(Terminé) Sorry not sorry, baby [Eve]

Villanelle hausse les épaules, le tout accompagné d'un léger sourire en coin, quand Eve lui fait remarquer que son ancien boulot ne valait pas forcément mieux, que le MI6 n'existe pas, et surtout, surtout, qu'elle n'a plus personne à traquer puisqu'elle l'a trouvée. C'est le cas, en effet, et Villanelle n'a pas l'intention d'aller ou que ce soit. Elle se satisfait très bien de la situation telle qu'elle est... Peut-être ne résistera-t-elle pas, à certains moments, au fait de la faire courir un peu, pour le jeu, pour le divertissement, mais le fait est que l'insaisissable Oksana ne l'est définitivement plus tant que cela. Ce jeu de chat et de la souris est pour ainsi dire terminé, mais au fond, est-ce qu'il y avait seulement une souris, que ce soit l'une ou l'autre ?

"Tu pourrais faire des tas de choses, tu sais", observe Villanelle, le regard plongé dans celui de son amante. "Tu pourrais faire absolument tout ce que tu veux", ajoute-t-elle en laissant cette phrase en suspens, sans rien spécifier, laissant à l'imagination - qu'elle sait foisonnante - d'Eve le soin de combler les vides et d'en déduire ce qu'elle veut, avec la curiosité, tout de même, de savoir ce qu'elle pourrait bien faire d'une liberté telle qu'elle s'en trouve étourdissante.

Car oui, ici et maintenant, elles ne sont personne pour qui que ce soit (enfin, en dehors de Konstantin, semble-t-il, mais elle reviendra sur ce sujet plus tard, elle n'a pas vraiment envie de l'évoquer pour le moment, et elle le relègue à un plan secondaire avec une facilité assez déconcertante, il faut le dire), ce qui veut dire qu'elles peuvent absolument tout ce qu'elles veulent, sans contraintes ni limites (la loi et la morale, peut-être ? Oui, sans doute, mais elles ont dépassé ces considérations depuis un petit moment, tout de même, non ?). A dire vrai, Villanelle est curieuse, oui, curieuse de savoir quels désirs Eve serait capable d'exprimer clairement au regard de toutes les possibilités qui s'offraient à elle. A elles, plus exactement.

"Je ne m'ennuie jamais quand je suis avec toi, Eve", ajoute-t-elle en glissant une mèche de ces cheveux qu'elle aimait tant derrière son oreille.

En vérité, la crainte d'Eve est plus que légitime. L'ennui et la lassitude sont les pires ennemis de Villanelle et l'ont toujours été... Quand la vie s'écoule comme en dehors de vous, quand vous devez courir désespérément après la moindre sensation, le moindre sentiments humains pour vous sentir exister, la menace de l'ennui pèse sur vous comme une chappe de plomb. La routine ne risque-t-elle pas de s'installer entre elles, et dès lors, est-ce que toutes ces émotions qui ne naissent qu'au contact d'Eve ne disparaîtront pas, tout simplement ?

Est-ce qu'elle sera encore capable de l'aimer dans un an, un mois... une semaine ? Elle a la conviction profonde que oui, parce qu'elle ressent si profondément les choses en sa présence qu'elle estime impossible que cela change, mais la vérité, c'est qu'elle n'en sait rien. Et aussi... quand on a remporté la partie, le jeun continue-t-il d'avoir de l'intérêt, ou ne se lassera-t-elle pas de sa "récompense"?

"Il m'est arrivé des tas de choses", répond Villanelle avec une décontraction exagérée quand elle revient sur l'avant, ces sujets délicats sur lesquels elle ne s'est jamais confiée. "Et tu sais déjà presque tout", prétend-elle même si c'est faux. Elle laisse un temps de pause, elle songe un temps à en rester là sans rien ajouter, mais finalement, elle capitule. "Qu'est-ce que tu veux savoir exactement ?"

Entre nos rêves, nos attentes et la réalité concrète, il y a souvent un monde, et quand on passe de l'autre côté de la barrière, on est bien souvent déçu. Ca a été le cas quand Eve a travaillé pour le MI5 et s'est retrouvé attachée à un travail de bureau bien plan-plan et protocolaire qui lui convenait tout aussi mal que le travail qu'elle fait actuellement. Villanelle peut s'y reconnaître à son échelle. Elle avait supposé que le métier de modèle, le métier de comédienne, serait bien plus stimulant que ça, elle s'était imaginé improviser des rôles au gré de ses fantaisies, s'arracher à son ennui persistant à grand renfort de paillettes et d'illusion, et au bout du compte, elle ne fait que répondre à des directives trop strictes pour elle et l'ennui avait fait son grand retour dans son quotidien, pour peu qu'il l'ait un jour quitté.

