Jodie avait l'impression que sa tête allait exploser. Plus encore lorsqu'elle sentit que quelqu'un lui avait agrippé les épaules pour la secouer. Elle ouvrit difficilement les yeux, ne comprenant pas ce qui était en train de se passer. Les yeux ouverts, elle fixa le garçon qui se trouvait devant elle. Il lui avait fallu plusieurs secondes pour comprendre qu'elle n'était pas dans un lit, mais sur le sol. Un regard rapide autour d'elle lui avait également fait comprendre qu'elle ne reconnaissait pas cet endroit. Merde, mais où est-ce qu'elle était passée ?

Bien vite, ses yeux se reposèrent sur ce type qui ne la lâchait pas et qui parlait sans qu'elle ne comprenne le moindre mot. Tout se mélangeait dans son esprit, elle entendait cette voix bien réelle devant elle puis cette voix dans sa tête. Elle porta l'une de ses mains sur son crane douloureux, cherchant à se concentrer sur une voix à la fois. Bon, déjà le type commençait mal puisqu'en plus de la réveiller en la secouant dans tous les sens, il l'appelait par un autre prénom. Il lui posait des questions, puis lui assura qu'ils devaient se tirer parce qu'ils ne savaient pas comment ils étaient arrivés ici.

Puis sans lui adresser le moindre mot, se contentant de le fixer étrangement, elle se concentra sur cette voix qu'elle entendait. La CIA. Il devait la ramener là-bas ! C'était sans doute lui qui l'avait emmené dans cette... cabane ? « Tu dois te débarrasser de cet homme. Il veut te ramener à la CIA, c’est là qu’est ta place. Ce monde ne veut pas de toi et là-bas, tu ne manqueras à personne. Tu n’as pas peur d’ôter la vie, tu es une criminelle Jodie, alors tue-le ! » cette voix ne cessait plus de lui répéter les mêmes mots et à mesure où elle les comprenait, son regard changea du tout au tout. Terminé les doutes et les questions, maintenant elle devait se tenir éloigné de ce type et trouver un moyen de s'enfuir. Elle aurait dû le savoir, elle aurait dû savoir que la CIA ne la lâcherait pas comme ça, même après tout ce temps. Ils voulaient la faire taire pour toujours.

Alors sans perdre plus de temps, elle repoussa le type pour qu'il la lâche et elle se recula, restant au sol pour le moment. « Où est-ce que tu m'as emmené ? » lui lança-t-elle, agressive. « Tu ne me ramèneras pas là-bas ! Je n'y retournerai pas ! Je préfère mourir maintenant que de te suivre ! » cria Jodie, son regard déterminé planté dans celui de l'homme. Elle préférait qu'il la tue, elle préférait mourir en se battant plutôt que d'être plongée dans le même état que sa mère jusqu'à la fin de sa vie ou de travailler de nouveau pour eux. « Vous allez me laisser tranquille... » cette menace, elle l'avait déjà faite. Elle espérait simplement qu'ils ne seraient pas au courant de la disparition d'Aiden. Sans son entité et ses pouvoirs, sans doute représentait-elle un danger moindre aux yeux de la CIA et alors elle n'aurait plus aucun moyen de leur faire peur. Si elle pouvait encore leur faire peur. « ou je vous tue tous, jusqu'au dernier. » lança-t-elle sans quitter des yeux l'autre personne.

Après plus de deux années passées ici, Jodie avait espéré que son passé était derrière elle. Elle s'était trompée, comme bien souvent. Son passé la rattrapait et la rattraperait toujours. Elle ne pourrait jamais échapper à la CIA. Jamais. Pourtant, elle n'avait plus aucune valeur pour eux. Aiden n'était plus là pour lui fournir ses pouvoirs. Mais le savaient-ils seulement ? Elle restait un danger, une menace potentielle à faire taire. Ils voulaient sans doute lui réserver le même sort que celui qu'il avait réservé à sa mère. Ils avaient déjà essayé une fois, alors ils recommenceraient. C'était évident.

Lorsqu'elle avait ouvert les yeux sur cet homme - adolescent ? - qui la secouait dans tous les sens pour lui faire ouvrir les yeux, Jodie était restée silencieuse et immobile un instant. Il lui fallait le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Il l'avait enlevé pour l'emmener dans cette... cabane. D'accord, au moins, elle n'était pas encore dans les bureaux de la CIA. Elle avait donc encore une chance ! Jodie ne comprenait pas grand chose, ni comment il avait fait pour l'emmener ici, ni ce qu'il racontait. Pourquoi parlait-il d'une Vanya ? Pourquoi expliquait-il qu'ils devaient fuir au plus vite ? Tous ces mots n'avaient aucun sens et Jodie n'arrivait même pas à se concentrer sur ces derniers. Et sa tête lui faisait si mal, tellement mal. Sans oublier toutes ces voix qu'elle entendait, ou plutôt cette voix qui lui répétait la même chose en boucle. Pourquoi ne se taisait-elle pas ? « Tu dois te débarrasser de cet homme. Il veut te ramener à la CIA, c’est là qu’est ta place. » Elle aurait tout donné pour que cette voix cesse afin qu'elle puisse réfléchir logiquement. Sauf que ce n'était pas le cas ! Alors elle repoussa le type devant elle afin qu'il la lâche et se recula tout en hurlant qu'elle ne retournerait pas là-bas, qu'elle préférait mourir. Et c'était vrai ! Plutôt mourir que d'être mise dans le même état que celui de sa mère. S'il le fallait, elle le tuerait. S'il le fallait, elle mourrait en se battant. Mais jamais elle n'y retournera.

L'homme tenta alors de la retenir par les poignets, elle tentait toujours de se débattre. Son problème était que si ça continuait, il comprendrait qu'elle était seule, qu'Aiden n'était plus là pour la défendre et alors elle ne pourrait plus leur faire peur. Étonnamment l'homme se montrait suppliant, mais il mentait évidemment. Sans doute était-ce un stratagème pour qu'elle se montre plus douce, moins agressive. Quoi d'autre, sinon ? « Tu ne veux pas m'enfermer ? Alors qu'est-ce que je fous ici ? » Il lui promettait de ne pas la laisser alors qu'elle, elle ne demandait que ça. Il lui promettait de ne l'emmener nulle part alors qu'il l'avait déjà enfermé dans cette cabane. Autant dire qu'elle ne pouvait pas lui faire confiance ! A qui pouvait-elle faire confiance, de toute façon ? Mais pourquoi l'avoir emmené ici plutôt qu'à la CIA directement ? Jodie ne le comprenait pas, mais tout ça n'avait aucun sens, tout comme le fait qu'il l'appelait sans cesse Vanya.

Toujours au sol, son regard planté dans celui de l'homme, elle le menaça de tous les tuer. Ils savaient de quoi elle était capable - en espérant qu'ils n'étaient pas au courant de la disparition d'Aiden. Cette menace eut l'effet de faire reculer l'homme, qui la lâcha enfin pour de bon. Lui avait-elle suffisamment fait peur ? Les agents de la CIA étaient-ils si peu entraînés désormais pour craindre des menaces ? Il semblait si jeune... Finalement, il ne devait être qu'un pion dans toutes ces histoires. Comme elle.

Elle ne comprenait rien à ce qu'il racontait et ça - en plus de la voix qu'elle avait dans la tête - ça la rendait folle. « Arrête ! Ferme-là ! » lui hurla-t-elle dessus, se relevant en prenant bien soin de rester loin de lui. « Je ne sais pas qui est Allison et je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais crois-moi... » lança-t-elle, menaçante, s'approchant d'un pas pour lui montrer qu'elle n'avait pas peur - alors qu'elle était, en réalité, morte de peur à l'idée de retourner là-bas. « Je peux te jurer que si tu ne me laisses pas partir, il t'arrivera bien pire que ce qui est arrivé à cette Allison. Pire que tout ce que tu peux imaginer. » Si Aiden était là, cet homme n'existerait déjà plus. Sans doute l'aurait-il déjà étranglé et Jodie aurait pu fuir. Malheureusement, elle devait se débrouiller par elle-même puisqu'elle était seule. « Tu vas me laisser partir, tu vas aller retrouver tous tes petits copains et tu vas leur dire que je ne suis pas leur putain de jouet ! » cracha-t-elle luttant contre cette voix qui lui intimait l'ordre de le tuer. Ce serait tellement plus simple finalement...

