I'll go easy on you

feat. Erik

L’institut Xavier avait été autrefois, dans un autre monde, dans une autre vie, un lieu foisonnant, vibrant du martèlement des pas de ses élèves et professeurs, et de l’écho de conversations diverses : un lieu vivant, un lieu fédérateur, un lieu à ses yeux nécessaires. Ici, dans cette dimension, il n’en est qu’un ersatz, une copie si conforme que l’illusion s’en trouve particulièrement convaincante, mais une copie tout de même. Quelques jeunes mutants, en quête de guidance et de repère, ou déjà familiers des lieux, ont trouvé leur chemin jusqu’à l’institut, mais leur nombre reste limité, et en l’absence de ses pouvoirs et de Cerebro, difficile de rendre à sa mission première son lustre d’antan. Il sait s’en contenter néanmoins, ou en tout cas, il s’efforce de s’en contenter. Vivre sans ses pouvoirs lui procure un effet similaire à celui qu’il avait ressenti au moment de perdre l’usage de ses jambes. Déparé d’une partie de lui-même avec laquelle il avait vécu depuis toujours, obligé de s’adapter, en souffrant néanmoins d’un sentiment de manque que l’habitude ne fait pas totalement disparaître. Malgré tout, la vie doit continuer, et celle-ci, dans un monde qui a si peu du sens, exige que l’on construise le sens en question soi-même. Un coup de pouce du destin, ou plus concrètement un visage familier, ne sont cependant pas de refus, bien au contraire… et ils lui avaient singulièrement manqué jusqu’ici.

Il se tient dans la grande bibliothèque du bâtiment quand il entend la porte d’entrée s’ouvrir. Attentif, vigilant, il repose immédiatement le livre qu’il avait entre les mains sur son étagère avant de diriger son fauteuil roulant jusqu’à l’entrée du bâtiment. Alors qu’il s’engage dans le couloir le plus proche, il voit se découper à l’autre bout une silhouette des plus familières, celle d’un homme qu’il n’a pas revu depuis plus de trois ans. Qu’il avait espéré retrouver, peut-être plus que tous les autres. Un sourire se dépose naturellement sur les lèvres de Charles. Peu importe leurs contentieux, leurs conflits, leurs combats opposés, Charles et Erik trouveront toujours un terrain commun sur lequel se retrouver, même si ce doit être l’espace de quelques minutes seulement.

« Erik », il le détaille du regard tandis qu’il parvient à son niveau. Un regard ne suffira pas à deviner ce qu’a pu être le parcours de vie de son ami depuis son arrivée dans ce monde. Il pense pouvoir deviner certaines choses, d’autres resteront un mystère évident. « Tu auras mis du temps à me trouver », remarque-t-il ensuite, ce qui est une façon, à sa manière, de lui signifier le plaisir qu’il a à me revoir et combien il lui a manqué. « Dois-je ta présence ici à une raison particulière ? »

Il espère que non, ou du moins aucune raison qui n’implique seulement la volonté de leurs retrouvailles. Mais dans ce monde et dans ces circonstances, l’on peut s’attendre à tout, et Charles est prêt à tout entendre si cela doit être nécessaire. D’autres questions le taraudent, notamment en ce qui concerne la vie d’Erik dans ce monde et le retour ou non de ses pouvoirs, mais chaque chose en son temps.

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« J’étais très occupé à prétendre être occupé », répond Charles presque un peu trop sincère quand Erik lui fait remarquer que lui aussi aurait tout à fait pu le retrouver, et surtout, qu’il y a de quoi s’interroger sur ce qu’il a fait durant ces trois dernières années.

Il a, à vrai dire, prétendu tenir toujours un rôle dont il n’est pas totalement satisfait puisqu’il ne peut que partiellement le remplir. Sa légitimité à tenir cet institut alors qu’il n’a lui-même pas retrouvé ses pouvoirs à de quoi être remise en question. D’ailleurs, Charles s’épargne généralement de confesser aux mutants qu’il prend sous son aile qu’il n’est techniquement plus des leurs. Il garde sa mission à cœur malgré tout, mais un pieux mensonge n’a jamais fait de mal, n’est-ce pas ? Et Charles n’est, à dire vrai… pas le dernier des manipulateurs, même s’il estimera toujours agir ainsi dans le meilleur intérêt de tous.

