réalité, qu’elle n’entrevoit pas de retour en arrière possible.

« Et personne ne veut me voir m’ennuyer », reprend-elle tandis qu’elles s’arrêtent finalement sur un restaurant à la carte alléchante. « Tu y penses parfois ? » demande Villanelle comme si c’était le sujet à aborder en cet instant. « A ce que tu feras si je meurs ? »

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

Était-elle la personne qui connaissait le plus Villanelle ? Sans fierté mal placée, oui, Eve pensait effectivement que c’était le cas. Elle estimait d’ailleurs être la seule à voir sa fiancée autrement que comme un monstre froid qui n’était bon qu’à tuer les cibles qu’on lui assignait. Eve reconnaissait que les tendances meurtrières voire cruelles faisaient partie de la nature de la jeune femme, et elle les acceptait. Mais ce n’était pas tout ce qu’il y avait à percevoir et comprendre chez Villanelle, qui était bien, bien plus qu’une simple machine à tuer. Elle avait une personnalité bien plus complexe que ne voulaient bien le faire croire Konstantin, Dasha ou encore Carolyn. Il y avait, chez sa compagne, une sensibilité étonnante pour une personne qui semblait pourtant être haut placée dans l'échelle de la psychopathie. Elle était, entre bien d'autres qualificatifs, intelligente, flamboyante, ingénieuse, créative, arrogante, émouvante, chaotique, capricieuse, exigeante, parfois sadique, parfois susceptible, drôle, passionné, passionnante et Eve l'aimait pour tous ces défauts et ces qualités ainsi que pour tous ceux et toutes celles qu'elle ne pouvait citer sans y passer la journée.

Elle attendit qu’elles soient rentrées dans le restaurant et qu’elles se soient installées à table avant de fixer sa fiancée et de lui répondre, toujours avec sérieux, toujours avec le plus d’honnêteté possible :

- Je te l’ai déjà dit et te le réaffirme : il est hors de question que tu meures avant moi, et si tel devait être le cas, ce serait de mes mains.

La vérité, c’était qu’elle ne voulait pas y penser. Villanelle était tellement ancrée dans sa vie qu’il était impensable de s’imaginer pouvoir poursuivre son existence sans sa présence. Et ce n’était pourtant pas faute d’avoir essayé. Mais à présent qu’Eve acceptait, assumait les sentiments qu’elle éprouvait pour la plus jeune, et à présent qu’elle avait laissé la Russe prendre une telle importance, aucun retour en arrière n’était possible. Chacune de ses pensées finissait pas se tourner vers sa fiancée. Même lorsque leur travail respectif les maintenait à l’écart le temps d’ une journée, Eve voyait Villanelle partout : dans les subtiles effluves du parfum de la tueuse qui imprégnait nécessairement ses propres vêtements, dans les chansons qui lui restaient en tête car chantonnées par sa compagne, dans les chevelures trop claires des passantes qui lui donnaient toujours l’espoir de reconnaître son visage… Elle la voyait partout, en permanence. Ou, plus précisément, elle espérait l’apercevoir partout.

- Je crois que je n’ai plus aucune chance de pouvoir vivre sans toi. Je ne ferais que survivre. Et encore.

Se connaissant, elle serait bien capable de s’embarquer dans une mission-suicide, si Villanelle venait à disparaître de son quotidien.

Dismantling the Twelve

feat. Eve

Villanelle adresse un fin sourire qui ne dissimule pas une certaine absence de conviction quand Eve lui répète des paroles qu’elle lui avait en effet déjà adressées : hors de question de mourir avant elle, si ce n’est de ses mains. Encore aujourd’hui, ce dernier scénario continue de ne pas être si improbable que ça, et le fait est qu’il ne déplaît pas tout à fait non plus à la tueuse. Cependant, elle n’est pas si certaine du fait qu’elles auront forcément les cartes en mains. Sur le chemin dangereux sur lequel elles ont décidé de s’engager toutes les deux, les risques sont trop nombreux, Villanelle pourrait tout à fait mourir avant l’heure, et sans avoir pu veiller aux avertissements d’Eve… c’est amusant de prétendre choisir, mais elles n’ont pas le choix.

La réponse qu’Eve lui adresse finalement est sans doute de celles que Villanelle devrait refuser tout net. Elle devrait l’exhorter à vivre sans elle, quoi qu’il advienne, mais la vérité, c’est qu’elle ne veut pas faire preuve d’une telle hypocrisie… Si, vraiment, elle voulait veiller à ce qu’Eve se guérisse d’elle e vive très bien sans sa présence, elle ne serait pas revenue dans sa vie, elle l’aurait laissé mener la sienne, jusqu’à ce qu’Eve accepte de ne plus vivoter et de se reprendre en mains – jusqu’à ce qu’elle rencontre quelqu’un d’autre, qui sait, qui l’aiderait à aller de l’avant. Mais elle n’avait pas voulu ça avant, et elle ne veut certainement pas ça maintenant. Villanelle a conscience de l’obsession qu’elle représente pour Eve, pour la pure et simple raison que cette obsession est toute partagée. Et pour la peine, il ne peut être question, en aucun cas, de faire marche arrière. C’est tout ou rien, donc. Elles deux ou rien du tout.

« Tu as intérêt à me tuer avant de mourir, Eve », répond finalement Villanelle comme si c’était la conversation la plus heureuse qu’elles puissent avoir avant de mourir. « J’ai pas envie d’avoir à le faire moi-même. »

Villanelle est dans l’excès, sans doute, mais ses paroles n’en sont pas moins prononcées avec détermination. Vivre sans Eve avait été fastidieux autrefois, mais possible, parce que leur relation n’avait pas encore atteint son point d’orgue. A présent, ce n’est pas envisageable. Elle serait bien stupide de continuer son chemin sans Eve. Non, elle ne pourrait pas, et surtout, elle ne voudrait pas.

« Nos vœux de mariage vont vraiment avoir de la gueule », reprend-elle alors avec un large sourire en arrêtant son choix quant au plat qu’elle va commander. « Dommage qu’il y ait pas grand-monde pour les entendre. »

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

Les convictions macabres de Villanelle n'étaient pas des plus réjouissantes ni des plus heureuses et pourtant, Eve ne parvint pas à les interpréter autrement que comme une déclaration d'amour. Certes, c'était une déclaration d'amour sinistre et étonnante, mais qui avait le mérite d'être honnête. Et puis, il suffisait que ce soit cette femme superbe qu'était sa compagne qui lui adresse ces propos pour qu'Eve les entende comme les paroles les plus romantiques qu'elle ait jamais entendues.