Jodie criait, menaçait, se débattait. Il lui fallait mettre fin à tout ça. Elle voulait quitter cet endroit au plus vite, se débarrasser de cet homme au plus vite. Pourtant, soudain, l'idée de se retrouver à l'extérieur, vulnérable, la tétanisait. Alors non, le mieux était qu'elle tue cet homme et qu'elle reste cachée ici, en sécurité. C'était forcément la meilleure solution ! Enfin, c'était du moins la solution que lui soufflait cette petite voix dans sa tête.

Elle avait fini par se relever, ne lâchant pas une seule seconde l'homme du regard. Elle se montrait menaçante et combattit même la peur en s'approchant de l'homme pour se montrer plus menaçante encore. L'homme répétait en boucle qu'il ne savait pas ce qu'ils faisaient ici. C'était pourtant bien lui qui les avait emmenés ici. Peut-être l'avait-il fait pour obéir aveuglement sans se poser de questions ? N'était-ce pas ce que faisaient tous les agents de la CIA ? C'était, en tout cas, ce que lui avait répété Ryan lorsqu'il l'avait trahi. Alors peut-être faisait-il parti de ceux qui suivaient tous les ordres sans poser de questions et sans chercher à comprendre.  

Une chose rassurait Jodie - si tant est que quelque chose pouvait la rassurer - c'était que l'homme semblait sincèrement effrayé. Il devait sans doute imaginer qu'Aiden était toujours là pour la défendre. Alors elle lui rappela qu'elle n'y retournerait pas et qu'il avait plutôt intérêt à prévenir les autres. Elle n'était pas un jouet et ici, ils n'avaient aucun pouvoir sur elle. Ils n'en auraient plus jamais sur elle. « Arrête de m'appeler ainsi ! » s'agaça-t-elle au bout d'un moment, remarquant enfin le prénom qu'il utilisait. Elle reprit aussitôt, ne lui laissant pas le temps d'ajouter quoi que ce soit. « Tu veux que je me calme ? Alors, dis-moi pourquoi on est ici ! » Elle ne croyait pas en ses excuses, au fait qu'il ne savait rien de leur présence ici ou à toutes ces conneries. Alors, il devait passer aux aveux. 

A force de reculer, l'homme se retrouva finalement contre l'un des murs de la cabane. Sa peur ne faisait plus aucun doute et Jodie devait jouer avec cet avantage. Lorsqu'il évoqua être son frère, un étrange sentiment la parcourut, comme si, finalement, face à elle se trouvait Aiden. C'était complètement stupide, évidemment, mais cette idée la déstabilisa un instant. La jeune femme n'ajouta donc rien dans un premier temps. Il lui fallait retrouver ses esprits - autant qu'il était possible de le faire avec une voix qui ne se taisait pas une seule seconde dans la tête. « Je vais te tuer. » Lança-t-elle plutôt calmement pour quelqu'un qui était en train de proférer une menace de mort. Il ne voulait pas l'abandonner, alors il allait mourir. Ce n'était pas plus compliqué que ça. « Toutes tes histoires ne fonctionnent pas avec moi. Je sais pourquoi tu es là, je sais ce que tu me veux, mais tu perds ton temps. Jamais plus, je n'y retournerais. Tu entends ? Personne ne me fera retourner là-bas ! » Croyait-il réellement qu'elle allait le croire lorsqu'il prétendait être son frère ? La CIA était finalement bien au courant qu'elle avait perdu Aiden et elle tentait de lui faire croire qu'il était là, bien vivant. Elle n'était pas complètement stupide, même si elle espérait toujours le retrouver un jour ou l'autre.

Et sans que Jodie n'y comprenne quoi que ce soit, l'homme se plaqua les mains contre les oreilles comme pour ne plus entendre quelque chose. Ce geste l'interpella tant elle avait envie de faire la même chose depuis le début. Vivait-il la même chose qu'elle ? Évidemment que non, ce n'était qu'une ruse. Comme tout le reste. « Personne ne mourra. Pas si tu quittes cet endroit. Pas si tu me laisses tranquille. » Jodie s'était radoucie pour mieux contrôler la suite. Elle ignorait s'il avait entendu quoi que ce soit, mais elle tentait sa chance. Cette voix dans sa tête n'arrêtait pas de lui souffler de tuer cet homme alors ses yeux cherchaient à travers cette minuscule cabane quelque chose pour mettre fin à ses jours. Discrètement. Le problème était qu'il n'y avait pas grand chose pour l'aider. Alors, le mieux était encore qu'il lui tourne le dos l'espace d'un instant pour qu'elle puisse se jeter sur lui, limitant ainsi les risques. « Je sais que tu penses ne pas avoir le choix, mais même si tu leur obéis, ils ne te laissent jamais tranquille. » Essayait-elle de le convaincre de ne pas suivre les ordres ? Evidemment, même si ça avait bien peu de chance de fonctionner. Il fallait, au moins, qu'il doute et hésite. « Ils veulent me tuer. Ils vont me tuer. » Ou la mettre dans un état qui reviendrait à la même chose que la mort. « T'es qu'un gamin effrayé, ils t'ont envoyé faire le sale boulot parce qu'ils savent que je suis dangereuse... T'as vraiment envie d'être ça pour eux ? » Il lui fallait tenter le tout pour le tout pour contenter cette voix dans sa tête qui la poussait à tuer et ce n'était pas une chose facile à faire lorsqu'il était difficile de penser et de réfléchir par soi-même.

Jodie était incapable de garder son calme. Elle ne voyait en cet homme qu'un danger pour elle. Il voulait la ramener à la CIA. Elle n'y retournerait pas. Elle préférait mourir en se battant que de retourner là-bas une seule seconde. Ils lui avaient déjà tout prit : sa vie, sa famille, sa mère... Tout. Il ne l'aurait plus, elle. Tant pis si pour ça, elle devait tuer ce pauvre gamin qu'il lui avait envoyé. Il serait un dommage collatéral, un sacrifice nécessaire pour se protéger. D'ailleurs pourquoi l'avoir envoyé lui ? Pourquoi seul ? Il ne semblait pas valoir grand chose. Son histoire ne tenait même pas debout. Il racontait des choses invraisemblables et il semblait y croire. S'ils pensaient que ce garçon pouvait la piéger par ces histoires, ils se trompaient. Jodie n'était pas stupide. Pourtant, toutes ces incohérences et ces incompréhensions ne la faisaient pas, pour autant, admettre que quelque chose n'allait pas. Cette voix dans sa tête se voulait trop insistante pour ça. Elle ne lui laissait pas une seconde de répits pour réfléchir à la situation de façon plus posée.

Le garçon semblait se perdre dans ses explications, il utilisait un prénom qu'elle ne connaissait pas et elle ne comprenait pas pourquoi... Tout cela devait forcément avoir un but ! Un but qui lui échappait pour le moment, en revanche ! « Contente ? Je serai contente lorsque tu arrêteras de sortir toutes tes conneries qui n'ont pas le moindre sens ! » lui cracha-t-elle à la figure, la haine plus présente que jamais. Que croyait-il ? Qu'elle allait se laisser attendrir par un pauvre gamin perdu qui ne savait pas ce qu'il était en train de raconter ? « T'aurais pu empêcher tout ce que j'ai vécu ? T'es sérieux ? Personne n'a jamais rien pu faire pour moi... Tu veux que j'te donne une chance de quoi ? De me renvoyer là-bas ? De voir la seule chance que j'ai de vivre une vie normale partir en fumée ? » Ils ne parlaient pas des mêmes choses et pourtant, ils semblaient tous les deux avoir vécu des choses affreuses. Personne n'avait jamais pu aider Jodie. Elle n'était qu'une expérience. Une putain d'expérience dont on s'était servi jusqu'à ce qu'elle en meure. Alors comment aurait-il pu l'aider ? Comment aurait-il pu lui offrir une autre vie ? Et aujourd'hui, pensait-il qu'en la ramenant là-bas, il l'aiderait ? « Laissez-moi tranquille et je ne ferai plus aucun mal autour de moi ! Vous n'avez pas à protéger les autres de moi, je ne suis pas un danger. » Elle n'avait aucun besoin d'être protégée et les autres n'avaient pas à être protégés d'elle. Elle n'avait tué ou blessé que lorsqu'on l'y avait forcé. Aujourd'hui si on la laissait tranquille, elle n'avait donc plus aucune raison de faire du mal à qui que ce soit.