Erik souligne néanmoins une singularité inhérente à cette ville, et que Charles avait déjà observée lui-même pour sa part : elle s’observe par les caprices de la géographie des lieux, mouvantes, ou par le nombre de retrouvailles tardives qu’il est possible d’y faire, même quand on pense avoir tout exploré, atteint les limites de ses recherches. Pourquoi seulement maintenant Erik avait-il eu connaissance de l’existence de l’institut, et pas avant ? Les questions de cet ordre, il n’est pas rare que Charles se les pose, mais en l’absence de réponse pertinente, il préfère mettre ses doutes et certaines de ses interrogations en sourdine. Il ne les laissera pas, en tout cas, interférer avec la joie de leurs retrouvailles.

« Je poursuis mes ambitions, comme tu peux le constater », reprend-t-il en adressant un regard circulaire autour de lui. « L’école était sur pied à mon arrivée ici, elle manquait seulement d’élèves », résume-t-il alors tout en faisant mouvoir son fauteuil pour l’inviter à rejoindre le salon, après qu’Erik lui ai confirmé qu’il avait simplement voulu lui rendre visite, ce qui était bien sûr la réponse qu’il avait espéré entendre.

Une fois parvenus dans cette salle à la décoration rustique, agrémentée d’une bibliothèque, d’un minibar et de quelques fauteuils confortables, il s’applique, à leur servir deux verres d’alcool ambré, non sans avoir invité au préalable son invité surprise à prendre ses aises.

« Elles ne te sont pas revenues non plus, n’est-ce pas ? » interroge Charles après s’être installé face à son vieil ami, le détaillant sans gêne d’un regard inquisiteur. « … tes capacités ? » lui demande-t-il alors sans certitude mais mu en revanche par une de ces intuitions qu’il aurait tendance à écouter tout naturellement.

Perdre ses pouvoirs a été difficile à accepter pour Charles, il devine que cela a dû être autrement plus compliqué pour Magnéto, qui avait dû se sentir limiter, diminuer, réduit à l’état de tout ce qu’il avait appris à mépriser, dès l’instant où il avait constater ne plus être en mesure d’utiliser son don.

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Une fine esquisse se dépose sur les lèvres de Charles quand Erik observe qu’il est resté fidèle à lui-même en dépit des circonstances. Ce n’est pas toujours une bonne chose que de se reposer sur ses acquis, mais au fond, il trouve une certaine satisfaction au fait que son ami ne le trouve pas particulièrement changé, tout comme lui-même estime qu’Erik n’a en fin de compte pas tant changé que cela, bien qu’il serait difficile d’en faire une certitude compte tenu des années qui les a séparés de leur dernière rencontre. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’a été la vie et le quotidien d’Erik ce temps durant. Tout ce qu’il parvient à comprendre et à deviner, c’est qu’il a probablement dû faire avec l’absence de ses pouvoirs, et que cela a dû être une épreuve à ses yeux. Erik ne lui semble pas tant changé, mais il n’est certainement pas celui qu’il était au cours de leur première rencontre. Les épreuves et l’expérience l’ont changé… jamais au point, cependant, que l’un comme l’autre ne trouvent l’occasion de tenir un rôle, même passager, dans la vie de l’autre.

Charles ne répond pas quand, alors qu’ils traversent les couloirs de l’institut, Erik remarque que Charles s’est probablement senti bien seul dans cet immense manoir. C’est le cas. Il n’est pas totalement seul, certes, quelques élèves ont rejoint l’institut, mais dans l’ensemble, il ne peut prétendre être bien entouré. Tous ceux qui constituaient son environnement social sont absents de sa vie… il n’est pas certain de les retrouver un jour… même s’il espère sincèrement le retour de nombre d’entre eux. Oui, il s’est senti seul. Il aimerait dire que le retour d’Erik dans sa vie comblera sa solitude, mais il a renoncé de longue date à l’idée qu’il demeure à ses côtés autrement que de manière partielle, fragmentée. Pouvoirs ou non, il ne pense pas que cela changera.

Car oui, Erik lui confirme ce que Charles était parvenu à comprendre sans avoir besoin de se frayer un chemin dans les pensées de son interlocuteur. Il ne commente pas quand Erik suggère que ce serait la punition à ses crimes. Charles ne le voit pas comme une malédiction ou un retour de bâton cosmique pour toutes les erreurs qu’ils auraient commises. Ce serait trop simple. Et ainsi qu’Erik l’observe lui-même, tous les individus dotés de pouvoirs ont subi la même injustice. Mais certains s’en sont, en fin de compte, mieux sorti que d’autres.