De plus, Eve comprenait parfaitement d'où venait cette volonté. Elles avaient atteint un point de non-retour dans leur relation. Un point d'interdépendance et d'obsession telle qu'elles seraient effectivement incapables de vivre l'une sans l'autre, à présent. Tout ce qu'elles faisaient, elles le faisaient ensemble. Y compris leur mort. Ce qui n'était pas une pensée si angoissante que ça, pour Eve. Au contraire. Il y avait un côté rassurant dans l'idée de savoir que ses sentiments, trop intenses sans doute, étaient pourtant partagés. Oui, pour ce qui importait réellement, elles étaient les mêmes. Et puis, très honnêtement, elle serait désormais extrêmement jalouse si elle venait à apprendre que Villanelle comptait refaire sa vie sans elle et s'endormir dans les bras d'une autre femme.

La remarque sur les vœux de mariage suivie de celle sur les invités lui fit retrouver une certaine légèreté d'humeur.

- On s'en fiche. T'es la seule personne qui ait besoin d'entendre les miens. Et puis...

Elle reposa le menu sur la table et se pencha vers elle avec une expression séductrice.

- Peu d'invités, ça fait moins de monde à virer pour qu'on puisse faire notre nuit de noces tranquillement, ajouta-t-elle d'un ton badin.

Elle lui adressa un regard appuyé avant de reculer pour se caler contre le dossier de sa chaise. La serveuse arriva à ce moment-là et Eve passa commande, réclamant effectivement un steak bien saignant. Ainsi qu'un gin tonic, parce que ce n'était pas tous les jours que l'on tuait un homme de sang-froid, n'est-ce pas ?

Dismantling the Twelve

feat. Eve

Villanelle n’attend aucune réaction de la part d’Eve quant aux paroles qu’elle vient de prononcer. Ces paroles n’exigent aucun commentaire, d’ailleurs, elle s’est contentée de dire le fond de sa pensée, et non, ce n’est pas une manipulation ni une exagération, c’est bel et bien ce qu’elle pense, et absolument déterminée, elle est convaincue que rien au monde ne serait susceptible de la faire changer d’avis. Ceci dit, plutôt que de penser davantage à leur mort, elle préfère s’intéresser à leur vie, leur vie commune, qui trouvera son point d’orgue dans le mariage qui les unira bientôt. Oui, c’est un sujet sur lequel il semblait très naturel de basculer.

Villanelle sourit, elle est d’accord, personne n’a besoin d’entendre ses vœux de mariage en dehors d’Eve, et en réalité, elle s’est tant confiée et déclarée à la femme qui partage sa vie qu’elle ignore s’il reste vraiment quoi que ce soit à en dire encore… mais elle trouvera. Elle affiche un sourire en coin quand Eve précise que moins d’invités elles auront, plus vite elles pourront mettre fin à la cérémonie pour célébrer leur nuit de noces de la meilleure manière possible. Elle ne peut que lui rendre son sourire séducteur. Bien sûr que la cérémonie à venir perdrait son attrait si elle ne devait pas être suivie d’une nuit d’amour passionnée en bonne et due forme. Pas qu’elles aient besoin de cela – définitivement pas – pour se donner l’une à l’autre, c’est certain.

Villanelle veut répondre, mais la serveuse intervient. Finalement, elle fait le choix de passer la même commande qu’Eve – excellente idée que le gin tonic, elles doivent en effet célébrer ce moment comme il se doit. Une fois la serveuse repartie, elle répond à Eve.

« On n’est pas obligé d’inviter qui que ce soit, sinon », répond-elle dans un haussement d’épaules, surtout parce qu’elle verrait difficilement qui inviter dans tous les cas. Qui ? Andréa, peut-être, et encore, ce serait pour inviter quelqu’un, quoi. « Quoique ce serait quand même dommage de ne pas se donner du tout en spectacle, pas vrai ? »

Son ouverture de bal, sur lequel elle travaille assidument dans le dos d’Eve afin de lui en faire la surprise, méritait clairement qu’il y ait ne serait-ce que trois invités pour les applaudir toutes les deux. Les mariages, c’est aussi de la mise en scène, c’est une manière de se donner en spectacle, d’étaler son amour à la face du monde d’une manière absolument obscène. Oui, c’est sûr, il leur faut des invités. Villanelle serait prête à payer des figurants exprès juste pour qu’on les applaudisse. Ce qui leur faciliterait bien sûr la tâche au moment de devoir virer tout ce beau monde pour pouvoir s’entendre toutes les deux. La serveuse revient finalement avec leurs boissons.

« A quoi est-ce qu’on trinque, alors ? »

Ce ne sont pas les possibilités qui manquent.

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

L'air désinvolte de la jeune femme amusa Eve, qui haussa brièvement les sourcils.

- C'est vrai, on n'est pas obligées.

Dans un instant de douceur, elle posa sa main sur la sienne, entrelaça leurs doigts tout en la regardant droit dans les yeux avec l'air le plus tendre qu'elle était capable d'afficher. Ce qui dessinait un contraste saisissant entre cette expression et la fascination macabre qu'elle avait affichée un peu plus tôt lorsqu'il lui avait fallu obtenir par la torture les informations désirées.

Elle caressa doucement le dos de sa main et ses doigts du bout des siens, avant d'ajouter doucement :

- Mais j'ai quelques personnes à inviter quand même. Si tu es d'accord.

Si Villanelle, finalement, se sentait plus à l'aise à l'idée qu'elles ne soient que toutes les deux, alors elle accepterait. Leur mariage était leur grand jour, et c'était précisément parce que c'était un jour destiné à célébrer leur amour dans toute sa complexité qu'elle était prête à tout accepter, et avec plaisir.

Leurs boissons venaient d'être déposées auprès d'elles. Et là où, habituellement, Eve aurait lâché la main de Villanelle et se serait reculée, elle n'eut aucune réaction d'embarras cette fois-ci. Son attention resta d'ailleurs focalisée sur la superbe femme qu'elle avait eu la chance de rencontrer et qu'elle avait la chance de pouvoir aimer librement à présent, malgré tous les obstacles qui s'étaient acharnés à se dresser entre elles.

