(Terminé) [Villaneve] Scène de ménage.

« C’est pas drôle du tout », réplique Villanelle, un peu rembrunie par le rire franc d’Eve après qu’elle lui eut demandé de choisir son arme.

Elle pourrait bien admettre, pourtant, que c’était quand même assez ridicule, effectivement, mais Villanelle improvise et surtout, malgré les circonstances, elle prend la chose parfaitement au sérieux. Même si c’est inattendu, et qu’elle y met peut-être une pointe d’exaltation qui ne devrait pas être entièrement nécessaire, il y a tout de même une sorte d’enjeu là-derrière, et elle ne l’oublie pas – ou pas tout à fait, en tout cas. Alors non, elle n’a pas envie qu’Eve lui rie au nez… susceptibilité enfantine qui lui est plus que caractéristique. Peut-être pour cette raison, elle ne peut s’empêcher de lui rappeler l’épisode, assez comique il faut le dire, de la brosse à chiotte.

Enfin, peu importe, l’essentiel, c’est qu’Eve accepte de jouer le jeu, même si Villanelle ne saurait elle-même complètement dire dans quelle direction elle souhaite qu’elles se dirigent plus précisément toutes les deux… Elle essaye de réfléchir à la situation comme ça lui vient, elle veut aussi tester les réflexes d’Eve en situation d’urgence, car en effet, quand on se sent menacé, on prend généralement ce qui nous vient sous la main. Mais mieux vaut s’assurer que ce quelque chose soit un minimum pertinent ? Apprendre à analyser son environnement pour en tirer le meilleur profit, c’est une efficace méthode d’attaque. Ou de défense, tout dépend du point de vue.

Villanelle suit Eve du regard tandis que cette dernière passe la pièce au crible en quête de ce qui conviendrait le mieux. Le réflexe d’Eve est le bon, ou l’un des meilleurs en tout cas, elle se saisit d’un couteau de cuisine tranchant et reviens vers elle. Elle n’a pas l’air très sûre d’elle, mais soit.

« Classique, mais efficace », observe Villanelle en la contemplant avec intensité. Il y a quelque chose de particulièrement singulier, mais aussi d’un rien séduisant à la voir ainsi, dans une position où à la fois elle se retrouve dans l’attente de ses directives, et dans le même temps pourrait la tenir à sa merci. Une certaine dissonance cognitive qui est loin, très loin de laisser la tueuse insensible. « Maintenant attaque-moi. »

Est-ce une façon de lui donner une vraie leçon ? Pas forcément, mais ne dit-on pas que l’on apprend toujours mieux que sur le tas ? Confiante, Villanelle est convaincue qu’Eve ne pourra pas lui faire de mal… Elle aura le dessus dans tous les cas. Oui, le fait est qu’elle lui a déjà planté une lame en plein ventre, mais les circonstances étaient différentes, alors, elle s’était laissé faire, parce qu’elle ne l’en pensait pas capable. Aujourd’hui, c’est différent.

« Allez, vas-y. »

Villanelle peut deviner les hésitations et les réticences d’Eve, et c’est bien parce qu’elle en a conscience, d’ailleurs, qu’elle fait le choix de la pousser dans ses retranchements comme elle le fait en cet instant. Elle veut la prendre au dépourvu, elle veut la mettre dans une situation qui la place à défaut, pas pour se délecter de ses difficultés, non, loin de là, mais parce qu’elle estime que c’est la chose à faire, en l’occurrence. Peu importe les situations dans lesquelles elle se trouverait et qui la pousseraient à de telles décisions, elle ne serait jamais complètement parée, et il fallait qu’elle soit capable de défier ses propres réticences, c’était même une nécessité.

Alors elle ne devrait pas laisser la peur prendre le pas sur le reste : elle devrait être ferme, résignée, y compris si l’adversaire était aussi redoutable et séduisante qu’elle (ça c’est bonus), y compris si son premier réflexe était de ne surtout pas vouloir faire de mal à la personne qui lui faisait face. Ce genre de situations ne s’embarrassaient clairement pas de situations du genre.

