(Terminé) Réconfort. Charles&Rose

Réconfort

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feat. Rose

Ses pouvoirs sont revenus depuis peu. Est-ce parce qu’il est resté si longtemps privé de ses capacités psychiques qu’il les ressent de la sorte ? Il ne saurait le dire, toujours est-il que le retour de sa télépathie représente pour lui un bouleversement inattendu. Tout comme il avait vu d’autres mutants, par le passé, retrouver leurs facultés après un certain temps, il s’était attendu à ce que la même chose se produise pour lui. Ce qu’il n’avait pas anticipé, en revanche, c’est la facilité avec laquelle son esprit s’était adapté à un silence qu’il avait pourtant trouvé éprouvant pour commencer. Plus d’une fois, il avait voulu forcer sa nature et le destin, puiser en lui ce quelque chose qui ferait remonter son don à la surface, et rien n’y faisait. A présent que ses pouvoirs lui ont été rendus, la chose est pourtant… chaotique… Son esprit s’ouvre aux pensées environnantes et les absorbe à la manière d’une éponge, sans distinction aucune. Ce n’est qu’une question de temps, de réadaptation, et il le sait, mais il lui fait admettre que cela ne l’aide pas nécessairement à s’acquitter de la tâche qu’il a choisie pour lui-même autant qu’il le voudrait. Cela viendra. Lui qui s’est donné pour vocation d’apprendre à ses pairs à maîtriser et utiliser leurs pouvoirs à bon escient, voilà qu’il se sentirait dépassé par son propre potentiel.

Au sein de l’institut Xavier, le professeur sait donner le change. Elèves et professeurs ne sauraient deviner, au moment de l’entendre, d’un ton calme et posé, faire une démonstration efficace de son don, ce qui se trame dans un esprit qui, fort heureusement, leur reste pour autant indéchiffrable. Peut-être n’y liraient-ils pas grand-chose, en fin de compte, tant les pensées d’autrui parasitent régulièrement le cours de ses propres réflexions. Cependant, c’est une première étape. Une étape décisive. S’il peut à nouveau se servir de ses pouvoirs ainsi qu’il le souhaite, il pourra, par la même occasion, procéder plus intelligemment et plus efficacement à son dessein, jusqu’ici limité par les circonstances. Oui, depuis son arrivée sur cette île, Charles aura accueilli au sein de l’institut Xavier un certain nombre d’élèves brillants et prometteurs, aux capacités hors du commun, mais il sait aussi qu’il aurait pu en aider bien plus, armé des bonnes dispositions. Démuni physiquement, il s’est longtemps senti l’être également mentalement, et ce n’est pas vraiment un sentiment des plus confortables, loin de là. Il a su l’enterrer sous un certain nombre d’initiatives accaparantes, qui le sont tout de même moins que les réflexions intrusives du tout-venant, concernant lequel Charles aurait définitivement tendance à dire qu’il pense trop fort.

Pourquoi s’exposer ainsi, dans ce cas, à tant de pensées extérieures dans un espace public ? Certainement pas pour le plaisir, mais du moins pour la vertu d’un exercice qu’il appréhende avec le plus grand sérieux. Charles prend le temps, alors qu'il fait rouler son fauteuil roulant dans les allées gravillonnées du jardin botanique. Il compte écouter, fragmenter, compartimenter les pensées qu’il saisira au vol. Ici, une jeune femme qui regrette manifestement d’avoir accepté ce rendez-vous arrangé par ses amis, là un jeune homme trop certains de ses charmes qui visualise déjà la suite d’une soirée que son rendez-vous ne souhaiterait sous aucun prétexte, là un homme fébrile, dont les fins de mois sont apparemment difficiles… Là…

Charles s'interrompt dans ses gestes et ferme quelques secondes les yeux pour se concentrer uniquement sur les pensées de cette jeune femme charmante, aux cheveux blonds, installée sur un banc, visiblement blessée, s'il se fie à la béquille posée à proximité... Elle semble… désorientée, perdue… Le fil de ses pensées est difficile à suivre, mais il en saisit suffisamment pour comprendre que cette jeune femme troublée aurait le plus grand besoin de compagnie... Tout comme lui.

