Il y a de l'orage dans l'air [Pepa]

Dire que Pepa est énervée est un doux euphémisme. Non, elle est totalement hors d'elle. D'ailleurs, le temps le prouve bien, parce qu'il pleut des cordes et si elle n'avait pas décidé de se protéger, elle serait constamment trempée depuis plusieurs jours maintenant, tellement elle est dans tous ses états. Au début, elle a essayé de ne pas s'inquiéter. Après tout, si Bruno ne répond pas à ses appels ou ses messages, ne vient plus la voir ou ne l'invite plus chez lui, c'est forcément parce qu'il est occupé. Pepa, malgré sa peur terrible de l'abandon, a longtemps essayé de faire la part des choses et de ne pas trop se formaliser. Est ensuite venue la peur. D'abord légère, puis plus présente. A-t-elle fait quelque chose de mal ? A-t-elle dit quelque chose qui aurait froissé son frère ? Oui, elle en est arrivée à culpabiliser. Pendant un temps. Puis est venue la colère, finalement. Qu'est-ce qui lui prend, au juste ? Pourquoi est-ce qu'il l'ignore ? Est-ce qu'il s'est passé quelque chose de grave ? De si grave qu'il n'ose pas / ne veuille pas lui en parler et qu'il se mette carrément à l'éviter ?! Pepa a ruminé ces pensées et rongé son frein pendant des jours avant d'en avoir assez. De tout simplement ne plus pouvoir supporter d'être constamment en train de se poser des questions. Et surtout, son pouvoir ne cesse de se manifester et de faire pleuvoir ou tonner, ou encore déclencher des bourrasques de vent énormes dans son appartement, ce qui s'est soldé par du ménage en plus à faire alors que ses meubles sont même tombés, que des objets ont été brisés.

C'est donc remontée comme une pendule qu'elle se fraie un chemin jusqu'à chez son frère, se moquant cette fois que ce nuage sombre d'où s'échappe un pluie un peu trop glacée à son goût ne la suive et ne trempe ses vêtements, ses cheveux et sa peau. Une fois devant la porte de l'appartement de Bruno, elle frappe à celle-ci de toutes ses forces, bruyamment. Déjà pour évacuer un peu de sa colère et surtout pour faire en sorte d'être entendue malgré le léger orage grondant au dessus de sa tête. C'est quelques secondes plus tard qu'apparait son frère, qu'elle fusille du regard quand il ose lui parler de manière totalement normale. "Tellement longtemps que je te pensais mort, idiot !" grince-t-elle entre ses dents, la pluie ruisselant le long de ses joues, de son cou et de ses bras. "Est-ce que c'est trop difficile pour toi de répondre aux messages que je t'envoies ?!"

"Oh, tu es désolé ?" raille Pepa d'une voix pleine d'amertume. "Eh bien puisque tu es désolé et que tu oses me le dire en face, alors je suppose que tout est pardonné ?!" Malheureusement, le nuage encore empli de pluie diluvienne au dessus de sa tête est encore bien présent, ce qui prouve qu'elle ne pense pas ce qu'elle dit et qu'elle est encore plus en colère. Est-ce que ça lui plait d'être comme ça ? Non. De réagir de cette manière et d'accabler son jumeau ? Non, bien sûr que non. Mais elle n'a pas le choix, parce qu'elle doit absolument se faire comprendre. Pepa a vécu dans l'angoisse ces derniers temps, l'angoisse d'un passé qui recommence et auquel elle n'aurait plus jamais eu envie de faire face. Alors oui, elle doit se montrer dure, parce que personne d'autre ne le fera pour elle. Bruno doit comprendre que ses actes ont des conséquences, et pas seulement que sur lui, que ça impacte également son entourage. Dont Pepa, qui est l'une des figures en tête de ligne.

Heureusement, Bruno a la bonne idée d'être au moins mal à l'aise face à son comportement et ça donne envie à Pepa de le prendre dans ses bras pour le rassurer. Son instinct de soeur et de mère qui ressort et qui tente de l'adoucir. Fichu instinct ! Mais Pepa tient bon, parce qu'elle sait qu'elle ne peut pas céder maintenant, ce serait beaucoup trop facile. Pas après avoir passé autant de temps dans l'angoisse, la peur et finalement la colère face à cet "abandon" renouvelé. "Si tu avais l'intention de me répondre, Bruno, je pense que tu l'aurais fait." dit-elle, cette fois avec moins de sécheresse dans la voix. Tout ce qu'elle veut, c'est que son frère soit honnête, qu'il lui dise clairement ce qu'il se passe. Soit pour qu'elle puisse l'écouter, soit le conseiller et au mieux, l'aider. Voire les trois à la fois. Puis elle regarde autour d'elle, voyant les rats voyager ici et là dans le bout d'appartement qui est dans son champs de vision. Elle grimace légèrement : décidément, elle ne s'y fera jamais ! Mais elle entre finalement à sa suite et la pluie au dessus d'elle se calme peu à peu, au fur et à mesure que Bruno lui parle. Quand il lui propose un café, elle secoue gentiment la tête pour refuser. "Non, merci. Ce que je veux, ce sont des réponse. Qu'est-ce qu'il s'est passé de si grave pour que tu coupes les ponts comme ça, soudainement ?!" Pepa n'est plus si en colère, parce que c'est l'inquiétude qui reprend maintenant le dessus.

