Un petit goût de chez soi [Wall-e & Ophélie]

On est mercredi. Jour traditionnel où les enfants sont de sortie. Le Musée à attiré plus de visiteurs que d'habitude, des familles la plupart du temps.  Mais il est difficile d'intéresser les plus jeunes aux objets anciens. Pendant que les parents s'extasient sur des vieilleries qu'ils reconnaissent, leurs enfants ont tendance à s'ennuyer fermement. Ils regardent le plafond, le sol, les autres enfants, les fenêtres. Ils portent leur attention sur tout sauf les objets exposés en somme ! Et c'est le moment où invariablement, l'envie de faire des bêtises arrive ... Ophélie a ainsi été témoin pêle-mêle aujourd'hui :

- D'une partie de cache-cache organisée par un groupe de bambins turbulents EN PLEIN MILIEU DE LA COLLECTION DE PORCELAINES. (Elle a cru sentir son coeur s'arrêter en voyant un des gros vases vaciller sur son socle).

- De la redécoration personnalisée d'une sculpture de femme politique austère avec une paire de moustaches tracée au feutre

- Du vernissage d'un vieux coffre antique à la crème glacée fondue.

Ah bien sûr les parents qui sont témoins des exactions de leurs bambins sont ( le plus souvent ) désolés et réprimandent leur progéniture. Mais même si les excuses sont appréciées, ce n'est pas eux qui nettoient ou réparent les bêtises !  Rien que laver les vitrines prend des heures ! On imagine pas les centaines de traces de doigts et de nez dégoutants qui peuvent être déposés en une seule après-midi par la marmaille ... A ce rythme Ophélie va finir par sérieusement envisager d'imposer le port de gants aux visiteurs les plus jeunes ...

Bref ... tout ça pour vous expliquer à quel point Ophélie est rincée en cette fin d'après midi alors qu'elle quitte son travail et se dirige vers le logement de son ami Wall-e. Un jeune homme plus âgé qu'elle qu'elle a connu pendant qu'ils suivaient une rééducation au même endroit. Wall-e apprenait à utiliser la nouvelle paire de jambe qu'il avait reçue après le passage de la Lune Rouge. (C'est une longue histoire ...). Et Ophélie ... et bien ... suivait son entrainement habituel pour tenter de remédier à ses graves problèmes de coordination.  

Contrairement à Wall-e qui a fini par acquérir toute la mobilité qu'il souhaitait, Ophélie continue encore aujourd'hui de faire des exercices. Les progrès sont constants mais d'une lenteur déprimante. Beaucoup se seraient déjà lassés ...  Wall-e et Ophélie ont sympathisé puis sont étrangement restés en contact malgrès la différence d'âge. La gentillesse et l'attention du garçon ont su traverser les barrières que Ophélie érigent autour d'elle et la relation est devenue amicale et très sincère.

Aujourd'hui son ami l'a invitée venir visiter son tout nouveau logement. Une occasion de le revoir, de bavarder et de déguster une délicieuse pâtisserie.
Du moins, c'est ce qui était prévu ! Sur le papier, acheter des gâteaux chez Griddy's Doughnut avant de passer chez Wall-e est une riche idée.  Ne pas venir les mains vides quand on est invitée quelque part, ca fait partie des bases de la politesse.

Dans la pratique, quand on est une maladroite chronique et qu'on a le karma d'un chat noir, c'est prendre un risque de prévoir une marche de 500 mètres à pied avec une boite de gâteaux crémeux dans les bras ...

Alors forcément, ce qui devait arriver arrive et patatras. Un pied mal soulevé au moment du passage d'un trottoir et c'est une Ophélie qui trébuche et retourne la boite de cupcakes dans sa chute. Embarrassée par sa maladresse, Ophélie se relève et redresse et prend le temps de faire le point. De son côté : Elle ne s'est pas fait mal ! (C'est déjà une bonne chose) et aucune tâche ne macule la robe automnale qu'elle porte pas plus qu'on ne retrouve de sucre ou substance collante dans ses cheveux qu'elle a tenté de dompter avec un serre tête. (Le port de cet accessoire rencontre d'ailleurs un succès très mitigé. Sous un certain angle, sa coiffure ressemble à un brocolis ... il faudra qu'elle trouve autre chose).

