Je n’aime pas parler de moi… Mais il va bien falloir, n’est-ce pas ? J’espère qu’au terme du récit que je vous ferai de mon existence, vous ne jugerez pas trop sévèrement mes choix et mes actes. Nous sommes parfois soumis à des impératifs qui nous échappent. Je veux croire que ça a été mon cas, et que j’ai agi sans jamais négliger la pureté de mes intentions. Il faut remonter à l'enfance, c'est toujours comme ça que ça se passe, n'est-ce pas ? Et mon enfance, jusqu'à mes dix ans en tout cas, a été heureuse. Je n'ai pas connu ma mère, j'ai été élevée seule par mon père, et on était heureux. Si on veut causer daddy issues, je suppose que j'en ai quelques-uns. Mon père travaillait dans la police. Vous voyez où je veux en venir... Et c'est dans le cadre de son travail qu'il est décédé. Il a pris une balle. Son agonie a duré un mois. Un mois de visites à l'hôpital, à voir son état empirer. Jusqu'à ce qu'il rende finalement son dernier souffle. J'avais dix ans, et je me retrouvais orpheline. J'ai été envoyée vivre chez mon oncle et mes cousins, dans le Montana. Mon oncle élevait des moutons. Je me souviendrai toujours de cette nuit, cette nuit où j'ai décidé de prendre la fuite. J'avais été réveillée par des bruits étranges, des cris d'agonie. J'ai quitté mon lit, je suis sortie voir ce qui se passait. J'avais peur de ce que j'allais découvrir, pourtant, il fallait que je voie. Alors j'ai gardé mes yeux d'enfant grands ouverts. C'étaient des agneaux. Qui criaient, un cri horrible, tandis qu'on les massacrait, un à un. J'ai ouvert leur enclos, je voulais les voir fuir, mais ils ne fuyaient pas. J'en ai pris un dans mes bras, j'ai couru aussi vite que je le pouvais. Je voulais partir le plus loin possible. J'avais faim, j'avais froid, j'étais épuisée. Et il était si lourd, si lourd... Mon oncle ne m'a pas pardonné mon comportement, il a fait le choix de se débarrasser de moi, de m'éloigner, de m'envoyer dans un orphelinat. Je n'ai pas sauvé l'agneau. Il vous arrive encore de vous réveiller, n'est-ce pas, Clarice ? Vous vous réveillez dans l'obscurité et vous entendez le cri des agneaux... Ce cauchemar, mon impuissance, me hanteront toujours. J'ai passé le reste de mon enfance et de mon adolescence dans un orphelinat luthérien. J'étais une élève brillante et attentive, si bien que je n'eus aucun mal à intégrer l'université de Virginie où je fus à la fois major de ma promotion en psychologie et en criminologie. Mes diplômes en poche, j'ai travaillé comme consultante dans un institut psychiatrique. C'est en assistant à un séminaire sur la criminologie, donné par l'éminent Jack Crawford, agent en charge du bureau relatif aux sciences comportementales du FBI à Quantico que j'ai décidé de faire tout ce qui serait en mon pouvoir pour rejoindre son unité. Je n'étais qu'étudiante à l'académie du FBI quand ma vie a basculé une seconde fois. Jack Crawford, mon mentor d'alors, m'a assigné une requête bien particulière : aller interroger le tristement célèbre Hannibal Lecter, Hannibal le cannibale, emprisonné à Baltimore, en institut psychiatrique. Je découvrais un homme brillant, fascinant, terrifiant. Je l'intriguais aussi, je crois. Entre nous se conclut une sorte de marché : il m'aiderait à débusquer Buffalo Bill, un serial Killer qui avait déjà assassiné une dizaine de jeunes femmes, en échange... d'informations personnelles à mon sujet. Rien ne m'est arrivé, Clarice. Je suis arrivé. Jack Crawford m'avait prévenue. Quoi qu'il arrive, je ne devais pas laisser nos conversations s'engager sur un champ trop personnel, je ne devais pas lui laisser l'occasion de m'atteindre... Je me maudis, croyez-le bien, de ne pas avoir respecté ses consignes à la lettre. Mais sans cela, serais-je parvenue à arrêter Buffalo Bill ? Indices cryptiques essemés çà et là me permirent finalement de remonter jusqu'à la trace de ce maniaque hors de contrôle. J'ai vu la mort de près, de très près. Mais j'ai survécu. J'ai sauvé Catherine Martin, sa dernière victime. Pensez-vous que si vous parvenez à arrêter Buffalo Bill par vous-même et si vous sauvez Catherine, vous ferez taire le cri des agneaux ? Pensez-vous qu'ils se porteront bien, et que vous ne vous réveillerez plus jamais en entendant les agneaux crier, Clarice ? Le cauchemar n'a pas pris fin avec l'arrestation de Buffalo Bill. Les cauchemars ont été plus éprouvants à partir de là… Le docteur Lecter s’est évadé de prison. Quelques semaines plus tard, je recevais une lettre depuis une chambre d’hôtel à Detroit. Un message court et cryptique me demandant si les agneaux avaient cessé de crier. Entre fer et argent, voilà ce qui vous convient le mieux. Plusieurs années plus tard, ma carrière prend un tournant chaotique quand, lors d’une intervention musclée, je commets une bavure qui me vaudra d’encaisser un blâme qui attirera l’attention de Lecter, dont je n’avais plus eu la moindre nouvelle. Les circonstances et mon lien particulier à Hannibal me ramènent sur sa trace. Je découvre alors qu’il se trouve à Florence, et qu’un inspecteur de police local, Rinaldo Pazzi, a cédé à l’appât du gain offert par une ancienne victime de Lecter, Mason Verger, contre sa capture. Avertir l’inspecteur Pazzi ne servira à rien. Il mourra de la main de Lecter avant que j’aie eu le temps d’intervenir. Au sein même du FBI, Verger a également ses alliés, dont l’agent Krendler, qui tentera de me piéger afin de faire de moi un appât qui les mènera à Lecter. Quand Mason Verger parvient à mettre la main sur Hannibal, je met tout en œuvre pour le sauver. C’est finalement lui qui viendra à mon « secours », me gardant sous son emprise… Le reste est flou. J’ai été droguée, je le sais. Plus d’une fois, Hannibal m’a appelée Mischa, même si ce nom trouve un écho très flou dans mon esprit. Ensuite… ensuite, tout est vague…Insomnie, nuit étrange, lune rouge, je ne sais pas quand j'ai réussi à m'endormir. Quand je me suis réveillée, j'ai eu le sentiment d'égarement qu'on ressent quand on oublie où on a passé la nuit. J'étais dans mon ancien appartement de Baltimore, du moins c’est ce que j’ai cru tout d’abord. Mais ce n'était plus chez moi. Encore aujourd'hui, je ne comprends pas réellement ce qui m'est arrivé, et comment je suis arrivée ici. Mais j'en ai pris mon parti. J'ai repris des fonctions similaires à celles que j'occupais déjà au sein du commissariat local, quelque part soulagée de ne plus me traîner une réputation trop lourde à porter pour moi, et j'essaie, si cela est possible, d'assembler les pièces du puzzle, de résoudre l'énigme. De taire le cri des agneaux.