Finalement Jodie changea de stratégie. Elle s'était radoucie et approchée. Peut-être pouvait-elle le faire changer d'avis ? Cette voix lui soufflait de le tuer, mais pour ça encore fallait-il qu'il soit distrait. Il ne devait s'attendre à rien. Une fois encore, elle ne comprit rien lorsqu'il assura qu'il avait obéi pour les retrouver et les sauver. Alors elle préférait ignorer ce discours incohérent et se concentrer sur la suite. Ils allaient la tuer s'il la livrait. Jouer sur la corde sensible, peut-être que ça pouvait fonctionner !

Il s'approcha alors et posa une main sur son bras. Jodie voulut reculer, mais elle se retint. Il lui fallait jouer ce nouveau jeu jusqu'au bout. Il répéta qu'il était son frère, mais Jodie ne pouvait croire qu'il s'agissait d'Aiden. Aiden n'était pas comme ça. Jamais Aiden ne la livrerait. « Ils m'ont déjà fait du mal. Tu ne pourras rien contre eux ! Si tu veux me protéger alors pars. Dis que tu ne m'as jamais trouvée, que je me suis enfuie. » S'il souhaitait tant prétendre être son frère, elle entrait dans son jeu. Alors en tant que grande soeur protectrice, elle lui rappelait qu'ils venaient de l'envoyer, lui, un gamin alors qu'elle était dangereuse - bien qu'elle avait affirmé le contraire deux minutes auparavant, mais la cohérence n'était pas de mise avec cette voix incessante dans leur tête.

Ce qu'il se passa ensuite déstabilisa la jeune femme. Son regard capta celui de l'homme qui semblait se débattre intérieurement, promettant qu'il ne la tuerait pas et qu'il voulait la protéger. Il semblait si sincère. Elle ressentait l'envie d'être cette fille dont il parlait parce qu'elle avait l'impression qu'elle serait alors en sécurité avec lui. Sauf que bien vite, elle revint à la réalité, se rappelant qu'il était en train de la manipuler. Alors brutalement, elle le poussa. Elle ne voulait plus de cette main posée sur son bras. Elle ne voulait plus de ce regard rassurant. Elle ne voulait plus de ses promesses. « Je ne peux pas ! Je ne veux pas ! » hurla-t-elle à cette voix dans sa tête tout en venant appuyer ses mains sur ses oreilles comme si ce geste allait faire taire cette voix. « Je ne veux pas le tuer ! » continua-t-elle, en suppliant. « Dégage d'ici ! Je ne veux pas te tuer... » souffla-t-elle, en total contradiction avec les cris qu'elle poussait quelques secondes plus tôt. Elle se laissa alors glisser sur l'un des murs de cette cabane, tentant de se contrôler pour ne pas lui faire de mal. « Je n'arrive pas à la faire taire ! Je n'arrive pas à la contrôler. Je vais te tuer si tu restes ici. » Il ne devait rien comprendre, mais elle non plus.

Lui aussi hurlait. Ils hurlaient chacun leur tour, incapables de se comprendre. Il croyait qu'elle était sa soeur. Elle croyait qu'il était là pour la tuer. Et ces maudites voix qui les empêchaient de réfléchir convenablement, de réfléchir, de comprendre la vérité... Pour Jodie, l'affaire était simple. Elle s'était réveillée dans cette cabane sans le moindre souvenir d'y être entrée et elle n'était pas seule. La conclusion découlait donc naturellement : il était celui qui l'avait emmenée dans cet endroit, bien qu'il prétendait le contraire. Sans doute ne s'attendait-il pas à ce qu'elle se réveille si vite ? Elle oubliait alors qu'il était celui qui l'avait réveillée, mais les détails se perdaient vite lorsqu'une voix vous murmurait tant de choses à l'esprit. L'homme prétendit alors ne plus rien comprendre, ajoutant que quelque chose n'allait pas. En effet, quelque chose allait très mal aller s'il ne se décidait pas à la laisser partir. Elle n'avait plus Aiden avec elle, mais elle conservait tout ce qu'elle avait appris à la CIA, elle était capable de se défendre - mais elle restait sur ses gardes face aux potentielles capacités de son interlocuteur, elle était bien placée pour savoir que certaines forces invisibles pouvaient être de son côté.

Ce qui perturbait davantage Jodie, c'était l'expression de ce garçon. Il y avait une sincérité dans ses yeux qu'elle ne croyait pas pouvoir être jouée. Pourtant, c'était forcément le cas. Comment pouvait-il paraître si sincère et si inquiet ? Etait-il une victime de tout ça, lui aussi ? Évidemment que non, il ne s'agissait que d'un piège destiné à lui faire baisser sa garde ! Aux mots du garçon, Jodie vint se frotter de nouveau le visage, complétement perdue et à bout de nerfs, malgré le relatif calme qu'elle essayait de retrouver pour faire fuir cet homme. « Ceux qui t'ont envoyé... » Souffla-t-elle alors. Qui pouvait lui vouloir du mal à part eux ? « Je suis toute seule, j'ai toujours été toute seule ! » s'agaça-t-elle, répétant ce qu'elle avait déjà dit, malgré ce calme qu'elle voulait laisser transparaître pour mieux le piéger. « On gagne pas contre eux, putain ! Ils sont plus forts que nous ! Ils sont plus forts que tout le monde ! » Combien de temps avait-elle tenté de les fuir ? Combien de fois avait-elle essayé de se soustraire à leurs ordres ? Chaque essai fut un échec !    

Jodie essayait de se calmer, mais cette voix revenait plus forte à chaque fois. Rien n'y faisait, elle ne pouvait pas lutter contre elle. Alors elle le suppliait de partir parce qu'elle ne voulait pas lui faire de mal. A vrai dire, elle n'arrivait même plus à savoir elle-même si c'était réel. Voulait-elle le tuer ? Essayait-elle réellement de le distraire pour lui sauter dessus au bon moment ? Ou voulait-elle vraiment protéger ce gamin qu'ils avaient envoyé pour la ramener ? Malgré les cris de Jodie contre cette voix qu'il n'entendait pas, malgré la détresse dans ses yeux et dans ses gestes, le gamin ne prit pas la fuite. A la place il s'avança vers elle avec prudence, assurant qu'il ne partirait pas. Ce qui l'interpella davantage, ce fut ce qu'il ajouta : lui aussi avait, parait-il, des voix dans la tête. Soit il disait la vérité, soit il était responsable de cette voix et il en jouait, mais au moins, elle avait la certitude qu'il y avait bien des voix et qu'elle ne les rêvait pas.

Il semblait tellement certain qu'elle n'allait pas le tuer. Pourtant, elle-même n'avait aucune certitude ! Il insistait, il essayait de la calmer, de lui demander de respirer. Elle voyait bien que la voix l'attaquait de nouveau - ou qu'il simulait, du moins. Il devenait plus que difficile de se contrôler, de gérer ses émotions, la voix toujours plus insistante, ce garçon qui n'arrêtait pas de parler et qui désormais venait de poser sa ma main sur son poignet... C'était beaucoup trop à gérer d'un coup pour Jodie. Alors sans réfléchir, elle se mit à hurler : « Tais-toi ! Pourquoi tu ne pars pas ? Pourquoi t'en fais qu'à ta tête ? Je t'ai laissé une chance, merde ! Tu m'obliges à faire ça ! » et elle l'empoigna pour tenter de le plaquer contre le mur de cette cabane, prête à l'étrangler dans sa folie, à cause de cette voix qui lui répétait en boucle désormais qu'elle devait le tuer ou accepter d'être ramenée à la CIA.