Il faut savoir se méfier de ses attentes, c'est ce qui rend sa relation avec Eve aussi dangereuses - entre autres nombreuses choses qui feraient qu'elles devraient sans doute y remédier sur-le-champ, en réalité, sans savoir pour autant s'y résoudre. Si elle doit se lasser, elle finira par lui faire du mal, encore plus de mal. Et Villanelle refuse de faire le moindre mal à Eve. Peu importe ce que pourrait devenir son degré d'ennui ou de frustration, même si elle veut croire ne jamais savoir éprouver ni l'un ni l'autre en sa compagnie. Quoi qu'il en soit, les remarques d'Eve ne répondent pas vraiment aux questions de son amante, sans doute parce qu'elle n'a pas de réponse, pas encore. Ceci dit, la blonde non plus n'en a pas. Elles peuvent tout faire, ensemble, ici, dans cette chambre, dans ce lit, mais dans leur vie aussi, et ces perspectives sont aussi nombreuses qu'elles sont difficiles à appréhender, en fin de compte.

"Tu seras gentille de ne pas recommencer, c'était très douloureux, tu sais", observe Villanelle avec un sourire au coin des lèvres, quand Eve évoque le couteau qu'elle lui avait planté dans le ventre et le fait qu'elle pourrait difficilement dépasser ça.

Pour tout dire, Villanelle en doute un peu, elle aurait tendance à penser que ni l'une ni l'autre n'ont encore totalement conscience, en dépit de tout ce qu'elles ont traversé, des seuils qu'elles seraient capables de franchir l'une avec l'autre, ou l'une pour l'autre, et c'est quelque part assez excitant... Cette part d'inconnue, d'incertitude, qui a le don et le mérite de pimenter une relation qui n'en aurait certes pas besoin. Elle a bien envie d'ajouter quelque chose, de noyer le poisson, mais elle sait qu'elle ne pourra pas se dérober aux questions d'Eve. Ou du moins si, elle le pourrait. Mais elle ne le fera pas. Elle ne le veut pas. Elle veut faire cet effort de sincérité avec elle. Parce que c'est elle.

Elle savait pertinemment, en réalité, à quel événement spécifique Eve faisait référence, et elle a su très vite qu'elle ne pourrait pas éternellement se dérober à ses questionnements. Et quelque part, même, elle n'en a pas envie. Elle veut tout partager avec Eve, tout... y compris ce genre de choses. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Une ombre passe un instant dans son regard. Elle veut être transparente avec Eve, mais l'évocation de ce souvenir spécifique est de ceux qu'elle aimerait ne jamais avoir à se remémorer, peu importe les circonstances.

"Je suis allée chez moi. En Russie. Enfin... chez moi..." Elle esquisse un sourire amer. "J'ai revu ma mère. C'était... Décevant. Et inutile", résume-t-elle sans doute trop brièvement, un filet d'émotion dans la voix, de fragilité dans le regard qu'elle s'épargne en temps normal.

Doucement, Eve la fait basculer sur le lit. Ainsi allongée contre elle, sa tête reposant contre son épaule, une main caressant distraitement la peau de son ventre, elle ressent un apaisement sincère, qui n'a rien à voir avec ce qu'elle avait pu assimiler à de l'apaisement par le passé et qui se définirait davantage par une sorte de néant indescriptible. Là, aussi troublée puisse-t-elle être par l'évocation d'un souvenir qu'elle avait espéré pouvoir enfouir sans jamais le partager, pas même avec elle, elle réussit à se sentir apaisée. Elle se sent bien. Elle sait qu'elle peut se reposer sur Eve, au sens propre comme au figuré, qu'elle l'écoutera, et que, puisqu'elle sait qui elle l'est, elle n'apposera pas de jugement hâtif sur ce qu'elle pourra bien lui raconter.

Elle veut savoir au nom d'un besoin légitime de se sentir plus proche d'elle... et c'est parce que Villanelle veut lui faire cette faveur, parce qu'elle aussi désire qu'elle soit aussi proches qu'elles puissent l'être, quand bien même elle n'a jamais su entretenir ce genre de relation de proximité avec quiconque, pas même avec sa propre mère.

