Les jours s'écoulent et se ressemblent...

Voilà une observation bien triste de la part d'Alexander, cela fait déjà quatre ans qu'il se traine dans cette ville, morose, amer, pas tout à fait lui-même, il lui manque quelque chose. Ou plutôt, quelqu'un. Il a essayé de se souvenir comment il était avant, comment il faisait sans lui, mais il n'en était qu'une pâle copie, car il ne pourrait jamais redevenir le jeune homme ignorant même sa propre sexualité pourtant si évidente, celui qui ne connaissait pas la douceur et l'odeur du Prince, celui qui ignorait même que celui qu'il détestait était en réalité raide dingue de lui depuis leur première rencontre. Il ne pouvait plus ignorer tout cela. Dire qu'il avait été à si peu de choses de trouver enfin le bon équilibre, de mener la belle vie avec l'homme de sa vie, et puis, plus rien. Il était arrivé dans cette ville sans explications et tout ce qu'il avait fait jusque-là, c'est comme si ça n'avait été qu'un long rêve, ça n'existait plus. Il avait été dévasté les premiers mois, et avec le temps, il était toujours dévasté, mais il avait réussi à s'éparpiller ailleurs.

Étudiant en droit durant la journée, bourreau de travail qu'il est, il s'est rapidement enterré sous le travail. Barman la nuit, parfois en stage dans un cabinet, il faut ce qu'il faut pour se payer au moins de quoi se loger et de quoi manger, toutefois, on peut dire qu'il est bien loin de la vie politique qu'il rêvait actuellement, mais ce n'est pas sa priorité. Pas lorsque toutes les personnes qu'il aime ont disparues de sa vie, il doit marquer l'histoire, certes, mais il se refuse à le faire sans celui avec qui il veut partager sa vie. Il repense aux mots de sa mère alors qu'il touche la chevalière, accroché à son cou, elle lui avait demandé si c'était pour toujours. Il en était déjà sûr à l'époque, mais maintenant qu'ils sont séparés depuis 4 ans, il en est d'autant plus sûr, il n'aurait jamais pu vivre sans lui. Et d'ailleurs, il ne peut pas, mais c'est difficile de trouver quelqu'un sans avoir sa photo, il a bien essayé de le dessiner, mais ses talents en dessin sont loin d'être prodigieux.

Ce soir, il s'était laissé entrainer par des potes, étudiant en droit eux aussi, ils venaient de passer des examens assez rigoureux et bien entendu, Alexander les avait tous laminés, mais après l'effort, le réconfort, et rien de tel que boire quelques shots, pas vrai ? Alors, il les suit en boite, sans grand enthousiasme cependant, c'est alors qu'à peine arrivé, il voit des cheveux blonds reconnaissables du coin de l'œil. Il redresse la tête et il le voit, rapidement, l'espace d'un tout petit instant, entre la foule. Il fonce dedans, essaie de se hisser jusqu'à lui, mais une fois arrivé, il n'est plus là. Il regarde autour de lui, essayant de retrouver cette tignasse blonde, son cœur bat à tout rompre. Il est là, il le sait. Il ne peut pas le laisser s'enfuir, pas encore. Il hurle dans la foule.

- HEEEEENRYYYYY !

Mais en vain, avec la musique, la foule, il aura beau s'égosiller, on ne l'entend pas. Alors, son cerveau partant à cent à l'heure, il ne peut pas passer une heure à le chercher dans la foule, alors que Henry se dirige peut-être déjà vers la sortie. Il se tourne vers le DJ et il a une idée, une idée folle, mais il s'en fiche, il a déjà fait largement pire. Sans plus attendre, il monte sur la scène et va voir le DJ, ils échangent quelques mots et il lui donne 50$ pour utiliser son micro.

- HEEEEEENRYYYYYY !!

Cette fois, cela résonne en écho dans toute la boite, la musique s'est arrêtée, et tous les regards se tournent vers lui, ce qui le gêne presque, juste un instant, parce que ça faisait longtemps qu'il ne s'était pas retrouvé devant une foule.

- Euh... Salut. Henry, je sais que tu es là ce soir, je t'ai vu, ou plutôt aperçu, du coup, je me demande si je n'ai pas rêvé, parce que ça fait quatre ans que je te cherche, quatre ans que je te vois partout... Mais j'ai vraiment envie d'y croire, comme toujours, alors s'il te plait, si tu es là, montre-toi... Que je ne me prenne pas le plus gros vent de mon existence...