Une première esquisse de mouvement est interrompue aussi nette. Villanelle, de son côté, très attentive, ne fait rien, ne dit rien, elle se contente d’observer, attentive aux moindres faits et gestes de son amante, et à son absence de faits et gestes. Le regard qu’elle laisse couler sur elle ne lui échappe pas, si Villanelle ne s’était pas donné à présent la mission de former Eve, il est assez évident qu’un regard suffirait à la convaincre d’achever l’entraînement pour dépenser leur énergie à des activités d’un ordre complètement différent. Elle est d’ailleurs convaincue que les pensées qui animent Eve de son côté ne sont pas bien différentes. Mais non, elles savent se tenir, n’est-ce pas ?

Alors Villanelle attend. Elle sait qu’Eve a le cran d’attaquer, elle sait aussi, en revanche, que les circonstances lui ont déjà fait perdre certains de ses moyens et ne lui permettent pas totalement de se sentir en situation. Mais elle arrangera ça. Un profond soupir annonce le début des hostilités. Eve fond sur elle, lame en avant, mais Villanelle parvient à contrer son attaque. Elle lui attrape vivement son poignet armé pour le retourner dans son dos, un sourire aux lèvres. Est-ce que cette situation ne l’exciterait pas un peu ? D’accord. Peut-être un peu.

« Attaque-moi pour de vrai, Eve, comme si tu voulais me faire du mal, comme si ta vie en dépendait », lui souffle-t-elle à l’oreille avant de relâcher son bras. « Allez, vas-y. »

L’exaspération d’Eve fait sourire Villanelle. Très bien, exaspérée, il faut qu’elle le soit si elle veut décider de faire ce que la tueuse attend d’elle. Devine-t-elle que sa compagne redoute de libérer des démons qu’elle ne sera pas en mesure de contrôler, en la laissant de la sorte exprimer une rage meurtrière qu’elle garde tapie en elle sans oser l’exprimer ? Oui et non, elle devine la réticence, elle ne l’identifie pas comme de la crainte, en revanche, cette monstruosité, elle la sait présente en Eve. Elle l’a vue s’exprimer en certaines situations, et elle l’a trouvée sublime à chaque fois (sauf peut-être cette fois où elle l’a plantée et où elle était davantage concentrée sur sa propre douleur).

Ses monstres nourrissent les siens, c’est un fait qu’elles ont déjà admis, mais plutôt que de les cacher et de prétendre qu’elles pouvaient faire abstraction de ce constat, la Russe veut cette fois qu’il soit manifeste… Pour les besoins de l’exercice bien sûr, mais aussi, elle doit quand même l’admettre, parce qu’elle a très envie de voir Eve à l’œuvre, là, tout de suite. Elle trouve cette situation terriblement excitante, et elle n’a pas vraiment envie de prendre la peine de s’en cacher. D’autant qu’elle ressent que pour sa part, et même si elle ne l’admettra pas complètement, Eve aussi trouve une satisfaction pour le moins malsaine à toute cette situation.

Quand Villanelle a lâché prise, le regard qu’Eve lui adresse est tout bonnement irrésistible dans ce qu’il a de plus sombre. Et cette fois, elle parvient à la prendre au dépourvu. Elle ne signale son geste par aucun signe avant-coureur qui aurait pu mettre la puce à l’oreille de la tueuse. Eve se précipite dans sa direction, avec plus de vigueur et de détermination. Le coup est rapide, sournois, et le fait que la lame pointe dans la direction de l’endroit même où elle l’avait déjà blessée par le passé, laissant sur elle une cicatrice qu’elle garderait sans doute à vie (ce qui rétrospectivement n’est pas pour déplaire à Villanelle).

Les réflexes de Villanelle ne sont cette fois pas forcément les plus avisés quand, esquivant le coup à la dernière minute, elle s’écorche la paume de la main. Villanelle fixe le sang qui s’écoule abondamment de sa plaie ouverte, et coule à présent le long de son bras. Malgré la douleur, elle ne peut s’empêcher de rire, d’un rire qui n’a rien d’approprié aux circonstances.

