TW : Guerre, génocide, assassinat, sang, traumatismes, deuil, culpabilité du survivant, pensées suicidaires.

Un épais manteau de neige recouvrait Fhirdiad. Le ciel était gris, les murs gelaient, les gens grelottaient sous l’effet du froid mordant de Faerghus. Certains étaient restés au chaud en famille devant la cheminée. D’autres, s’étaient aventurés sous le balcon principal du château royal jusqu’à ce que l’on vienne leur délivrer la nouvelle qui espérait tant : leur reine bien aimée venait de mettre au monde un petit garçon en bonne santé. Un miracle, en ces temps troubles où l’inquiétude planait quant à l'expansion d’une mystérieuse épidémie qui touchait la région. Cet enfant, ils le nommèrent Dimitri Alexandre. Ainsi naquit l’héritier du roi Lambert Egitte Blaiddyd, et qui ne sera malheureusement que l’unique que son épouse lui donnera car elle succomba à la maladie quelques temps plus tard, avant même d’avoir pu voir son fils grandir.

L’épidémie fut finalement éradiquée de la main d’une femme qui sauva le royaume. Si la couronne pouvait s'avérer redevable et soulagée, la situation de Faerghus n’était pas des plus prospères. Malgré tout, le petit prince grandit dans les meilleures conditions possibles, son père faisant tout pour que son fils n’ai pas à ressentir le manque maternel. Ils nouèrent avec le temps une belle complicité où des sourires attendris se dessinaient sur les lèvres des témoins lorsqu’ils voyaient les deux royaux échanger ensemble. Non seulement Dimitri était, physiquement parlant, le portrait craché de Lambert, mais il admirait beaucoup ce dernier et espérait plus tard marcher dans ses pas. Cela faisait chaud au cœur du roi pour qui la fierté envers son enfant n’avait aucune limite.

Enfant plutôt réservé, il s’épanouissait davantage en présence de ses meilleurs amis Sylvain, Felix et Ingrid en visite avec leurs parents. La solitude de ces vastes couloirs n’étaient plus qu’un vague souvenir dans ces moments d’innocence, loin des contraintes et du cadre protocolaire dans lesquels le prince devait se conformer.  Bien sûr, il avait compris depuis longtemps qu’il en avait le devoir et se prêtait à l'exercice sans rechigner une seule seconde.

Puis il y avait cette femme, répondant au nom de Patricia. Elle avait de longs cheveux bruns, aux traits fins et à la voix douce comme du velours qu’il eut le loisir de faire sa connaissance lorsqu’elle se présenta au jeune prince. Son sourire avait quelque chose de réconfortant. D’apaisant, malgré les tourmentes qu’elle avait subi avec sa fille dans sa contrée natale, les poussant à trouver refuge dans la nation voisine. Le roi n’avait pas hésité une seconde à tendre la main et offrir sa protection à celle qui était autrefois la concubine de l’Empereur d’Adrestia. Et leur fille, Edelgard, n’était nulle autre que sa légitime héritière.

Des jours durant, Dimitri avait appris à les connaître. Ou en tout cas, il le pensait à l'époque. Il voyait en la figure de Patricia cette mère qu’il n’avait jamais eu. Assise près de la fenêtre, le prince avait pris cette habitude de s’allonger sur ses genoux tandis qu’elle passait tendrement sa main dans sa chevelure dorée mi-longue et fredonnait une chanson dont il se remémorait chaque partie dans les moindres détails. Pourtant, elle n’était pas si heureuse que ce que l’on aurait pu croire. Son regard ne se perdait pas sur l’enfant mais à travers la vitre, observant l’extérieur d’un air mélancolique. Son coeur et son esprit étaient en réalité ailleurs, loin de toute cette affection et cet amour que l'on pouvait lui donner notamment celui de Lambert qui, après lui avait fait part de ses sentiments, avait demandé sa main.

Bien qu’un peu froide et intimidante au premier abord, il avait même fini par être inséparable d'Edelgard. Mais ce qu’il pensait permanent n’était en fait qu’éphémère. La princesse n’avait d’autre choix que de retourner à Adrestia. Cela fut un véritable coup dur pour le jeune Blaiddyd. Alors en guise d’au revoir, plus que d’un cadeau d’adieu, il lui offrit une dague. Drôle de présent, n’est-ce pas ? Elle avait cependant pour une signification toute particulière pour le petit garçon. Avec elle, il souhaitait qu’Edelgard puisse façonner son avenir et d’avoir une part de sa présence à sa portée. Là était sans doute le but de son geste quelque peu maladroit. Après tout, il n’était encore qu’un enfant.

Un enfant qui allait être confronté aux pires atrocités que ce monde puisse être capable.



