Une Madrigal de plus

feat. Luisa

Ses petites mises en scène. Bruno accueille cette formulation avec un léger rire nerveux. Pourtant, c’est bel et bien ce que c’est, en effet, de petites mises en scène, une fantaisie, rien d’autre, mais Bruno le prend tellement au sérieux qu’il a bien du mal à le réduire à cela malgré tout. Ceci dit, il ne corrige pas sa nièce pour autant. Elle a tout à fait raison d’observer les choses ainsi, et le lui reprocher n’aurait absolument pas le moindre sens. Quand Luisa lui en parle, Bruno ressent tout de même qu’elle se montre intéressée. Elle ne fait pas mine de trouver ça étrange ou de s’en moquer, bien au contraire, et ne serait-ce que pour cette raison, Bruno se sent naturellement touché. De toutes les manières, tous les prétextes qu’on lui donne à passer du temps avec ses proches ont de l’importance à ses yeux.

« Oh mais bien sûr que tu pourras venir voir », fait-il avec un grand sourire, même s’il sait que certains sont bien moins réceptifs que d’autres à un tel spectacle.

Certaines personnes, comme Ella, sont si investies et si enthousiastes qu’elles rendent ses mises en scène encore plus réelles. D’autres resteront particulièrement hermétiques à un tel spectacle et ne le trouveront que triste, car c’est au fond un témoignage indirect de l’intense solitude que peut quotidiennement éprouver Bruno Madrigal, ce même dans ce nouveau monde. Mais il ne veut pas trop penser de la sorte, évidemment, c’est même hors de question pour lui.

« Tu es sûr… ? » fait-il, hésitant, quand Luisa lui assure qu’elle ne se souciera pas vraiment du ménage quand il lui proposera de passer chez lui, et à la pensée de ce qu’elle lui propose, un bon repas tout simple, en famille, il sent son cœur se réchauffer. Ce qu’on peut manquer, parfois, de ce qu’on n’a même pas conscience d’avoir eu un jour, en fin de compte. « Comme Julieta le faisait, je n’en suis pas si sûre, elle est imbattable. Ses petits plats me manquent, d’ailleurs. »

Parce que Julieta est une cuisinière d’exception d’une part, et bien sûr parce que son talent était très utile quand on vivait dans un état de salubrité avancé, et au beau milieu de rongeurs. Il aurait sans doute survécu bien moins longtemps dans les conditions de vie qu’étaient les siennes si les petits plats de Julieta, qu’il dérobait en douce dans la cuisine, ne prévenait ses maux invisibles avant même qu’ils ne s’aggravent.

« Je ne compte même plus le nombre de fois où je suis allé à l’hôpital. Je devrais me prendre un abonnement. »

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« Oh non, non, tu ne m’as pas offensé, je te le promets », répond immédiatement Bruno, qui ne veut surtout pas mettre sa nièce dans l’embarras.

Non, il ne se sent pas offensé, ce n’est pas ça qui motive sa réaction, s’il réagit de cette manière, c’est qu’il redoute toujours le comportement de son entourage, il a peur de lire de l’inquiétude ou de la déception dans leur regard comme c’est arrivé si souvent dans le passé, et cela le rend plus maladroit encore qu’il ne l’est déjà en temps normal – et ce n’est pas peu dire, car Bruno est clairement le roi des maladroits, et par bien des aspects.

Il retrouve un sourire plus franc et plus large quand Luisa affirme qu’ils pourront s’organiser ça, c’est-à-dire une soirée, un dîner. L’idée de pouvoir passer du temps avec les membres de sa famille, comme il n’a pas eu l’occasion de le faire pendant si longtemps, ça lui réchauffe clairement le cœur, et il se sent immédiatement un peu mieux. Toujours nerveux malgré tout, parce qu’on ne se refait évidemment pas. Mais mieux tout de même, c’est une certitude. Et apparemment, elle n’est pas difficile, elle ne se plaindra pas du désordre et du ménage. Ce n’est pas ce qui va l’arrêter, c’est ce qu’elle affirme : en même temps, Bruno ne pense pas que quoi que ce soit soit susceptible d’arrêter Luisa Madrigal. La jeune femme est un véritable roc, et c’est quelque chose que Bruno admire terriblement. Elle est solide, elle est déterminée, elle a su accuser le poids de responsabilités sous lesquelles Bruno, lui, s’était laissé écraser. Certes, ce n’était pas forcément sain pour la pauvre Luisa, mais ça n’en reste pas moins admirable.

Quant au fait que Luisa sache mitonner quelque chose qui lui plaise, il n’en doute pas non plus. Ce ne sera pas difficile de faire mieux que Bruno, dans tous les cas, qui se considère comme une véritable calamité en la matière, vraiment. En attendant de profiter des bons petits plats de Julieta. Parce qu’il ne faut pas perdre espoir, n’est-ce pas ? Non, surtout pas, ils finiront par la retrouver, c’est obligé. Et en attendant.

« Eh bien… Les rats et… je crois que je suis plutôt maladroit », reconnaît-il quand il lui parle de ses nombreux allées et venues à l’hôpital.

Il aurait sans doute survécu bien moins longtemps entre les murs de Casita s’il ne se nourrissait pas quotidiennement, et à son insu, des bons petits plats de Julieta. Il n’avait pas vraiment eu l’occasion de se dire qu’il faudrait qu’il change de mode de vie. Cette pensée ne s’était tout simplement pas imposée à lui.