« Entre nous, moi aussi », admet Charles avec un sourire en coin quand Erik observe que si ce monde ne lui aura pas rendu l’usage de ses jambes ou n’aura pas favorisé le retour de ses pouvoirs, il aura au moins miraculeusement annulé sa calvitie un rien inesthétique. « Tu retrouveras tes pouvoirs », fait-il simplement, avec une assurance qui ne tolère pas de grands discours. « C’est une question de temps. » Charles se saisit de son verre et en prend une gorgée tout en observant Erik, saisissant le moment, la pleine conscience de sa présence ici, après plus de trois longues années de silence. « Qu’est-ce que tu as fait, ces dernières années ? Tu as retrouvé de vieilles connaissances ?... Raven ? »

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« A t’entendre, on croirait que cela n’arrive jamais, ce serait presque vexant », réplique Charles quand Erik lui fait remarquer qu’il est bon de savoir parfois se mettre d’accord sur un sujet.

Charles a beau dire, c’est effectivement Erik qui a raison sur ce point. Certes, il leur est arrivé de s’entendre sur des choses et d’autres, voire même sur des sujets importants, sans quoi leur amitié ne serait pas devenu ce qu’elle est aujourd’hui, imperméable aux aléas de leurs existences respectives, résistant même à leurs décisions les plus contradictoires. Oui, ils ont su se mettre d’accord, mais il est tout de même vrai également que leurs divergences d’opinion sont également très nombreuses, et probablement bien plus nombreuses que ne l’auront jamais été leurs points d’entente. Raison pour laquelle leurs chemins pouvaient bien se croiser, oui, mais jamais définitivement se rejoindre. Quoi qu’il advienne, l’un et l’autre sont destinés à suivre des chemins divergents, quand ils ne sont pas radicalement opposés, en dépit de tout le respect et de toute l’affection qu’ils pourront jamais éprouver l’un vis-à-vis de l’autre.

Erik admet la possibilité de retrouver ses pouvoirs un jour, il n’a probablement pas d’autre choix que de l’espérer quoi qu’il en soit… il peut probablement tolérer l’idée d’en être dispensé tant qu’il garde à l’esprit la possibilité de les retrouver un jour, c’est une chose que Charles est parfaitement à même de comprendre, au fond… S’il serait probablement plus à même que son interlocuteur d’accepter l’idée de ne plus jamais retrouver ses anciennes capacités, il sait tout de même qu’il lui serait éprouvant de vivre le restant de ces jours sans ce don qu’il a à sa manière placé au cœur de ses considérations et de son existence. Et son obstination à demeurer à la tête de l’institut ne serait plus alors qu’un leurre, une triste illusion.

« Peut-être te faut-il simplement une sorte de déclic », suggère Charles quand Erik s’interroge quant au moment où ses pouvoirs lui seront rendus.

C’est une hypothèse que Charles estime viable, même s’il ne saurait dire de quelle nature pourrait bien être ce déclic. En tout cas, Charles suppose que ce ne sera pas pour tout de suite, considérant cette pièce de monnaie qu’il finit par poser sur la table entre eux et qui par sa seule présence témoigne de son impuissance.

« Tu n’en auras pas besoin », répond Charles quand Erik, fidèle à lui-même, promet de le ménager alors qu’il lui propose une de leurs habituelles parties d’échecs.

Charles, en guise de confirmation, extirpe d’un placard un jeu d’échecs qui semblait patiemment les attendre. C’est comme un rituel entre eux, en temps de guerre comme en temps de paix, ces parties d’échec sont comme un terrain neutre sur lequel ils peuvent se retrouver y compris dans la tourmente, peu importe ce qui doit avoir lieu dans leurs vies respectives.