Elle ne se rappelait pas de quoi ? De qui ? Sa seule véritable famille était Aiden. Sa seule famille était une entité qui avait disparu depuis bien trop longtemps. Cole et Nathan avaient été sa famille, aussi. Si Jodie ignorait où était le premier, le second l'avait trahie. Alors sur qui pouvait-elle compter ? Dans ce monde, il n'y avait personne. Elle était morte pour retrouver Aiden, mais même dans la mort, elle avait été séparée de son frère. Alors qui que soit ce gamin, il mentait. Elle n'avait personne. Elle était seule. Elle avait toujours été seule. Et elle resterait, sans doute, seule à jamais. Alors qu'importe ce que ce nous était censé représenter, il n'était qu'un énième mensonge destiné à lui faire baisser sa garde pour qu'il puisse la ramener auprès de ceux qui la traquaient.

Elle n'y arrivait pas. Jodie avait essayé les cris et les menaces, elle avait essayé les supplications et la douceur. Rien n'y faisait. Cet homme voulait l'aider. Ou prétendait vouloir l'aider, pour être exacte. Elle détestait ce qu'elle ressentait, partagée entre la haine qu'elle éprouvait naturellement pour cet homme qui devait la conduire là où elle refusait d'aller et ce garçon qui semblait si sincère lorsqu'il prétendait vouloir être présent pour elle. Il refusait de sortir seul, il refusait de la laisser. Pourquoi n'écoutait-il rien ? Pourquoi refusait-il de saisir l'opportunité qui lui était donnée ? Celle de fuir cet endroit avant que Jodie ne se retrouve obligée de le tuer ? Il choisissait lui-même son destin, il se condamnait. Alors lorsqu'il refusa une nouvelle fois de fuir, effleurant le poignet de Jodie pour l'emmener dehors avec lui, elle ne contrôla plus rien. Cette voix trop insistante dans sa tête qui lui répétait en boucle « Tu dois te débarrasser de cet homme. » avait eu complètement raison de sa logique. Elle empoigna donc son interlocuteur pour le plaquer contre le mur et l'étrangler. S'il fallait qu'elle tue pour être libre, elle tuerait. Ce n'était pas la première fois, elle avait déjà tué et recommencerait aussi souvent que nécessaire pour échapper à la CIA.

Jodie avait un plan précis en tête. Elle l'étranglerait, elle le tuerait et elle l'abandonnerait là, inconsciente du danger qu'elle courrait alors. Elle imaginait mal un gamin comme lui avoir les moyens de se défendre et pourtant. Sans qu'elle ne puisse s'y attendre ou le prévoir, celui qu'elle était en train d'étrangler se téléporta derrière elle. « Comment... ? » Surprise, hésitante, elle se retourna lorsqu'elle entendit la voix de l'homme. Il se reculait, il lui demandait de ne pas faire ça parce que lui ne lui ferait pas de mal. Mais comment le croire ? Comment lui faire confiance quand une voix hurlait à l'intérieur de vous tout le contraire ?

Soudainement, quelque chose frappa alors Jodie. Il avait peur d'elle. Il avait réellement peur. Elle avait l'impression qu'elle représentait un danger à ses yeux, mais pas celui auquel elle, elle pensait. « Si je te fais si peur, pourquoi est-ce que tu restes là ? » Il mettait de la distance entre eux - autant qu'une petite cabane puisse le permettre - il levait les mains en signe d'apaisement avant de se taper le côté du crâne pour chasser ce qu'elle supposait être les voix. Il en entendait lui aussi. Il l'avait déjà suggéré quelques instants plus tôt, mais maintenant - sans pouvoir expliquer pourquoi - elle le croyait. Et elle le croyait plus encore lorsqu'il lui demanda pardon, lorsqu'il s'excusa d'un mal qu'il ne lui avait jamais fait à elle, lorsqu'il lui parla d'un père qu'elle n'avait jamais connu. Plus qu'en colère, elle se sentait désormais démunie face à la détresse de cette personne. Tout se mélangeait en elle, ses émotions étaient beaucoup trop nombreuses et incontrôlables. Elle avait envie qu'il l'aide. Elle avait envie d'avoir quelqu'un comme lui auprès d'elle, même si elle n'était pas celle qu'il croyait.  

Perdue dans ses pensées, sa garde complètement baissée, elle fut surprise de le voir tomber à genoux en s'agrippant les cheveux. Sa colère, sa peine étaient réelles. Si, jusqu'à présent, Jodie était persuadée que cet homme mentait, désormais elle doutait. Elle doutait que l'on puisse simuler une telle détresse. Avant même de se rendre compte de ce qu'elle était en train de faire, la jeune femme s'était approchée de lui pour se baisser et se mettre à sa hauteur. « Je suis désolée... » De quoi ? De ne pas le croire ? De ne pas être celle qu'il voulait ? De l'avoir étranglé ? Il prendrait ses mots comme il le voulait, l'important étant qu'ils étaient dits avec sincérité. Un combat se menait toujours en elle, ses voix étaient toujours là, mais pour le moment, elle réussissait à les dominer. La question était alors jusqu'à quand ? « Je ne sais pas de quoi tu parles, je ne sais pas ce que tu me veux, mais je ne veux pas te faire de mal... » souffla-t-elle, sans comprendre pourquoi elle confiait une telle chose, en allant déposer sa main sur l'épaule du plus jeune dans un geste hésitant. « Ces voix... Elles sont beaucoup trop fortes pour moi, je... Je n'arrive pas à les contrôler. » Elle se montrait faible. Beaucoup trop faible. « Je ne veux pas te faire de mal, mais j'ignore si j'en suis capable. Je ne sais pas ce qu'on fait là, je ne sais pas ce qu'on est censée faire, mais... Je ne pourrais pas lutter longtemps. » Elle sentait ces voix revenir avec plus de force et d'ardeur encore et dans ce rare moment où elle réussissait à garder le contrôle d'elle-même, elle se rendait compte qu'elle ne lui voulait aucun mal. Il était aussi paumé qu'elle. Il était une victime, comme elle. « Je m'appelle Jodie. » Tenta-t-elle de dire pour rassurer celui qu'elle avait essayé de tuer, essayant de contrer la puissance de ses voix dans son crâne, essayant de garder le contrôle de cette situation pour sortir d'ici avant que pire ne leur tombe dessus.

Pourquoi ce gamin refusait de quitter cette cabane ? Pourquoi refusait-il de la laisser tranquille ? Elle ne demandait rien d'autre ! Elle voulait juste qu'on lui foute la paix, qu'on la laisse vivre tranquillement. Aiden avait disparu. Jodie était devenue une femme comme les autres, sans capacité, sans don précieux pour la CIA. En trois ans, elle n'avait jamais parlé... Pourquoi vouloir la faire taire aujourd'hui ? Non, il y avait quelque chose d'illogique dans tout ça, mais quoi ? Malgré ces incessantes voix dans son crâne, elle commençait à croire en ce que ce type disait. Et s'il n'était pas là pour lui faire du mal ? S'il était là par hasard, comme elle ? Si ces voix la poussaient à croire quelque chose de complètement faux ?

Il ne cessait de parler de famille. Jodie n'en avait plus aucune depuis longtemps. Elle était morte pour retrouver son frère, mais son frère avait disparu. Elle était seule. Pourtant, elle aurait aimé être sa soeur, cette femme dont il parlait. Elle aurait aimé que quelqu'un soit prêt à se battre comme ça pour elle. C'était une sensation qui lui manquait parfois. Et si elle avait envie que lui soit là pour elle, elle avait aussi envie d'être là pour lui. La détresse du garçon réveilla en elle l'envie d'aider. Ces voix étaient toujours présentes, mais elle réussissait à les contrôler un instant. Elle avait essayé de le tuer. Pendant un court moment, elle était redevenue cette femme qu'elle avait été dans son autre vie et qu'elle essayait de ne pas redevenir. Alors elle devait tout faire pour se contrôler et contrôler ses réactions.