- A la liberté, suggéra-t-elle finalement dans un souffle.

Vague concept auquel elle n'avait pas accordé une grande importance jusque-là. Mais c'était surtout parce qu'avant, Eve avait estimé ne rien avoir à défendre. Sa vie avait été trop banale, trop ennuyante pour qu'elle se préoccupe de sa liberté. Bien au contraire. C'était justement l'irruption de Villanelle dans sa vie et la menace qu'elle avait longuement fait planer sur tout ce qui composait sa vie qui lui avait permis de dissocier ce qui était précieux de ce qui n'était qu'une habitude. Depuis qu'elle avait rencontré Villanelle, elle avait perdu époux, amis, carrière et qualité de sommeil. Mais elle avait la tranquillité d'esprit suffisante pour se rendre compte, à présent, qu'elle y avait gagné au change.

Et que Villanelle ne serait véritablement épanouie que lorsqu'elle ne serait plus soumise à la volonté des Douze.

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feat. Eve

Villanelle baisse les yeux sur leurs doigts entrelacés. Elle aurait peine à exprimer à quel point des gestes si simples et si tendres représentent tout pour elle. Ces témoignages si concrets de l’affection d’Eve la réconfortent, la rassurent, et lui donnent le sentiment de compter plus que quiconque au monde… Elle adore ça.

Eve confirme qu’elles ne sont effectivement pas obligées d’inviter quoi que ce soit, mais elle n’a même pas besoin de dire « mais » pour qu’elle sache qu’il y a un « mais ». Partagée entre curiosité et possessivité, Villanelle n’est pas certaine de savoir comment accueillir l’information. Ce n’est pas comme si elle s’attendait à ce qu’il n’y ait personne à leur mariage, mais contradictoirement, elles s’attendaient à ce qu’elles n’aient personne à inviter. Certes, Villanelle aurait peut-être des personnes à inviter, en cherchant bien, mais personne qui soit indispensable… C’est ça le mot, indispensable. Par possessivité pure, elle veut être la seule personne indispensable dans la vie de sa fiancée.

« Je suis peut-être d’accord, ça dépend de qui tu invites », fait-elle en la sondant du regard comme si, de cette manière, elle pourrait lire les noms qu’elle avait à l’esprit et les piocher directement dans son cerveau.

Bien sûr, sauf choix absolument absurde (si Eve décidait d’inviter Niko, par exemple – encore que Villanelle trouverait amusant de l’inviter et de le regarder assister à leur noce : mais il s’agirait alors de l’attacher à une chaise et de le bâillonner pour s’assurer qu’il ne vienne pas gâcher la fête), Villanelle n’est pas dérangée par l’idée en soi : elle est surtout curieuse de savoir qui a pu prendre suffisamment d’importance dans la vie d’Eve pour qu’elle les veuille à son mariage. Ces personnes seront soit exceptionnelles, soit particulièrement agaçantes… ça, ça reste à déterminer.

Le sourire de Villanelle s’agrandit quand, suggérant à quoi elles devaient trinquer, Eve fait un choix qui plaît terriblement à Villanelle, car ce mot, liberté, transcrit bien leur situation : oui, elles sont libres, et le seront bientôt pour de bon, quand Villanelle ne serait plus soumise à la volonté des Douze : libre de faire ce qu’elles voudront, libre de s’aimer comme bon leur semble.

« A la liberté », répète-t-elle donc, satisfaite, avant de porter la coupe à ses lèvres. « Quand ce sera fini », reprend-elle après avoir posé son verre sur la table. « Quand on en aura fini avec les Douze », précise-t-elle alors. « Qu’est-ce qui se passera ? » demande-t-elle en daignant articuler à voix haute des interrogations qu’elle avait préféré garder pour elle jusque-là.

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feat. Villanelle

Eve s'interrogea un instant sur la possibilité que Villanelle la suspecte de vouloir inviter Niko à leur mariage. L'idée lui avait bien sûr effleuré l'esprit, non pas par mesquinerie mais pour une raison bien plus désastreuse : l'habitude. Elle avait tellement eu l'habitude de l'inclure dans sa vie, dans son quotidien, qu'elle avait nécessairement songé à la possibilité de le voir ce jour-ci. Mais c'était une idée qui avait été fugace, car elle l'avait rejetée aussitôt.

- Je pensais surtout à des collègues… Will et son fiancé, notamment. Et peut-être Brooke aussi, mon ancienne collègue du restaurant... Mais pour elle ça reste à voir, elle est jeune et je n'ai pas envie qu'elle se sente coincée au milieu de nous tous...

Sous-entendu, au beau milieu de tous ces criminels. D'autant plus si Eve et Villanelle en venaient à mentionner leur passé et les circonstances de leur rencontre, même si Brooke connaissait déjà une grande partie de cette histoire.

La question qui suivit, plus personnelle et, elle le devinait, plus difficile à énoncer pour la jeune femme, la laissa songeuse. C'était le genre de question qui méritait que l'on s'attarde sur la réponse. Eve choisit donc soigneusement ses mots après avoir bu une gorgée de sa boisson pour se laisser le temps de la réflexion.

- En admettant que l'on survive... Nous serons véritablement libres. Et nous pourrons enfin, véritablement, nous concentrer sur nous deux. Et plus personne ne pourra s’immiscer dans notre relation. Il n'y aura plus personne pour tenter de nous contrôler.

Elle devinait cependant que sous cette question s’en cachaient plusieurs autres. Et la manière dont elle avait articulé cette phrase, comme s’il s’agissait d’un effort quasi-insurmontable, préoccupait Eve. Elle savait que la communication n’était pas leur fort, mais elle savait aussi qu’à cet instant, Villanelle exprimait sans doute, à sa manière, des doutes qu'elle ne devait pas avoir l'habitude d'exprimer.

- Qu’est-ce qui t’inquiète, exactement ? S’enquit-elle alors d’une voix douce.