« Tu prends les blancs ou les noirs ? »

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Sans avoir accès aux pensées d’Erik, Charles devine que son vieil ami n’est pas convaincu par ses propos, et il peut le comprendre, car quand bien même, pour sa part, il estime important de leur accorder un semblant de légitimité, il ne va pas affirmer croire à cent pour cent dans ce qu’il dit. Faut-il un déclic, vraiment ? Peut-on espérer que cela soit suffisant ? Charles en doute quelque peu, mais va savoir, après tout. Si Erik n’est pas convaincu, peut-être qu’un autre, ou autre chose en tout cas, arrivera à susciter cet effet. Quoi qu’il en soit, peu importe les circonstances qui permettront à Erik de retrouver ses pouvoir, Charles croit dans cette possibilité, comme il veut croire dans le retour de ses propres aptitudes. Il le faut, après tout. Bien sûr qu’il le faut. Charles le souhaite pour lui-même autant que pour Erik, quand bien même il sait pertinemment que son ami est bien plus inoffensif sans sa mutation, et que cela devrait être considéré comme une chance pour beaucoup. Avec des pouvoirs aussi puissants que ceux de Magnéto, il pourrait changer la face du monde. En bien ou en mal ? Là est la question… il est au fond impossible de le savoir.

Il affiche un sourire sincère quand Erik observe que, pour une fois, il l’a devancé. Effectivement. C’est généralement toujours Erik qui initie leur partie, et comme il s’y attendait, une fois encore sans avoir besoin de sonder son esprit, ce sont les noirs qu’il choisit, lui laissant donc le soin de commencer. Charles hoche la tête, approbateur, tout en installant le jeu. Cette partie et son issue n’ont pas grande importance, ce n’est jamais ce qui a importé au cours de leurs si nombreuses parties rituelles où ils ont pu se retrouver autour d’un jeu similaire. C’est un prétexte, un décorum pour leur offrir d’aborder un sujet bien différent. Le jeu est installé, de son côté, Erik est encore affairé à disposer ses pions de son côté quand…

« Erik ! »

Charles observe la pièce fétiche de son ami léviter au-dessus de la table, et un sourire franc illumine son visage. C’est souvent au moment où on l’attend le moins que ce que l’on espérait depuis très longtemps trouve un territoire propice afin de se produire. Finalement, il se pourrait, bien en effet, qu’il fallait un déclic pour qu’Erik retrouve ses pouvoirs… et Charles admet se sentir à la fois ravi et flatté d’être ni plus ni moins que ce déclic.

« J’adore avoir raison », fait Charles avec sincérité, heureux surtout de constater que les pouvoirs d’Erik lui sont revenus. Il voudrait répliquer que, dans les même temps, ses pouvoirs seraient miraculeusement revenus en retour. Mais bien sûr, il n’en est rien. « Je m’en voudrais d’interrompre notre parie avant même qu’elle ne commence, mais je me vois dans l’obligation de mettre tes pouvoirs fraîchement retrouvés à l’épreuve. »

Par curiosité, afin de constater leur ampleur, afin d’observer leurs éventuelles limites… lui seront-ils revenus pleinement ou de façon plus hésitante ? Naturellement, la question se pose.

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« Que ferais-tu sans lui », observe Charles avec un sourire au coin des lèvres quand Erik lui reconnaît que son optimisme lui avait manqué.

Que ferais-tu sans moi ? Aurait-il envie de spécifier. Il ne le fait pas. Il laisse les circonstances parler d’elles-mêmes. Peu importe combien de fois leurs intérêts divergeront, combien de fois ils rentreront en conflits et emprunteront des chemins aux antipodes, ils se retrouvent toujours… et la présence ou l’absence de l’un affecte toujours très naturellement l’autre, que ce soit consciemment ou inconsciemment. Bien sûr qu’il est présomptueux d’estimer que les pouvoirs d’Erik lui seraient revenus uniquement parce qu’il se trouve en sa présence, mais cette pensée se fait une place irrésistible dans l’esprit de Charles, comme il devine, sans savoir encore sonder de nouveau son esprit, qu’il en est également de même pour Erik. Leurs destins ont toujours été étroitement mêlés, depuis l’instant même de leur rencontre.

Ce sont des épisodes tels que celui-ci, des faits qui n’ont définitivement rien d’anodins, qui doivent asseoir cette certitude une bonne fois pour toutes. Quelques secondes d’un silence que Charles ne cherche pas à troubler s’installe entre eux. Ce n’est pas un silence pesant, pas vraiment, quelque chose de confortable et de familier… Tout en paraissant étrangement inédit. Le regard de Charles soutient celui d’Erik avant que finalement, ce dernier confirme trouver un certain intérêt à déterminer si leurs pouvoirs lui seraient entièrement revenus ou non.