« Mieux, beaucoup mieux », elle déclare alors. Elle détourne son regard de sa plaie ouverte et qui mériterait sans doute être soignée pour se concentrée plutôt sur son interlocutrice. « Allez, on continue », ajoute-t-elle pour exhorter Eve à ne pas se laisser distraire par sa blessure. « On n’a pas fini encore. »

Oui, Villanelle saigne beaucoup, mais elle est convaincue que ce n’est pas grand-chose, une blessure plus impressionnante qu’autre chose… Mais Eve ne veut pas que sa compagne se laisse impressionner pour autant. Bien au contraire, elles sont sur leur lancée, et elle a bien l’intention de voir Eve continuer. Si elles ne se font pas un peu mal dans le processus, à quoi est-ce que ça servirait après tout. Elle voit bien qu’Eve a pâli, qu’elle est angoissée par ce qui vient de se passer, et Villanelle doit bien reconnaître apprécier l’inquiétude qu’elle se fait pour elle, mais cette dernière ne doit pas dominer pour autant, ça non. Elle doit rester campée sur ses positions et ne pas en dévier, c’est important.

« Ramasse ce couteau, ne te laisse pas distraire, ne t’inquiète pas pour moi », veut lui ordonner Villanelle, mais Eve s’est déjà précipitée dans sa direction et pris sa main dans la sienne, faisant i d’absolument toutes ses directives.

Bien sûr que c’est un geste qu’elle apprécie, mais ça reste un geste qui les détourne de leur objectif initial, et Villanelle ne l’a absolument pas oublié en ce qui la concerne.

« On arrête rien du tout », réplique Villanelle tout en cherchant à dégager son bras de celui de son interlocutrice.

Oui, la voir se faire du mouron pour elle, quelque part, elle ne peut nier qu’elle adore ça, ou qu’elle aime un peu trop ça en tout cas, ce n’est pas pour autant qu’elle estime qu’il est nécessaire d’en faire tout un plat. Elle n’ira pas dire non plus qu’elle n’a pas mal du tout, parce que ce serait clairement mentir, mais ce serait tout à fait exagéré malgré tout.

« C’est pas comme ça que ça marche, Eve, on arrête pas pour un petit bobo de rien du tout. Toi et moi on s’est déjà fait beaucoup plus mal que ça, et on va se faire beaucoup plus mal que ça. C’est trois fois rien, là, vraiment. Et t’es pas stupide… T’as raison qu’il faut qu’on te prépare. Et ça fait partie de la préparation, on sait jamais ce qui va nous tomber dessus, c’est comme ça. »

Malgré tout, et même si elle a envie de reprendre immédiatement, elle consent à ce qu’Eve la soigne (uniquement parce que sinon elle sera trop déconcentrée pour suivre), qu’elle lui affirme, mais la vérité, c'est qu’elle aurait presque la tête qui tourne, avec le sang qu’elle a perdu. Elle n’aime pas l’admettre, mais ça reste le cas, cela dit. Et peut-être aussi qu’elle se reproche intérieurement d’avoir si aisément été blessée. Rares sont les occasions où le proverbial orgueil de Villanelle n’entre pas en jeu, il faut dire.

Villanelle affiche une grimace agacée quand Eve fait le choix d’ignorer ses paroles, la gratifiant d’un regard noir avant de lui demander de laisser faire. Elle n’en a aucune envie, même si elle en a évidemment besoin. Se faire soigner par Eve n’est pas déplaisant, mais elle reste blessée dans son ego, et pour cette raison, elle ne prononce plus le moindre mot tandis que son amante achève de panser sa plaie.

Il faut la pression de sa main contre sa nuque, et le goût de ses lèvres contre les siennes pour lui faire ravaler un peu de son agacement et de sa déception. Elle parvient même à afficher un fin sourire quand leurs lèvres se séparent. Eve a ce pouvoir sur elle, ses baisers ont ce pouvoir sur elle, auquel personne d’autre n’avait jamais pu prétendre. Elle se sent aussitôt apaisée, et sa frustration ne concerne alors plus tant le sang versé et l’interruption des festivités, et bien davantage le fait d’avoir ses lèvres loin des siennes, elles qui savent lui manquer aussitôt qu’elle se voit contrainte de les séparer des siennes.

