A la recherche d'un paradis perdu (Charles)

Le paradis perdu

☾☾Accoudé au balcon de notre belle et grande maison de campagne, je regardais avec une certaine tendresse notre petite communauté s’affaire à leurs occupations quotidiennes. La plupart d’entre eux travaillaient au jardin, s’occupant soigneusement des légumes qu’ils avaient semés quelques mois plus tôt dans ce joli jardin d’Eden. Un jardin d’Eden… c’était une formule qui convenait parfaitement à ce que je comptais faire de cet endroit. Un paradis, protégeant mon peuple des graines perfides et cruelles qu’étaient la haine et l’intolérance de personnes qui ne voudraient jamais le comprendre. Les choses avaient changé depuis notre arrivée sur cette île. Depuis que cette mystérieuse lune rouge avait rassemblé tant de mondes différents pour les rassembler en un seul endroit sans que personne ne puisse jamais y apporter la moindre explication. Ici, dans ce monde hors du temps, se trouvaient rassemblés des créatures magiques et étonnantes possédant elles-mêmes des pouvoirs sans pour autant faire partie de la race des mutants. Cela ne pouvait présager qu’un bel avenir pour nous, non ?

C’était ce que j’aurais pu me dire si je pouvais fermer les yeux sur la présence discrète de nos ennemis et sur les travers de la nature humaine. Si la vie m’avait appris une chose c’est que l’Homme n’accepterait jamais totalement ce qui était différent de lui. S’il pouvait le tolérer, il suffisait qu’une petite étincelle mette le feu aux poudres pour les pousser à la persécution et à la violence. Je ne serais pas celui qui mettrait provoquerait cette étincelle. L’âge aidant, j’étais quelque peu revenu sur mon besoin de révolte et mes colères qui m’avaient poussé à commettre les pires atrocités. Je préférais vivre une vie paisible et pacifiste, donné l’occasion aux gens qui m’avaient suivi de connaître un bonheur et une sérénité digne de la vie qu’ils méritaient. Mais je me tenais également prêt à riposter de toutes mes forces si jamais nos ennemis naturels venaient à nous provoquer et voler ce que nous avions mis tant de temps à construire. C’était d’ailleurs le cas de plusieurs membres de ma communauté que j’avais soigneusement choisis pour leurs idéaux et leurs capacités qui seraient d’une aide précieuse en temps de conflit. Nos pouvoirs commençaient à refaire surface, les uns après les autres. Et notre éloignement des centre urbains pouvait leur permettre de s’entraîner loin des regards des curieux. J’espérais malgré tout au fond de moi qu’ils n’auraient pas à en faire usage dans une guerre avant bien longtemps.

Tout plongé dans mes pensées, je regardais songeur deux adolescents tapageurs mettre leurs pouvoirs au défi lorsque la jeune Blink apparut derrière moi.

« Erik le professeur Xavier est ici, il demande à te parler. »

A cette nouvelle, je sentis mon cœur manqué un battement. Charles était ici ? Il y a quelques temps de cela, je lui avais lancé une invitation avec l’espoir fou de voir mon vieil ami rejoindre notre havre de paix. Il n’y avait jamais répondu et j’avais fini par me convaincre en mon for intérieur qu’il ne viendrait pas. Je m’en étais fait une raison même si cette constatation me pesait. Mais entendre cette nouvelle réveillait en moi un espoir. Celui de pouvoir être de nouveau à ses cotés pour livrer cette bataille idéologique pour laquelle nous nous étions battus tant d’années de notre vie, chacun à notre manière. Dissimulant un sourire naissant, je restais quelques instants de dos.

« Est-il accompagné ? »

Il y avait un risque que cette visite ne soit pas qu’une visite de courtoisie. Notre dernière rencontre remontait à quelques temps et j’ignorais s’il avait retrouvés ces chers X-men.

« Non, il est venu seul. »

Je me tournais alors vers elle, le visage impassible mais le cœur réjouit à cette nouvelle. Je faisais mon possible pour rassembler les éléments qui confortait mon hypothèse.

« Très bien, je vais le recevoir. »

Marchant jusqu’à Blink, je la laissais nous transporter jusqu’au hall d’entrée où Charles m’attendait. Ne laissant toujours rien paraître, je me rapprochais alors de lui tout en déclarant.

« Tu en auras mis du temps pour venir me rendre visite, mon vieil ami. »

Une fois arrivé à sa hauteur, je m’arrêtais à sa hauteur, laissant un sourire des plus discret apparaître sur mes lèvres.