Jodie se mit alors à la hauteur du garçon, s'excusant. Elle lui devait bien ça. Elle lui expliqua également qu'elle ne lui voulait aucun mal, mais qu'elle n'avait aucun contrôle sur ces voix. Si elle paraissait s'être adoucie, la jeune femme luttait toujours intérieurement pour empêcher cette voix de reprendre le contrôle sur elle. Putain, mais elles ne se tairaient donc jamais ? Il fallait qu'elle place toute sa concentration sur la personne en face d'elle. C'était plus simple de se concentrer sur quelqu'un, sur sa détresse à lui. C'était plus simple de se concentrer sur autre chose d'autre que ces voix. Si seulement, ces dernières n'avaient pas un tel pouvoir sur elle. Si seulement, elle ne se sentait pas tant impuissante.

Aux mots de Jodie, le garçon sembla réaliser qu'elle n'était pas sa soeur, ce qu'elle s'était tuée à lui dire pendant de longues minutes, en vain. Mais, malgré tout, un doute subsistait en lui. Cette crainte d'être trahi. Cette crainte qu'elle puisse être en train de mentir pour se débarrasser de lui. Jodie ne pouvait pas lui en vouloir de penser une telle chose. Après tout, elle avait essayé de l'étrangler quelques instants seulement auparavant. Pourtant, il se reprit rapidement et facilement. Ce garçon avait une force d'esprit assez incroyable - surtout pour le jeune âge qu'il semblait avoir - ce qui impressionnait la jeune femme, elle devait l'avouer. Jodie tenta alors un sourire rassurant - ou qui se devait rassurant - parce qu'il avait raison, on se fichait de tout ça, l'important était de sortir d'ici avant que quelqu'un ne s'en prenne réellement à eux. Ils allaient s'en sortir, maintenant qu'ils avaient réussi à se comprendre un minimum.

Jodie ne se recula pas lorsqu'il posa ses mains sur ses épaules. Il lui faisait bien moins peur après avoir vu tant de détresses et de peur en lui - à tort peut-être, il pouvait être un excellent acteur. « Ne me fais pas confiance... Je... Ces voix sont tellement fortes ! Je... Je ne tiens pas à te faire de mal. » Ce n'était pas facile de mettre en garde quelqu'un contre soi-même, mais elle devait être réaliste. Si elle ne réussissait plus à contrôler ces voix, elle s'attaquerait à lui. Il devait donc rester sur ses gardes et ne pas lui accorder une confiance aveugle parce qu'elle n'avait réellement pas envie de lui faire le moindre mal. Quant à elle, elle essayait de lui accorder une certaine confiance - bien qu'elle faisait rarement confiance aussi facilement - parce qu'il avait raison : à deux, ils avaient plus de chances de s'en sortir. « Tu as raison ! » Lança Jodie en poussant un soupir pour se donner du courage. Ils allaient y arriver !

Alors elle se redressa et tendit la main au garçon pour qu'il la lui attrape et qu'il se relève, à lui de l'accepter ou non. Aussitôt qu'ils furent debout tous les deux, Jodie se précipita vers la porte pour en tourner la poignée. Sans succès, évidemment, malgré ses nombreux essais. C'était dans ce genre de situations que les pouvoirs d'Aiden étaient bien pratiques. « C'est fermé. Ou bloqué. » Lança-t-elle, agacée, se concentrant sur cette porte plutôt que sur les voix, en insistant encore et encore. « Évidemment, ils n'allaient pas nous faciliter la tâche ! » Soufflant un bon coup, elle se tourna pour observer les lieux. « Peut-être qu'il y a une clé... Quelque chose pour ouvrir... Je ne sais pas... » Elle perdait déjà le contrôle de ses émotions, paniquée à l'idée d'être enfermée dans cette cabane sans pouvoir en ressortir, avec cette voix dans la tête qui n'arrêtait jamais de parler. Il y avait pourtant quelque chose à faire, forcément ! Peut-il que le garçon devait se servir de ses pouvoirs ? Peut-être qu'ils devaient résoudre une énigme ? Trouver le pourquoi ils étaient là ? Jodie n'était pas à court d'idées, mais elle s'impatientait beaucoup trop vite pour tenter de les exploiter calmement afin de trouver la bonne solution.

Les choses semblaient s'arranger et se calmer. Ils étaient toujours coincés ici, une voix incessante hantait toujours leur esprit, il restait forcément une part de méfiance, mais ils s'étaient calmés l'un et l'autre. Ils tentaient de se contrôler et de s'allier pour se sortir de cet endroit. Maintenant qu'ils avaient compris qu'une voix leur soufflait n'importe quoi, qu'allait-il leur arriver ? Avaient-ils réussi une première étape ? Avaient-ils mis cette ville en colère ? « J'espère que tu as raison. » Souffla Jodie lorsque le jeune homme lui souffla qu'il était plus robuste qu'il n'y paraissait. Elle l'espérait de tout son coeur. Aiden n'était plus avec elle et Jodie ne possédait aucun pouvoir particulier, néanmoins elle avait suivi un entraînement poussé qui lui laissait croire que le maîtriser ne serait pas si difficile. Mais elle n'oubliait pas la démonstration de son pouvoir, non plus. Rien ne lui disait qu'il ne possédait pas d'autres capacités qu'il gardait secrètes. D'autres capacités qui pourraient mettre Jodie en danger. La jeune femme restait donc sur ses gardes même si le garçon ne lui inspirait pas de réelle peur à première vue.

Pour le moment, ils devaient s'allier et sortir de cette cabane. Il devait s'agir de leur priorité. L'un contre l'autre, ils ne réussiraient rien. L'un avec l'autre, ils auraient une chance de s'en sortir et de gagner contre cette chose dont ils ignoraient tout. Jodie, sans perdre de temps, tenta désespérément d'ouvrir cette porte. En vain. Évidemment. Ils n'allaient tout de même pas leur laisser cette porte ouverte. Pourquoi leur faciliter la tâche ?

Déjà la jeune femme perdait patience, laissant ses émotions l'envahir à nouveau. Five lui proposa alors de se téléporter. Lorsqu'il s'approcha d'elle, elle ne bougea pas. Elle se contentait d'observer chacun de ses mouvements, juste au cas-où. Il lui expliqua qu'il était capable de la téléporter avec lui, mais la prévint que ce n'était pas agréable. Puis il lui tendit les mains en ajoutant qu'ils devaient se serrer les coudes, promettant à nouveau qu'il ne lui ferait pas de mal. Jodie observa ses mains un long moment, avant de relever les yeux vers lui, cherchant dans son regard la vérité. Pouvait-elle - devait-elle - réellement lui faire confiance ? « Si c'est un piège, tu me le payeras. » souffla-t-elle, laissant cette voix avoir de l'emprise sur elle, à nouveau. Se rendant compte de ce qu'elle faisait, elle secoua la tête et après avoir soufflé un bon coup pour se donner le courage nécessaire, Jodie attrapa les mains du garçon. « Je te fais confiance. » Ou elle essayait du moins.

Serrant les mains de l'adolescent entre les siennes, comme pour se donner du courage, elle ne put se retenir d'ajouter : « Ta soeur a de la chance de t'avoir pour frère. » Pourquoi lui dire ça ? Pourquoi maintenant ? Parce qu'elle ignorait ce qu'ils allaient trouver, s'ils réussissaient à sortir de cet endroit et il méritait de le savoir. Jodie chassait cette voix du mieux qu'elle le pouvait et lorsqu'elle réussissait à reprendre le contrôle de son esprit, elle se rendait compte que cette Vanya avait réellement de la chance d'avoir un frère prêt à tout pour la sauver. « Tu as conscience qu'on peut nous attendre ? » Parce que si elle ignorait la portée de sa téléportation, elle connaissait les capacités de cette ville. Jodie était donc persuadée que cette dernière pouvait jusqu'à contrôler le pouvoir du garçon pour les emmener là où elle le voulait. Alors elle préférait le mettre en garde pour qu'il puisse se préparer à devoir se défendre.