« Leurs milkshakes sont bons ? » l'interroge-t-il en guise d'entrée en matière tout à fait innocente. « J'hésite à en prendre un moi-même. »

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Derrière le tourment des pensées de cette jeune femme blessée, Charles avait rapidement reconnu une sincère bienveillance, et ce n’est certainement pas le comportement de Rose qui vient le nier alors qu’elle le gratifie de quelques paroles infiniment douces, révélant assez rapidement son caractère sympathique et sociable. Rose a probablement de ces personnalités rayonnantes qui ont pour effet d’illuminer vos vies en peu de temps… Malheureusement, il y a toujours un souci, avec ces personnalités ô combien remarquables, c’est qu’à force d’offrir leur lumière aux autres, certains en usent et abusent, au point que ces personnes n’ont bientôt plus de lumières pour elle-même… c’est malheureux, c’est vrai, mais c’est en revanche un constat des plus récurrents.

« C’est si généreusement proposé », répond Charles avec un sourire quand Rose lui assure qu’elle sera ravie de partager avec lui. Il pourrait songer qu’elle est peut-être juste… trop gentille, et n’a pas vraiment envie de partager, mais il est capable de voir au-delà des mots qu’elle prononce, et il comprend par conséquent qu’elle est au fond ravie de se saisir de ce prétexte pour partager son milkshake avec elle. « Va pour le donuts, dans ce cas », ajoute-t-il alors, enchanté d’avoir su saisir le prétexte idéal pour prolonger sa conversation avec elle.

Certaines personnes, en état de profonde détresse, refusent obstinément de se livrer, et décident de se renfermer sur elles-mêmes. Dans ce cas, les obliger à parler ne mène jamais où que ce soit, mais avec elle, Charles a envie de penser que la chose sera tout de même différente. Il croit en elle et il croit dans sa capacité à s’ouvrir… surtout s’il choisit les bons mots… Et parfois, les mots ne sont pas nécessaires, comme au moment de goûter au milkshake, dont le froid lui monte légèrement au cerveau, mais il n’en montre rien.

« Excellent, en effet », reconnaît-il avec un sourire en coin. Et il attend d’en avoir repris une nouvelle gorgée avant de se présenter à son tour, feignant d’ignorer qu’il avait déjà capté son prénom, au gré de ses pensées multiples et entremêlées. « Charles, enchanté », se présente-t-il à son tour, avec, aux lèvres, son sourire le plus bienveillant. « Vous m’avez l’air songeuse », se permet-il de commenter ensuite. Elle se dérobera peut-être à cette affirmation, et refusera de lui en dire plus, mais de cette manière, Charles lui ouvre une porte, lui offre une occasion… Il ne tiendra qu’à Rose de décider – ou non, de s’engouffrer par cette fameuse porte. La décision lui en revient totalement.

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« J’avoue que j’en mange rarement, je vais donc me fier à votre expertise », il répond avec autant d’enthousiasme que de douceur à son interlocutrice quand elle lui assure que la boisson sucrée qu’il savoure est une des meilleures de la ville, si ce n’est la meilleure. Il doit reconnaître qu’il a un peu trop tendance à négliger ces plaisirs simples de l’existence. Boire et manger représentent davantage à ses yeux une nécessité qu’un plaisir… Mais c’est agréable, en la circonstance, de faire un pas de côté, et de réaliser que l’on s’est probablement trompé. Il ne détaille pas la question dans tous les cas… Ce n’est pas nécessaire, car le sujet qu’il veut traiter avec elle est plus lourd, et efface ses réflexions pour se concentrer ce qui tourmente cet esprit si tendre et si pur.