Quand Eve lui demande de lui raconter ce qui s'est passé, ce n'est pas par refus qu'elle reste un moment silencieuse, mais parce qu'elle peine à l'exprimer. Là, tout de suite, entre ses bras, elle se sent terriblement vulnérable, une sensation qui ne lui est pas familière, une sensation qu'elle a toujours occultée au moment de la sentir affleurer. Et pourtant, c'est aussi cette capacité qu'elle à se mettre à nu, au sens propre comme au figuré, en sa présence qui fait d'Eve ce qu'elle est, à savoir la personne la plus importante à ses yeux. La seule personne importante à ses yeux, à vrai dire.

"Je voulais vraiment y croire, tu sais. Que ça changerait quelque chose. Qu'en retournant là-bas, j'allais... je sais pas, trouver ce qui me manquait ?" dit-elle sincèrement, et pour toutes les fois où elle a prétendu, jouer la carte de l'excessivement dramatique, elle est pour cette fois complètement honnête, d'une honnêteté désarmante.

Sa démarche avait été sincère, et ce retour en arrière, à la recherche de ses racines, profondément décevant. Les paroles de sa mère lui reviennent en mémoire, elle tente de les chasser de son esprit, exprimer les détails éveille en elle un sentiment trop douloureux. Elle s'est sentie déçue, elle s'est sentie trahie, elle s'est sentie en colère. Et elle a réagi comme elle a toujours eu l'habitude de le faire. Violemment, impulsivement.

"J'ai mis le feu à la maison", résume-t-elle dans un sourire sans joie, en se serrant davantage contre Eve, instinctivement, sans même s'en rendre réellement compte. Ses yeux se sont fermés. Elle se concentre sur la chaleur du corps d'Eve contre le sien, sur le mouvement léger mais perceptible de son ventre au gré de ses respirations, sur son parfum, sur tout ce qui chasse très naturellement les visions, les souvenirs les plus éprouvants. "Et elle avec."

Il n'y a ni blâme ni jugement dans le discours d'Eve quand celle-ci rompt le silence, il n'y a que de la douceur et une profonde compréhension. Elle ne la juge pas, elle ne la blâme pas pour ce qu'elle a fait. Non, elle sait se mettre à sa place et comprendre ses motivations. Bien sûr, Eve sait combien Villanelle n'est pas un enfant de choeur, et elle-même n'en est pas un Villanelle le sait parfaitement aussi, mais malgré tout, elle apprécie que ce ne soit pas sur le sort de cette mère indigne, concernant la mort de laquelle l'ancienne tueuse n'a pas vraiment de scrupules, que l'on s'attarde mais sur ce qu'elle-même ressent.

Et oui, c'est le mot juste, elle l'a déçue... même davantage, elle l'a blessée, profondément blessée... Sa mère n'a eu que ce qu'elle méritait. Sa mère n'était pas bien différente d'elle de toute façon. C'est un souvenir oublié, effacé, qu'elle peut laisser derrière elle. Elle ne veut pas regarder en arrière quoi qu'il en soit. Elle veut juste être là, ici et maintenant, dans les bras d'Eve, et songer à l'avenir qu'elles pourront avoir ensemble. Ici, elle peut faire table rase, elles peuvent faire table rase. Elles ne sont plus entravées par leur passé respectif, elles peuvent aller de l'avant, faire comme bon leur semble. Encore que... Villanelle n'a pas vraiment laissé son passé derrière elle. Eve est autant son passé que son présent et son avenir. Et si elles lui est revenue, ce qu'elle voudrait moins revoir surgir de ce passé qu'elle voudrait entièrement effacer le peut tout autant.

"J'ai pas besoin d'eux. J'ai besoin d'aucun d'entre eux", décrète-t-elle avec une sincérité presque enfantine, le regard plongé dans celui de son amante. Il y a tant de douceur et d'émotion dans ce regard-là. Il suffit qu'elle s'y plonge pour se sentir sincèrement, profondément aimée, et pour réaliser, aussi, que c'est bien la première fois que c'est le cas, de cette manière si certaine, si évidente, si irréfutable. "Je t'ai toi.", ajoute-t-elle avant de poser ses lèvres sur celles de sa maîtresse.