Tout s’embrasait. Mourrait. Des cris d’effroi raisonnaient, étouffés froidement l’instant d’après. Une forte odeur de sang et de brûlé agressaient les narines du prince perdu au milieu de ce chaos, de corps massacrés. De gardes royaux, de chevaliers. De l'aîné de la maison Fraldarius et de leur roi. Décapité devant les propres yeux de son fils de douze ans peu avant de percevoir sa mère disparaître dans les Flammes Éternelles. Le regard vide, sous le choc, ses jambes tremblaient. Il sentait la terre se dérober sous ses pieds, comme si son monde allait s’écrouler. Paralysé, il était incapable de bouger. Les images défilaient en boucle dans son esprit traumatisé. Une main l’agrippa, pressa Son Altesse de prendre la fuite. De s’éloigner de ce théâtre de l’horreur. Loin d’ici, et vite.

Dans leur retraite, ils se perdirent de vue. Et dans un bref moment de conscience, le faerghusien remarqua un garçon à la peau mate sur le point de se faire abattre par l’ennemi. Poussé par un élan désespéré, il s’interposa entre la lame et sa cible pour le protéger. Dimitri sentit le fer trancher sa chair. Une vive douleur irradiait dans son dos d'où s’écoulait abondamment du sang de sa vive et profonde blessure. Il grimaça puis leva la tête vers celui qu’il venait de sauver. Ses paupières devenaient lourdes. Lourdes...Le prince trouva pourtant la force de le gratifier d’un faible sourire, soulagé que son action inconsciente ne fut pas veine. S’il devait mourir, il n’aurait pas ce regret à avoir. Sa vue se brouilla progressivement, s’obscurcit. Une voix l'interpella mais il n’était déjà plus là.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il reconnut la pièce comme étant sa chambre. L’héritier de Faerghus se redressa dans son lit, confus, sonné. N’était-ce qu’un horrible rêve ? Un cauchemar qu’il venait de vivre ? Non. Non, tout ceci était bel et bien réel. Les bandages qui entouraient ses blessures attestaient du drame duquel il s’était extirpé. Seul survivant de ce qu’on nommera plus tard la Tragédie de Duscur, la culpabilité l'accablait de jour en jour, harassé par les voix des morts qui réclamaient justice. A faire couler le sang, à apporter la tête du responsable de leur disparition, faisant de Dimitri le messager de leurs griefs mortifères.

Plus tard, une escouade royale a été envoyée repousser des rebelles dans un Royaume plongé dans l'instabilité après la mort de son souverain. On raconte que le prince de Faerghus, ayant fait parti de cette milice, aurait perpétué un véritable carnage. Pas un seul n'était resté en vie.



Le Blaiddyd patientait tranquillement dans ses quartiers, perdu dans ses pensées alors qu’il arrangeait son épaulière pour y accrocher sa cape cobalt. Il était tellement ailleurs qu’il n’avait pas réagi face à l’arrivée du duscurien dans la pièce qui dû extirper le prince de sa rêverie.

« ....Votre Altesse ? »

Le jeune homme releva la tête, désorienté l’espace de quelques instants avant d’y voir un sourire amical se dessiner sur ses lèvres.

« Ah Dedue, c'est toi. »

Fidèle à lui-même, le géant demeurait aussi calme et posé qu’à son habitude. Depuis leur rencontre, les deux garçons ne s’étaient pas quittés d’une semelle. Tous deux miraculés de cette terrible tragédie, ils avaient noué dans le malheur une belle amitié, bien que le dénommé Dedue insistait pour n’être que le serviteur de celui qui lui avait sauvé la vie. Ce que Dimitri réfutait. A ses yeux, il ne lui était redevable en rien. Jamais. Il lui avait même sans le savoir donné la force de vivre. De se relever et d’avancer.

« Vous sembliez absent. Quelque chose vous tracasse ? »

Il secoua la tête. Evidemment qu’il se doutait que quelque chose n’allait pas. De toute façon, ils n’avaient pas besoin de parler pour le savoir. Pourtant, le prince de Faerghus niait tout en bloc. Après tout, ils avaient autres choses auxquelles penser.

« Oh, ce n’est rien... Je repensais simplement aux préparatifs de la rentrée. Rodrigue est arrivé ? »

Rodrigue, le Duc Fraldarius et un vieil ami de son défunt père. Il était pour lui une figure paternelle de substitution à le conseiller au besoin. A l’amener parfois à faire de grandes balades à cheval, s'entraîner ensemble. En somme, il était un homme au grand coeur aux valeurs chevaleresques à qui il aspirait ressembler.

« A l’instant même. Il vous attend dans le hall. »

Il avait annoncé sa venue quelques jours plus tard à travers une missive. Son fils, Felix, allait également entamer sa première année à l’Académie des Officiers et souhaitait saluer personnellement Son Altesse avant leur départ.

Reconnaissant, Dimitri marcha à la hauteur de son ami et posa une main sur son épaule.

« Bien, merci Dedue. »

A ces mots, il se dirigea vers l’extérieur, prêt à accueillir son invité.


L’Académie des Officiers était la plus prestigieuse de tout Fódlan. Cela serait mentir que de dire qu’il n’avait pas hâte d’y être, à la fois porté par la joie d’étudier avec ses plus proches amis et par l’envie d’acquérir plus d’expérience, de connaissances aussi dans le but de satisfaire ses sombres desseins. Le prince savait que, quoiqu’il advienne, il serait soutenu par Dedue qu’il considérait à présent comme son meilleur ami et confident.