Jodie tentait tant bien que mal de contrôler cette voix qui insistait sur le piège que représentait Five et dans lequel elle était en train de tomber. Après avoir repris le dessus un court instant, Jodie avait réussi à se reprendre, assurant qu'elle lui faisait confiance. En réalité, il était sa seule chance de sortir d'ici - même si elle détestait l'idée de dépendre de quelqu'un pour sa survie - alors elle n'avait pas d'autres choix que de lui faire confiance. Elle espérait simplement que cette voix, dont elle ignorait tout, se trompait. Mais ce garçon avait su lui inspirer quelque chose : une confiance, un lien étrange - il semblait à la fois fort et effrayé... Elle avait envie qu'il l'aide. Elle avait envie qu'il soit là pour elle. Jodie ignorait si cette situation jouait beaucoup sur son état, mais elle s'attachait à lui rapidement comme à un véritable frère. Elle aurait aimé qu'il soit son frère parce qu'il la protégeait comme Aiden l'avait fait autrefois. Il était un bon frère et cette Vanya avait une chance énorme de l'avoir. Parce que Jodie pensait qu'il méritait de le savoir et parce que c'était peut-être sa dernière chance d'entendre ce genre de chose, elle lui avoua. En retour, il lui avait souri et avait serré davantage ses mains dans les siennes, dans un geste rassurant et réconfortant. A son tour, Jodie lui avait souri avec sincérité. Elle pensait chaque mot. Si elle ne pouvait pas faire taire cette voix dans sa tête, elle réussissait - ou commençait à réussir - à distinguer cette voix de ses propres pensées et ressentis. « Je te fais confiance. » Répéta-t-elle alors qu'il lui promettait de ne pas la lâcher. Jodie accordait rarement sa confiance. Bien trop souvent, on s'était servie d'elle avant de la rejeter, mais elle lui faisait confiance. Il lui inspirait une confiance naturelle maintenant que ces voix se faisaient moins fortes dans son esprit.  

Malgré cette confiance, la jeune femme ne connaissait rien au pouvoir de ce garçon. Pire encore, elle se demandait si la ville n'avait pas la capacité de les contrôler et de les faire atterrir là où elle le voulait. Si tel était le cas, ils prenaient un gros risque. Ils pouvaient tout à fait se retrouver encerclés par des dizaines d'agents de la CIA ou par n'importe qui venu les piéger. Malgré son jeune âge, en apparence, Five faisait preuve de beaucoup de sang-froid et de beaucoup de raison. Ce qu'il disait était juste, ils ne pouvaient pas rester là. Il se donnait alors du courage, assurant qu'il y arriverait. Puis, il assura qu'il la protégerait et qu'ils ne se quitteraient pas. Selon ce qui les attendait de l'autre côté, difficile de dire s'il en avait les capacités ou non, mais elle voulait y croire. Sans qu'elle ne puisse répondre quoi que ce soit, elle le vit se concentrer, resserrer ses mains autour des siennes et respirer un bon coup. Jodie faisait de même de son côté : une grande inspiration, ses mains qui se resserraient et... Plus rien. Elle s'était préparée à ce sentiment désagréable dont il lui avait parlé, mais il n'y avait rien eu. Rouvrant les yeux - qu'elle n'avait même pas remarqué avoir fermé - la jeune femme remarqua l'hésitation du garçon qui lui lâcha les mains. Il s'éloignait, expliquant ses doutes à voix haute, les mains sur le visage. Il ressemblait à un gamin effrayé à qui on en demandait trop. C'était forcément un coup de ces maudites voix... La peur que Jodie ressentit en voyant l'homme perdre pied avait permis à ces dernières de revenir plus fortes dans l'esprit de la jeune femme. Néanmoins, elle conservait un certain contrôle - difficile, mais nécessaire. Elle s'épuisait, elle le sentait, mais elle n'avait pas le choix. Elle ne pouvait plus craquer en même temps que lui.

Avec toute la douceur dont Jodie était capable, elle s'était approchée de lui. Hésitante - parce que Jodie n'avait jamais été très douée pour les relations humaines - l'une de ses mains était venue se poser sur le bras du jeune homme. Elle ne le quittait pas des yeux, ainsi à l'instant où il retirerait ses mains de son visage, il verrait le regard rassurant - ou qui tentait de l'être, malgré la peur - de Jodie. « Eh, calme-toi... » Souffla-t-elle comme une mère tentant de rassurer son enfant. « Tu vas y arriver Five. » Souffla-t-elle, posant sa deuxième main sur son autre bras avec douceur. « Ecoute-moi, tu vas y arriver. T'es plus fort que cette voix. T'es plus fort que ce qui nous attend peut-être à l'extérieur. » Sa voix se voulait douce et rassurante, mais peut-être ne l'était-elle pas. Il était difficile de contrôler ses émotions dans ce genre de situation, mais elle faisait au mieux. « Je ne te lâcherai pas, moi non plus. Je reste avec toi. Près de toi. » L'une de ses mains tentait d'aller attraper l'une de celles du jeune homme, s'il se laissait faire. « Tu es plus fort que cette voix. Tu peux lutter contre elle. J'ai besoin de toi. Regarde-moi, j'ai besoin de toi. Sans toi, je ne vais pas m'en sortir. J'ai besoin de toi et tu vas y arriver parce que je crois en toi. » Avoua-t-elle alors qu'elle ne le connaissait même pas. Jodie n'avait jamais été très douée pour rassurer les gens, mais elle avait fait du mieux qu'elle pouvait, espérant l'avoir convaincu parce qu'elle ne mentait pas : il était sa seule chance et elle comptait bien faire en sorte qu'ils ressortent de cet endroit, tous les deux, en vie. S'il fallait passer du temps à le rassurer et à lui redonner des forces, elle le ferait. S'il ne comptait pas la laisser derrière lui, elle ne comptait pas l'abandonner non plus.

Les doutes du garçon étaient compréhensibles. Ils n'étaient pas armés et pouvaient se retrouver en danger en sortant de cette cabane. Actuellement, à leurs yeux, cet endroit était dangereux, mais cet endroit pouvait tout aussi bien, en réalité, les protéger. Néanmoins, Jodie ne pouvait pas lui répondre ça si elle ne voulait pas rester coincée ici éternellement. Ils n'avaient pas le choix, ils devaient sortir. Alors, sentant toute la détresse de Five, la jeune femme s'approcha de lui. Elle n'était pas douée pour rassurer et parler aux gens, mais elle devait faire un effort - puis il le méritait bien.

Alors tendrement et lentement, elle posa sa main sur son bras. Il ne la regardait pas, mais elle, elle le regardait. Il n'était pas question de le brusquer. Les voix dans leur tête avaient une puissance et une force incroyable. Si elle le secouait, il risquait de la voir comme un danger, alors elle se montrait rassurante et patiente. Enfin, elle essayait. Il fallait qu'elle essaye. Lorsqu'il la regarda enfin, elle se mit à lui sourire pour le rassurer plus encore. Jodie avait tout tenté pour lui redonner confiance et lui montrer qu'il était leur seule chance. Si elle ne le connaissait pas et malgré ces voix qui l'incitaient à se méfier, elle lui faisait confiance. Elle devait lui faire confiance. Et il devait le comprendre. Il devait comprendre qu'elle mettait sa vie entre ses mains sans la moindre hésitation désormais parce qu'elle savait qu'il ferait tout pour les aider - bien qu'en réalité, cela devait surtout mettre une certaine pression à ce pauvre homme.

Jodie ignorait si c'était son petit discours qui avait fonctionné ou s'il avait réussi à récupérer le contrôle de son esprit seul, mais il semblait se reprendre peu à peu. Les mains de Five glissèrent sur celles de Jodie pour les attraper. Serrant légèrement ses mains, elle hocha la tête lorsqu'il lui dit qu'ils restaient ensemble. Ils s'en sortiraient tous les deux. Ils seraient là pour se protéger l'un et l'autre. Il n'allait pas la laisser tomber. Elle ne le laisserait pas tomber. Cette fois-ci, il semblait bien décidé à quitter cet endroit. Une promesse plus tard, leurs regards l'un dans l'autre pour se donner du courage, la certitude de ne pas se lâcher, et Jodie sentit quelque chose d'étrange. Sa respiration s’accéléra sous l'angoisse, mais elle resta calme - autant que possible. Elle avait confiance en lui. Vraiment.