« Il ne tient qu’à toi de mettre tes compétences à l’épreuve, je ne doute pas que tu ne manques pas d’idée pour ce faire », constate Charles, reportant son attention sur le jeu d’échec, avançant dans la foulée un premier pion, après un temps très court de réflexion.

Quand il relève le regard du plateau pour reporter de nouveau sa pleine attention sur Erik, ce dernier évoque Raven. Charles se fige quelques instants. Il devait probablement s’attendre à ce que le sujet soit abordé. Raven tient, à des échelles et de manières différentes, une place terriblement importante, autant dans la vie de l’un que dans celle de l’autre. Tout comme Charles avait espéré retrouver Erik ici – sans être certain que cela soit chose à souhaiter à qui que ce soit, cependant –, il a tout autant espéré retrouver celle qu’il n’a jamais cessé de considérer comme une sœur depuis l’instant où il l’a accueillie sous son toit il y a une éternité de cela.

« Si tu cherches à me déconcentrer, Erik, c’est peine perdue », répond Charles avec une contenance en grande partie factice, car le sujet l’affecte plus qu’il ne le prétend en cet instant, et Erik, qui le connaît probablement mieux que personne, ne saura probablement pas dupe de cette manœuvre. « Non, je n’ai pas revu Raven. » Mais s’il lui pose la question, c’est qu’il l’a probablement revue, n’est-ce pas ? Et que leurs propres retrouvailles ne sauraient donc tarder… Et Charles s’en réjouit, bien sûr, quand bien même il ne peut avoir aucune certitude quant à ce qu’auront été les choix de la jeune femme dans ce nouveau monde, elle qui a si longuement navigué entre deux eaux. Entre eux deux. « Comment va-t-elle ? »

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Une fine esquisse de sourire étire les lèvres de Charles à la réponse d’Erik, quand ce dernier affirme que sans son éternel optimisme (pas si éternel que cela en réalité, car plus d’une fois, au gré des circonstances, il avait pris du plomb dans l’aile), il sombrerait sans doute encore et encore. Cette réponse n’a pourtant rien d’heureuse quand on admet qu’elle n’est pas une plaisanterie, et Charles devine que ce n’en est pas une… En tout cas pas complètement. Charles a toujours voulu croire jouer pour lui un rôle qui n’était peut-être, au fond, pas le plus approprié. Il pensait pouvoir le protéger de sa part d’obscurité, mais c’était une prétention trop grande… Il ne pouvait pas non plus contrer les ambitions d’Erik, et à peine les juguler, en réalité… Il a fini par en prendre son parti… avec le regret de se dire que, peut-être, si ce dernier devait sombrer trop profondément, il atteindrait un seuil inconciliable, et il ne veut pas le voir advenir.

« J'ai bien peur de ne pas avoir d’antenne satellite géante à porter de main, mais on peut trouver autre chose, s’il n’y a que cela pour te faire plaisir », fait-il avec un sourire, songeant bien évidemment à l’épisode auquel Erik fait référence, et qui remonte aux tout débuts de leur amitié, quand cette dernière ne se voyait pas encore entachées par les aspirations et les revendications de Magnéto… A cette époque, ils travaillaient de concert, et si certaines divergences pouvaient déjà se faire voir, elles n’étaient pas notables au point d’entacher leur histoire. Quant à lui, il tenait encore convenablement sur ses deux jambes.

Ce passé lui semble ce qu’il y a de plus lointain, à présent, et en même temps très proches, peut-être parce que certaines choses n’ont pas tant changé, à commencer par leurs sempiternelles parties d’échecs. D’autres ont évolué drastiquement, et certaines sont encore à déterminer, à commencer par le retour tout récent des pouvoirs d’Erik quand Charles, de son côté, ne parvient pas à recouvrer ses aptitudes passées en dépit de toute l’énergie et toute la volonté qu’il veut déployer à ce titre.

La concentration de Charles n’est pas totalement tournée vers le jeu, encore moins à partir du moment où le sujet de Raven est déposée sur le tapis. Au fond, Charles a toujours été convaincu qu’elle se trouvait bel et bien ici, tout comme Erik, il ne s’étonne pas tant de sa présence – même s’il regrette de ne pas l’avoir trouvée plus tôt – qu’il ne s’inquiète de sa santé, autant physique que mentale. Il hoche la tête quand Erik lui apprend, sans surprise, qu’elle a parfaitement su se débrouiller par ses propres moyens dans ce nouveau monde.