« Des fois on perd du sang, c’est comme ça, c’est pas pour autant qu’on doit pas continuer… », se permet-elle de protester tout de même, parce qu’il ne s’agirait pas d’oublier de faire sa mauvaise tête malgré tout. Elle laisse passer un temps de silence.

Elle reste convaincue qu’arrêter en si bon chemin est une mauvaise idée. Bien sûr, elles pourront toujours reprendre plus tard, et ça laissera à Villanelle le temps de réfléchir à une manière un peu plus… travaillée de l’entraîner, mais elle déteste abandonner quelque chose en cours, surtout quand c’est elle, au final, qui déclare forfait. Ça ne devrait pas se passer comme ça. En même temps, si elle doit tourner de l’œil parce qu’elle aura perdu trop de sang, ça n’a aucune chance de fonctionner non plus.

« Tu sais quoi ? On s’y prend mal. »

Eve n’avait sans doute pas besoin de ses lumières pour avoir totalement conscience de cela, parce que clairement, oui, elles s’y prennent mal – et surtout, c’est Villanelle qui s’y prend mal, de son côté, à avoir voulu faire ça complètement à l’arrache, sans préparé son coup un minimum.

« Si c’est contre moi que tu te bats, ça marchera jamais, faut qu’on choisisse quelqu’un d’autre », assure-t-elle avec une assurance totale, quand bien même ce que sous-tend son propos a évidemment les meilleures chances de déplaire à son interlocutrice.

Il n’empêche que c’est vrai. Si c’est elle qu’elle attaque, l’angoisse de lui faire du mal, c’est obligé, l’empêchera de se comporter comme nécessaire, comme en situation.

Villanelle est convaincue, au moment de lui faire sa nouvelle suggestion, qu’Eve elle-même y avait d’ores et déjà pensé, et qu’elle n’était pas le moins du monde surprise par cette proposition. Ce qui ne signifie pas qu’elle lui plaise pour autant, mais qui signifie qu’elle la considère elle aussi comme une option envisageable.

« Pourquoi pas ? » répond Villanelle en pure provocation quand Eve affirme qu’elle ne va dans tous les cas pas provoquer une bagarre en pleine rue.

Non, bien sûr que non, ce serait… amusant à voir, mais ce ne serait pas forcément les choses à faire. La jeune femme l’observe un instant, songeant à ce scénario auquel elle sait déjà que sa compagne ne se pliera pas. Soit, mais il y a d’autres manières de faire malgré tout. Mais ce scénario, absolument chaotique, a le don de l’amuser plus qu’autre chose, elle doit bien le dire. Mais non, pas de bagarres en pleine rue pour Eve Polastri.

« Tu pourrais m’accompagner. La prochaine fois », suggère-t-elle sans donner plus de détails.

Elle ne pense pas que les détails soient nécessaires, en l’occurrence. Elle veut croire qu’Eve sait très exactement où elle veut en venir, en l’occurrence. Elle parle bien évidemment de sa prochaine mission pour les Douze. Évidemment, faire ça, c’est renoncer à l’impliquer plus que nécessaire, c’est l’impliquer auprès des Douze et de tous ceux qui chercheraient à remonter la trace de la tueuse qu’elle est (donc exposer Eve auprès de ses propres collègues), mais c’est bien parce que cette suggestion est absurde, insensée et dangereuse qu’elle plaît à ce point à Villanelle.

Mais Eve, plus posée et plus rationnelle qu’elle, comme toujours, observe que puisque la blesser n’est pas son but, elles devraient faire les choses plus en douceur. La théorie, d’accord, mais Villanelle, la théorie, ce n’est pas vraiment son truc. Elle ne sait pas vraiment comment elle pourrait théoriser ce qu’elle fait, même si des personnes comme Eve ont très bien su théoriser ce qu’elle est. Elle fait mine de réfléchir à cette proposition. Au-delà de ses propres caprices de tueuse accomplie, elle n’oublie tout de même pas le fond de l’affaire : Eve veut se sentir de taille à affronter les menaces qui pourront peser sur elle, qui pèseront naturellement sur elle, et Villanelle veut être là, bien présente, pour la rassurer et pour l’aider. Enfin, la rassurer… Selon ses propres critères qui n’étaient pas forcément les plus… standards, il est vrai.

