Charivari

feat. Camilo

Bruno contemple son reflet dans le miroir fissuré (et poussiéreux – il devrait vraiment envisager de faire le ménage) tenant en équilibre précaire contre un mur de son appartement délabré. Camilo lui a choisi un costume discret, peu coloré, ce qui en soit lui convient parfaitement bien. Une longue cape grise à la capuche à oreille de souris. Evidemment, Bruno est déguisé en rat. Qu’attendre d’autre de sa part. Il adresse un fin sourire à son reflet. Il doit bien avouer, il aime assez le résultat, et même, il éprouve une certaine impatience à l’idée de rejoindre son neveu dans la rue passante où ils se sont donné rendez-vous tous les deux.

Cela fait un moment que Bruno n’est plus sorti de chez lui autrement que pour le travail. Pepa lui a fait une sacrée scène à ce sujet, d’ailleurs… Mais elle avait raison. Bruno s’est renfermé sur lui-même, il s’est isolé de tous les autres, y compris des membres de sa famille, une rechute solitaire à laquelle Camilo n’a pas consenti un seul instant. Grâce à sa motivation, son enthousiasme et son insistance, il était parvenu à arracher un « oui » à son tio quand il lui avait demandé d’assister avec lui au défilé de la ville en l’honneur du carnaval.

Sur le principe, l’idée ne lui plaît pas complètement. Il y aura beaucoup de monde, une atmosphère probablement oppressante, du bruit, de la musique… et bien sûr, il sera loin de ses rats… L’idée d’être déguisé l’a cependant convaincu. Camilo lui a fait parvenir ce costume quelques jours plus tôt par la poste, sans le prévenir, et c’est au moment de déballer le paquet avec émotion que Bruno s’est laissé convaincre. Pour faire plaisir à son neveu, il peut bien faire ça… Le déguisement fera de lui un anonyme parmi les anonymes, ce qui rend déjà la perspective moins angoissante… Et puis, Camilo a beau le pousser dans ses retranchements depuis leurs retrouvailles sur cette île, il l’a toujours fait avec une immense bienveillance et beaucoup de tact et d’enthousiasme. Il ne l’a jamais obligé à quoi que ce soit qui l’aurait mis véritablement mal à l’aise, et il a toujours su respecter ses limites… C’est surtout Bruno qui doit réaliser, petit à petit, que ces limites ne sont peut-être pas aussi nombreuses que ce qu’il avait cru.

Une fois dehors, après avoir fait ses au revoir à ses rats, la tête basse, il évolue à travers les rues de la ville jusqu’à rejoindre la grand-rue animée d’Hogwarts Place. Très vite, Bruno se sent submergé, mais très vite, il reprend contenance, quand ses yeux tombent sur Camilo. Il le rejoint d’un pas rapide et le salue d’un grand sourire.

« Si jamais je te dis que je veux y aller, on y va, pas vrai ? » il lui demande quand même pour se rassurer.

Charivari

feat. Camilo

D’entrée de jeu, Camilo se montre des plus rassurants, il lui promet de rester à l’écoute, de s’éloigner si nécessaire, de faire comme bon lui semblera. C’est ce que Bruno a besoin d’entendre pour se sentir apaisé, en effet. Il a besoin de l’entendre. Il n’a pas l’intention de partir. Il veut faire cet effort, il le veut pour le bien de Camilo, et aussi parce qu’il le doit. Il sait pertinemment que rester terré dans son appartement infesté de rat ne peut pas lui faire le plus grand bien. Il doit apprendre à sortir de sa coquille… Il s’évertue à le faire… Avec plus ou moins de succès. Dans certaines circonstances, la choses lui est plus aisée que dans d’autres, mais quoi qu’il en soit, il saut que c’est une bonne chose, et qu’il doit remercier Camilo pour lui donner le courage d’affronter ses appréhensions. En plus, le carnaval, ça ne peut pas être si mal. Les costumes, c’est sympa. La musique, c’est sympa. La joie, la bonne humeur et l’euphorie, ça l’est également. A bien y regarder, il n’y a rien que du positif, mais du positif dans une telle abondance qu’il y a de quoi se sentir rapidement submergé.