« Il est vrai qu’un tel changement a dû lui être profitable », reconnaît Charles, songeur, concernant l’apparence humaine de Raven. « De quoi avez-vous parlé ? Est-ce que tu sais ce qu’elle fait, ici ? » l’interroge-t-il sans rien dissimuler non seulement de sa curiosité mais aussi du souci sincère qu’il se fait pour celle qu’il considère comme une sœur.

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Une fine esquisse de sourire étire les lèvres de Charles alors qu’Erik lui confirme être convaincu qu’il saura sans mal lui trouver un défi à sa taille. Est-ce que cela sera bel et bien le cas ? Pour l’heure, il ignore de quelle manière il pourrait être capable de tester les connaissances de son ami, ce qu’il sait en revanche, c’est quand cet instant, la curiosité l’étreint, et il ne demande qu’à en apprendre plus sur les compétences retrouvées d’Erik. Lui reviendront-elles progressivement, au prix d’une grande concentration et de nombreux efforts, ou la chose se fera-t-elle bien plus rapidement, bien plus intuitivement, au gré des circonstances. Oui, c’est véritablement la curiosité qui anime l’esprit de Charles, en cet instant. Mais pas seulement. Au-delà de la curiosité, il y a également autre chose, qui ressemblerait bien davantage à une certaine forme de jalousie. Jalousie car lui-même ignore quand ses pouvoirs reviendront. Et il semblerait que l’émotion des retrouvailles ne suffise pas réellement à changer quoi que ce soit. Il lui faudra peut-être une autre sorte de déclic. Mais aussi et surtout, ne lui en déplaise, qu’il prenne son mal en patience. Qu’importe, le plaisir des retrouvailles reste intact, et les souvenirs que ces dernières invoquent demeurent tout aussi réjouissants.

Il garde néanmoins ces pensées et préoccupations pour plus tard quand d’autres naissent dans son esprit au moment d’apprendre la présence de Raven en ville. Cette nouvelle n’est pas complètement surprenante à ses yeux, il s’y était, bien évidemment, attendu. Ce n’est pas pour autant qu’il n’éprouve pas une réelle sensation de soulagement au moment de comprendre qu’il ne s’était pas trompé le moins du monde et surtout, qu’il lui sera probablement donné de la revoir très prochainement, puisqu’Erik est en contact avec elle… Du moins, Si Raven doit consentir à le voir et à lui parler. Charles la considère comme une sœur, véritablement comme une sœur. Rien ne lui importe davantage que de la savoir heureuse, que de la savoir bien… Certaine de ses choix, même si ces choix doivent tristement s’opposer à ses convictions… et c’est inquiet des convictions en question d’ailleurs, que Charles interroge Erik sur ce qu’aura été la nature de leur conversation.

Erik lui apprend qu’ils ont ensemble évoqué le passé et leurs erreurs, leurs vies respectives. Le terme d’ « erreurs » n’entre pas dans l’oreille d’un sourd. S’il n’exprime verbalement aucune forme de jugement, il a tout de même une très bonne idée des erreurs qui, à ses yeux, ont été commises par ces deux personnes qui, plus que toutes les autres, importent à ses yeux.

« Je n’en suis qu’à moitié surpris », observe Charles, légèrement amusé d’apprendre que Raven, en l’absence de ses pouvoirs, se découvrirait presque le besoin de les récupérer. Ce qui est compréhensible au vu de son parcours. « Assistante sociale, c’est une profession qui ne lui va pas si mal », ajoute-t-il d’un ton songeur. « Même si comme toi, je doute qu’elle s’y cantonne… Surtout quand ses pouvoirs reviendront. Et nous savons tous les deux que cela arrivera tôt ou tard. » Il marque une pause. « Tu m’as intelligemment distrait de mes questions tout à l’heure. Tu n’as pas répondu à ma question, ne pense pas que tu y échapperais. Tu ne m’as toujours pas dit ce que tu as fait ces dernières années. »

