One day I'll fly away [Wedge]

One day I'll fly away

feat. Wedge

Bruno avait plus d’une fois hésité à reporter, annuler, oublier le rendez-vous que Wedge lui avait fixé à l’aérodrome de la ville. Ce n’est pas qu’il ne voulait pas s’y rendre. Ce n’est pas qu’il ne voulait pas le revoir. C’est au contraire qu’il le voulait un peu trop, et que c’était, pour lui, une pensée relativement terrifiante. Bruno n’a jamais su gérer convenablement ses relations sociales. Il n’a pas vraiment eu d’occasions de développer de réelles amitiés en dehors de son cercle familial – et même dans ce cadre-là, ces relations s’avèrent particulièrement bancales, comme n’ont fait que le confirmer les reproches plus que justifiés de Pepa à son égard. Ni de réelles amitiés ni… quoi que ce soit d’autre.

Comment considérer ce lien qui s’est tissé étrangement et en même temps si naturellement entre Wedge et lui ? Quelqu’un de mieux informé l’aurait probablement mieux compris que lui. Bruno, lui, cantonne la perspective de la moindre romance aux télénovelas improvisées dont il fait de ses rats les personnages principaux. Des manifestations grandiloquentes de grands sentiments qui n’ont pas grand-chose avec la puissance réelle mais plus complexe à déchiffrer des vrais sentiments.

Après sa visite professionnelle chez Wedge, Bruno et lui ne se sont pas revus, en revanche, ils ont beaucoup échangé par SMS. Bruno, qui était loin d’être familier avec les nouvelles technologies ni ne pensait y trouver d’intérêt, n’ayant fait l’acquisition d’un téléphone portable que dans le cadre nécessaire de son travail – et frôlant la crise d’anxiété à chaque coup de téléphone – s’était dernièrement surpris à guetter patiemment les réponses de Wedge à ses messages parfois maladroits, mais toujours bien intentionné. Petit à petit, il réalisait qu’à travers la barrière d’un écran, il était d’une simplicité enfantine que d’échanger, parler, se livrer. Régulièrement, il lui envoyait des photographies de Mynock, le rat qu’il était venu récupérer chez lui… il avait même réalisé se servir régulièrement de ce prétexte pour engager la conversation, alors qu’il n’avait pas grand-chose de plus à dire. Il était beaucoup plus apte à s’exprimer par ce biais qu’en face-à-face, même s’il avait tout de même fui tous les sujets de conversation les plus personnels...

… et c’était pour cette raison, aussi, qu’il redoutait tant de faire face à Wedge. Il avait peur que de le voir directement, il oublie la facilité avec laquelle il avait su s’adresser à lui par messagerie interposée… C’est négliger un peu vite le fait qu’en définitive, ils avaient su se parler très facilement la dernière fois que leurs chemins s’étaient croisés, alors que l’occasion ne s’y prêtait pas forcément. Etrange, au fond, que cette perspective l’inquiète plus que la perspective de monter dans un de ces avions qui semblaient tenir dans les airs par une sorte d’opération mystique qui devrait ne lui dire rien qui vaille. Non, toute son attention était seulement concentrée sur Wedge, Wedge qu’il découvre posté devant l’entrée de l’aérodrome au moment d’émerger du taxi qui l’a conduit jusque-là. Bruno lui adresse un timide signe de la main agrémenté d’un tout aussi timide sourire.

« Bonjour, désolé, il y avait des bouchons sur la route, enfin je crois, je sais pas, je suis peut-être en retard », bredouille-t-il, confus, en guise de salutations (beaucoup, beaucoup trop longues).

One day I'll fly away

feat. Wedge

Le sourire sur le visage de Wedge, si sincère et lumineux, jamais moqueur, a le don d’apaiser et de rassurer Bruno presque instantanément. Bruno n’irait pas jusqu’à dire que toute appréhension disparaît dès lors qu’il se trouve en sa présence, mais disons du moins que cette appréhension s’étiole au profit d’un autre sentiment, qu’il n’identifie certes pas très bien, mais qu’il aime à éprouver. C’est quelque chose de doux, quelque chose de rassurant. Quand il est en présence de Wedge, Bruno a le sentiment que rien au monde n’est susceptible de l’atteindre… et même la perspective de monter à bord d’une de ces machines qui vous élève haut, très haut, au-dessus du ciel, sans le moindre filet de sécurité, ne semble pas si dramatique… loin de là, même.

« Ça se voit tant que ça ? » répond Bruno avec un léger rire, quand Wedge lui demande s’il n’est pas trop nerveux.

Il fera en sorte que ça aille, car il n’a pas l’intention de se laisser dominer par ses émotions les plus anxiogènes, et surtout, il n’a pas envie de gâcher cette nouvelle occasion qu’il a de passer du temps avec le beau pilote, mais il faut quand même se faire une raison, et même s’il le voulait, il aurait bien du mal à dissimuler ses angoisses et ses appréhensions. Elles se voient comme le nez au milieu de la figure… Il est d’un naturel nerveux quoi qu’il en soit, toujours à triturer ses manches et à mordiller les mèches ondulées de ses cheveux bruns… ce n’est certainement pas une situation à ce point inédite pour lui qui va y remédier. Pourtant… il se sent… étrangement prêt… Il a même réussi à se faire violence pour ne pas se rassurer avec une vision de leur petite excursion dans les airs, qui pour une raison x ou y l’aurait probablement encore plus angoissé qu’autre chose.

« Non, non », affirme Bruno avec une volonté sincère. « Je sais que je suis entre de bonnes mains », ajoute-t-il en daignant relever les yeux vers Wedge.

