"Esclave...

Je l'ai été... toute ma vie. Esclave de mon maître vampire, puis contraint de suivre une troupe d'aventurier trop gentillets pour simplement faire ce qu'il faut. Je suis... j'étais celui qu'on appelait l'Elfe Pâle, le chaotique, l'égoïste, celui dont on se méfiait avant même de le rencontrer, à raison, d'ailleurs. Doué pour subtiliser, voler, assassiner, seules les personnes qui avaient leur ascendant sur moi pouvaient se sentir satisfait de m'avoir à leur côté.

Si je me suis fait des amis ? J'admets que je n'en ai plus aucune idée... Les gens me paraissent flous, un peu comme si j'avais vécu un nombre incalculable de versions d'aventures différentes, qu'on était retourné en arrière pour voir une autre issue. Et finalement, j'ai eu l'impression de ne rien vivre du tout. Je sais que je me suis attaché, que je me suis énervé, que j'ai tué, que j'ai été tué, sauvé, eu le cœur brisé...

Et cette nuit, il y a eu cette lune rouge. J'étais seul sur un rivage à regarder le ciel, et je l'ai vue. Même si ce monde regorge de mystères et d'étrangetés, je savais d'instinct qu'elle n'appartenait pas à ce monde, ni au plan astral. Courageux, ou stupide, je suis resté à la contempler pour que mes yeux puissent en percer le mystère. Elle me semblait être le propre reflet de l'éclat de mes iris de sang.

C'est alors que je me suis éveillé ici."

La femme me regarde comme si j'étais fou. Je ne reconnais absolument pas l'endroit, nous sommes dans une habitation aux angles droits, avec des plantes à l'intérieur, avec de très grandes fenêtres. Il y a bien une bibliothèque, mais les livres sont minuscules, et il y a plein de choses que je ne reconnais pas... et pas le moindre coffre. Je ne reconnais pas même la moitié des objets qui nous entourent. Enfin, elle me sourit, un petit rire méprisant lui échappe. Elle remonte la couverture sur sa poitrine nue et se recouche dans son lit.

"Tu ne peux pas me contenter de me donner ton nom ? Écoutes, on a sans doute passé une super soirée toi et moi, mais je n'ai pas de place dans ma vie pour toi. Tu peux... prendre ce que tu veux dans le frigo si tu as faim et tu peux t'en aller sans avoir à me donner d'excuses. Bonne nuit !"

Je reste bouche bée un instant, debout devant elle, allongée. Depuis quand les femmes sont-elles devenues aussi peu farouches et peu méfiantes ? Je me penche sur elle, elle est effectivement endormie sans aucun problème. Mon regard est attiré par la veine dans sa gorge et... rien. Aucune faim, aucune envie. Je me redresse et me décide à chercher la sortie de sa maison. Je la trouve sans difficulté, la porte pour l'extérieur est caractéristique.

Au moment où je vais pour sortir, je sursaute et me place immédiatement en position d'attaque. Quelqu'un me regarde, quelqu'un aux traits anguleux, aux yeux verts et à... la même chemise que moi. Je plisse les yeux, il plisse les yeux. Je porte ma main à ma ceinture, il fait de même. Finalement, j'avance ma main jusqu'à la vitre et remarque qu'il s'agit d'un miroir.

Je vois mon reflet !

Je me vois pour la première fois depuis... depuis je ne sais même plus quand. Je me souris, j'ouvre la bouche pour y constater l'absence de canine, me regarde sous toutes les coutures et constate que mes oreilles sont devenues rondes-humaines. J'ai un rire incrédule et commence à tourner sur moi-même, fasciné.

"Bon, tu te barres ?"

Je sursaute en pleine grimace, trop heureux pour être offusqué.

"Oui oui, bonne nuit !"

La porte s'ouvre facilement et j'en profite pour contempler son système de fermeture. À peine sortit, je me mets en quête de nourriture. Si je suis humain, alors je vais pouvoir profiter d'une nourriture purement humaine. Je me demande alors quelle sera la toute première chose que je vais manger, et quelle sera la toute première chose que je vais subtiliser.