« Sois le bienvenu à Genosha, Charles. Je suis ravi de te revoir. »

Le paradis perdu

Du projet nourri et cultivé par Erik, Charles était entièrement de comprendre à la fois l’essence et la fonction… Il pouvait même être capable d’en accepter la légitimité. Un havre de paix où les mutant pourraient être libres d’être eux-mêmes, en se sentant entourés de personnes comme eux, et protégés… Bien sûr que c’est une chose que Charles est capable de comprendre, et même de valoriser. C’est après tout là l’une des fonctions qu’il a voulu donner à son précieux institut… mais il est toujours des nuances à apporter à n’importe quel projet par essence utopiste. A vouloir faire en sorte que les leurs vivent en vase clos, isolés du commun des humains, en dangereuse autarcie, l’on pouvait nourrir un conséquent clivage qui très vite aggraverait un problème que lui et son vieil ami n’avaient jamais considéré pouvoir résoudre de la même manière. Si Charles n’a pas encore eu le plaisir pourtant vital de poser à nouveau les yeux sur Erik, il sait malgré tout que ce dernier n’aura probablement pas changer son fusil d’épaule, et continuera de considérer les non-mutants comme autant d’ennemis potentiels.

Qu’importe, ce n’est pas par intention de sabordage mais au nom de sa seule curiosité que Charles a fait le choix de guider son fauteuil roulant jusqu’aux portes de Genosha. On ne mit pas longtemps à l’accueillir, et c’est avec beaucoup de patience et de calme que Charles a demandé à rencontrer Erik. Ou plutôt devrait-on dire qu’il a enfin daigné répondre à son invitation. A venir, pas à rester. Charles avait besoin de découvrir les lieux de ses propres yeux. Il n’avait pas répondu tout d’abord, il avait pris le temps de peser le pour et le contre, et considéré finalement qu’une visite à l’improviste constituerait encore la meilleure manière de lui répondre. Sans oublier… plus simplement… que Charles avait simplement envie de le revoir.

Charles attend donc patiemment qu’Erik vienne l’accueillir. Il a montré pattes blanches. Il ne pensait courir aucun risque, quoi qu’il en soit. Il connaît bien assez son vieil ami pour deviner que ce dernier ne saisirait pas ce moment pour lui nuire, de même que Charles n’avait aucune intention équivalente de son côté. Erik paraît finalement, et Charles le gratifie d’un sourire sincère.

« Merci de ton invitation, Erik », répond seulement Charles sans rebondir sur les propos de ce dernier quand il lui fait remarquer, à juste titre, qu’il lui aura fallu un certain temps pour se décider à venir le trouver ici. « Tu me fais visiter ? »

Le paradis perdu

☾☾J’étais heureux de pouvoir revoir Charles, après tout ce temps. Je ne pouvais pas oublier qu’il y avait une époque où c’était lui qui m’avait accueilli sous son toit lorsque notre combat commun avait scellé notre amitié. En lui faisant découvrir ce monde, j’avais l’impression de lui rendre un peu cette vieille dette que je lui devais. Même si je me doutais bien qu’il ne s’agissait là que d’une visite de courtoise et qu’il n’avait pas hélas l’envie de rester. Peu importe, ce qui comptait pour moi était qu’il avait répondu à mon invitation et que cela me réjouissait.

« Quoi de plus naturel, pour une fois que j’ai un véritable foyer où t’accueillir. »

A vrai dire, j’étais très fier de ce refuge et des aménagements effectués pour permettre une mode de vie plus que décent à mon peuple. Je pouvais rassurer Charles sur mes intentions qui n’étaient pour l’heure aucunement belliqueuses. Tout du moins pas tant que nos adversaires n’auront pas attaqué les premiers. C’était d’ailleurs un propos que j’avais à cœur de faire partager à mon vieil ami. D’un geste lent, je lui indiquais une allée du vestibule qui conduisait jusqu’au salon.

« Je t’en prie. Fais comme chez toi. Je n’ai rien à cacher… ni à toi, ni au reste de l’île. »

Une certaine fierté pouvait alors se faire entendre dans ma voix. J’avais tenu ses propos en insistant sur le fait que nous n’avions rien à cacher. C’était la vérité, une vérité qui mettrait certainement mon ami dans d’excellentes conditions pour en découvrir plus. Je le laissais ouvrir la marche avant de me placer à mes côtés, me rendant bien compte que ce moment serait propice à la présentation de mon projet.