Là encore, elle devinait ses craintes, car elle en partageait une partie. Eve ne doutait pas de la puissance de ses sentiments et ce, malgré le contexte dans lequel elles évoluaient. Mais elle savait pertinemment que l’ennui était une notion importante pour sa fiancée, et sans doute cette dernière redoutait-elle que la fin de leur lutte contre les Douze signifie le début de l’apparition de cet ennui tant redouté dans leur vie quotidienne. Mais, pour avoir vécu aussi longtemps avec un homme extraordinairement banal, Eve savait  que même sans ennemis communs, elle serait incapable de se lasser de la femme à l’attitude sempiternellement désarmante qu’était Villanelle.

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feat. Eve

Quelques noms, très peu, s’échappent des lèvres d’Eve au moment d’établir une potentielle liste d’invités… des personnes qu’elle ne connaît pas, qu’elle a envie et pas envie de connaître en même temps. Envie oui, car elle ne peut nier vouloir jeter un œil pas forcément distant aux fréquentations d’Eve, juste comme ça, pour la forme, et pas forcément envie non plus, car cela lui convient parfaitement bien, au fond de garder Eve pour elle-même et uniquement elle-même. Malgré tout, elle note mentalement ces noms.

Trois invités, quatre au mieux si cette Brooke devait vouloir amener un cavalier. Cinq avec Andréa ? Eh bien, autant dire qu’elles ne devraient pas avoir trop de difficultés à mettre fin aux hostilités rapidement afin de pouvoir profiter tranquillement de leur nuit de noces échevelée. Et très franchement, c’est tant mieux. Ces considérations restent ceci dit très techniques, et comme Villanelle, toute pressée qu’elle est d’épouser Eve, n’est pas spécialement pressée de s’intéresser à ces détails bien précis, elle élude le sujet et se contente de hocher la tête. Peu importe en présence de qui, dans le fond, du moment qu’elle se marie.

Ce sujet, pourtant, était définitivement plus léger et plus simple à aborder que celui qui suit, et que Villanelle aborde avec un détachement qui n’est que factice, et qui ne saurait tromper Eve, qui la connaît beaucoup trop bien pour s’y laisser prendre, c’est absolument certain. Elle apprécie qu’Eve, pour la peine, daigne lui répondre très sincèrement et très sérieusement.

En admettant qu’elles survivent (à se demander s’il ne serait pas préférable qu’elles n’y survivent pas), elles seront véritablement libres… Mais qu’est-ce que ça veut dire, exactement, être libres ? Et est-ce qu’elles sont capables de l’être ? Et même, est-ce qu’elles seraient capables de l’être sans transférer sur l’autre cette nécessité de contrôle que pour l’heure elles imposent à d’autres. Quant à se concentrer sur elles, est-ce que ce n’est pas déjà le cas ? Et qu’est-ce qui restera d’elle à partir du moment où elles ne se retrouveront plus assujetties à aucune menace extérieure ? A partir du moment où elles n’auront plus à subir l’influence de quiconque.

« Je ne suis pas inquiète », proteste-t-elle tout d’abord comme une gamine prise en faute.

Mais il est assez évident qu’Eve ne peut pas croire une chose pareille. Elle la connaît bien. Elle la connaît mieux que personne, même. Elle sait pertinemment ce qu’il en est. Elle sait d’où lui vient cette inquiétude, elle sait ce qu’elle sous-tend, elle attend d’elle, surtout, qu’elle daigne y poser des mots, chose qu’elle n’a jamais faite, y compris dans le confort très relatif de ses pensées les plus intimes.

« Tu m’aimeras toujours sans tout ça ?... quand j’arrêterai de rendre ta vie intéressante ? Quand on aura adopté trois poules et qu’on se connaîtra tellement pas cœur qu’on ne trouvera plus rien à se dire parce qu’on saura déjà tout ? »

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feat. Villanelle

Eve attendit patiemment que sa fiancée cesse de protester et en vienne aux aveux. Depuis le temps qu'elles se connaissaient et interagissaient, Eve avait appris à ne pas se fier aux réponses impulsives de la Russe, et au contraire à lui laisser le temps de s'exprimer en la brusquant le moins possible. Et, quand Villanelle osa enfin lui partager ses craintes, des larmes de chagrin montèrent aux yeux d'Eve. Ce n'était pas de la vexation, mais la vulnérabilité évidente de sa compagne la bouleversait.

Avec toute la douceur dont elle était capable, elle articula soigneusement :

- On se connaît déjà par cœur. Et depuis longtemps. Et pourtant, on ne s'ennuie pas. En tout cas, moi, je ne m'ennuie pas.

Son cœur battait vite, et fort. Un sentiment d'urgence s'était emparé d'elle. L'urgence de la rassurer, et au plus vite, avant que ces craintes ne deviennent trop intrusives.

- Je ne vais pas le nier : j'adore ce qu'on fait en ce moment. J'en tire une satisfaction que j'ai toujours rejeté jusqu'à présent, mais que j'accepte enfin grâce à toi. Mais ce qui m'importe le plus, ce n'est pas la traque, Villanelle. Je suis sincère quand je dis que je veux tous les éliminer, un par un, jusqu'à couper la tête de cette hydre insupportable. Par vengeance, c'est indéniable. Mais aussi pour toi. Pour nous.

Elle ne développa pas cette affirmation, consciente d'avoir déjà abordé le sujet avec elle. Alors, focalisant toute son attention sur sa fiancée, elle s'acharna à trouver le courage de lui ouvrir son cœur et de mettre de côté sa pudeur émotionnelle. Elle reprit, avec un sourire :

- Je n'imagine aucun avenir où tu sauras te tenir sage. Où nous serons capables d'être sages. Même quand on n'aura plus peur de se faire assassiner dans notre sommeil.

La brune s'interrompit le temps de chercher les mots justes.

- Tu sais que j'ai connu l'ennui dans mon mariage, et tu sais à quel point j'en ai souffert. Si j'avais eu le moindre doute quant au fait de connaître un destin similaire avec toi, je n'aurais jamais accepté de t'épouser. Je t'aime, et je t'aime pour la personne que j'ai appris à connaître et à comprendre. Oui, une part de moi aime le danger qui t'accompagne, et je continue de redouter autant que de rechercher ton sadisme et tes défauts. J'aime le fait qu'on lutte ensemble et qu'on accomplisse toutes ces horreurs ensemble. Au fond, je ne me lasserai jamais de te voir à l'œuvre. Mais je t'aime aussi pour tout le reste. Et je sais que t'es trop bornée pour accepter de courir le moindre risque qu'on n'ait plus rien à se dire et qu'on n'arrive plus à se surprendre. Ce n'est pas la tueuse flamboyante dont je suis tombée amoureuse. C'est de toi, dans toute ta splendeur et aussi dans tout ce qui fait de toi la plus incorrigible des femmes. Je t'aime, et je continuerai de t'aimer même lorsque nous n'aurons plus d'ennemi commun à affronter.