Un clignement d'yeux plus tard et Jodie ne reconnaissait plus la petite cabane. Ça avait fonctionné ! Il les avait sortis de là ! Aussitôt la joie d'être sortie passée - à peine une demi seconde plus tard - Jodie se sentit légèrement nauséeuse. Elle aurait aimé s'asseoir, mais ce n'était pas le moment. Soufflant doucement pour se sentir mieux, elle écoutait les mots rassurants de Five, tout en essayant de lui sourire. « Tu as réussi... » Souffla-t-elle, son estomac se calmant peu à peu. « Ça va, ne t'en fais pas. » Indiqua-t-elle alors en souriant, pour le rassurer.

Alors, maintenant que ses nausées étaient en train de disparaître et qu'elle se remettait lentement de ses émotions, Jodie observa autour d'elle. Elle lâcha une des mains du garçon - maintenant l'autre fermement pour le moment - afin d'observer les alentours. Quelque chose clochait. La cabane était là. Ils se trouvaient bien de l'autre côté. Sauf que Jodie avait un mauvais pressentiment. Les voix étaient toujours là. L'envie de retourner s'abriter dans cette cabane qui la protégeait de la CIA était de nouveau presque incontrôlable. Néanmoins, elle n'arrivait plus à se méfier autant du garçon. Les voix ne suffisaient plus à la convaincre. « Lorsque nous étions à l'intérieur... J'entendais le bruit des vagues... Pas toi ? » Elle avait rêvé ? Déliré ? « Attends, ce n'est pas normal ! » Elle commençait à s'agiter, trouvant ce lieu particulièrement vide et étrange. Il y avait quelque chose de faux, qui n'était pas naturel ici. Juste du sable à perte de vue et cette cabane, rien à l'horizon. Vraiment rien, pas même la silhouette d'un bâtiment qui se dessinait au loin. « J'ai une sensation étrange... Pas toi ? » Elle serra davantage sa main dans la sienne. « Il n'y a rien... Juste cette cabane et du sable à perte de vue... Quelque chose cloche. » Peut-être était-ce normal, peut-être était-elle trop parano sur ce coup ? Ou alors était-ce un piège de la ville ? Une nouvelle hallucination ?

Spoiler:

Sa main gardait précieusement la main de Five dans la sienne. S'ils étaient sortis de cette effrayante et angoissante cabane, ils n'étaient pas encore libres. Autour d'eux, il n'y avait rien. Vraiment rien. La cabane mise à part, il n'y avait que du sable, du sable et encore du sable. Ça, et le silence le plus parfait. Pas un bruit, pas un son lointain. Pas une brise de vent. Pas de vague. Pas de mer. Rien. Du sable et du silence. Pourtant, Jodie était persuadée d'avoir entendu des vagues, lorsqu'ils étaient dans la cabane. Five aussi, enfin, il supposait puisqu'il ne savait plus très bien. Elle le comprenait, ses pensées aussi s'embrouillaient. Entre les voix et les événements inexplicables, il était difficile de rester pleinement concentré. « Ça va ? » Souffla la jeune femme, oubliant totalement cette histoire de vagues, puisque Five semblait ne pas se sentir bien - ou peut-être transposait-elle son propre mal sur lui ? A vrai dire, elle n'était plus capable d'être sûre de quoi que ce soit à cet instant précis.

« Eh... Calme-toi... T'as pas envie de revivre quoi ? » Demanda-t-elle, pour comprendre cette panique qui l'envahissait soudainement, resserrant une fois encore sa prise sur sa main pour lui montrer qu'elle était là et qu'elle comptait bien le rester. A vrai dire, elle était tout aussi effrayée que lui, mais ils ne pouvaient pas céder à la panique tous les deux, en même temps. Jodie tentait de rester calme, même si à l'intérieur, elle était morte de peur. Avec attention, elle observait les alentours à la recherche de la moindre ombre, du moindre bout de quelque chose qui pourrait leur indiquer la présence de... quelque chose, peu importe quoi, du moment où ça ne représentait pas un danger.

Concentrée à observer l'horizon, Jodie fut surprise par le sol qui se mit à trembler. Se crispant aussitôt, craignant de tomber, elle fut tirée contre Five qui cherchait à la garder près de lui. A vrai dire, si Jodie n'avait jamais aimé recevoir d'aide, cette fois-ci, elle était rassurée et heureuse de savoir que Five était là pour elle, pour l'aider et pour la protéger, comme elle était là pour lui, pour l'aider et le protéger. A deux, ils seraient plus forts. Enfin, elle l'espérait. « Je reste près de toi. » Souffla-t-elle comme une promesse avant de remarquer la cabane qui semblait s'agiter à son tour. D'abord, Jodie s'était imaginée que son imagination lui jouait des tours ou qu'elle croyait voir cette cabane bouger parce que le sol tremblait. Sauf que Five semblait voir la même chose. Il la tira en arrière, s'éloignant de ce bâtiment qu'ils auraient peut-être mieux fait de ne pas quitter. Enfin, sauf s'ils avaient dû finir enterrés vivants. « Putain, mais c'est quoi ça ? » Claqua Jodie en observant le bâtiment s'enfoncer et disparaître dans le sable.

A cette vision, son coeur accélérait et son corps tremblait. Et si ce sort leur était réservé à eux aussi ? S'ils finissaient enterrés vivants dans ce sable ? La panique envahissait totalement Jodie qui n'arrivait plus à garder son calme, bien qu'elle était persuadée qu'elle ne devait pas paniquer s'il paniquait. Si l'un d'eux devait garder la tête froide, elle n'y arrivait plus. Pas après ce qu'elle venait de voir. Five tentait de se montrer rassurant, tout en observant les alentours. Si elle appréciait l'initiative, elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il n'y avait rien de rassurant et rien qui ne pouvait réellement la rassurer. Le seul avantage à cette situation était que Jodie réussissait à ne plus prêter trop d'attention aux voix insistantes dans son esprit, bien qu'elle continuait de profondément l'agacer puisqu'elles l'empêchaient de réfléchir correctement.

« Survivre ? » D'accord, cette fois-ci, ce n'était plus du tout rassurant. Comptait-il rester ici des heures ? Des jours ? Voire pire ? Non ! Jodie ne voulait pas s'y résoudre. Elle trouverait une issue et rapidement. Elle ne pouvait pas ne pas en trouver. « Putain Five, je comprends rien à ce que tu racontes ! » S'agaça-t-elle, davantage contre la situation que contre lui. « C'est quoi cette histoire d'apocalypse ? A quoi t'as échoué ? Qu'est-ce qui ne s'arrête pas ? » Elle soufflait et tentait de reprendre son calme. Ce n'était pas le moment de se prendre la tête avec son seul allié. « Pardon... Pardon, je ne voulais pas crier. » Même si elle avait de grandes raisons de le faire, vu la situation dans laquelle ils étaient, lui, il n'y était pour rien. « Je... J'ai l'impression qu'il n'y a rien autour de nous, mais je suis d'accord, on ne peut pas rester bêtement sur place. » Jodie se passa une main sur le visage, tentant de réfléchir au mieux. « Si on est là, il y a forcément une raison... » Elle tentait de réfléchir, mais la voix, dans son esprit, prenait toute la place. « Mais tais-toi, merde ! Tais-toi ! » Elle perdait complétement pied. Elle avait déjà vécu des situations difficiles, il lui fallait simplement souffler, se calmer et raisonner. « Je sais pas quoi faire. Rester ici, ça nous condamne à coup sûr. Avancer, sans eau, au milieu d'une étendue déserte... Si on ne trouve rien, on va se fatiguer et mourir de soif en un rien de temps. » Elle réfléchissait à voix haute, ça l'aidait à contrôler un minimum cette foutue voix. « On est forcément ici pour quelque chose... Ça ne peut pas être un hasard... » Peut-être devaient-ils résoudre quelque chose ? Faire une chose en particulier pour être libérés de cet enfer ? Il y avait forcément quelque chose à faire ! « Ok, on va avancer. On ne peut pas rester ici. On va... Je ne sais pas... Je ne sais pas où aller, mais on va avancer. On va rester ensemble et tout va bien se passer. » Tenta-t-elle de se convaincre en lançant un sourire rassurant - sur un visage totalement effrayé - à Five.

