(AU) A Christmas Wish ||Ft. Mackenzie

La lettre posthume émanant de son grand-père n’avait pas réellement réussi à susciter la moindre émotion à sa petite-fille. Ayant tendance à avoir la rancune extrêmement tenace, la situation précaire dans laquelle il les avait abandonnées sa mère et elle-même en dépit des nombreuses sollicitations qu’elles avaient pu tenter d’introduire à son égard n’avait pas été oubliée. Bien qu’elle-même ait très vite abandonné, comprenant qu’elle s’adressait à un véritable mur, ça n’avait pas été le cas de sa génitrice. Quoi que consciente que bon nombre de ses incartades au fil du temps les avaient conduites à cette situation, elle n’avait jamais cessé les tentatives de rentrer en contact avec celui auquel elle devait la vie. Sa fille avait cessé de compter depuis bien des années le nombre de fois où elle l’avait vue en train de rédiger bon nombre de paragraphes à son encontre, tentant de le convaincre de sa bonne foi. À chaque fois, l’issue avait été la même : il restait de marbre et ne prenait jamais la peine de répondre. Si ça n’avait tenu qu’à elle, Mackenzie n’aurait même pas prit la peine d’ouvrir le courrier reçu une fois l’identité de son émetteur connue. L'insistance de sa mère avait pourtant été si forte que, simplement dans le but d'assouvir la curiosité de celle-ci, elle avait fini par s'y résoudre.

Apprendre que le vieux avait finalement cassé sa pipe n'était pas une grande surprise. En plus de son âge avancé, les problèmes de santé qu'il se traînait depuis un bail étaient de notoriété publique. À vrai dire, compte tenu de la quantité de gros titres qu'elle avait pu lire à ce sujet au cours de ces dernières années, sa petite-fille aurait même parié qu'il survivrait beaucoup moins longtemps que ça n'avait réellement été le cas. Cette vieille carne avait pourtant tenu bon, pour la plus grande indifférence de sa descendante. Face à cette histoire d'héritage, toutefois, la différence de point de vue entre les deux femmes s'était marquée. Fière, indépendante et rancunière, celle-ci avait voulu jouer la carte de l'orgueil en refusant toute aide financière de celui qui les avait laissées dans une véritable merde en dépit de l'image d'humaniste qu'il entretenait publiquement. Opportuniste, très portée sur le pécuniaire et lassée du train de vie minable qu'elle menait depuis trop d'années, Kenzi considérait que cet argent pourrait être la solution à bon nombre de ses problèmes et qu'elles méritaient bien de pouvoir s'accorder un peu de confort après avoir autant trimé.

C'était comme ça qu'elle s'était finalement retrouvée là, à prendre le chemin d'une entreprise envers laquelle elle ne ressentait aucun attachement sentimental. En plus de ne rien lui avoir légué avant ce jour, son grand-père ne lui avait de toute évidence pas vraiment apprit la valeur du travail et seul l'aspect financier l'intéressait véritablement. Le destin ne semblait pourtant pas décidé à lui faire de faveurs aujourd'hui au point où, si elle avait été superstitieuse d'une quelconque manière, probablement aurait t-elle fini par rebrousser chemin de peur de finir écrasée par un bus ou tuée d'une quelconque manière insolite. En plus d'avoir failli se faire gauler par les contrôleurs dans son premier bus, le second lui était tout bonnement passé sous le nez. Eut-elle été un peu plus prévoyante, elle aurait pu se contenter de prendre le suivant — mais, fidèle à elle-même, la jeune femme s'était bien évidemment contentée de calculer son trajet de sorte à dédier le moins de temps possible à toute cette histoire, ce qui l'avait contrainte à finir avec l'aide du seul moyen de transport qui ne la trahirait jamais : ses jambes.