Pepa pousse un soupir et glisse ses doigts dans ses boucles brunes en entendant Bruno s’éloigner. Après de longues secondes, elle ouvre les yeux et regarde son jumeau en train de se préparer un café. Elle ne sait pas si elle aura droit à des réponses de sa part mais n’a pas à se sentir curieuse très longtemps (et n’aura pas apparemment à s’énerver encore plus qu’elle ne l’est déjà, ce qui n’est pas plus mal !) puisque Bruno lui annonce qu’il a eu une vision. Et là, la pluie cesse totalement, parce que la colère la quitte totalement, et d’une manière soudaine quand elle entend le nom de sa fille. Bruno a eu une vision sur sa fille ?! Et il ne lui dit que maintenant ?! Etonnée, elle se lève et le rejoint à grandes enjambées, essayant de ne pas grimacer en évitant les rats se trouvant un peu partout. Non, décidément elle ne s’y fera jamais, à ça !
« Attends une minute ! C’est pour ça que tu as fait le mort pendant des semaines ?! Parce que tu avais la trouille de m’en parler ?! » Pepa se retient de l’attraper par les épaules et de le secouer comme un véritable prunier. « C’est de Dolores qu’il s’agit, alors parle ! Qu’est-ce que tu as bien pu voir dans cette vision qui t’a fait paniquer à ce point ? » Maintenant, c’est au tour de Pepa d’être prise de panique, d’ailleurs ! Voilà peu de temps qu’elle a retrouvé sa fille, et elle ne supporterait pas qu’il lui arrive quelque chose. Bien évidemment, elle sait que Bruno non plus, ne laisserait rien de mal arriver à sa nièce, mais tout de même ! Pepa est sa mère, elle a le droit de savoir les choses importantes concernant sa fille, non ?! « Je n’arrive pas à croire que tu retombes encore dans tes travers, Bruno… » poursuit-elle d’une voix plus posée. Elle ne hurle plus, mais au delà de la panique, elle doit avouer qu’elle est déçue. Déçue que son frère reproduise le même schéma qu’auparavant alors que ça les a tous fait énormément souffrir. Pepa les pensait sortis de tout ça, mais apparemment ce n’est pas le cas. « Nous avons déjà vécu ça une fois et je n’aurais pas la force de continuer comme ça, tu sais ? Tu ne peux pas te cacher dès que ce tu vois te déranges. Tu sais que tu peux m’en parler, à moi ou à quelqu’un d’autre de la famille. Mais te terrer ici avec tes rats ne t’apportera rien de bon, au final. »

Pepa aime son frère. Vraiment, c'est le cas. Elle aime toute sa famille, tellement fort d'ailleurs qu'elle ne peut s'empêcher de vouloir le meilleur pour eux. Elle veut que tout se passe bien. Elle veut qu'ils soient heureux, retrouver une certaine harmonie. Alors comment ne pas s'énerver, comment ne pas perdre patience et sortir de ses gonds quand elle voit Bruno retomber dans ses travers ? Quand elle le voit se renfermer de plus belle et recommencer à cacher des choses, à se rendre invisible ? Pepa ne supporte pas tout ça. Elle n'aime pas qu'on lui cache des choses et qu'on la tienne hors des soucis. Parce que pourtant, elle est toujours là pour prêter oreille attentive et conseils. Elle est là pour aider, si elle peut, que ce soit dans les bons comme dans les mauvais moments. Voilà pourquoi elle est passablement énervée, ce qui ne l'empêche pas d'écouter les explications de son jumeau. Et autant dire qu'elle ne s'attendait pas à ce genre de révélations ! Surprise, elle sent sa colère fondre comme neige au soleil, pour faire place à une énorme inquiétude. Donc cette fois, sa vision concerne son propre enfant pour sûr et ce n'est pas de bonne augure ! D'un côté, elle est rassurée de savoir qu'il ne va physiquement rien arriver de grave à sa fille, sans le sens où ce n'est pas elle qui verra sa vie être en danger. Mais d'un autre côté, elle sait que Dolores va souffrir, c'est forcé. Mais comment éviter ça ? Et quelle idée de tomber pour quelqu'un de si peu fiable ! Là, son instinct de mère reprend le dessus et Pepa pousse une énorme soupir, glissant ses doigts dans ses cheveux roux.
« Je n'arrive pas à croire que Dolores accepte de se mettre en danger comme ça. L'amour ne se contrôle pas, je sais, mais tout de même ! » Elle peste, essayant de ne pas céder à la panique. Pourtant, elle regarde Bruno et demande : « Tu es absolument certain que rien ne va arriver à Dolores ? Enfin... hormis le fait qu'elle risque de voir quelqu'un mourir sous ses yeux, bien sûr ! » Elle rit presque. Jaune, évidemment. La nervosité la gagnant un peu plus, elle ne sait pas comment réagir, pour le coup. Que faire ?! « Comment ça, on ne peut pas y faire grand chose ?! Bien sûr qu'on va agir, Bruno ! Tu tiens vraiment à ce que ta nièce traverse quelque chose d'aussi horrible ?! » Elle commence alors à faire les cent pas, les rats s'éloignant sur son passage, puisqu'elle est trop ailleurs pour se soucier de savoir si elle risque de leur marcher dessus ou non. « Donc, tu as vu cet homme ? Je veux dire, tu l'as rencontré ? Et qu'est-ce qu'il s'est passé, exactement ?! »