Bruno en rat, Camilo en caméléon, le moins que l’on puisse dire était que leurs costumes leur collait à la peau. Celui de son neveu était incroyable et très coloré, Bruno en était admiratif… Et ça lui faisait du bien d’être ainsi costumé. Il pouvait s’oublier derrière le costume. C’est plus simple de contrer l’anxiété et se drapant de l’habit d’un autre… C’est d’ailleurs ce que faisait souvent Bruno dans le confinement des murs de Casita. Il s’inventait des personnages. C’est ainsi plus simple de gagner en assurance et d’apprécier le spectacle, la foule, le charivari, ce défilé de costumes colorés…

Camilo a le bon goût de leur offrir deux verres de sangria. Une sangria pas très réussie, mais que Bruno boit presque cul-sec, comme une manière de se donner du courage, avant de faire non de la tête au moment d’entendre la question de son neveu. Non, en fait, il n’a pas du tout jeté un œil au programme. Il aurait sans doute dû. Il s’était imaginé qu’ils allaient se contenter de regarder le défilé, voir même y prendre part.

« Je crois que le concours de costume me plairait bien », affirme-t-il alors en voulant passer une main dans ses cheveux, le tout pour se rappeler l’existence de sa capuche à oreilles de rat. « Mais on n’aura pas besoin de monter sur scène, pas vrai ? »

Charivari

feat. Camilo

Bruno grimace bien malgré lui à la réflexion – on ne peut plus pertinente au passage – de son neveu, alors que ce dernier lui fait remarquer qu’il serait tout de même difficile de participer à un concours de costumes sans montrer son costume à qui que ce soit. Ouais… Donc très peu pour lui, au final… Rien qu’à l’idée d’être passé au crible et observé sous toutes les coutures par de simples inconnus, il sent son malaise social monter d’un cran… voire même de deux, en fait. D’accord, ils ne seront pas tout seuls… Mais d’un autre côté, cela n’empêchera pas les regards de se tourner vers lui, vers eux, et c’est une chose qu’il ne supporte définitivement pas. Quand Camilo ajoute que s’ils devaient revenir plus tard, c’est parce qu’ils auraient gagné, la décision de Bruno est définitivement prise. Certes, il ne pense pas qu’il ait la moindre chance de gagner… Mais d’un autre côté, s’il gagne… il aura l’air fin, et rien que l’idée d’en arriver là le met au supplice.

« Bon, j’ai une autre idée, toi tu participes au concours, et moi je reste au milieu du public pour t’applaudir, t’en penses quoi ? »

Lui-même ne sait pas trop ce qu’il en pense. Il ne veut vraiment pas que Camilo se sente brimé en sa présence. Il a naturellement le sentiment que ça doit être souvent, trop souvent le cas, et il le regrette réellement. Il fait des efforts, il fait beaucoup d’efforts, mais il sait que le naturel le rattrape très souvent au grand galop et il a un peu trop de mal à faire la part des choses, et surtout, à progresser aussi vide qu’il le voudrait pour aider et rassurer Bruno. En réalité, rester seul au milieu du public lui donne également des sueurs froides. Bref, c’est tout sauf une situation idéale à ses yeux.

Camilo ne semble pas particulièrement déçu ou alarmé par son discours. Bruno sait qu’il a de la chance d’avoir un neveu aussi patient et compréhensif avec lui. Il trouve que cette situation ne mérite définitivement rien d’autre. Il s’éclipse le temps de lui apporter un paquet de confetti, et tout de suite, Bruno sourit largement.

« Merci… » Il fouille le paquet de confettis et en retire une petite poignée qu’il jette au visage de son interlocuteur. « C’était pour m’entraîner », ajoute-t-il avec un sourire faussement désolé, alors qu’en réalité, il ne regrette absolument rien du tout. « Tu as faim ? J’ai un peu faim, moi… »

Charivari

feat. Camilo

Bruno a de la chance, c’est que même si Camilo n’est jamais le dernier à le pousser dans ses retranchements, il est tout de même le premier à s’assurer de respecter ses limites en sachant en reconnaître les contours. Il n’agit jamais qu’avec bienveillance, et Bruno se sent rassuré quand son neveu n’insiste pas davantage au sujet de ce concours de costumes.

« Evidemment », répond Bruno quand Camilo demande qu’il soit celui qui l’encourage le plus.