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Charles est convaincu du fait qu’il y a toujours plus à dire que ce que l’on veut bien raconter, alors qu’Erik lui assure que, de sa nouvelle vie, il ne serait pas en mesure de lui apprendre grand-chose. Il restera sûrement en surface des choses dans un premier temps – sans grande surprise, Charles sait comment il a tendance à fonctionner, et en temps normal, cela n’a rien de dérangeant (Charles était largement en mesure de combler les vides, autrefois, en se servant de ses propres pouvoirs, chose qui lui est dorénavant impossible). Il devra se contenter de ce qu’Erik veut bien lui apprendre, mais même si ces informations devaient n’être que peu nombreuses ou succinctes, cela n’aurait pas grande importance, en réalité. Même sans ses pouvoirs, Charles se pense encore capable de lire entre les lignes, plus encore quand il est question d’Erik concernant lequel il a acquis, de longue date, un champ de compréhension remarquable et presque intuitif, sans doute parce qu’en dépit de toutes leurs divergences, à la fois d’opinion et de caractère, les deux n’en sont pas moins les deux facettes d’une même pièce, capable de s’entendre et de se comprendre dans des propensions difficilement explicables.

Charles apprend donc qu’Erik a trouvé du travail dans une fonderie, lui permettant de gagner son pain et d’avoir un toit au-dessus de la tête. L’information n’est pas si surprenante, elle fait écho à des choix de vie passée qui, malheureusement, ne lui ont pas été profitables. Est-ce que, dans ce monde aussi, Erik envisage de trouver une femme avec qui partager sa vie, ou encore de fonder une famille ? Se pourrait-il même qu’il ait rencontré quelqu’un ? Ces questions, évidemment, Charles se les pose, par curiosité pourrait-on dire amicale, mais pas seulement. Il y a quelque chose de plus intrusif dans de tels questionnements, qui justifie sans aucun doute qu’en définitive, il ne se hasarde pas à lui poser cette question qui lui brûle les lèvres et choisisse en lieu et place de cela de s’attarder sur un territoire non pas moins sûr, mais qui paraisse tout du moins davantage dans ces cordes.

« A présent que tu as retrouvé tes pouvoirs, ta carrière pourrait s’en voir probablement compromise, je me trompe ? » suggère simplement Charles sans apporter réellement de jugement moral à ses réflexions… du moins à première vue, mais Erik le connaît bien assez, lui aussi, pour savoir lire entre les lignes, sans avoir jamais eu besoin d’être un grand télépathe pour sa part.

Alors qu’il l’interroge à ce sujet, Erik, probablement plus concentré que lui sur leur partie d’échecs, en profite pour lui prendre un de ses cavaliers. Un coup de maître qui pourrait lui permettre, si Charles n’inverse pas la tendance en peu de coups, de faire échec et mat.

« Voilà qui me donnerait presque matière à te laisser gagner », affirme légèrement Charles quand Erik lui fait remarquer que s’il gagne, il devra lui trouver un nouveau défi à sa mesure. « Et si tu perds ? »

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« Ton mauvais caractère », répète Charles avec un sourire en coin, relevant un instant les yeux de son jeu d’échecs pour poser le regard sur son interlocuteur – pas très longtemps, seulement le temps de croiser son regard avant de faire à nouveau mine d’être totalement absorbé par leur partie. « C’est une façon comme une autre de présenter les choses », admet-il alors d’un ton léger, mais au fond satisfait de la réponse de son interlocuteur, qui semble vouloir bel et bien rester focalisé sur les ambitions qu’il s’est fixées à son arrivée sur cette île.

Qu’il tienne à garder le travail qu’il a trouvé ici est, aux yeux de Charles, un excellent signe… Bien sûr, Erik n’a pas tout à fait répondu à la question de son ami dans tout ce qu’elle sous-entendait, mais Charles n’attendait pas une telle chose de sa part quoi qu’il en soit. Erik est bien assez intelligent pour savoir lire entre les lignes quoi qu’il en soit. Charles n’est pas entièrement dupe, bien sûr, il sait naturellement que certaines choses ne changent pas, elles sont profondément ancrées en nous, trop pour qu’il soit possible de réellement les modifier en profondeur, mais n’importe quel changement, même minime, qui lui semble favorable est définitivement bon à prendre aux yeux de l’ancien télépathe, qui au-delà de ses ambitions, de leurs projets et de leurs divergences d’opinion ne demande avant tout et surtout qu’une seule et unique chose, et c’est l’opportunité de protéger et de sauver ce qui peut l’être quoi qu’il en soit… Une exigence à laquelle se mêle une pensée probablement moins louable mais ô combien sincère également : la volonté égoïste de garder Erik à ses côtés et de ne pas le perdre de vue, cette fois…

« Tu me devances, je vais presque croire que je suis prévisible », affirme Charles toujours sur le même ton tout en déplaçant son fou sur l’échiquier.