Sans surprise, Dimitri fut désigné délégué des Lions de saphir, sa classe qu’il comptait de tout coeur mener vers le chemin de la réussite. Parmi les deux autres leaders, il reconnu un visage familier. Edelgard, princesse héritière de l’Empire d’Adrestia et accessoirement à la tête de la maison des Aigles de Jais. Cette même Edelgard, qui était venue habiter dans son château et avaient forgée ensemble cette belle complicité à laquelle il tenait tant. Lors de la cérémonie de rentrée, leurs regards se croisèrent.

El…

Il ne voyait dans ses yeux violets aucun signe d’une quelconque réminiscence de ce garçon qu’il était. Ils étaient froids, calculateurs. Elle avait changée, et lui aussi.

Le troisième était un dénommé Claude à la tête des Cerfs d’or, héritier de la maison Riegan et futur dirigeant de l’Alliance de Leicester. Un peu plus espiègle que ses deux homologues, les présentations s’étaient faites sur un ton décontracté et Dimitri eu même droit à une taquinerie de sa part qui eu de quoi embarrasser le jeune royal.



Un entraînement. Cela devait juste être un entraînement, et voilà que leur campement s’était fait attaqué et ils se faisaient désormais poursuivre par des bandits désireux de gagner un véritable pactole en offrant la tête des trois prochains dirigeants respectifs des nations régentes de Fodlan. C’était bien leur veine. Par chance, il semblerait qu'une mercenaire du nom de Shez ai accepté de leur prêter main forte pour venir à bout de ces malfrats. En récompense et, par un théatre de circonstances, elle fut invitée par les Chevaliers de Seiros et l'Archevêque en personne à rejoindre l'Académie des Officiers en tant qu'élève. Son choix se porta sur la maison des Lions de Saphir qui l'accueillirent à bras ouverts, ravis de compter une nouvelle amie et une lame aussi compétente parmi eux.

L'enseignement prodigué par le professeur Jeritza fut interrompu au bout de quelques mois, car le prince Dimitri se vit contraint de retourner en urgence dans son royaume natal. Son oncle, Rufus Thierry Blaiddyd, venait de tenter un coup d'État. Face à la capitale assiégée, le prince n'eut d'autre choix que de le condamner à mort pour trahison et crime de lèse-majesté. Faerghus avait désormais besoin du retour de son régent légitime pour reprendre le trône qui lui revenait de droit et remettre de l'ordre, nommant Shez à la tête d'une millice d'élite.

Le roi est mort. Vive le roi.



L'ascension de Dimitri au trône en tant que roi et les nouvelles réformes qu'il commençait à mettre en place suscitèrent la rébellion des seigneurs de l'Ouest, partisans entre autres de Rufus. Ces derniers choisirent de se rebeller et de prêter allégeance à l'Empire, qui avait déclaré la guerre à l'Église de Seiros. En s'engageant à protéger l'archevêque, le Royaume se trouva ainsi entraîné dans un conflit qui devint également sien.

Au milieu de ce tumulte, de terribles vérités émergèrent. Dimitri se montra plus déterminé que jamais, non seulement à remporter cette guerre, mais aussi à juger les responsables de la tragédie de Duscur. À tort ou à raison, il estimait, au départ, être seul capable de porter le fardeau de cette lourde responsabilité sur ses épaules.

L'affrontement final contre Thales, l'homme qui tirait toutes les ficelles dans l'ombre, et l'Impératrice Edelgard von Hresvelg, devait non seulement marquer la fin, mais surtout inaugurer le début d'une nouvelle ère prospère pour Fódlan. Cette bataille s'acheva sur une victoire rendue possible grâce à l'aide cruciale de l'Alliance de Leicester, dirigée par Claude von Riegan, dont les aspirations demeuraient encore floues. Dimitri, pourtant, avait choisi de lui faire confiance malgré tout.

Une nouvelle aube se levait.
Mais tout restait encore à faire.

Il leva la tête, comme s'il s'accrodait un bref instant de repi pour contempler cette lune de sang qui dominait les cieux. Tout s'embrasa soudainement, et, l'espace d'un bref instant, un douloureux souvenir ressurgit. Celui d'un jeune garçon, accablé par les flammes, impuissant face à la tragédie qui se jouait devant ses yeux. Dimitri hurla leurs noms, mais c'était en vain ; dans ce tourment qu'il revivait, une construction mentale forgée par les séquelles d'un traumatisme profond, son monde se métamorphosa devant ses yeux. Son environnement céda la place à des habitations, et le silence se brisa sous les assauts des klaxons, manifestant l'irritation des conducteurs de voitures. Égaré dans ce monde qui lui demeurait étranger, il était désormais incapable d'aller au bout de cette quête première, celle de soulager les morts de cette injustice dont ils avaient été tristement victimes.