Jodie tentait de conserver son calme face aux angoisses de Five. Il racontait des choses qui n'avaient aucun sens pour qui ne les avait pas vécues. Il racontait des choses qui devenaient particulièrement anxiogènes dans leur situation. Perdus au milieu de nulle part, il parlait de devoir survivre. Jodie n'avait aucune intention de rester là, au milieu de ce désert sans fin. Elle avait déjà vécu des moments particulièrement difficiles. Elle avait déjà dû survivre dans des conditions terribles. Aujourd'hui, elle comptait bien s'en sortir et rapidement. Elle se battrait aussi longtemps qu'il le faudra. Elle utiliserait toutes ses forces pour s'en sortir. Jamais, elle n'abandonnerait. Et comme elle n'avait évidemment aucune envie d'abandonner Five à son sort, elle devait tenter de le faire réagir. Pourtant, malgré toutes ses bonnes résolutions, face aux propos incohérent du jeune homme, Jodie s'emporta.

Ce n'était pas la solution. Elle le savait. Elle devait garder son calme. Elle devait contrôler cette voix. Elle devait raisonner ce garçon. Elle devait contrôler ses propres angoisses. La jeune femme n'avait pas le choix. Alors même s'il devenait difficile de le conserver, elle s'excusait. L'histoire que lui raconta alors Five n'arrangea rien. Il s'était déjà retrouvé dans une situation à peu près similaire. Sans avoir tous les détails, son rire et sa courte explication suffirent à tirer un frisson à Jodie, qui s'imaginait déjà devoir vivre la même chose. Non ! Elle refusait de rester coincée dans ce putain de désert. C'était hors de question ! Elle préférait mourir en essayant de s'en sortir, que vivre comme ça.

Il fallait avancer, c'était une évidence, mais elle ne savait pas quoi faire. Vers où ? Vers quoi ? Il n'y avait rien ! Il n'y avait rien, mis à part Five qui pétait les plombs. Sa folie continuait. Il imaginait désormais qu'elle n'était que le fruit de son imagination. La situation devenait de plus en plus ingérable. Cette dernière l'effrayait autant que lui l'effrayait. A tout moment, il pouvait perdre complètement pied avec la réalité. Il n'arrivait plus à distinguer le vrai du faux. Il la confondait de nouveau avec Vanya. Lorsqu'il s'approcha pour poser ses mains sur ses épaules, Jodie ne bougea pas. Elle n'était pas du genre à avoir peur pour un rien, mais elle devait avouer qu'il lui faisait particulièrement peur à cet instant précis. S'il pouvait la confondre avec sa soeur, qui sait si, dans quelques secondes, il ne la confondrait pas avec quelqu'un lui voulant du mal ? Sans pouvoir bouger ou parler, Jodie l'écoutait continuer son monologue. Au milieu de son flot de paroles, elle se contenta de souffler un : « Tu me fais peur. » Elle n'avait pas pu le retenir en le voyant si perdu. Il s'excusait pour une chose qui était arrivé à sa soeur, il s'excusait d'avoir laissé quelqu'un lui faire du mal. Jodie ne le contredisait pas, ne l'arrêtait pas. Elle se contentait de le regarder et de l'écouter.

Peu à peu, il semblait comprendre qu'elle n'était pas sa soeur. Elle ignorait s'il reprenait ses esprits, mais il parla logiquement : ils devaient bel et bien partir et trouver de l'aide. Il semblait aller mal, tant physiquement que psychologiquement. Etait-il capable de marcher ? Jodie se contrôlait un peu mieux pour le moment, mais ces voix la poussaient toujours à croire que ce jeune homme était son ennemi. Et, elle ignorait combien de temps, elle pourrait se contrôler. S'ils se retrouvaient perdus au milieu de nulle part, tous les deux en pleine crise, ils étaient fichus - et en même temps, ils étaient déjà perdus au milieu de nulle part, alors est-ce que ça changeait réellement quelque chose ? « T'es sûr que tu peux marcher ? » S'inquiétait-elle, tout de même. Sans lui permettre de répondre, et sans avoir la moindre idée du pourquoi elle était en train de faire ça, la jeune femme ajouta : « Je ne suis pas elle, mais... » Jodie était hésitante. Elle avait été seule si longtemps qu'il était difficile pour elle d'aider quelqu'un en lui parlant ou en le rassurant. « Je suis certaine qu'elle ne t'en veut pas... Ou plus. » C'était un jeu dangereux de promettre quelque chose qu'elle ne pouvait pas contrôler ou savoir, mais il avait besoin d'être rassuré. Il semblait complètement brisé par son passé et par les erreurs qu'il pensait avoir commises. Ce n'était peut-être qu'une impression, mais si elle pouvait lui apporter la paix quelques instants, elle le ferait. S'il lui fallait avoir l'impression d'avoir été pardonnée par sa soeur pour se redonner du courage - aussi mauvaise puisse être cette idée - Jodie le ferait.

« Je ne peux pas te laisser là, je n'arriverais jamais à te retrouver... » Souffla Jodie, son esprit embrouillé ne lui permettant pas de garder une certaine logique dans tout ce qu'elle disait. Il fallait se reconcentrer sur le plus important : fuir. Il n'allait peut-être pas bien, mais ils devaient avancer ensemble. S'ils se séparaient, ils ne se retrouveraient pas. Puis, ils s'étaient promis de ne pas se séparer. Alors ils ne se sépareraient pas. « Alors, il faut que tu reprennes tes esprits... » Ajouta-t-elle, presque suppliante.

Attrapant sa main, elle lia ses doigts aux siens avant de serrer fermement sa prise. « On avance ensemble... Je suis là pour te soutenir s'il le faut. Je ne t'abandonne pas. » Assura la jeune femme en soufflant avant de se donner du courage pour avancer. Après ces quelques mots rassurant, Jodie jeta un dernier coup d'oeil autour d'elle. Elle n'avait pas la moindre chance de trouver le bon chemin. Néanmoins, il fallait bien choisir quelque chose. Complètement au hasard, elle se mit en marche. « On va y arriver, d'accord ? » Souffla-t-elle en souriant, pour le rassurer. « J'ai déjà affronté pire que ça... » Enfin, elle supposait que c'était pire. Difficile à dire. « Toi aussi... » Un haussement d'épaules, puis elle reprit : « Alors on va y arriver ! » Elle tentait tant de le rassurer lui que de se rassurer elle.

Elle regrettait tellement de ne pas avoir Aiden près d'elle. Il aurait pu l'aider, lui indiquer le bon chemin, la diriger, la soutenir. Il lui manquait tellement et lorsqu'elle regardait ce garçon, elle avait l'impression d'avoir, enfin, son frère avec elle. C'était un sentiment perturbant. Plus encore avec une voix qui essayait de vous convaincre que ce gamin perdu était votre ennemi - parce qu'elle réussissait, parfois, à la convaincre. « J'ai failli mourir de froid, un jour... » Avait-elle soufflé soudainement, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce qu'elle avait besoin de parler pour se donner la force de lutter contre la voix ? Pour lutter contre la chaleur et la fatigue ? Pour lutter contre l'envie d'abandonner ? « On nous a trouvés à temps, mais j'ai vraiment failli y rester... » Continua-t-elle, se souvenant des mots qu'elle avait alors échangés avec Ryan lorsqu'ils imaginaient que la fin était proche.

Il était la première personne à qui elle racontait son passé. Son passé, Jodie le gardait pour elle parce qu'elle craignait d'être rattrapée par ce dernier. Elle avait cru que cet homme avait été envoyé par la CIA pour la récupérer et, pourtant, elle lui confiait une épreuve qu'elle avait vécue à cause d'une mission. C'était imprudent. Pourtant, elle lui faisait confiance. Elle ne connaissait à peine, mais elle lui faisait confiance. « Alors, ça, ce n'est rien du tout, d'accord ? » Tenta-t-elle d'ajouter pour le rassurer et se rassurer. Elle aurait pu lui raconter la fois où elle avait fui et s'était retrouvée dans un désert ou alors le nombre incalculable de fois où elle avait failli mourir, mais il croirait qu'elle attirait la mort - ce qui n'était sans doute pas faux lorsque vous aviez la capacité de parler avec votre frère, mort à la naissance, resté accroché à vous. Mais comme le but était de rassurer plus qu'effrayer, il était préférable qu'elle se taise.