Et elle le pense très sincèrement. Elle n'a pas à regretter sa famille ou toutes ces figures qui ont hanté son passé, et ont quelque part modelé la personne qu'elle est devenue. Elle n'a besoin que d'Eve, de sa présence, de son affection, de sa tendresse, de tout ce qu'elle est capable de lui apporter. Eve est sa famille tout entière, et tant qu'elle l'a, elle n'a absolument pas besoin de qui que ce soit d'autre. Sauf qu'elle n'est pas seule dans le tableau, il y a aussi ces quelques ombres qu'elle néglige ne peut pas ignorer, encore moins à l'instant où Eve évoque leur absence comme une certitude.

"Il y a une chose que je t'ai pas dite", ajoute-t-elle après un instant de silence. Elle n'a vraiment pas envie de penser à tout ça tout de suite, mais elle ne peut pas laisser passer cette occasion d'en parler sans que son silence lui soit reproché ensuite. Et elle s'est promis de n'avoir plus aucun secret pour Eve. "Konstantin est ici."

Cela peut peut-être n'avoir l'air de rien d'un point de vue extérieur, mais la promesse d'Eve vaut de l'or aux yeux de Villanelle. Elle a besoin de l'entendre, terriblement besoin de l'entendre, qu'Eve n'ira nulle part, qu'elle ne l'abandonnera pas, qu'elle restera avec elle quoi qu'il arrive. Elle ne supporterait pas de perdre Eve définitivement ou de la voir se détourner de nouveau d'elle.

Si ce devait arriver une nouvelle fois, elle ne garantit pas qu'elle ne serait pas capable de réagir aussi violemment qu'elle l'avait fait cette fois, à Rome, ou les résolutions d'Eve avaient mené Eve aux pires extrémités, au point d'avoir cru, un temps, l'avoir tuée. Mais elles ont fait du chemin, depuis, et Villanelle ne doute pas une seule seconde de la parole d'Eve. Si quoi que ce soit doit les éloigner à présent, elle est convaincue que ce ne sera pas de leur fait, à l'une comme à l'autre, et c'est pour cette raison qu'il semble nécessaire d'évoquer les éventuels obstacles qui pourraient se dresser sur leur route.

Et donc, Konstantin. Villanelle voudrait le présenter comme un obstacle négligeable, mais il ne l'est pas tant en réalité. Elle l'a échappée belle, la dernière fois, et ce n'est que de justesse qu'elle est parvenue à négocier avec le tueur que Konstantin avait engagé. Elle le connaît depuis longtemps, et réciproquement, suffisamment pour que ce puisse être considéré aussi bien comme un avantage que comme une tare. Dans un cas comme dans l'autre, ce n'est à l'évidence pas quelque chose qu'elles peuvent négliger, encore moins si elle veulent véritablement toucher du doigt cette vie qu'elles ont si longtemps espérée sans jamais ne serait-ce que l'effleurer.

La réaction d'Eve ne se fait pas attendre, Villanelle la sent se tendre immédiatement, ce qui n'a à l'évidence rien de surprenant au regard de ce qu'elle vient d'apprendre. Elle se redresse, Villanelle fait de même, à contrecœur. Elle a envie de minimiser la situation, pas tant parce qu'elle mérite de l'être que parce qu'elle aimerait retrouver l'apaisement qu'elle a ressenti il y a un instant, et l'apaisement qu'elle recherche ne ressemble bien évidemment pas à ça. Mais il faut en passer par là, alors...

"Il a engagé quelqu'un pour me tuer", répond-elle simplement, avec quelque chose qui ressemble, peut-être un peu trop, à de la décontraction, une décontraction inappropriée (et qu'elle ne ressent qu'en surface, en réalité), sur le visage, une décontraction qu'elle ne ressent pas forcément réellement, qui plus est. "C'est rien", assure-t-elle du ton qu'elle veut le plus rassurant possible, tout en se rapprochant d'Eve pour caresser doucement son visage. "Je vais juste... me débarrasser de lui, et ce sera réglé, et alors on pourra faire comme bon nous semble, personne ne pourra nous en empêcher."

Comme si c'était si simple. Sauf que si ça l'était, Konstantin ne ferait d'ores et déjà plus partie du décor, et il est toujours là, inaccessible pour l'heure.