Alexander était tellement sûr de ce qu'il avait vu, c'était comme une évidence, tout comme la première fois qu'il avait vu Henry, avant que celui-ci ne fasse cette réflexion désobligeante et que toute leur relation ne soit basée que sur ce premier instant qui n'était finalement qu'un malentendu. Mais comment aurait-il pu deviner qu'il incommodait le prince parce qu'il l'attirait ? Ils étaient tous les deux jeunes et idiots, ils l'étaient toujours d'ailleurs, mais il y avait quand même eu du progrès depuis, sinon ils n'auraient jamais pu se mettre ensemble, surtout que Henry était un effroyable froussard qui prenait la fuite à la première occasion. C'était toujours sa façon de gérer les choses, comme si se planquer pouvait arranger quoique ce soit. Ça n'avait pas beaucoup fonctionné jusqu'à présent, surtout qu'Alex n'était pas du genre à laisser tomber, c'était une tête de mule, prêt à tout par amour. Il ne supportait pas quand Henry disparaissait ainsi, comme s'il pouvait simplement l'effacer de sa vie. Alors tout ce qu'il pouvait espérer depuis qu'il était arrivé ici, c'est qu'Henry le cherche aussi et qu'il ne soit pas le seul à tourner en rond.

Il l'avait reconnu même en l'ayant entraperçu, sa couleur de cheveux reconnaissable entre tous, son aura de majesté qui ne pouvait que transparaitre après ces années dans son palais royal, Alexander avait alors agi de la manière qui lui ressemblait le plus, pouvant paraitre pour un fou aux yeux des gens, il n'en avait que faire. Tout ce qui l'intéressait était de revoir celui qu'il aime tant et ce n'était pas grave s'il devait se donner un peu en spectacle pour cela, après tout, il était un anonyme ici bas - ou presque - et cela n'allait pas faire les gros titres demain matin. Alors qu'il attendait un signe de l'amour de sa vie, le cœur battant, il le vit finalement, celui qu'il cherchait, se faire un chemin à travers la foule. Il en eut le souffle coupé et le regarda s'avancer comme une scène au ralenti. Il resta son regard figé sur lui et rendit le micro à la première personne à sa portée alors qu'il le rejoignait pour le toucher. Il caressa ses joues en plantant profondément son regard dans le sien, comme s'il doutait que cela était bien réel.

- J'ai un doute quand même, tu étais bien mieux foutus dans mes souvenirs !

Ne put-il s'empêcher de plaisanter avant de finalement venir l'embrasser pour la première fois depuis quatre longues années.

Franchement, Alexander avait du mal à en croire ses yeux, Henry semblait être un mirage, un rêve, cette personne qu'il revoyait sur ce magazine, dans ses souvenirs, il l'avait gardé dans son cœur et dans sa tête comme si jamais personne ne pourrait le remplacer. Et c'était vrai, avec le temps, Alex était profondément convaincu que Henry était la personne qui lui était destinée. Il n'était pourtant pas du genre à croire au destin ou que tout est écrit à l'avance, mais comment expliquer les choses autrement ? C'était juste tellement évident. Il s'en voulait parfois d'avoir crû que ce n'était qu'un connard prétentieux, toutefois, c'était vraiment comme ça qu'il l'avait traité lors de leur première rencontre et comme on dit, c'est la première impression qui compte ! Puis un jour... il avait fait tomber un gâteau à 75 000 dollars sur Henry et les choses n'ont plus jamais été pareils. Il fait son air choqué lorsque Henry intervint en disant qu'il était toujours plus petit que lui.

- Non, je ne le suis pas, votre altesse royale !

Et il le fit taire d'un baiser, de ce genre de baiser qu'on a qu'une fois dans sa vie, afin qu'il ne se souvienne même plus de quoi ils étaient en train de parler. Ce qu'ils aimaient le plus dans leur relation ? Ils s'aimaient à en perdre la raison et n'hésitaient pas à se provoquer l'un l'autre, comme s'il restait toujours un peu de leur rivalité. Les choses étaient ainsi et il ne les changerait pour rien au monde, cela permettait de ne jamais s'ennuyer au moins ! Et puis, étant donné leurs caractères respectifs, c'était certain qu'ils allaient continuer à parfois se tirer dans les pattes, à faire du drame pour rien, la seule bonne nouvelle, c'est que maintenant au moins, ils étaient des anonymes. Il hocha la tête alors que son blondinet lui proposait de sortir et le suivit dehors en lui attrapant la main.