« Mais évidemment que tu demandes une arme à feu au travail ! Tu devrais déjà en avoir une ! » reprend Villanelle, charmée par l’enthousiasme d’Eve quand elle fait la suggestion de prendre une arme et de s’entraîner au stand de tir.

Elle sent bien que l’idée d’être armée, de posséder un moyen efficace de s’en prendre à quiconque s’approcherait de trop près, la séduit, et Villanelle adore voir Eve être séduite par des possibilités aussi violentes et dangereuses.

Évidemment que c’est risqué, c’est une chose que Villanelle ne nie pas, et par ailleurs, elle a bien conscience qu’elle mettrait peut-être sa compagne en danger plus que nécessaire, mais en même temps, elle se disait que certains maux pouvaient être nécessaires, surtout dans cette situation… Et puis, si Eve garde peut-être un souvenir relativement horrifié du meurtre de Raymond, Villanelle ne pourrait pas prétendre qu’elle a ressenti la même chose. Ce déchaînement de violence et de brutalité lui avait rendu Eve plus attirante que jamais – ce qui forcément, ne peut que l’encourager encore davantage à cette alternative qu’Eve refuse tout net… Ou qu’elle refuse pour l’instant. Qui sait si elle ne réussira pas à la convaincre tôt ou tard. Il suffit de voir où elles en sont maintenant pour constater le terrain qu’Eve lui laisse, doucement mais sûrement gagner.

Elle ne dit rien et hausse juste les épaules, une moue légèrement déçue sur le visage quand Eve affirme alors qu’elle ne sera jamais capable de se concentrer si elle l’accompagne. Elle n’a sans doute pas entièrement tort. Où Villanelle sait être d’une distance et d’une froideur extrême, parce qu’insensible à l’horreur qu’elle est capable d’engendrer, Eve serait forcément soumise à ses angoisses et à ses émotions. C’est sûrement l’une des choses qu’il faudrait qu’elles travaillent, mais comment faire une chose pareille, Villanelle n’en a en revanche pas la moindre idée. Eve a le pouvoir de lui faire ressentir. Elle doute foirt d’avoir, en retour, le pouvoir de ne rien faire ressentir à Eve. Et elle ne voudrait pas, dans le fond, que cela arrive.

En tous les cas, elles ont au moins une alternative sur laquelle elles peuvent tomber toutes les deux d’accord. Eve a les moyens, tout à fait facilement et légalement, de se procurer une arme à feu, il serait dommage de ne pas en profiter, pas vrai ? Et ce sera effectivement mieux. Et oui, elle les imagine déjà au stand de tir, et oui, l’idée de lire sur le visage d’Eve l’exaltation qu’elle ressentira forcément au moment de tirer, même si ce doit être sur une cible immobile, ne manque pas de la séduire. Oui, elle aime Eve dans tous ses états, mais celle qui embrasse ne serait-ce qu’une légère part de sa « monstruosité » est particulièrement attirante.

« On pense souvent qu’il faut viser le crâne, mais c’est faux, t’as de bonnes chances de transformer ton ennemi en légumes, mais t’as aussi de bonnes chances de te foirer », répond la tueuse qui prend très au sérieux la question de son amante. Elle approche doucement sa main de la poitrine d’Eve. « Le cœur, c’est une valeur sûre, mais évidemment, faut savoir bien viser. »

« Cette zone-là… », ajoute-t-elle en laissant glisser sa main depuis son sain gauche jusqu’à son abdomen. « Celle-là est sûre… » Elle plante son regard dans celui d’Eve. « Un coup dans les jambes et dans l’épaule, ça calme son homme à coup sûr et ça te donne bonne conscience, aussi. »

Villanelle voit bien que sa petite démonstration ne laisse pas indifférente… en même temps, elle doit bien reconnaître que c’était le but de la manœuvre. Rien ne l’obligeait à désigner du bout de ses doigts fin ces zones qui pouvaient être source de souffrance ou de plaisir en fonction de ce que l’on devait décider d’en faire. Oui, bien sûr que son intention avait été de stimuler l’imagination d’Eve, comme la sienne ne l’est que trop à l’idée de voir Eve mettre ses conseils à exécution… Elle l’imagine, sûre d’elle, puissante, entraînée par une impulsion morbide à commettre l’impardonnable. Oh comme il serait excitant de la voir céder à ses envies les plus impardonnables. Elle l’avait déjà vu à l’œuvre, mais l’image d’une Eve complètement décomplexée, dans des circonstances comme celle-ci, est diablement séduisante, quand bien même elle ne voudrait pas tant que cela d’une Eve incapable de museler ses démons, et donc incapable d’apaiser les siens dans le même temps.