Du côté des gâteaux ? Là c'est moins glorieux. La boite ne s'est heureusement pas ouverte mais les beaux glaçages et la génoise savoureuse sont sans dessus dessous et pour partie aplatis contre le couvercle. Il faudra se résoudre à les déguster à l'aide une cuillère ...

C'est ainsi que Ophélie arrive à destination, une boite à gâteau déglinguée dans les bras et un air vaguement embarassé sur le visage. Elle s'arrête devant la porte de la petite maison proprette. Elle prend quelques secondes pour ajuster ses grosses lunettes et contemple un instant les lieux. Un quartier tranquille. Un petit jardin que l'Automne commence à teinter de roux. Pour sûr, son ami s'est trouvé là un très bel endroit ! Le rapide coup d'oeil terminé, la jeune femme presse de sa main gantée le bouton de la sonnette et s'apprête à s'exclamer de sa voix fluette.

- Bonjour Wall-e ! Comment vas-tu ?

Tout en tendant vers lui la boite un tout petit peu esquintée. A peine ...

Ophélie laisse s'échapper la boite de gâteaux entre les mains de Wall-e (quel soulagement !) et reçoit le câlin offert par son ami avec un sourire tranquille. Elle lui rend son étreinte en tapotant gentiment le dos du garçon bien plus grand qu'elle. Il faut dire qu'elle a fait des progrès dans l'exercice depuis le temps ! Elle se souvient des toutes premières fois où Wall-e s'est laissé aller à ces épanchements tactiles. La jeune fille était restée figée, droite comme un piquet, sans respirer. Elle avait été trop surprise pour réagir ou savoir quoi penser sur le moment. C'est devenu par la suite une habitude, un rituel attendu et accueilli de bon cœur.

A la question du jeune homme, elle répond sans hésitation.

- Oh ... ca va !

Elle est épuisée après sa journée en réalité. Mais Ophélie n'est pas le genre à beaucoup se plaindre. C'est à peine si elle mentionne que ...

- ... les mercredis sont un peu difficiles depuis la rentrée. Une tasse de thé ce n'est pas de refus !

Tout ira mieux très vite une fois assise en compagnie d'une personne avec qui elle se sent bien. Tout le reste s'oubliera après ça. Wall-e file dans la cuisine pour mener ses préparatifs. Ophélie fait quelques pas hésitants dans le rez-de-chaussée, jetant des coups d'oeils curieux à l'intérieur fraichement décoré. On sent que tout est nouveau ici. Les objets fraichement sortis des cartons n'ont pas encore tous trouvé leur place. Le style est éclectique, comme c'est souvent le cas lors des premiers emménagements.

- C'est joli. Vous avez de l'espace. Ca n'a pas été trop dur de tout déménager ?

Toutes les affaires que possède Ophélie tiennent dans une grosse valise et c'est une chance. Elle ne sait pas comment elle ferait pour envisager de transporter plus par elle même ! Il ne faut pas attendre longtemps pour que Wall-E revienne avec tasses et eau bouillante. Ophélie a eu le temps d'oter son écharpe et son manteau et de les poser avec précautions sur le dossier de la chaise qui lui est proposée. Elle prend place avec prudence. Toute catastrophe a été évitée depuis son entrée dans la maison, elle entends que ca continue autant que possible.

La mystérieuse boite à thé lui est proposée et elle baisse un nez curieux vers son contenu, regardant avec une pointe d'amusement dans le regard le bric à brac de sachets épars.

- C'est parfait !

Sa main gantée fouille au hasard et extrait trois ou quatre sachets qu'elle détaille avec curiosité avant de les écarter uns par uns avant qu'il ne reste qu'un seul élu :

- Ce sera de l'Earl Gray pour moi !

Le thé noir est un choix de prédilection à ses yeux, même si le goût d'agrume n'est pas nécessairement ce qu'elle préfère ... Sachet sorti de son emballage, il rejoint l'intérieur de la tasse où l'eau ne tarde pas à être ajoutée. Ophélie adresse à son ami un sourire reconnaissant.

A présent qu'ils sont posés, elle peut se permettre d'enfin entamer la conversation en lançant le sujet à la fois très vaste et très libre.