Comble du ridicule, il avait en plus fallu que la damnée ne repère pas à temps déjection canine dans laquelle son pied avait décidé d'atterrir. « Putain ! » Jura t-elle en tentant de réduire le massacre du mieux qu'elle le put, frottant avec acharnement la semelle de sa chaussure contre le rebord du trottoir sans parvenir à se défaire des résidus y étant désormais incrustés. Géniale comme première impression, tu vas marquer les esprits, ironisa t-elle mentalement avant de se décider à rentrer dans l'immense bâtiment. Et bien que celle-ci fusse particulièrement aimable, son premier contact avec la réceptionniste lui confirmait que cette mission s'avérait épineuse. La manière dont celle-ci était apprêtée, visiblement tirée à quatre épingles et d'une élégance qu'elle se savait incapable d'atteindre peu importe les moyens mis en place pour y parvenir, la fit grincer intérieurement des dents : ce n'était et ne serait définitivement jamais son monde. Trop de froufrous, trop de paraître et pas assez d'authenticité.

Se retrouver face-à-face avec Lyutsifer Safin était une expérience intimidante pour beaucoup de gens mais la Malikov se convainquit mentalement que ce n'était pas son cas, en dépit de la désagréable impression que son regard perçant lui laissait et de la manière dont son estomac s'était noué lorsqu'elle avait eu le malheur de le croiser. Oh, ce n'était pas une question de physique à proprement parlé : à vrai dire, le (désormais) ancien partenaire de travail du défunt était même bien plus qu'agréable à regarder. Non, c'était plutôt un problème d'aura. L'homme représentait à lui seul le profil typique de ceux qu'elle avait tendance à fuir : l'archétype même du riche imbus de lui-même et convaincu de valoir mieux que le reste de l'humanité simplement parce qu'il avait réussi à grimper les échelons sociétaux. En se basant à ses propres expériences, la russe ne se rendait d'ailleurs même pas compte qu'elle cédait exactement à tout ce qu'elle lui reprochait de potentiellement faire. Secouant la tête pour tenter de reprendre ses esprits, un sourire forcé apparut sur ses lèvres. « Monsieur Safin. » Avec une raideur notable, la nouvelle arrivée vint s'installer sur l'une des chaises de la pièce, prenant instinctivement soin de s'installer le plus loin possible de lui. Toutes ses bonnes résolutions quant à sa conduite volèrent toutefois en éclat lorsqu'un rire moqueur franchit ses lèvres à l'entente de ses mots. « Je mentirai en prétendant que ça me surprend. » Et si, face à une personne potentiellement plus réceptive, elle aurait probablement tenté une petite plaisanterie quant au fait que son ancêtre n'aimait pas se vanter, face à lui, elle devina instantanément que ce ne serait pas bien reçu. Aussi, elle se contenta de se mâchouiller l'intérieur de la joue durant quelques secondes avant de poursuivre, désignant sa propre tenue d'un signe de main narquois. « Ca doit certainement être évident que nous n'étions pas vraiment le genre de personnes à prendre le thé ensemble tous les week-ends. » Une brève grimace passa sur son visage avant qu'elle ne hausse simplement les épaules. « Disons que nous n'étions pas exactement en très bons termes depuis... aussi loin que je ne puisse m'en souvenir. » Les rares moments qu'elle avait pu partager avec le principal concerné datant de sa petite enfance, il lui aurait même été impossible de se rappeler des traits de son visage mais ça, son interlocuteur n'avait pas besoin de le savoir. Pour l'instant, elle n'en était pas encore à un stade de stress où elle commencerait à débiter tout et n'importe quoi dans le simple but d'extérioriser son anxiété. « Par conséquent, on peut considérer que ça nous fait au moins un point commun : je n'en sais pas plus sur vous. » Le semblant d'ironie perceptible dans sa voix pourrait aisément passer pour de l'arrogance mais pour la jeune femme, il s'agissait avant tout d'une simple manière de se détacher de toute cette situation dans laquelle elle se retrouvait engluée malgré elle, situation suffisamment inconfortable que pour l'empêcher de s'y sentir à son aise d'une quelconque façon.