- Alors... il faut que tu me racontes tout ! Que s'est-il passé dans ta vie depuis ton arrivée ici ?

Alexander rit doucement à la réponse de son prince qui n'avait pas pu s'empêcher une petite piqure de rappel, comme au bon vieux temps. C'était nostalgique, un peu, ça le prenait au cœur et à l'âme, il avait presque envie d'en pleurer, mais l'émotion était déjà au-delà, retrouver la seule personne qu'il aimait si fort, celui qui le fait se sentir fort et faible à la fois, le seul après qui il court sans arrêt, il y avait vraiment quelque chose dans cet amour, cette attirance qu'il avait pour lui, qu'il ne saurait jamais expliquer. Un amour inconditionnel, comme si depuis le début, ils étaient juste fait pour être ensemble, mais ne le savaient pas parce qu'ils étaient trop bêtes.

- Toujours aussi adorable, à ce que je vois.

Il résista à l'envie de lui tirer la joue juste pour l'embêter à son tour, mais il avait de la chance qu'il était simplement heureux de le retrouver, de pouvoir le toucher, lui parler, après tout ce temps ça semblait être irréel, comme s'il se retrouvait simplement prisonnier d'un des espaces temps de cette ville étrange et que demain matin, il se retrouverait sans lui, à nouveau seul et perdu. Alors, il profita de ce moment, l'emmenant dehors pour qu'ils puissent simplement se promener main dans la main, comme ils n'avaient jamais pu le faire auparavant et lui demander quelle était sa vie à présent.

- Mais c'est carrément génial ça, est-ce que ça veut dire que je suis en face d'un futur auteur à succès ? J'espère que j'aurais droit à un autographe !

Bien sûr, Henry pouvait compter sur le soutien incontestable de son tout premier fan et petit-ami. Mais était-il toujours son petit-ami ? il s'était laissé entrainer dans le feu de l'action, et ne s'était pas vraiment arrêté pour poser la question, mais il aurait peut-être dû. Même si au fond, il avait un peu peur de la réponse.

- Impressionnant, moi, je n'ai rien de tout ça, je fais des études dans l'histoire de l'art et je travaille aux délices de l'âme pour vivre moi aussi, je ne sais pas ce que je vais faire après...

Est-ce qu'il allait se relancer en politique ? Il ne savait pas vraiment. Sa priorité avait surtout été de retrouver Henry, le reste avait été un peu mis de côté en attendant. Il se mordilla la lèvre, mais il devait poser la question.

- Est-ce que... il y a, ou il y a eu quelqu'un d'autre dans ta vie ?

Il est vrai qu'Alexander avait commencé à désespérer, le temps était long sans Henry, alors il avait été dans les études, surtout pour ne pas penser. Car la réalité qu'il puisse ne jamais le retrouver le mettait dans un état d'angoisse assez sévère, c'est même comme ça qu'il avait connu sa première crise de panique, lui qui est normalement plutôt du genre cool, à essayer de ne pas stresser pour tout le monde. Pour une fois, c'était lui qui se mettait dans un état pas possible, et même quand on lui avait dit de laisser tomber, qu'il ne le retrouverait jamais, il avait failli plusieurs fois s'énerver. Ils ne comprenaient pas, ne comprenaient rien à ce qu'il ressentait pour Henry, que c'était plus fort que ça. Mais à quoi bon avoir des sentiments pour quelqu'un si on ne le revoit jamais ? Et pourtant, il était bien là, devant lui en fin de compte, il avait bien fait d'attendre et d'espérer, c'était évident qu'ils allaient se retrouver, c'était écris.

- Tu signeras "pour le meilleur des petit-amis" et je l'encadrerais pour le mettre au-dessus de notre cheminée. Quand on aura une cheminée.