Il n’aurait pas été surprise qu’elle se dérobe et ne veuille pas partager avec lui son ressenti, mais il a eu raison de penser que la jeune femme en avait gros sur le cœur, et le plus grand besoin de partager ses peines et de se confier. Elle lui parle tout d’abord de sa cheville, et le moins que l’on puisse dire, c’est que les circonstances dans lesquelles elle s’est blessée sont ce que l’on peut qualifier d’épiques.

« Un dragon, rien que ça ? Je n’ai pas eu l’honneur de vivre quoi que ce soit de tel. » Mais il sait qu’elle est sincère, qu’elle ne ment pas. Il en est d’autant plus convaincu que lui-même en a vu d’autres. Il a été témoin de bien assez d’incongruités au cours de sa vie pour que rien ne lui semble impossible, voire même improbable. « Si vous vous en sortez avec seulement une cheville cassée, j’imagine que vous pouvez vous estimer particulièrement chanceuse. »

Pour ce qui est du fait que cette ville se moquerait d’eux, Charles est en effet du même avis. Ce n’est pas heureux que de l’envisager, mais c’est ce qu’il pense également. La ville ou quiconque la contrôle et la dirige. Il y a quelque chose de désagréable et de déconcertant dans le fait d’avoir si peu de contrôle… Mais il faut faire avec.

A ces histoires de dragon, il ne peut pas grand-chose, mais il a bien compris que ce n’est pas réellement cela qui la tourmente. C’est un sentiment à la fois plus vague et plus concret, quelque chose de plus éprouvant et de plus complexe. Le sentiment que l’histoire se répète en continu, de nourrir des espoirs qui toujours finissent par être déçus… il sent bien qu’elle se réfère à une situation particulière, mais il ne veut pas lui demander des détails supplémentaires.

« Peut-être que ces personnes qui vous ont déçue sont simplement aussi perdues que vous. On peut passer des années à espérer après… une personne en particulier, et réaliser que rien ne changera jamais. »

Comme pour Erik. Il avait voulu, sincèrement, le retrouver. Il le veut toujours. Mais au fond, il le sait pertinemment, si ces retrouvailles devaient avoir lieu, rien ne changerait probablement, leurs intérêts et leurs convictions demeureraient inconciliables.

« Ne vous excusez pas. Si j’ai évoqué votre mélancolie, c’est que je tenais sincèrement à en connaître la cause. »

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Le comportement combatif de Rose saute aux yeux. Charles n’a eu besoin que de quelques minutes de conversation avec elle pour que ce dernier se révèle avec une évidence remarquable. Et c’est là un trait de caractère qu’il ne peut que remarquer et apprécier, lui qui a toujours estimé que le combat devait être privilégié pour peu que l’on ait bien conscience de ce pour quoi l’on se bat – pour peu que cela en vaille véritablement la peine. Elle s’en était sortie indemne, et avec une histoire hors du commun à raconter à son entourage… L’air de rien… c’est quelque chose.

Il n’est pas sûr de tout cerner de ce qui est arrivé à la pauvre Rose. Cette histoire de conte dans lequel elle s’était vue attribuer le rôle de la princesse… S’il n’en avait clairement pas vu et entendu d’autre, s’il n’était pas en mesure de lire la sincérité dans sa voix et son regard sans même avoir besoin de se frayer un chemin dans ses pensées, il la prendrait définitivement pour folle, ou pour une jeune femme très imaginative. Mais il la croit, et tout ce qu’elle est capable de retirer de l’expérience qu’elle a vécue ne la rend que d’autant plus sympathique et admirable au regard de celui qui prend un peu plus de plaisir à leur discussion à mesure que cette dernière progresse.