SAFIN&KENZI

Comment Alexei avait t-il pu penser que des personnes aussi différentes que sa petite-fille et son associé étaient susceptibles de pouvoir s'entendre ? était quand à elle l'interrogation obsédant l'esprit de la sans-abri. Bien que n'ayant jamais prit la peine d'essayer de lier avec sa descendante pour en apprendre davantage sur elle en tant que personne ou simplement sur ses conditions de vie, le bon sens aurait dû être suffisant pour lui faire réaliser que ceux-ci ne seraient jamais capables de se trouver le moindre point commun. Une collaboration forcée entre deux êtres aussi différents qu'eux ne pouvait que tourner au drame et, pour quelqu'un espérant faire pérenniser son entreprise dans des conditions optimales, une nomination telle que celle-ci ne pouvait que porter à confusion. Le vieillard était t-il donc devenu sénile sur ses dernières années ? Compte tenu de l'âge plus qu'honorable auquel il s'était éteint, cette théorie n'était pas nécessairement fort singulière. Mais, quoi qu'il en soit, ce n'était pas comme si celle-ci risquait d'être confirmée ou infirmée par le principal concerné : désormais pleinement occupé à manger les pissenlits par la racine, il ne risquait pas de s'extirper de l'emplacement où avait été enfoui son cercueil pour venir expliquer sa version des faits.

Défendant d'éternelles valeurs d'humanisme socialement plébiscitées, il n'était pas difficile de se douter qu'Alexei possédait nombre d'amis. En voyant le peu d'émotions que son départ semblait susciter chez celui ayant partagé de nombreuses années la place d'associé privilégié, toutefois, Kenzi ne put que s'interroger. Loin de s'imaginer à qui elle avait réellement affaire, deux hypothèses se bousculaient dans son esprit : soit Lyutsifer Safin lisait très clair dans le jeu de présumé bon samaritain du désormais défunt et n'avait collaboré aussi longtemps avec celui-ci que dans l'intérêt de leurs affaires communes, soit la relation que ceux-ci entretenait avait toujours été chaotique. De prime abord, elle optait davantage pour la première : les propos tenus dans la lettre lui ayant été adressée avaient toujours été particulièrement élogieux à son égard. Des propos élogieux qu'il n'aurait certainement pas tenu la concernant et qui auraient presque pu la rendre jalouse si elle s'était souciée un tant soit peu des liens familiaux supposés les unir : en première lecture, il aurait été aisé de penser que Safin lui-même était le petit-fils dont le Malikov tirait sa fierté plutôt que celle dont il partageait véritablement le sang. « Je suppose. » Dut t-elle se résoudre à admettre, croisant les bras en pensant enfin pouvoir prendre ses aises sur sa chaise bien que ce répit ne fut que de bien courte durée. La cupidité l'avait amenée en ces lieux et, mentalement, elle maudissait déjà sa génitrice pour l'avoir influencée à s'y rendre. Si leurs conflits n'avaient pas été si nombreux et profonds, probablement aurait t-elle hérité de tout cela sans avoir à passer par elle en guise d'intermédiaire et tout aurait été beaucoup plus simple : bien plus diplomate que sa descendance ne le serait jamais et surtout ayant été éduquée dans le but d'un jour pouvoir prendre la relève autrefois, leurs manières n'étaient même pas comparables. Probablement l'aurait t-elle d'ailleurs tuée pour s'être rendue à cet entretien dans un état aussi pitoyable que celui-là.

Son interpellation lui faisant comprendre que la récrée était terminée manqua de la faire rouler des yeux : ne pouvait t-il pas se contenter d'abréger cela pour qu'elle soit délivrée de cette atmosphère qui semblait déjà vouloir dérober l'ensemble de l'air que ses poumons étaient capables d'emmagasiner. Pourtant, elle prit sur elle pour se forcer à revêtir un sourire de complaisance et simplement acquiescer : bien qu'elle n'y croyait que bien peu, un maigre espoir subsistait en elle que le russe soit du style à conserver des liasses de billets soigneusement pliées au fond de ses tiroirs. La véritable poule aux oeufs d'or résidait évidemment dans l'entreprise elle-même mais si une avance pouvait lui être accordée... Kenzi ne cracherait définitivement pas dessus. « Très bien, allons-y. » Tout ce qu'elle pouvait désormais espérer, c'est que le déplacement en vaille le coup — bien que, dans le cas inverse, le réconfort viendrait du fait qu'elle n'aurait définitivement aucun regrets d'être passée à côté de quelque chose d'exploitable. Son agacement, aussi présent soit t-il, ne pouvait pas la laisser perdre de vue de ce qui lui importait en premier lieu : ses propres intérêts.