Malgré sa volonté de la rassurer, un détail des paroles de Villanelle la taraudait. Incapable de se contenir plus longtemps, elle chercha le regard de sa fiancée avec ce qui ressemblait à de l'incertitude. De la vulnérabilité.

- Tu penses toujours que c'est uniquement toi qui rend ma vie intéressante ? Qui me rend intéressante ? l'interrogea-t-elle avec un calme étonnant.

Ses questions auraient pu être rhétoriques, et pourtant, les réponses que pourraient bien lui apporter Villanelle l'intéressaient sincèrement.

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feat. Eve

La réaction de Villanelle lui ferait presque regretter son élan de sincérité. Pas qu’elle ait envie de lui cacher quoi que ce soit, mais elle n’a pas envie de lui faire de la peine, ou même, en exposant ses inquiétudes, en créer d’autres chez Eve, comme quand elle prononce ce « moi, je ne m’ennuie pas »… Villanelle non plus. Ce démon violent, celui de la lassitude, la poursuit dans bien des contextes, mais jamais quand elle est compagnie d’Eve. Non, quand elle est en présence de sa fiancée, le monde lui-même lui apparaît sous un jour plus agréable, plus doux, plus limpide, et jamais elle n’a envisagé d’échanger une seule seconde passée dans ses bras contre quoi que ce soit d’autre.

C’est vrai qu’elle a raison : elles se connaissent déjà par cœur, et le fait de ne plus avoir à se découvrir ne les a pas empêchées de vouloir l’une de l’autre… Mais Villanelle a encore le sentiment de pouvoir découvrir chez Eve des facettes qu’elle ne connaissait pas, comme tout à l’heure, quand elle avait laissé s’exprimer toute cette cruauté froide qu’elle avait trouvé si séduisante. Ce n’est pas quelque chose qui l’a surprise, mais c’est une chose qu’elle n’avait jamais vue si distinctement chez elle… Cet attrait ne tarit pas, mais la possibilité qu’il puisse finir par le faire malgré tout continue de l’étreindre, trop fort pour qu’elle l’ignore.

Elle ne dit rien, malgré tout, elle se contente d’écouter Eve, et tous les arguments qu’elle lui déploie pour la rassurer – et peut-être aussi pour se rassurer elle-même dans le processus. Ses motivations concernant les Douze sont claires, et elle semble tout à fait honnête au moment d’affirmer n’attendre que d’en finir pour ensuite… eh bien, s’offrir à des possibilités qu’elles n’entrevoient pas encore parce que leurs ennemis les empêchent de voir au-delà de ce qu’il voudrait véritablement observer. Et le fait de ne rien savoir de ces perspectives, c’est bien la preuve que rien n’est décidé encore, que tout peut leur arriver… Et Eve a raison, bien sûr, dans aucun futur, elles ne seront capables de se tenir sages – même quand elles essaient, les effets en sont clairement désastreux.

Eve achève de trouver les mots juste en ajoutant que ce qu’elle a aimé chez elle, ce n’est pas tant la tueuse flamboyante que tout ce qu’elle est et représente… Elle ne réalise qu’au moment d’entendre ces mots qu’elle avait véritablement eu besoin qu’elle les dise en effet, et elle se sent un peu plus apaisée, à l’entendre lui répéter qu’elle l’aime, qu’elle l’aimera quoi qu’il advienne.

« Sans moi tu n’aurais pas la moindre idée d’à quel point tu es intéressante », répond doucement Villanelle, qui n’avait clairement pas voulu réveiller chez sa fiancée des doutes qui n’auraient dû appartenir qu’à elle et à elle seule. « Tu étais intéressante bien avant que je te rencontre, sinon, pourquoi je me serais intéressée à toi », fait-elle d’un ton presque un peu fière. « Je t’aime », ajoute-t-elle en serrant sa main dans la sienne. « Je me lasserai jamais de toi. Je veux juste… Je veux pas que ça s’arrête. »

Elle ne veut surtout pas la perdre, sous aucun prétexte, et cette inquiétude, chez elle, a tendance à se manifester de bien singulières manières.

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feat. Villanelle

La réponse spontanée de la jeune femme rassura Eve, dont l'expression s'adoucit immédiatement. Touchée par la compréhension brillante qu'avait Villanelle de la situation, malgré la maladresse avec laquelle elle exprimait ses doutes, elle la couva d'un regard profondément séduit et chaleureux. Mais avant qu'elle n'ait le temps de se laisser happer par une mièvrerie tentante, sa fiancée ajouta quelques paroles qui amusèrent Eve de par l'audace qu'il fallait pour articuler de telles phrases.

- Pourquoi en effet ? interrogea-t-elle sur le ton de l'humour, même s'il était indéniable que c'était une question qu'elle s'était souvent posée.

Eve ne se trouvait pas inintéressante, en soi. Mais sa vie, au moment de sa rencontre avec Villanelle, avait été des plus banales.

Encore une fois, Villanelle s'empara de ses pensées et de ses émotions avec la facilité d'une virtuose. C'était préoccupant, en vérité, de constater à quel point il suffisait d'un mot, d'un regard de sa fiancée pour que l'humeur d'Eve en soit considérablement altérée.

- Je pourrai jamais me lasser de toi. C'est impossible. Et pourtant, j'ai essayé, reprit-elle avec son honnêteté désarmante, en référence directe aux mois qui avaient suivi l'événement de Rome. Mais je me suis rendu compte... Quand nous nous sommes retrouvées ici, que toi et moi, on était vouées à se retrouver encore et encore. Et ce peu importe le nombre de fois où on tentera de fuir. Je crois qu'on pourrait changer de monde des dizaines de fois qu'on finirait toujours par se retrouver.