- Quelles sont les nouvelles ? Enfin ... hormis la maison je veux dire. Bien sûr c'est un sacré changement ...

L'été est une période étrange. Elle est capable d'amputer la vie quotidienne de deux grands mois. Le train train quotidien s'arrête soudainement à la fin de Juin. Et soudainement, fouit, deux mois passent. On se retrouve début Septembre et on se demande ce qui s'est passé ! Les deux ne se sont donc pas revus depuis la fin de l'année scolaire précédente. Ophélie était encore Lycéenne, se préparait pour le passage du diplôme (qu'elle a obtenu haut la main.) Elle a trouvé par la suite son travail, par un hasard inexpliqué et mystérieux. Bien sûr, elle a tenu au courant son ami de tous ces évènements. Mais il ne s'agissait que de quelques messages rapidement échangés. Pas de rencontre en tête à tête comme aujourd'hui.

- Oh oui ... oui bien sûr ! C'est même au delà de ce que j'esperais !

En toute franchise, Ophélie s'était préparée psychologiquement à finir serveuse de fast food ou balayeuse de rue. Décrocher un tel emploi lié directement à ses domaines d'expertise est un hasard inespéré. Surtout compte tenu de ses capacités sociales et des difficultés qu'elle aurait eu à convaincre un recruteur si elle avait réalisé un véritable entretien d'embauche....

Elle explique, faisant des gestes vagues de la main (une gestuelle audacieuse, des doigts frôlent à plusieurs reprises des bibelots ici et là autour d'elle).

- C'est excessivement motivant de travailler en autonomie.

Un petit peu déroutant aussi puisque littéralement personne ne lui a laissé la moindre instruction pour son travail. Elle a du éplucher règlements intérieurs et dossiers d'archives pour deviner quelles étaient les tâches à accomplir. Tout ca a nécessité une bonne part d'improvisation et d'adaptation. Elle n'est pas même pas certaine de tout faire cirrectement. Mais comment pourrait t'elle en avoir la certitude ? En l'absence de toute directive, elle fait au mieux. Elle pourrait faire part à Wall-e de ses interrogations, de ses étonnements et même de ses agacements ponctuels. Mais à quoi bon insister sur ces choses ? C'est bien secondaire dans le fond... alors elle laisse filer.

Elle s'installe confortablement et sourit alors qu'elle et son ami commencent à prendre le thé. Les gestes parfois imprécis ou hésitants du robot font miroir à sa propre maladresse. Elle se sent un peu moins empotée quand il est dans les parages.  Elle écoute les nouvelles données par Wall-e et hoche plusieurs fois la tête, à mesure qu'il parle de son quotidien et de ses projets. Elle réagit lorsqu'elle parle de son jardin.

- C'est vrai que c'est ce que tu aimes. Tu as envie de planter quoi ... ?

Ophélie n'est pas certaine de connaître toutes les plantes dont le jardinier en herbe risque de lui parler mais elle lui fera alors confiance pour l'éclairer malgré ses lacunes évidentes en botanique ! En revanche la mention des rats fait un peu tiquer l'apprentie-archiviste. Par définition, ces créatures envahisseuses de greniers et rongeuses de papier sont des ennemies ataviques de sa profession ! Elle a cru comprendre au cours des différentes conversations passées que le colocataire de son ami voue une passion très étrange pour ces créatures. Grimacer ou faire une remarque serait donc à la fois très impoli et potentiellement blessant.

Avec des gestes lents et calculés, elle porte une première fois la tasse de thé à ses lèvres pour prendre le temps de peser une réponse diplomatique à cette déclaration.

- Tu m'avais mentionné qu'il aimait ces animaux oui. Ils sont apprivoisés ? C'est une sorte d'éleveur ... ?

Oui, Ophélie doit s'en persuader. Les rats domestiqués ne peuvent qu'être très différents des rats sauvages qui eux sont infects et dégoûtants. Ils sont probablement mignons. Aimables. Sains. Ils sont des moustaches bien brossés, sentent bons et ont sans doutes des petits rubans roses adorables autour du cou. Se construire cette image mentale est un prérequis OBLIGATOIRE qui va lui permettre de continuer cette conversation sereinement sans se montrer impolie avec la passion du co-hôte des lieux, même s'il est présentement absent ! Elle ne doit surtout pas imaginer qu'une horde hirsute aux yeux rouges rode quelque part dans les recoins de la maison et épie en secret leur conversation, prête à déferler sur les chevilles à nues de la jeune fille  ...! (Car c'est une évidence, la seule et unique volonté d'un rat dans la vie est de s'en prendre aux jambes de victimes choisies au hasard, de s'y agripper avec leurs petite pattes griffues et d'essayer à tout prix d'y grimper comme si leur vie en dépendait).