« Les clichés ont la vie dure mais ils sont d’autant plus plaisants à briser », reconnaît Charles avec fin sourire. « Je vous aurais en effet très mal vue tenir le rôle de la demoiselle en détresse », reconnaît-il, se fiant seulement au peu qu’il sait d’elle, certes, mais il considère en savoir beaucoup malgré tout. Rose est une jeune femme débrouillarde et indépendante, cela se constate au premier coup d’œil.

Pour le reste, pour ce qui est de la cause profonde de son malheur à l’heure actuelle, il est capable de l’admettre, prendre une décision ferme et s’y tenir, accepter, même, quand la situation l’exige, de se montrer inflexible. Il ne peut pas dire que ce soit si simple.

« Je m’efforce d’y parvenir. Prétendre que j’y arrive à tous les coups serait très présomptueux », reconnaît-il avec un fin sourire au coin des lèvres.

Et pour ce qui est d’aller trouver les personnes qu’il sent mélancoliques dans le but de leur parler, non, il n’en fait pas une habitude. Mais la détresse de Rose lui a paru… vraiment parlante.

« Je serais un très mauvais psy », il constate avec un fin sourire. « Et je ne laisse pas souvent aux gens l’occasion de me poser cette question. Il est parfois plus simple de pallier au malheur des autres que de se concentrer sur sa propre détresse. – pas que je sois en détresse… ni si mystérieux que cela, vraiment », il reprend.

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« Désolé, je n’avais pas l’intention de vous heurter », répond Charles, immédiatement conscient de son indélicatesse quand son interlocutrice lui fait remarquer que tout plaisant le fait de briser un cliché puisse-t-il être, devoir lutter contre ce cliché n’en est pas moins usant…

Il est capable de le comprendre dans une moyenne mesure, mais il ne prétendra pas pouvoir se mettre à sa place. De par sa nature de mutant et de par son handicap, il a eu droit à son propre lot de préconçus à démonter constamment, et il sait pourtant que ce n’est encore rien en comparaison de cette exigence constante faite aux femmes de devoir prouver les choses… C’est un fait, et un sujet qu’il maîtrise probablement trop mal. Il a parlé trop vite, à l’évidence, mais il apprécie en revanche la manière dont Rose sait, à juste titre, remettre son propos en question et le remettre à sa juste place. De l’avantage de lire dans les pensées d’autrui, il est rarement pris au dépourvu par les opinions des uns et des autres, et il s’éduque à tenir compte de chacune d’entre elles. Mais les entendre exprimer à voix haute, vivement et clairement, c’est encore autre chose, et il estime que cette parole a bien plus de mérites d’être entendu que les maximes toutes faites dont il peut lui-même faire usage dans l’unique but de meubler une conversation.

« Je saurais m’en souvenir », répond Charles avec un fin sourire quand Rose lui promet en retour d’être là s’il devait avoir envie de parler à quelqu’un un jour.

Le fait est qu’il en aurait bien besoin, et qu’il aurait probablement beaucoup de choses à dire au regard de sa vie complexe et dissolue. Les personnes à qui il tient le plus au monde sont aussi précisément celles qui ne seraient pas capables d’entendre et de recueillir ses confidences. Il sent qu’une personne comme Rose serait capable de l’entendre et de le comprendre… Mais pour être honnête, il ne saurait même pas par où commencer. Il faudrait apprendre à Rose sa nature, son histoire, son passé… Et s’il se sent en mesure d’en discuter tôt ou tard très longuement avec elle tant la conversation est simple et agréable en sa compagnie, il s’épargnera tout de même de le faire à tort et à travers.

« Je n’ai pas eu le prospectus, mais ce n’est pas important, je découvrirai au fur et à mesure », dit-il avec un sourire quand elle lui propose de profiter de l’exposition en sa compagnie. Il découvre le thème de l’exposition sur le prospectus que lui désigne Rose, et il lui convient très bien. « Je ne dis non ni à l’entraide, ni au tutoiement. Je me sentirais moins vieux, comme ça… » Il sourit. « Enfin, en ce qui concerne le tutoiement, en tout cas », il ajoute en lui laissant le soin de pousser sa béquille.