Ce n'avait pas été une évidence facile à admettre, mais à présent qu'elle avait passé cette étape essentielle, il était hors de question qu'elle recule. C'était une mauvaise habitude qui lui avait coûté cher par le passé, et mieux valait assumer la force de ses sentiments quoiqu'il en soit, avant qu'ils ne la consument réellement.

- Je suis à toi, et tu sais que je tiens trop à mon contrôle pour dire ça à la légère. N'en doute pas. Ça ne s'arrêtera pas, promit-elle en serrant elle aussi sa main dans la sienne.

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feat. Eve

Leurs expériences respectives, ces moments de séparation forcée où elles s’étaient évertuées – jamais bien longtemps, à vivre l’une à l’écart de l’autre, devrait avoir achevé de les convaincre de combien elles sont incapables l’une comme l’autre de vivre l’une sans l’autre, incapables de se lasser, incapables de s’épargner la présence de l’autre. C’est en elles, comme inscrit au plus profond d’elles-mêmes, et pour cette raison, Villanelle sait bien qu’elle ne devrait pas douter. Mais elle n’a jamais connu aucune forme de bonheur qui sache durer. Chaque instant de plaisir ou de sérénité toujours si éphémère qu’il ne comptait pas véritablement… Ou comptait d’autant plus mais se laissait oublier.

Avec Eve, ce n’est pas le cas, ça n’a jamais été le cas, mais Villanelle ne peut s’ôter de l’esprit que ça pourrait finir par l’être, et que le jour où cela arrivera, si cela doit arriver, elle en sera très probablement responsable… Le besoin qu’elle a d’être rassurée n’est pas tout à fait rationnel, pas tout à fait juste non plus vis-à-vis d’Eve, qui en aurait sans doute tout autant besoin qu’elle, mais c’est en elle malgré tout. Entendre Eve lui assurer qu’elle ne pourrait jamais se lasser d’elle, c’est important pour elle – au-delà de ça, même, c’est nécessaire… et ça lui fait du bien. Un bien fou, même.

Peu importe combien elles pourraient se tenir à l’écart l’une de l’autre, que ce soit volontaire ou non, Eve a raison de le signaler : elles se retrouveront toujours, comme elles ont fini par se retrouver ici… bien trop tard à son goût, leur faisant perdre des semaines et de moi qu’elles auraient pu consacrer à s’appartenir toutes les deux, mais ce n’en est pas moins une réalité absolue. Et rassurante. Parce que Villanelle ne se voit définitivement plus vivre sans Eve, peu importe la dimension étrange dans laquelle elles pourront se retrouver. C’est rassurant. De se dire qu’où qu’elle aille, Eve sera toujours là… Elles aiment le contrôle, autant l’une que l’autre… et pourtant, Villanelle se surprend à apprécier l’idée que ce soit autre chose qui ait le contrôle sur elles, quelque chose de si fort, de si inextinguible, que rien au monde ne serait susceptible de l’empêcher. Eve a définitivement su trouver les mots qu’il fallait pour la rassurer, et il semble y avoir une telle logique aux paroles qu’elle formule qu’il est tout bonnement impossible de ne pas y céder, de ne pas y trouver un ton et une saveur tout particuliers.

« Et je suis à toi. » Elle s’exprime avec une sincérité telle qu’elle ne pense pas en avoir un jour adressé à qui que ce soit. « Pour toujours. » C’est presque inquiétant d’aimer quelqu’un d’autre à ce point, et en même temps, il n’y a rien de plus exaltant. Elles ne pourront jamais échapper l’une à l’autre, et loin d’être angoissant, ce constat est le plus apaisant qu’elle connaisse.

Leurs plats sont déposés devant elles, obligeant Villanelle a retiré sa main de la sienne.

« Tu penses que ça va de nouveau arriver ? Qu’on va de nouveau se retrouver dans un autre monde ? devoir se chercher et encore se trouver ? »

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

Entendre Villanelle lui assurer qu'elle lui appartenait également était toujours une source de soulagement, pour Eve. Le principal problème, lors des premières années de leur relation, était que la tueuse avait eu tendance à considérer Eve comme une possession sans lui permettre d'obtenir le même pouvoir sur elle. Mais à présent, Eve estimait qu'elles avaient toutes deux suffisamment gagné en chagrin et en sagesse pour ne plus considérer l'autre comme une possession ou par orgueil. Elles s'appartenaient dans le sens le plus complexe du terme. Non comme des objets, mais comme des êtres qui ne pouvaient se détacher l'un de l'autre. Villanelle devait nécessairement faire partie de sa vie, Eve l'avait su dès l'instant où leurs regards s'étaient croisés. Lorsqu'elle l'avait aperçue ce jour-là, chacune face à son miroir, ç'avait été comme une évidence. Eve avait été intriguée par un simple regard. Et, après ce jour-là, ce regard n'avait cessé de la hanter et continuait d'ailleurs de la hanter, de toutes ces délicieuses façons que Villanelle maniait avec une précision de virtuose.

Cet amour, violent, impérieux, mais terriblement sincère qu'elle ressentait pour la jeune femme lui donnait régulièrement le vertige. Il était incontrôlable, et ce n'était pas faute d'avoir essayé de le taire ou d'en réduire l'intensité. Mais c'était irrépressible. Et plus le temps passait, plus Eve aimait cet aspect de leur relation. Auparavant, elle redoutait leur attraction, car elle redoutait le fait de ne pas posséder de contrôle sur son existence. Mais depuis que cette même existence avait été bouleversée, depuis qu'elle se trouvait sur cette île, Eve acceptait les coups du sort avec bien plus de sérénité. Et, finalement, Villanelle était son seul point de repère parmi tout ce chaos.

Leur plat respectif venait d'être posé devant elles. Eve s'empara de ses couverts, mais suspendit son geste en entendant les questions de sa fiancée. Elle reposa ses couverts tout en fixant la jeune femme d'un air songeur, avant de répondre finalement :

- Je ne sais pas. J'aime assez l'idée de te pourchasser, et de te trouver. Et j'aime assez l'idée que tu doives me retrouver, toi aussi, sourit-elle d'un air plus malicieux, avant de reprendre avec une pointe de sérieux malgré son air enjoué. Mais je suis pas immortelle et je vais commencer à me faire trop vieille pour tout ça, alors... Si on pouvait éviter de se retrouver séparées de nouveau, ça m'irait bien aussi.