La découverte du bureau de son ancêtre n'éveilla sa curiosité que pour des raisons pécuniaires. Le sentimentalisme n'y avait pas réellement sa place, en dépit du regard mêlant jugement et mépris qu'elle posa sur chacune des images où l'ancien homme d'affaires était représenté. En dépit de son statut social, son expression naturellement avenante et sa silhouette recroquevillée et bedonnante lui donnaient naturellement un air sympathique. La représentation parfaite du papy gâteau et gâteux dont tout le monde pourrait rêver, songea t-elle avec un mélange d'ironie et d'amertume. D'abord silencieuse le temps d'observer et de parfois manipuler l'un ou l'autre bibelot disposé sur le gigantesque bureau de chêne ornant la pièce, entendre à nouveau raisonner la voix de son interlocuteur lui rappela presque trop brutalement qu'elle n'était pas seule. Cet homme savait définitivement se faire discret. « Probablement parce que l'entièreté de mon dressing n'égalerait pas le prix que devait lui coûter le pressing de son costume chaque semaine. J'aurai fait tâche sur les photos. » Répliqua t-elle sans que cela ne semble l'atteindre le moins du monde, cette impression n'étant que davantage renforcée encore par la manière dont son attention fut happée par une petite clé soigneusement disposée dans un petit écrin en velours.  « La lettre stipulait qu'il me cédait l'entièreté de ses parts. Ca doit bien représenter quelque chose entre quarante et soixante pourcent de tout ce m... cet endroit, non ? » Tout sauf intéressée par le monde des affaires, sa désinvolture l'avait évidemment amenée à penser que l'avocat en charge du dossier serait appelé à gérer tout ce qui considérait ce type de formalités. A titre personnel, la seule chose l'intéressant véritablement était le numéro de zéros — pas de simples pourcentages qui lui semblaient aussi abstraits que surfaits. « Une idée de ce qu'elle pourrait ouvrir, à tout hasard ? » Eut t-elle l'audace de l'interpeller en penchant légèrement sa trouvaille dans sa direction sans se rendre compte que sa déclaration précédente devait avoir fait l'effet d'une bombe auprès de son interlocuteur. « Faire ? » Cette question, en revanche, piqua sa curiosité. Qu'était t-elle supposée faire d'autre que d'accepter les responsabilités qui venaient de lui tomber dessus, représentant autant une aubaine qu'une malédiction ?  « Eh bien... ce n'est pas tout les jours qu'une entreprise, avec un tel capital qui plus est, vous tombe dessus presque clés en mains du jour au lendemain. » Un bref rire franchit ses lèvres avant d'y mourir presque aussi rapidement face à la mine plus que sérieuse de son interlocuteur : c'était noté bien que ce serait probablement tout aussi vite oublié, les tentatives d'humour n'étaient pas ce sur quoi elle réussirait à lui décocher de grandes émotions. « Alors... Je suppose que pour la première fois, je vais me contenter de suivre ce qu'il a eu l'air de planifier pour moi. » Même si elle n'en comprenait pas le sens, tout ceci ne devait pas être arrivé par hasard, n'est-ce pas ? Et quoi qu'en soit l'issue, sa vie pourrait difficilement être pire qu'elle ne l'était déjà. « Je suppose que l'information vous a également été transmise qu'il comptait sur vous pour m'apprendre tous les rouages du métier. Quel meilleur coach que quelqu'un ayant déjà une position telle que la vôtre ? » Si l'humour n'était pas son fort et que le charme n'était même pas envisageable compte tenu de son accoutrement, peut-être pouvait t-elle au moins tenter la flatterie ?    

SAFIN&KENZI