Dit-il avec malice, toujours prompt à rire des situations, même si elles n'avaient bien souvent rien de très drôle. C'était d'autant plus vrai depuis qu'il était ici et qu'il essayait de dramatiser le moins possible, ce qui n'était clairement pas le plus évident tous les jours. Il l'encouragerait bien entendu, comme toujours, depuis le temps qu'il voulait pousser Henry à faire ce qu'il avait envie et pas ce qu'on attendait de lui, voici une opportunité en or : il n'avait plus aucune obligation et pouvait enfin faire ce qu'il souhaitait, sans prendre en compte la couronne et tout ce qui s'y rapporte. Il eut un petit sourire à la réponse du blondinet.

- Ouais, je suis même un peu trop talentueux... en fait, je pensais tellement que mon chemin était tracé en politique, que j'ai jamais pensé à faire autre chose. J'ai fait du droit, là de l'histoire et puis... on verra bien ce que donnera la suite. Les délices de l'âme, c'est un restaurant de luxe, le patron est un peu louche, mais à part ça, ça se passe bien.

Son sourire et son savoir-faire à gérer les clients les plus récalcitrants l'avait beaucoup aidé dans ce domaine, il faut dire qu'il avait eu un bon exercice en gérant déjà les humeurs du prince qui ne savait pas ce qu'il voulait et qui n'en faisait qu'à sa tête. Mais c'était aussi pour ça qu'il l'aimait après tout.

- Je suis on ne peut plus heureux de l'entendre, car je dois dire que j'aurais eu très envie de m'en prendre à cette jolie tignasse blonde si ce n'était pas le cas.

Il eut un petit rire et se laissa entrainer dans ce baiser passionné pour l'approfondir.

Il faut avouer qu'Alexander avait toute confiance en les capacités de Henry, il le connaissait bien, mieux que quiconque même, mieux que sa propre famille parfois, il n'y avait que Béa qui le connaissait probablement mieux que lui, mais les choses avaient peut-être changé depuis le temps, il avait l'impression que ça faisait des lustres qu'ils ne s'étaient pas vus, et c'était le cas en réalité. Ça faisait vraiment des années, ce n'était pas qu'une impression, cela lui paraissait impossible, déjà qu'il ne savait pas comment il ait pu passer tant de temps sans lui, sans sa moitié. Il avait réussi, on ne sait par quel miracle, à tenir tout ce temps, alors évidemment que maintenant, il ne pouvait qu'imaginer un futur à ses côtés, c'était une évidence, il n'était plus question de le lâcher. Ah, dire que Manon lui avait dit de renoncer, il avait bien fait de ne pas perdre espoir.

- Dès que ton livre sera devenu un best-seller, je suis sûr qu'on pourra avoir une maison rien qu'à nous.

Petit sourire complice, bien entendu, il ne faisait pas tout reposer sur les frêles épaules de l'amour de sa vie, c'était plus pour l'embêter qu'autre chose, lui aussi comptait bien mettre la main à la pâte et ne pas laisser Henry tout faire. Ce n'était pas dans sa nature de toute façon, même si Henry lui demandait, il serait bien incapable d'être comme ça. Bosseur qu'il est : impossible pour lui de rester spectateur de sa vie, ce n'était pas pour rien qu'il avait fait tant d'études et retourné la ville pour pouvoir retrouver son prince si précieux. C'était un miracle d'avoir enfin mis la main dessus.

- Hmm, comment dire... il semble trop parfait, il y a quelque chose qui me dérange chez lui. Il a cette façon de te fixer comme s'il pouvait lire ton âme, et il y a cette ambiance pesante quand t'es à côté de lui... Il sourit, mais ça ressemble pratiquement à une menace. Il a l'air de m'apprécier donc ça va, mais je ne voudrais pas faire partie de ses ennemis, je ne donnerais pas cher de ma peau.

Louche en tout point, en somme, mais il payait bien, reconnaissait les efforts, honnêtement à part ce côté un peu "sombre" de Sebastian, il n'avait franchement pas grand-chose à lui reprocher, surtout qu'on ne peut pas reprocher à quelqu'un d'être trop "parfait", il avait déjà fait cette erreur avec Henry. Il sourit contre ses lèvres, répondant à son baiser.

- L'un ou l'autre, peu importe du moment qu'on y va vite...

Histoire qu'il ne se jette pas sur lui en pleine rue, pas sûr que ce soit bien vu, royal ou pas.