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feat. Eve

Villanelle affiche un sourire en coin à la réponse d’Eve. Elle ne saurait prétendre que ce jeu du chat et de la souris (mais qui était le chat et qui était la souris – la subtilité de la chose avait sans doute résidé dans le fait qu’elles l’étaient à tour de rôle) ne l’avait pas séduite, et ne la séduisait pas toujours. Il y avait du défi, un jeu de pouvoir, comme une sorte de constante parade amoureuse dans cette espèce de course-poursuite continue qui s’était instaurée entre elles. Mais si ça lui avait terriblement plu, si ce serait presque susceptible de lui manquer parfois, Villanelle s’en passe tout de même bien à présent. Elle a trouvé, dans sa vie commune avec Eve, dans la possibilité qu’elle a dorénavant de se réveiller à ses côtés tous les matins et de s’endormir dans ses bras toutes les nuits, quelque chose d’autrement plus doux et satisfaisant, dont elle serait tout à fait incapable de se passer à ce jour.

Bien sûr que l’idée de la pourchasser et d’être pourchassée par elle reste séduisante, mais elle l’est étonnamment plus quand elle n’appartient plus qu’au champ des fantasmes. Villanelle n’a plus besoin de tout cela, Villanelle n’a plus besoin que d’elle. Et si l’inquiétude d’une quelconque lassitude lui échappe parfois au point qu’elle se sente la nécessité de la partager comme à l’instant, elle sait aussi que le plaisir qu’elle trouve à avoir Eve à ses côtés et de ceux que rien d’autre au monde ne serait susceptible de lui procurer. L’instant fugace d’exaltation qui accompagne le meurtre n’est rien en comparaison de la satisfaction infinie d’avoir Eve pour elle est rien que pour elle. Et pour toujours.

Villanelle offre à Eve un regard sceptique quand cette dernière remarque qu’elle n’est pas immortelle. A ce jour, la tueuse n’en est plus si convaincue. Après tout, ici, certains sont revenus d’entre les morts, alors peut-être qu’ils le sont tous, immortelle. Elles ont déjà eu plusieurs vies en une seule, chacune de leur côté, à mille lieue d’être encore les personnes qu’elles étaient le jour où elles se sont rencontrées (et ça aussi, ça lui plaît, immensément : l’idée qu’elles soient la constante de toutes les existences qu’elles pourraient bien traverser).

« Je préférerais éviter aussi », reconnaît sérieusement Villanelle, parce que c’est en effet la plus stricte vérité.

Elles ont été séparées suffisamment longtemps, il ne saurait plus en être question ici… ou nulle part, d’ailleurs. Et Villanelle compte bien faire tout le nécessaire pour que leurs chemins ne se séparent plus jamais. Et ça même si ça devait se faire aux dépens d’Eve, d’ailleurs.

« Ces deux ans, sans toi… sans savoir où tu étais, ce que tu faisais, si tu allais bien, si tu étais toujours en vie… » Elle laisse passer un temps de silence. « C’était très long. »

Très long et insupportable, mais plutôt que de développer, Villanelle décide de s’attaquer plus sérieusement à son assiette, avec son appétit d’ogre habituel qui ne laissait aucune chance de survie à la moindre miette de repas.

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feat. Villanelle

L'un des plus grands défauts d'Eve, dans cette relation, était de s'attarder constamment sur les détails. Pire encore, de les décortiquer, encore et encore, jusqu'à pouvoir établir des théories qui étaient parfois immensément exagérées. Elle en avait conscience, mais elle était incapable de s'abstenir de le faire. Parfois, cela ébranlait sa vie de couple, car l'attention portée à ces détails lui faisait oublier de considérer la complexité de leur relation dans sa globalité. Et, dans ces cas là, Eve avait une fâcheuse tendance à se concentrer sur le négatif. Par habitude, par peur de manquer de contrôle et donc par volonté d'anticipation. En s'attendant au pire, elle ne pouvait pas être surprise. Mais, parfois, Eve était d'humeur plus guillerette et réussissait à interpréter les réponses parfois lapidaires de sa fiancée de manière positive. Ce fut le cas cette fois-ci. Villanelle préférait éviter qu'elles se retrouvent séparées de nouveau. Et si cette information pouvait sembler dérisoire, elle avait toute son importance pour la brune, qui en éprouva un soulagement immédiat. Villanelle préférait la possible banalité de leur vie commune à l'excitation d'une séparation qui leur imposerait de se retrouver, encore et toujours. Et c'était une preuve précieuse de la sincérité de son amour, qu'Eve garda précieusement en mémoire.

Elle s'apprêtait à boire une gorgée de sa boisson ou à prendre une bouchée de sa nourriture pour tenter de faire passer cette émotion trop forte, trop inhabituelle, mais la jeune femme continua de s'exprimer. Et, comme chaque fois que Villanelle prenait la parole en sa présence, Eve était incapable de détacher son regard d'elle ou de faire autrement que de l'écouter avec la plus grande attention. Dans ces aveux, dans ce bref "c'était très long", Eve reconnut l'émotion qui l'avait elle aussi saisie durant ces deux années.

Car, même si elle avait tenté d'étouffer ses sentiments par dépit et amertume, elle avait été violemment confrontée à une évidence de taille : Villanelle avait été, durant ces deux années de séparation, la seule personne dont la présence lui ait véritablement manquée. Eve avait, bien sûr, regretté la présence occasionnelle de ses anciens amis. Mais parmi ceux-ci, ceux qui avaient le plus d'importance étaient morts. Elle avait quelques fois pensé à Niko, également. Tout comme elle continuait de penser à lui régulièrement, d'autant plus depuis qu'il s'était manifesté dans cette vie. Mais ces pensées là n'étaient pas mélancoliques. Elles étaient chargées de regrets et de remords, de culpabilité aussi, et d'une tendresse qui n'était plus tant due à une affection sincère qu'à la force de l'habitude.

Et donc, comme toujours, Villanelle avait été l'exception, celle qui avait constamment hanté la moindre de ses pensées.

- C'est tout ce qui me déplaît dans cette ville. Nous ne nous sommes pas retrouvées assez tôt, souffla-t-elle avec une sincérité qui accentuait sa vulnérabilité.

Elle daigna enfin accorder de l'attention au contenu de son assiette et goûta enfin à son plat, quoiqu'avec moins d'enthousiasme que sa fiancée.