Elle esquisse un fin sourire, une lueur de désir dans le regard, alors qu’elle sent les mains de son amante glisser sous son haut, elle frissonne légèrement au moment de sentir ses doigts caresser la cicatrices, moins prononcée mais toujours bien présentes laissée par Eve le jour où elle l’avait poignardée… Elle aime ça, la pensée qu’elles aient chacune marqué le corps de l’autre. Cela peut sans doute passer pour terriblement malsain – et c’est évidemment le cas –, mais la pensée que leur histoire, dans sa beauté comme dans sa brutalité, soit inscrite au plus profond de leurs épidermes est pour elle une pensée absolument exaltante. Elle penche légèrement la tête en arrière quand elle sent ses dents se refermer doucement sur sa gorge.

« Tu es sûre ? J’ai l’impression que tu es un peu dissipée », répond-elle avec le sourire le plus charmé du monde aux lèvres.

Quand elle s’adresse à elle sur un ton pareil, elle ne peut pas lui résister, quand elle sent la chaleur de sa peau contre la sienne, elle ne peut pas lui résister. Quand elle est en présence d’elle, elle ne peut pas lui résister. En n’importe quelle circonstance, elle ne peut pas lui résister.

« Tu aimes que je te donne des ordres, pas vrai ? » ajoute-t-elle d’un ton malicieux, le regard ancré dans le sien.

Clairement, l’heure de la leçon est terminée, et Villanelle n’est pas moins dissipée qu’Eve. Elle ne pourra pas affirmer que tout ceci aura servi à grand-chose, mais ce qui est certain pour l’heure, c’est que sa priorité va à la femme qui partage sa vie, et son seul désir en seul instant et de satisfaire ceux qu’elle lit dans les yeux de cette femme qui elle seule peut la rendre à ce point folle, comme d’autres seraient bien en peine d’y parvenir.

« J’aime assez aussi », remarque Villanelle avec un sourire malicieux quand Eve admet ne pas trouver déplaisant le fait qu’elle lui donne des ordres.

Autant dire que de tels propos ne rentrent pas dans l’oreille d’une sourde et que la jeune femme n’y trouve qu’une source de plus d’excitation. En telle situation, ses sens sont émoustillées, et elle ne demande qu’à savourer davantage ce plaisir singulier qui se renouvelle constamment quand elle est avec Eve. D’elle, elle est convaincue qu’elle ne se lassera jamais. Elles sont en redécouverte constante l’une de l’autre, et c’est un plaisir qu’aucun autre ne peut égaler, du moins aux yeux de la redoutable tueuse qui ne veut que savourer largement le plaisir d’être avec Eve. D’être à Eve, peu importe les circonstances et peu importe la manière.

Un fin sourire s’esquisse sur les lèvres de Villanelle tandis qu’Eve, d’un geste, l’invite à reculer, ce qu’elle fait sans se faire prier, quand bien même cela lui fait peut-être perdre dans la foulée ce qu’elle avait de pouvoir sur la situation, jusqu’alors. Mais elle ne se fait certainement pas prier tandis qu’elle se laisse guider jusqu’au lit, de même quand elle la fait s’asseoir sur le matelas ou quand elle relève son menton du bout des doigts. Dans le regard qu’elle lui adresse alors brille une lueur sans la moindre équivoque, qu’elle sait retrouver tout autant dans celui de son amante… Il ne s’écoule sans doute pas une seule seconde de la moindre minute qu’elle passe avec elle sans qu’elle soit naturellement attirée par elle. Elle a constamment envie d’elle, de sa présence, de leurs conversations… et oui, de ces échanges plus intimes auxquelles elles se sont accoutumées à mesure que leurs corps se sont découverts et apprivoisés…