Ils s’engagent donc dans l’exposition, et peuvent observer une série de sculptures pour beaucoup très abstraites, aux couleurs éclatantes.

« Je ne t’ai même pas posé les questions d’usage. Ce que tu fais dans la vie, par exemple. »

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Ils ont l’air fins, tous les deux, deux éclopés qui se soutiennent mutuellement, mais il y a quelque chose de notable et d’appréciable dans leur échange : leurs situations respectives ne font jamais que les encourager l’un et l’autre dans la meilleure direction possible, à l’inverse de ce que l’on aurait pu soupçonner. Charles laisse à Rose le soin de guider son fauteuil tout en le chambrant légèrement après qu’il ait fait une remarque sur son âge.

« Trente-huit ans, on fait pire, je le reconnais », affirme-t-il avec un fin sourire.

Mais il est certain néanmoins que la quarantaine arrive à grand pas, et si Charles doute fort de faire une crise de la quarantaine en bonne et due forme, il admet tout de même qu’il sent avoir dépassé l’âge où l’on se situe dans la catégorie des plus jeunes, cette catégorie à laquelle Rose appartient très probablement, quoi qu’un esprit comme le sien, aussi vif et enthousiasme, soit probablement bien moins menacé de vieillir que certains autres, qui du haut de leurs vingt-cinq ans donnent parfois le sentiment d’avoir la mentalité de personnes qui devraient en avoir soixante.

« Chez Pop’s ? Le nom me dit quelque chose », remarque-t-il alors qu’elle lui parle de son travail de serveuse. Un travail qui doit lui convenir comme un gant, car elle a le contact si facile avec autrui qu’on ne pourrait qu’apprécier sa compagnie. Quant au restaurant où elle travaille, il n’en a qu’une vague idée, il lui semble que quelques élèves de l’institut avaient déjà parlé de cet endroit, en louant la qualité de leurs milkshakes. Charles se note mentalement d’y faire un tour un jour. « Je dirige l’institut Xavier, c’est une école et un pensionnat pour jeunes surdoués », résume-t-il très rapidement, omettant bien sûr une information cruciale au passage.

Ce n’est pas qu’il ait particulièrement envie de mentir à Rose. C’est même tout le contraire, cette jeune femme au naturel et au franc-parler attirants auraient bien à l’inverse tendance, plutôt, à l’encourager à l’honnêteté. Quant au mensonge, c’est un art qu’il maîtrise beaucoup trop bien mais auquel il ne prend guère de plaisir. Seulement… il n’est pas si simple d’évoquer ses fonctions, sa nature et son statut sans en jauger les répercussions à grande échelle… Et il en a déjà connu de telles, par le passé, qu’il préfère faire preuve d’un semblant de réserve, en tout cas pour commencer.

Mais cette réserve en question a cependant de fortes chances de ne pas durer. D’autant plus que Charles estime bel et bien que Rose pourrait être capable de l’entendre et de le comprendre sans aucune forme de jugements ni préconçus.

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« J’ai l’intuition qu’il nous faudra plus d’une conversation pour faire le tour de votre vie pour le moins passionnante », il remarque alors qu’elle lui parle de cet homme avec qui elle avait voyagé, qui avait la trentaine en apparence, mais plus de neuf cents ans en réalité.

Il ne remet pas en question son discours, il a connu des mutants qui avaient eu une espérance de vie aussi longue… il se demande d’ailleurs si cet homme avec qui elle avait voyagé n’en serait pas un, mais il choisit de garder ce sujet pour une prochaine fois… car oui, cette discussion fortuite a déjà le don de lui donner l’envie qu’ils en aient beaucoup d’autres. Touché par la personnalité douce et lumineuse de Rose, il ne se verrait définitivement pas passer à côté de la possibilité de mieux la connaître.