Bruno a bien souvent toutes les difficultés du monde à regarder ses interlocuteurs droit dans les yeux, c’est pourtant sans trop de difficulté qu’il lève le regard pour chercher du soutien et… quelque chose qu’il ne sait pas tout à fait assimiler à de la tendresse dans les yeux de Wedge. Remettre son sort entre les mains de quelqu’un d’autre, c’est une chose qu’il n’a pas l’habitude de faire… et beaucoup de ceux qui voulaient remettre leur sort entre ses mains, au tout début, en attendant de lui des visions dont il n’était guère en mesure de contrôler le contenu, finissaient par le regretter… Mais la situation est différente…. Et Bruno lui-même a le sentiment d’être quelqu’un de différent. Les choses se passeront bien, cette fois.

« Je te suis. »

One day I'll fly away

feat. Wedge

Bruno s’en remet totalement à Wedge… c’est à la fois terrifiant et exaltant, c’est surtout essentiel à celui qui n’aurait certainement pas sauté un tel pas s’il n’avait pas eu pleinement confiance en l’homme qui lui fait face. Oui, il est nerveux, parce que tout, absolument tout, est susceptible de favoriser son anxiété, mais en présence de Wedge, il parvient à trouver une certaine forme… d’apaisement… ce n’est pas une chose à laquelle il est habitué, mais c’est une chose à laquelle il pourrait très aisément prendre goût, en revanche. Pour peu que Wedge tolère longtemps sa présence, ce qui est une chose qui surprend et inquiète Bruno constamment.

Il écoute donc religieusement les consignes du pilote quand ce dernier lui explique que certaines règles, notamment vestimentaire, sont à respecter. Certes, Bruno aurait tout à fait accepté de renoncer à son précieux poncho pour la bonne cause, mais il est tout de même soulagé d’entendre qu’il peut le garder… et touché que Wedge ait compris d’office que c’était une chose importante pour lui.

« Euh… » Il hésite au moment pour lui de lui suggérer de laisser son poncho dans son casier. Finalement, il décide de mettre la combinaison par-dessus, tant pis pour l’allure que ça lui donnerait, il devine que ce n’est pas Wedge qui lui en tiendra rigueur.

« Oui… merci. »

Il laisse à Wedge le soin d’attendre derrière la porte, dissimulant son trouble en baissant le nez le plus bas possible, et il se dépêche d’enfiler la combinaison en question pour ne pas le faire attendre trop longtemps. Il a l’air singulièrement déguisé, quand il sort de là. Déjà qu’il n’avait pas eu l’air franchement dans son élément jusqu’ici, c’est plus flagrant que jamais, à présent, mais cela n’empêche pas Bruno de parvenir à en sourire.

« Et voilà, je suis prêt », il dit avec un sourire. « Enfin je crois. Tu as dit qu’il y avait des règles à respecter, tout à l’heure… Quelles règles exactement ? »

Non, non, il ne panique pas, mais d’un seul coup, et maintenant qu’il semble définitivement trop tard pour faire marche arrière, Bruno se demande si Wedge n’aurait pas présumé de ses possibilités… Et l’idée de potentiellement le vexer ou le décevoir a le don de lui serrer le cœur. Il a envie de lui prouver… quoi ? Lui-même ne le sait pas exactement, mais il ressent bel et bien ce besoin de faire ses preuves, que rien d’autre ne serait susceptible d’effacer.

One day I'll fly away

feat. Wedge

Pendant une fraction de seconde, infime et notable, Wedge se contente de regarder Bruno sans rien dit. Et tandis que les joues de ce dernier virent au cramoisi, il ne peut s’empêcher de s’interroger sur sa dégaine, la soupçonnant ridicule… ou bien il a fait quelque chose de travers ? Bruno est incapable d’admettre l’idée que Wedge pourrait bien le trouver… juste à son goût. Personne ne porte jamais de tels regards sur lui. C’est une nouveauté pour lui, qui le désarçonnerait probablement s’il était bel et bien capable d’en saisir la nature. Ce qui n’est pas le cas le moins du monde.

Finalement, Wedge reprend la parole sans faire de commentaires sur sa tenue – c’est que ça ne doit pas aller si mal que ça, tout compte fait. C’est avec un air sans doute trop concentré qu’il lui parle alors des règles à respecter. Pas d’initiative, ça, ça lui va très bien, si on peut lui donner le moins de responsabilités possibles. Il veut juste… Profiter du moment et ne pas tout gâcher…

« En cas de problème… mais y aura pas de problème hein ? Pas vrai ? » il demande en se ressaisissant très vite alors qu’il réalise être à deux doigts de paniquer de la pire façon possible. « Hum… pardon… » Il s’excuse d’avance en fourrant une main dans ses boucles brunes pour se remettre doucement d’émotions qui n’ont pas lieu d’être. « Je sais que tu ne me mettras pas en danger. » Il sourit doucement. « Je sais que je peux te faire confiance. »

C’est le cas. Bruno considère Wedge avec une tendresse et une douceur qu’il ne sait complètement expliquer, mais qui lui viennent naturellement, rien qu’en posant les yeux sur lui. Bruno le regarde et il se sent… apaisé. Il ne savait pas qu’une autre personne pouvait vous faire se sentir à ce point serein, mais c’est le cas… Oui, l’idée de voler continue de terrifier Bruno, mais cette angoisse est contrebalancée par l’envie de vivre cette nouvelle expérience, et de l’apprécier en compagnie de la bonne personne. Un léger frisson le parcourt au moment de le voir vérifier ses sangles. Il se sent… perturbé par leur proximité, et en même temps apaisé par elle. Il ne savait pas, avant de connaître Wedge, qu’une autre personne était susceptible de vous faire vivre tant d’émotions différentes en même temps.

« Tu as été parfait… parfaitement clair », il dit en se raclant la gorge. « On peut y aller. »