Je pousse un grognement, légèrement insatisfaite. Non, pas insatisfaite. Inquiète. Je connais mon frère et bien que je ne puisse sans doute pas me douter de l'intensité et de la complexité de ses dons, je sais tout de même quand il ment, quand il est nerveux, ou quand il est incertain. Et là, c'est le cas : il ne me dis sans doute pas tout, mais ce qu'il a vu l'a effrayé, au point qu'il se sente obligé de ne pas m'en parler, de se cacher en espérant que tout aille pour le mieux, sans doute ? Sauf que ça ne marche pas avec moi, et il est au courant. Je vais vouloir agir, pour le bien être de Dolores. S'il y a une petite, toute petite et infime chance qu'elle soit blessée dans le processus, alors je ferai tout pour que cette vision n'arrive pas.
« Tu penses... Oui, donc rien n'est certain, c'est ça ? » Je glisse ma main sur ma nuque, cherchant désespérément des réponses, des options et des solutions. Mais je n'ai pas vu cette vision, je n'ai aucune idée des détails de cette prédiction, donc... C'est comme le serpent qui se mord la queue, un éternel recommencement.

Puis, en voyant mon frère aussi peu sur de lui, je ne peux m'empêcher de venir près de lui et d'attraper fermement ses épaules, sans lui faire mal tout de même. « Alors aide moi à trouver une solution, bon sang ! Tu as forcément dû commencer à y réfléchir, non ? Envisager des options pour contrecarrer la vision ?! » Tout en parlant, je le secoue légèrement, espérant que ça va l'aider à se réveiller et à prendre une décision afin de me donner un coup de main, pour le bien de Dolores. Puis il me raconte ensuite comment il a rencontré ce type, Elvis. Je lâche ses épaules, sourcils froncés. Est-ce que c'est vraiment ce genre d'homme que Dolores aime ? Quelqu'un qui va au devant des problèmes et qui existe des visions ? Je n'aime pas ça. Je n'aime pas ça du tout, même. « Merde alors, il n'y a vraiment que toi pour te fourrer dans des pétrins pareils ! » le sermonné-je, alors que je ne suis pas réellement en colère contre lui. Juster très inquiète. « Il ne t'es rien arrivé, au moins ? Tu n'a pas été blessé ? » Je ne peux m'empêcher de le regarder plus attentivement, à la recherche d'un quelconque bobo. « Et tu as accepté ? Tu as accepté d'avoir d'autres visions pour lui ? »

« Tu ne sais... Tu ne sais pas ?! » Pepa rit jaune, fourrant ses doigts dans ses cheveux roux. S'il ne sait pas, alors elle ! Elle sait bien que Bruno est quelqu'un d'influençable. Il a facilement peur et sa résolution de rester et de ne pas se cacher tient toujours à un fil. Pourtant, Pepa aujourd'hui, ne peut s'empêcher de laisser éclater sa colère et sa grande inquiétude. Que faire, maintenant ?! Elle ne compte pas laisser quelconque vision se produire, ni même laisser sa fille être mise en danger ! Elle espère que Bruno tient assez à elle et à sa nièce pour faire ce qu'il faut et pour ne pas retomber dans ses travers.