« Je suppose que cette maison doit te sembler bien modeste en comparaison du manoir de Westchester mais il me convient. C’est un fervent défenseur de la cause mutante qui a bien voulu nous léguer une de ses possessions où nous tous, mutants, nous pourrions trouver un refuge prêt à nous accepter. Le but de Genosha n’est pas comme ton Institut. Cet établissement n’a pas de vocations pédagogiques, même si une aide est apportée à tous les mutants peinant à maitriser correctement leurs pouvoirs. Nous accueillons avant tous des adultes en perdition, désireux de vivre ce profond sentiment de paix intérieure qu’ils n’avaient guère connus jusque-là. »

Passant devant le grand salon, je prenais soin de pointer mon doigt en directions de la bibliothèque et de la baie vitrée donnant sur le jardin.

« Comme tu peux le voir, nous occupons notre temps à cultiver aussi bien nos champs que nos esprits. J’essaie dans la mesure du possible, de leur apporter des pistes de réflexion sur le devenir des mutants tout en leur offrant un mode de vie convenable. Nous comptons plus d’une cinquantaine de résidents aujourd’hui. Je pense donc pouvoir affirmer que cette expérience est un succès. Les étages comportent essentiellement des chambres pouvant accueillir également des familles. »

Je passais ensuite du temps à lui présenter les autres pièces avant de revenir ici, assez satisfait de cette première visite. J’étais cependant impatient de demander à Charles son avis sur cette demeure. Mais politesse de base, j’allais tout d’abord m’occuper de mon hôte comme il se devait.

« Je t’en prie installe-toi vers la table basse. Je peux te servir un verre ? »

Le paradis perdu

La remarque d’Erik a le don de faire naître un sourire sur le visage de Charles. Le choix des mots a toujours son importance, ceux qu’emploie son vieil ami n’ont rien d’anodin. Parler de « foyer », pour celui qui semblait ne savoir trouver sa place où que ce soit, c’était un pas remarquable. Charles pourrait bien émettre toutes les réserves du monde concernant les plans et les projets de Magneto, il sait apprécier ce constat, quoiqu’une part de lui conservera probablement ce fond, si ce n’est d’amertume, du moins de déception, à l’idée de ne pas avoir su lui offrir ce véritable foyer qu’il ne se serait pas senti l’envie de déserter. L’institut avait fut un temps rempli ce rôle, mais ce temps avait été trop court, et s’était conclu d’une manière qui reste douloureuse au cœur de Charles, même si dans des instants tels que ceux-ci, alors qu’il retrouve un Erik à l’évidence apaisé, la présence sereine de son ami éclipse sans nul doute tous les maux du passé… ou une grande partie d’entre eux, en tout cas.

Charles peut le sentir, Erik est fier de ce qu’il a accompli ici. Si le professeur X reste défiant quant à la nature de ses intentions, il peut être admiratif de ce qu’il est parvenu à accomplir. Cet endroit semble à première vue ne pas remplir une fonction bien différente de celle qu’avait voulu offrir l’institut Xavier (pour un résultat que Charles ne trouve qu’à moitié satisfaisant aujourd’hui), un havre de paix où les mutants pourront être accueillis et acceptés, et déployer leur plein potentiel.

Erik lui affirme ne rien avoir à cacher, et Charles n’a guère besoin de sonder l’esprit de son vieil ami pour savoir qu’il ne prononce pas ces mots à la légère : il les pense bel et bien. Est-ce pour autant que ce qu’il estime faire en toute transparence s’alignera avec toutes les convictions de Charles ? C’est incertain, mais qu’importe. C’est une curiosité au fond très saine qui, pour le moment, anime le cœur et l’esprit de Charles, sans aucune velléité conflictuelle d’aucune sorte.

Ce que lui dépeint Erik, non sans une certaine fierté, est le tableau d’un endroit idéal, d’une sorte d’Eden prometteur pour tout mutant en perdition… Une chance, une opportunité. Charles est capable de reconnaître le bien-fondé d’une telle initiative, mais d’avance, il en décèle les éventuelles dérives, à commencer par celles d’une vie en autarcie, qui intensifierait la scission entre mutants et non-mutants.

« Et quel est ce devenir auquel tu les amènes à réfléchir exactement ? » l’interroge Charles avec curiosité, mais aussi une sorte de prudence complice. Alors qu’il regarde tout autour de lui, Charles doit constater qu’Erik a réussi où, lui-même, semble échouer. L’institut Xavier n’est jamais que l’ombre de ce qu’il avait été… mais Genosha, en revanche…

Charles s’installe, à la demande d’Erik, et hoche aimablement la tête quand Erik lui propose un verre.

« Je prendrai ce que tu prendras. »