D'accord, d'accord. Un type qui cherche à la faire tuer (non, pas juste un type, Konstantin n'est pas n'importe quel type, en fait, c'est même celui qu'elle aurait le moins voulu retrouver dans des circonstances comme celles-ci, et pourtant pas le dernier qu'elle aurait voulu retrouver, pour peu que ça ait réellement du sens de le présenter ainsi), ce n'est effectivement pas rien. Villanelle pourrait prétendre que, à son échelle, ce n'est pas grand-chose, et même qu'elle a été habituée pour le nombre de fois où on a voulu lui faire la peau (Eve compris) - et elle l'avait cherché. Mais ce n'est pas tout à fait vrai. Ici, elle a été sincère avec Eve sur ce point, elle a été tout à fait irréprochable.

Pas un seul pas de travers, elle a tout fait dans les règles, et pourtant, ça se retourne contre elle malgré tout, et puisque c'est sa vie qui est en jeu, puisque ça pourrait bien être celle d'Eve également si on devait avoir vent de sa présence, ce n'est pas à prendre à la légère. Sauf que Villanelle refuse de s'en faire une montagne pour autant.

C'est un problème, un vrai, mais qu'elle veut se croire capable de repousser d'une pichenette sans avoir besoin d'en faire un drame. Sauf que, pour lui remettre les pieds sur terre, elle peut compter sur sa maîtresse, heureusement autrement plus concernée et pragmatique que l'ancienne tueuse ne peut l'être, dans cette vie comme dans l'autre.

"Je peux le trouver", se renfrogne Villanelle aux remarques on ne peut plus juste d'Eve.

C'est faux. Et c'est frustrant. Si lui l'a trouvée, ce n'est pas son cas : ses recherches n'ont mené à rien, si ce n'est à l'agacer, et il ne serait pas improbable que Konstantin rôde non loin d'elle sans même qu'elle ait été fichue de le trouver.

"Et quand je vais le trouver..."

Elle baisse les yeux. Il est des voies faciles qu'elle avait été tenté d'emprunter plus d'une fois, mais Eve, par sa seule présence, l'oblige à revenir sur ses résolutions.

"J'ai plus envie de faire ça, je te l'ai dit, et c'est vrai. Mais si on a pas d'autre choix ? On trouvera un moyen de dissimuler nos traces, on trouvera une manière de nous protéger par nous-mêmes..."

Elle parle trop vite pour être convaincante, parce que ce n'est pas juste Eve qu'elle cherche à convaincre en cet instant, mais aussi elle-même, ce qui rend bien sûr l'affaire autrement plus complexe.

"J'ai négocié avec lui, je l'ai pas tué, si c'est ce que tu veux savoir", répond Villanelle en croisant ses bras sur sa poitrine quand Eve lui demande comment elle s'est débarrassé de l'homme venu pour l'assassiner.

Ne rien faire de hâtif, hein ? Disons que ce n’est pas exactement dans les habitudes de Villanelle que de se plier à des exigences du genre. Elle peut se montrer prudente, elle pouvait se montrer stratège, elle peut se montrer machiavélique, ce sont des choses qui sont complètement à sa portée, vraiment, mais elle n’en demeure pas moins quelqu’un de profondément, naturellement et foncièrement impulsif. Dans des circonstances telles que celle-ci, elle aimerait pouvoir avoir l’occasion de l’être, mais le fait est que rien, aucune piste, aucun indice ne lui permet de remonter la trace de Konstantin, alors qu’elle veuille agir de façon hâtive ou réfléchie, ça ne change pas grand-chose. Dans un cas comme dans l’autre, pour décider quoi faire de lui, il faudrait déjà mettre le grappin dessus.

Et Konstantin paraît bien avoir plusieurs longueurs d’avance sur elle, en l’occurrence, ce qui est une chose infiniment frustrante à constater pour Villanelle. Elle ne répond rien, au final, parce qu’elle ne veut pas faire à Eve une promesse qu’elle n’est pas sûre d’être capable de tenir. Elle veut bien jouer selon les règles que posera Eve s’il le faut, parce que au fond, elle sait qu’elle a raison et qu’elle ne doit rien faire dans la précipitation, mais elle voudrait pouvoir éjecter ce problème comme on arrache un pansement pour ne plus jamais y penser. Sauf que ça ne peut pas être aussi simple. Ça ne pourra jamais être aussi simple. Ne serait-ce que parce que Konstantin n’est pas n’importe qui pour la jeune femme.

« Je sais que tu as eu un doute », répond Villanelle en adressant un sourire à Eve, apaisée presque naturellement, instinctivement, par le moindre geste de réconfort qu’elle lui offre.