C’est peu probable, en réalité, quoique, dans un accès d’enthousiasme, Bruno peut se révéler au-delà de sa réserve naturelle pour commencer, quand la situation s’y prête. Au milieu d’une foule, il peut avoir tendance à vouloir prendre la fuite, mais la bonne humeur de Camilo est si communicative, en réalité, que tout est absolument possible, en définitive. Bruno a envie, quoi qu’il en soit, de profiter et de savoir apprécier ce moment à sa juste valeur, raison pour laquelle quelques confettis ne tardent pas à atterrir sur le visage de Camilo, qui ne fait que mine d’en être agacé. S’engage une bataille de confettis qui parvient à faire rire plus franchement Bruno. Ce dernier se secoue légèrement et remue ses doigts dans ses cheveux bouclés pour faire tomber une pluie de confettis au sol.

Un peu à l’écart, à bonne distance de la foule et de la musique, Bruno se sent maintenant plus serein. Il sait qu’il a bien fait de ne pas se laisser rattraper par ses peurs et d’accepter la proposition de Camilo de l’accompagner. Il ne regrette absolument rien, vraiment. Il passe, bien au contraire, le meilleur des moments, et il en savoure chaque seconde. Et ce n’est qu’un début, pourtant, il le sait pertinemment. S’ils continuent sur sa lancée, sans être guéri le moins du monde de ses névroses, il devrait du moins être capable d’apprécier plus facilement certaines de ces joies simples qui peuvent trop souvent être une source d’angoisse pour lui.

« Trouver à manger », répète Bruno comme si c’était la mission la plus essentielle qu’on lui ait jamais demandé d’accomplir – quelque part, il y a de ça. « Il y a un stand de churros et de gaufres là-bas », il dit en désignant le stand en question comme un marin le ferait en découvrant qu’il y a une terre en vue, avant de se saisir du poignet de Camilo pour l’entraîner par le chemin qui lui semble le moins bondé jusqu’au stand en question. « Prends tout ce que tu veux, je te l’offre. »

Charivari

feat. Camilo

« J’assume le risque », répond Bruno avec un sourire affectueux et sincère, quand Camilo lui fait remarquer – à juste titre – que lui suggérer qu’il peut bien se servir à sa guise, puisque son oncle paiera la note, est chose dangereuse…

D’autant plus que notre chasseur de rats professionnel ne roule pas sur l’or, loin s’en faut… Mais justement… Bruno Madrigal sait très bien que Camilo n’abusera certainement pas de cet acte de générosité, ce serait bien mal lui ressembler… et des deux, par ailleurs, il est fort à parier que Camilo reste le plus généreux quoi qu’il en soit, lui qui est capable d’une considération envers les autres qui ne cessera absolument jamais de forcer l’admiration de Bruno Madrigal.

Bien sûr qu’il n’abusera pas, et dans tous les cas, Bruno a envie de faire plaisir à son neveu. A ses yeux, c’est la moindre des choses, et c’est aussi une manière de remercier son neveu pour sa présence et pour la patience dont il  peut être capable avec lui. Bruno a très souvent le sentiment de faillir en tant que tio auprès de Camilo, et du reste de ses neveux et nièces… il a été absent trop longtemps… à quoi s’attendre d’autre ?

Mais il a à cœur de se rattraper… et ça, personne, absolument personne ne pourra jamais le lui retirer. Et Camilo est encore parfait, au moment de s’improviser une stature imposante le temps de passer leur commande afin de préserver à Bruno l’embarras d’une foule qui pourrait facilement le submerger.

« Bon appétit », répond Bruno en s’emparant avec plaisir d’un churro brûlant… Et oui, dans le processus, il parvient à se brûler à la fois les doigts et la langue… un vrai talent… Il fait mine de rien afin de ne pas trop montrer avoir bien trop légèrement ignoré les avertissement plus que valides de son neveu.  « Délicieux », déclare-t-il, la bouche en feu. « Qu’est-ce que tu dirais de te poser sur un banc un peu plus loin ? On pourra manger tranquillement et regarder le défilé de loin ? » propose-t-il avec un fin sourire. « Et tu pourras me tenir au courant des dernières nouvelles, qu’est-ce que tu en dis ? »