- J'ai le besoin constant de savoir que tu es présente... Et que tu es en bonne santé. En sécurité, admit-elle presque timidement tout en gardant les yeux baissés sur son assiette. Je me suis sentie incomplète durant ces deux ans. Et je ne me suis pleinement retrouvée que lorsque je t'ai retrouvée.

Dismantling the Twelve

feat. Eve

Villanelle ne peut définitivement pas contredire Eve sur ce point : elle est du même avis. Elles se sont définitivement retrouvées bien trop tard, et ces années qu’elles ont passées loin l’une de l’autre ont été des années gâchées, terriblement gâchées, mais qui ont peut-être eu leur intérêt, par certains aspects, du moins. Après avoir vécu si longtemps avec la presque-conviction qu’Eve n’était pas là, qu’elle était livrée à elle-même, Villanelle s’était rendu compte d’à quel point sa présence était devenue quelque chose de profondément, viscéralement, indispensable à son existence. Livrée à elle-même, elle n’a cessé de se chercher. Elle avait l’occasion de vivre, pour la toute première fois, à l’abri de tout ce qui l’avait entravée jusqu’alors. A bien y regarder, cela ressemble bien à une belle opportunité, mais elle n’a pas su en faire grand-chose, ou rien de vraiment significatif – parce qu’elle était seule, et que cette solitude lui avait été tout bonnement insupportable, plus insupportable encore qu’on ne peut l’imaginer.

Elles ne peuvent pas revenir là-dessus. Cela n’a été la volonté ni de l’une, ni de l’autre, mais elles ne peuvent pas faire autrement à présent, elles sont bien obligées de faire avec cet espace de vide dans leur passé respectif. Elles peuvent à présent s’évertuer à le combler du mieux qu’elles le peuvent, c’est ce qui importe très clairement au-delà du reste.

Elle sourit au moment d’entendre Eve ajouter qu’elle a constamment besoin de la savoir là, en bonne santé… ça, Villanelle peut à peu près lui offrir ça. Pour ce qui est de la sécurité… c’est une autre paire de manches, en revanche. Villanelle n’est pas en sécurité – et Eve non plus d’ailleurs, ni l’une ni l’autre ne l’ont sans doute jamais été, et ça dès leur arrivée sur l’île. Seulement, à ce jour, elles en ont pris pleinement conscience, et elles ne peuvent plus faire mine de rien. C’est quelque chose qu’elles doivent accepter, et avec laquelle elles doivent apprendre à composer. Dans certaines circonstances, c’est définitivement plus simple que dans d’autres, où cela se révèle d’une monstrueuse et complexe difficulté.

« Exactement ! » fait Villanelle à voix sans doute trop forte quand Eve met précisément les mots sur ce qu’elle a ressenti durant ces deux années. C’était comme avancer dans le monde en n’étant que la moitié de soi, non seulement ça n’avait pas de sens, mais c’était aussi inconfortable que déroutant… Elle ne réalisait pas toujours ce sentiment d’être amputée d’une partie d’elle-même, mais quand elle en prenait pleinement conscience, c’était un sentiment absolument insupportable. « C’est exactement ça, on est deux moitiés qui se complètent. » Elle sourit. « Va plus falloir se séparer du coup. Ou bien faut qu’on se colle l’une à l’autre. Comme des siamois », suggère-t-elle en riant de cette image. « Ce serait pas pratique mais ce serait assez drôle. »

Dismantling the Twelve

feat. Villanelle

Villanelle n'était pas discrète, n'était pas avare en exclamations et en réactions. Elles s'attiraient les regards des autres occupants du restaurant, les airs désabusés des autres couples ou des familles... Et Eve s'en fichait. Elle n'avait jamais particulièrement tenu à être vue ou remarquée. La seule personne dont l'attention lui importait se trouvait face à elle, et l'avait suffisamment stalkée au cours de ces dernières années pour que son souhait soit exaucé. Et... C'était ainsi qu'elle aimait Villanelle. Flamboyante, dépourvue de honte et pleine d'assurance. Alors elle ignora superbement les regards et commentaires murmurés qu'elles suscitaient, et adressa plutôt un large sourire à sa fiancée.

Son sourire perdit cependant de sa sincérité lorsqu'Eve entendit la dernière suggestion de la jeune femme. Elle devait reconnaître que l'image suscitée par ces mots était amusante, très amusante, même. Mais, craignant que le superbe quoiqu'imprévisible esprit de Villanelle ne prenne cette idée un peu trop au sérieux, Eve haussa les sourcils tout en affichant un air de moquerie douce.

- Ton idée de ce qui est "drôle" m'inquiète, parfois...

Son appétit revint soudainement. Elle prit le tube de moutarde sur le côté et en fit couler une très large quantité sur le bord de son assiette tout en continuant de parler :

- Mais on est déjà inséparables. Et une fois mariées, on le sera encore plus. Ce qui veut dire que t'as pas intérêt à faire de conneries, parce que je te surveille, l'avertit-elle sur le ton de l'humour en faisant mine de lui adresser un regard sévère.

Elle reposa la sauce avant de piquer un bout dans l'assiette de Villanelle et de le mettre aussitôt dans sa bouche, sans gêne aucune. Elle eut même l'audace de conserver un petit sourire malicieux au coin des lèvres avant de finalement s'intéresser de nouveau à sa propre assiette et manger avec appétit. Elle pouvait être elle-même, avec Villanelle. Nul besoin de faux-semblant, nul besoin de se restreindre ou de prétendre être quelqu'un de différent.

- Tu sais quoi ? Je crois sincèrement pas qu'on pourrait s'ennuyer un jour. On trouvera toujours des personnes à mépriser ou à détester. Et on trouvera toujours des manières de se chamailler. Pour mieux se réconcilier, bien sûr. Nous deux, c'est inévitable. Je croyais pas au destin avant de te connaître, mais je dois dire que j'ai changé d'avis la première fois que nos regards se sont croisés.

Bon, d'accord, ces paroles là étaient moins mièvres dans sa tête, mais c'était dit, et elle les pensait quoiqu'il en soit. Elle réprima donc l'instinct qui voulut trouver une manière de désamorcer la charge de ses mots, et continua de manger en profitant de la complicité du moment qu'elle partageait avec sa fiancée.