« Mais c'est rien... ça va ! »

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Pour Bruno, tout ça a presque l’air encore un peu abstrait. Il lui faudra probablement beaucoup de temps avant de ne plus se sentir comme une pièce rapportée au sein de sa propre famille. Il sait, bien sûr, que tous autant qu’ils sont, ils ne sont jamais que bien intentionnés envers lui, il n’a aucune forme de doute à ce sujet, mais il est difficile de complètement se faire une raison à ce sujet pour le moment. Toute cette situation le dépasse à bien des égards, à vrai dire, et il n’est pas si simple de réussir à la dépasser totalement. Il a beau ne ressentir que de la bienveillance de la part de Luisa, ses vieux démons ne sont jamais loin, et il redoutera toujours, tout naturellement, que ces derniers ne le rattrapent et ne fassent des ravages sur lui.

Ce serait plus simple, probablement, quand ils se seraient tous retrouvés et qu’ils seront tous réunis. C’est vrai, plus rien ne sera exactement comme avant… mais ce n’est pas plus mal, pas vrai ? Oui, c’est même tant mieux, en réalité. Certaines choses se doivent de changer, pour le meilleur. Et dans le cas de la famille Madrigal, quand bien même chacun de ses membres tenait aux autres d’une manière des plus évidentes, il y avait clairement de réels changements à opérer, et non des moindres.

Ceci dit, en matière de changement, c’est aussi Bruno qui a très clairement du travail à faire, et il s’en rend bien compte, notamment en ce qui concerne sa propension bien trop grande à finir à l’hôpital constamment. Oui, Bruno n’est définitivement pas doué, et sa maladresse, soignée autrefois en deux temps trois mouvements par la cuisine miraculeuse de Julieta, et sujette à bien plus de complications à présent. Il doit prendre soin de lui, surtout que son corps se charge bien de lui faire remarquer, aussi, qu’il n’est plus de toute première fraîcheur. Ce n’est pas forcément plaisant à entendre, soit, mais c’est quand même un peu beaucoup la vérité.

« Oui, tu as raison, je m’en souciais pas vraiment mais… » Mais il faut qu’il prenne soin de lui, il faut qu’il apprenne à s’écouter et qu’il admette que tout ça, c’est important, que ce n’est pas quelque chose qu’il peut négliger ou prendre à la légère, par-dessus la jambe. Non, il est définitivement très important qu’il prenne soin de lui-même. « Mais maintenant, j’ai une bonne raison de le faire donc… » Il passe une main nerveuse dans ses cheveux. Il y a des personnes pour se soucier de lui, pour véritablement vouloir son bien-être, et ça, ça fait toute la différence. « Je vais faire gaffe, c’est promis. »

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Bruno a beau être plus âgé que ses neveux et nièces (normal en même temps, surtout que ses sœurs et lui sont des triplets), c’est souvent lui qui a tendance à se faire materner par les plus jeunes de la famille Madrigal. Il en a bien conscience. Il voudrait être capable d’inverser les rôles, mais il n’y parvient pas. Il n’y parvient pas parce qu’il a beaucoup à rattraper et à apprendre, et qu’il a eu tendance, plutôt que de s’en donner la chance, de se renfermer sur ce qu’il connaît. Il a vécu en vase clos trop longtemps, il ne s’est jamais vraiment donné l’occasion de devenir un adulte accompli, et encore maintenant, ça reste le cas. Ses neveux et nièces ne sont plus des enfants, ils se révèlent dans toute leur individualité… et lui, de son côté, a encore bien du mal à savoir de quelle manière se comporter ou agir.

Fort heureusement, tous les Madrigal se montrent d’une patience d’ange avec lui. Ils ont accepter de guider et de conseiller quand ce devrait peut-être être son rôle, et il doit bien avouer que même si c’est probablement une facilité de sa part, il en profite très largement. Il aime pouvoir se servir de ses proches comme d’un repère solide, d’un point d’ancrage avec une réalité qu’il a trop souvent tendance à vouloir fuir. Il n’y a pas de quoi en être fier, mais c’est définitivement ce qu’il a tendance à faire malgré tout, il doit bien observer cette réalité en face.

Quoi qu’il en soit, Bruno accepte et apprécie la présence de Luisa à ses côtés, qui se montre vraiment de très bon conseil à son adresse, et qui, surtout, semble véritablement, sans aucune confusion possible, vouloir son bonheur. Et c’est ce qu’il souhaite également. Oui, c’est son bonheur qu’il souhaite, sans aucune contradiction possible. Et c’est pour cette raison qu’il essaie, à son échelle, de lui apporter le meilleur de lui-même.

Bruno hoche la tête avec un sourire quand Luisa remarque qu’ils sont au moins d’accord sur un point important. Ce qui est vrai, et ce qui est tant mieux, surtout. Oui, il ne peut qu’être d’accord à ce sujet, et sur tous ceux qu’avancera sa nièce, d’ailleurs, qui se révèle bien plus sage que lui. Il n’ajoute rien de plus jusqu’à ce que le duo n’ait atteint le restaurant. Ils allaient ainsi poursuivre leurs retrouvailles et profiter de la compagnie l’un de l’autre encore un moment.