« Je note l’adresse, je viendrais… ne serait-ce que pour parfaire mes connaissances en matière de milk-shakes », affirme-t-il avec le sourire, mais néanmoins sincère dans son intention de s’y rendre. Pas que ce soit nécessairement dans ses habitudes, mais il a sous les yeux au moins une bonne raison – une très bonne raison, même, de vouloir s’y rendre.

Elle lui affirme que certains de ses étudiants se rendent parfois au café, car elle a déjà entendu le nom de l’institut. Il ne serait en effet pas vraiment surpris que ce soit le cas. Pour le reste, il serait assez tenté de lui en dire plus. Ce n’est pas parce qu’elle ne serait pas en mesure de comprendre qu’il limite son discours à ses explications habituelles – elle lui a dit plutôt qu’elle fréquentait un type de plus de neuf cents ans, alors il lui en faut probablement beaucoup pour l’impressionner, mais il se doit d’être aussi prudent que possible, pour le bien de ses élèves. C’est à leur protection à eux qu’il pense, avant toute chose, plus qu’à n’importe qui d’autre. Quand Rose ajoute que la diversité est ce qui rend le monde plus beau, il ne peut s’empêcher de sourire, c’est exactement son point de vue. Son désir, son cheval de bataille, depuis presque toujours, est de permettre aux mutants et non-mutants de cohabiter parfaitement, librement, sans discrimination ni violence… et l’expérience lui a appris qu’il y avait encore beaucoup de travail à faire dans ce sens, surtout quand des mutants comme Erik restaient convaincus que tous les non-mutants représentaient forcément une menace pour les leurs.

« Malheureusement, beaucoup de mes élèves sont encore victimes d’une sérieuse discrimination. Mais la peur de la différence vient souvent d’une trop grande méconnaissance… si nous nous éduquoins à nous apprendre et à nous comprendre les uns les autres, alors ces frontières s’estompent. » Il marque une pause. « L’institut a été le travail de toute ma vie, d’où je viens, j’ai été soulagé de le retrouver ici, même s’il m’a fallu tout reprendre ou presque de zéro. »

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Charles n’a pas réellement de difficulté à comprendre celles et ceux qui se mettent des barrières pour se protéger des autres. C’est un réflexe de défense, et qui trouve parfois sa source dans un territoire de déceptions et de traumatismes qu’il est parfois difficile de dépasser. Oui, Charles est capable de le comprendre, mais il sait également que dépasser ces mêmes barrières est bien souvent une nécessité afin d’espérer progresser de la bonne manière dans la vie. Charles, bien sûr, part avec une longueur d’avance sur la plupart des gens – on peut même dire qu’il triche. Les barrières des uns ne sont que facilement franchissables pour lui, qui peut percer leurs défenses en même temps qu’il pénètre leurs pensées… D’accord, il aurait plutôt intérêt à ne pas le faire trop souvent, mais parfois… autant le dire tout net, la chose n’est que trop tentante. Charles ne saurait que se ranger à l’opinion du vrai rayon de soleil qu’est Rose : en effet, on gagne généralement beaucoup à apprendre à connaître autrui.

« Je ne me faisais aucune inquiétude à ce sujet », répond Charles avec un sourire bienveillant quand Rose lui assure faire attention à ce que les jeunes qui se trouvent au café où elle travaille soient toujours en sécurité. Il n’a absolument aucun doute sur ce point. Charles ne connaît pas encore très bien son interlocutrice, en revanche, il pense avoir parfaitement cerné son tempérament. Il lui devine notamment un sens de la justice très prononcé : jamais elle ne laisserait quoi que ce soit arriver à des personnes qu’elle estimerait vulnérables… ou à qui que ce soit d’ailleurs.