Prévisible, sans doute qu’il l’est en grande partie, même s’il n’est pas toujours aussi transparent sur ses intentions que ce qu’il veut bien affirmer, auprès de ceux qui, pourtant, seraient autrement susceptibles de lui accorder une confiance peut-être trop aveugle. Mais prévisible, il l’est surtout pour Erik, qui est probablement – avec Raven – la personne qui le connaît le mieux au monde et la plus susceptible, par conséquent, de comprendre et d’appréhender son cheminement de pensée.

« J’allais t’affirmer que si tu as besoin d’un travail, tu pourras toujours trouver une place ici. » Travail ou pas travail. Une place avec lui, surtout. « Je préfèrerais que tu t’abstiennes de me faire faux bond en effet », reconnaît Charles sans perdre son fin sourire alors qu’Erik lui promet qu’il n’a pas l’intention de le lâcher à présent qu’ils se sont retrouvés. « Tu m’as vraiment manqué, Erik. » ajoute-t-il comme s’il s’adressait à son jeu, constatant au passage que son dernier déplacement de pièce, malvenu car Charles n’était définitivement que peu concentré sur leur partie, vaudra la victoire d’Erik au coup suivant.

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Charles ne perd pas son sourire quand Erik lui confirme que si la télépathie n’est pas un pouvoir que lui-même possède, cela ne l’a jamais empêché de lire en lui comme dans un livre ouvert. Charles en a tout à fait conscience, et bien loin de s’en agacer, il a toujours trouvé particulièrement réconfortante la manière dont son ami parvenait à le comprendre avec tant d’aisance et sans détour. Il n’y avait guère de questions à se poser quand il était en sa présence, Erik était capable de le comprendre sur un plan qui était accessible à très peu d’autres. Beaucoup pouvaient bien chercher à le cerner sans jamais totalement y parvenir, ce n’était pas le cas de son interlocuteur, qui avait par ailleurs probablement cerné chez lui ce quelque chose qui avait sans doute échappé à tous les autres.

Même si c’est naturellement afficher une vulnérabilité certaine que de faire montre d’autant de transparence, Charles ne le regrette jamais un seul instant quand il est question d’Erik. C’est même tout l’inverse, et il serait au contraire toujours en mesure de lui offrir cette forme pleine, entière et sans ambages de sincérité, car quand bien même leurs opinions divergeraient, quand bien même leurs camps se diviseraient, il est des trahisons dont Charles est tout à fait convaincu qu’Erik ne serait jamais capable à son égard, quoi qu’il advienne. Charles est prévisible, mais il ne l’est que pour lui, d’autres ne seraient pas tant capables de souscrire à sa mentalité ou de véritablement comprendre ce qui l’encourage et l’anime, son mode de pensée autant que de fonctionnement. Charles ne prend même pas la peine de commenter un fait dont ils ont tous les deux si bien conscience. Il a ce privilège sur lui, comme de nombreux autres privilèges qui ne se justifient pas tout à fait.

Erik comprend sans mal le mode de fonctionnement de Charles, l’inverse est vrai également, raison pour laquelle le silence qu’il lui oppose après s’être vu proposer de trouver une place à sa convenance en ces lieux ne le surprend pas. Charles ne devrait pas insister, il sait bien qu’Erik ne se sentira probablement jamais à sa place ici… Mais par facilité, par désir… par caprice, peut-être, aussi, Charles ne peut s’empêcher d’imaginer une possibilité dont il sait pourtant qu’elle ne serait rien d’autre qu’un échec annoncé. Il est des catastrophes inévitables dans lesquelles il est bien trop tentant de se jeter, quand on songe au bonheur, même fugace, qu’elles seront susceptibles de nous apporter.

La partie emportée, les deux restent encore le temps d’un autre verre, mais il finit par s’en aller. Charles sait qu’il reviendra. Ce n’est pas ce qui l’inquiète. Ce qui l’inquiète réside dans le fait que cela ne durera peut-être pas, et que tôt ou tard, leurs chemins s’éloigneront plus longuement. Certes, leurs chemins bifurquent parfois mais se retrouvent toujours… Ce n’est pas pour autant qu’il veut leur donner l’opportunité de s’éloigner trop longtemps.