Personne d’autre ne sait avoir ce pouvoir-là sur elle. C’en serait presque dangereux. Elle n’est pas complètement maîtresse d’elle-même quand elle est avec elle, et elle s’en rend bien compte. D’un autre côté, elle ne se sent jamais non plus plus forte qu’en sa compagnie, quand elle peut lire dans ses yeux tout un potentiel que tous ceux qui se sont autrement trouvés sur son chemin ont constamment cherché à nier. Observer ce doute ne signifie pas qu’elle le lui reproche. Car ça aurait tout à fait pu arriver, et si vraiment elle n’avait pas eu d’autre choix, oui, elle aurait fait couler le sang à nouveau, et seule la réaction d’Eve à ce sujet aurait fait qu’elle s’en émeuve ou non. Elle fait non de la tête.

« Il avait presque pas d’infos, il a reçu l’ordre de mission sans jamais rencontrer Konstantin en personne. En plus de ça, si tu veux mon avis, il était un peu à côté de la plaque, pas fichu de se servir d’un portable. Par contre il était plutôt balèze, j’ai eu de la chance de m’en tirer. » Elle baisse les yeux sur le doigt qui caresse son poignet avec douceur. « Je te fais confiance. Y a qu’à toi que je fais confiance. » Elle marque une pause. « Il se passe quoi ? Si les Douze sont ici ? Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce qu’on fait ? »

Dans des circonstances telles que celle-ci, la capacité d'Eve à être bien plus rationnelle que ne saura jamais l'être Villanelle est définitivement la bienvenue. Villanelle ne panique pas, ce serait exiger d'elle de déployer un champ d'émotions hors de sa portée, en revanche, dans des circonstances comme celle-ci, elle est brouillonne, impulsive et dissipée, elle ne sait pas réfléchir aussi posément et judicieusement que ne le fait celle qui, dans sa manière de gérer cette situation, lui confirme une fois encore combien elle lui avait manqué (si tant est que cette confirmation ait réellement été nécessaire).

Elle a raison, bien sûr, les méthodes déployées par Konstantin constituent une preuve de ce qu'il est ici, c'est-à-dire pas grand-chose, et de l'influence qu'il peut se permettre d'avoir, c'est-à-dire pas beaucoup. Au fond, Konstantin est sans doute aussi paumé qu'elles, dans ce nouveau décor, et en la découvrant là, il a voulu se débarrasser d'elle. Pas une vraie menace, donc, et une menace encore plus risible, à présent. On peut bien agiter toutes les armes du monde face à elle, Villanelle s'en fiche, à présent. Parce qu'elle à Eve. Alors pourquoi s'inquiéterait-elle de quoi que ce soit ?

D'autant qu'elle lui adresse la réponse précise qu'elle avait voulu entendre, cette réponse que, bien sûr, elle l'avait incitée à formuler. Elles s'en débarrasseront une bonne fois pour toutes, toutes les deux. C'était très exactement tout ce que Villanelle avait espéré qu'elle lui dise. Le temps, l'absence et le manque d'elle auraient pu distordre la réalité, déposer sur Eve un voile inapproprié de perfection - la perfection selon Villanelle -, mais il n'en est rien. Chaque mot qu'elle lui adresse trouve un écho tout particulier dans son esprit et lui plaît davantage que le précédent.

Eve voit en elle ce que personne n'a jamais daigné voir en elle. Plus qu'une implacable machine à tuer, elle le voit dans tout ce panel d'éventualités que Villanelle n'avait pas même envisagé pour elle-même tant elle avait été conditionnée par le regard que l'on avait porté sur elle, que ce soit sa mère ou les Douze. Même combat. Ils méritaient tous le même sort. On avait muselé toutes ses aspirations, tous ses désirs de liberté. Eve sait révéler tout cela en elle. Et même dans les situations les plus critiques, c'est au final terriblement apaisant. Villanelle ressent le besoin de lui dire encore, à quel point elle l'aime, à quel point elle est importante. Mais au final, plutôt que de le redire, elle l'embrasse une nouvelle fois.

"Il n'y a qu'à toi que j'appartiens", lui assure-t-elle en la regardant dans le blanc des yeux avant de venir se blottir contre elle. "Tu as raison, on ferait bien de dormir, tu m'as épuisée", ajoute-t-elle dans un sourire mutin.