Il lui explique ensuite comme il peut, qu'il a tout fait. Enfin, qu'il a fait ce qui selon lui, était nécessaire, en son pouvoir. Et ça, Pepa n'en doute pas, bien qu'elle aimerait qu'il l'ait prévenue avant que tout ça n'arrive. Il s'agit de sa fille, tout de même ! Alors elle serre les dents, écoutant ses explications sans plus broncher, sachant que la colère ne ferait qu'angoisser plus son jumeau. Pourtant bon sang, elle a vraiment envie de le secouer comme un prunier !

« Et il ne t'es pas venu à l'esprit de m'en parler avant ? Ou encore de lui dire que de poursuivre cette relation avec ce homme n'est pas une bonne idée ?! » D'accord, Bruno n'est que son oncle et n'est pas des plus doués dans les affaires de coeur, donc ce serait un peu gros... Mais Pepa n'arrive pas à envisager d'autres solutions, d'autres portes de sorties. Enfin si, il y a en une maintenant, mais il est trop peu certain que sa fille accepte de suivre ce que sa propre mère lui dit. Ce serait miraculeux, en tout cas ! « La seule solution serait qu'elle le quitte, non ? Si elle n'est pas là au moment où quelque chose lui arrive, alors... Elle ne risquerait pas d'être blessée ? » Ou choquée à vie ! Pepa sent que son plan n'est pas des plus infaillibles, mais elle tente tout de même ? « Qu'elle aime cet homme, c'est une chose, mais s'il n'est pas une bonne fréquentation, là c'en est une autre ! » Pourtant, Pepa ne saurait interdire quoi que ce soit à sa fille. Après tout elle n'est pas comme sa propre mère, qui régissait la vie de ses enfants avec tant de poigne, que personne n'était réellement des plus heureux. Pepa est donc tiraillée. Doit-elle la laisser faire en son âme et conscience, ou doit-elle s'en mêler ? Se connaissant, elle s'en mêlera, mais elle pèse encore le pour et le contre. Elle prend alors une profonde inspiration. « Je te crois, quand tu dis que tu as fait tout ce que tu as cru bon de faire. Mais par pitié la prochaine fois, si tu as une vision concernant l'un de mes enfants, vient me trouver en premier ! Viens m'en parler, ne le garde surtout pas pour toi... Sinon je risquerais réellement de te tordre le cou ! »

Dire que Pepa fulmine est un sacré euphémisme. Elle est furieuse ! Elle est furieuse, et surtout elle a peur. S'il y a bien une chose qu'elle déteste au monde, hormis le mensonge, c'est qu'une situation lui échappe totalement. Et là, on peut dire qu'elle a tiré le gros lot ! En plein dans le mile ! Elle n'a rien de plus précieux au monde que sa famille, que ses enfants et elle déteste que le malheur plane sur eux. Alors voir même son propre frère être aussi incertain, et surtout lui apporter des réponses dont elle se serait bien passée... eh bien ça ne l'aide pas à relativiser ! Elle masse ses tempes et lève la main, faisant signe à son frère de ne pas répondre. Ce serait encore quelque chose qu'elle n'a pas envie d'entendre, elle le connait assez pour discerner les différentes expressions du visage de son jumeau. Elle sait quand il panique. Elle sait quand il ment et quand il dit la vérité. Enfin, le plus gros du temps !

« Dolores n'est plus une enfant, je sais parfaitement qu'elle ne fera que ce qu'elle voudra. Cela ne veut pas dire que ses choix seront les meilleurs, même si elle pense que si. Elle est certes une adulte maintenant, mais elle ne connait pas tout de la vie. Elle pense sans doute qu'elle peut vivre d'amour et d'eau fraiche, mais tout n'est pas aussi simple, bon sang ! » Elle pousse un soupir à fendre l'âme et se remet à faire les cent pas. La pluie au dessus d'elle à cesser, pour laisser place à de gros nuages noir grondant et grognant au dessus d'elle, menaçant de laisser tomber la foudre. Pourtant, les états d'âme de ses pouvoirs ne lui importent guère, là, tout de suite !

Finalement, elle lève les yeux vers Bruno et ses épaules se détendent un peu. Elle a alors conscience de ce qu'il se passe et à quel point son frère doit se sentir replongé dans le passé, avec des visions dont il se passerait bien, qui le font sans doute souffrir. « Fais ce qui te semble le mieux pour toi, Bruno...  » Elle fait quelques pas vers lui et pose ses mains sur les épaules de son jumeau : « Mais par pitié, ne fais pas ça par peur et par déni. Ne retombes pas dans les doutes qui t'ont dévoré par le passé. Des visions ne sont que des visions et elles ne te définissent pas. Personne ne penseras à mal de toi, à cause de celles-ci. Ton aide est souvent précieuse et ceux qui ne l'apprécient pas sous prétexte que les nouvelles ne sont pas bonnes, sont des idiots.  »