Quand Charles lui parle de sa situation, et de comment les choses se sont passées pour lui à son arrivée dans ce monde, il trouve agréable et sensée la manière dont elle appréhende immédiatement la situation. Et elle a raison, oui, de bout en bout. Au début, c’était démoralisant. Ce n’était ni exaltant, ni amusant… juste déprimant. Il avait son institut, certes, mais il n’avait rien d’autres : ses proches étaient aux abonnés absents, et lui-même, privé de ses pouvoirs, s’était franchement senti inutile et impuissant.

« Démoralisant, c’est le terme, en effet. » Il s’est souvent senti seul dans ce grand bâtiment vide qui gardait en lui le souvenir d’événements, heureux comme malheureux, qui semblaient s’être d’un coup effacés, sans la moindre explication… mais d’une manière inéluctable. « Ça l’est encore parfois, pour ne rien te cacher », ajoute-t-il avec un fin sourire. « Il faut beaucoup de force de caractère pour supporter l’idée que tout ce qu’on a accompli aurait été en vain… Encore que ce ne soit pas tout à fait vrai, tout compte fait », se permet-il d’ajouter, sur une note quand même plus positive. « J’ai retrouvé certains de mes anciens élèves, mais très peu, en vérité. » Il hausse les épaules. « A la place, j’en ai trouvé de nouveaux. »

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feat. Rose

Est-ce que de leur expérience forcée, alors qu’ils se retrouvent jetés dans cette situation qu’ils n’ont pas choisie, ne peut découler que de bonnes choses ? Charles ne l’aurait pas nécessairement formulé ainsi, mais il lui est impossible de ne pas être séduit par l’optimisme de son interlocutrice. Lui-même n’est pas toujours aussi positif, il a même pu s’abandonner, dans des périodes très sombres de sa vie, à une détresse émotionnelle qui n’invitait qu’au pessimisme. Les choses sont différentes, à présent. Car il a une responsabilité vis-à-vis d’autrui… et la conviction en effet que d’un malheur peuvent découler grand nombre d’événements heureux. Et des rencontres qu’on aurait regretté de ne pas faire. Comme sa rencontre présente avec Rose.

« On ne peut en effet que s’enrichir de l’expérience de ceux qui nous entourent dans un monde aussi varié », confirme Charles avec un fin sourire appréciatifs.

Tant d’univers et de mondes différents offrent de rencontrer des personnes au parcours et au bagage remarquable et fascinant. Difficile de ne pas être séduit par ces personnalités hors du commun. A l’évidence, Charles, pour sa part, l’est. Et toujours heureux d’en apprendre plus sur lui-même en en découvrant plus des autres.

Charles n’est pas tout à fait certain de rejoindre le point de vue de Rose quant au fait que tout ce qu’ils auraient vécu et accompli par le passé aurait encore réellement une signifiance, une trace quelque part, mais son point de vue est en réalité plus brillant que le sien. Ce n’est pas parce qu’ils ont été extrait de leur strate temporelle initiale que cette dernière n’importe plus. La trace est bien là, ne serait-ce qu’en eux-mêmes. Ils ne seraient pas les mêmes personnes s’ils n’avaient vécu toutes ces expériences qui les ont forgés et ont fait d’eux les personnes qu’ils sont devenus. Alors oui, tout ceci n'a pas été vain, en réalité.

« Je n’avais pas envisagé les choses sous cet angle. Je devrais m’inspirer de ta sagesse, Rose », dit-il non pour se moquer, même s’il le dit d’un ton léger, mais parce qu’il le pense effectivement. « Tu as raison… Mon tort a souvent été de ne pas me reposer sur les autres… Ou bien de ne pas savoir offrir aux autres ce dont ils avaient réellement besoin. Mais on apprend de ses erreurs, n’est-ce pas ? »

Ou, on apprend de ses erreurs en effet, en même temps que de celles des autres, et ils parviendront bien à leurs fins. L’essentiel est de garder la tête haute et de ne jamais baisser les bras.

« Si cela te tente, je te ferai visiter l’institut, un jour. Je pense que ça te plairait. »

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