En dépit de la bonne figure qu'elle affiche et des pensées positives qu'elle essaye d'avoir, elle ne peut s'empêcher de blémir au moment où elle est prise d'un doute affreux. Elle demande d'une voix légèrement frémissante.

- Ils sont en cage, hein ... ?

Elle n'est pas certaine d'avoir eu raison de poser la question. Comment réagira t'elle si jamais Wall-e lui avoue que des rongeurs se promènent en liberté quelque part autour d'elle ? Ophélie risque de pâlir et de répondre d'une voix blanche : Oh, merveilleux, merveilleux tout en ayant envie intérieurement de hurler et de grimper sur la table en panique.

Elle essaye de mettre cette idée de côté et de focaliser son esprit sur les sujets qui déjà avait changé. Wall-e évoque son amour pour les comédies musicales (une activité que Ophélie aime également, mais elle n'ose l'interrompre pour le lui dire) et il évoque dans la foulée un mystérieux ami Jack dont elle n'est pas certaine d'avoir déjà entendu parler.

- Jack ? C'est une sorte d'artiste ?

Sur le principe, il y a peu de formes d'art auxquelles Ophélie n'adhère pas. Même si parfois, la réalisation de certaines œuvres laisse clairement à désirer et répondent peu à ses critères esthétiques ... (Vraiment et définitivement, elle ne comprend rien à l'art moderne. Même en essayant de rester très ouverte d'esprit !). Elle répond à la proposition par un sourire et un hochement de tête approbateur.

- Pourquoi pas. J'arrive à me rendre disponible le soir et les dimanche.

Et quand bien même, même si la représentation n'est pas à la hauteur de ses attentes, sortir un petit peu son nez de la poussière de son Musée lui fera du bien. Ca fait trop longtemps que Ophélie vit comme une ermite, peut-être devrait elle songer à davantage se montrer curieuse du monde qui l'entoure ...

Quant à la question concernant ce qu'il y a de neuf chez elle ... et bien.

- Moi ? Et bien ...

Ca mérite bien qu'Ophélie prenne quelques instants de réflexions, passés à mordiller le bout d'un de ses gants.

- ... Je fais peu de progrès en rééducation ...

C'est peu de le dire. C'est même une bonne et honnête stagnation à laquelle elle fait face. Elle continue la thérapie parce que malheureusement la situation empire dès qu'elle arrête les exercices réguliers.

- Et sinon je pense que je vais bientôt chercher un endroit où habiter. Je ne suis pas bien sûre encore, mais je pense que je peux me payer un appartement ou une chambre quelque part avec ce que le Musée semble me donner.

Ecouter Wall-e parler de ses projets de jardinage fait chaud au coeur. Il n'est pas difficile de voir à quel point il est passionné par ces petites choses vivantes dont il pourrait prendre soin. Tellement qu'Ophélie se dit que la prochaine fois qu'elle voudra lui faire plaisir, elle se débrouillera pour lui ramener une plante en pot (et essayer de ne pas le fracasser sur le pavé avant d'atteindre sa destination).

Ca n'empêche pas ses gâteaux de connaître leur petit succès. Ecrasés ou entiers, ca ne fait visiblement aucune différence aux yeux d'un cafard.
Aussitôt que Nesquick pointe le bout de ses antenne, elle salue l'animal par un joyeux :

- Bonjour Nesquick !

Destiné avant tout à faire plaisir au maître qu'autre chose puisque dans sa conception des choses, le cafard a fort peu de chances de réussir à comprendre quoi que ce soit. Que Wall-e ait réussi à en domestiquer un et à réussir à contourner les instincts de la créature pour la faire globalement obéir est d'ailleurs un mystère entier. D'ailleurs elle se demande dans quelle mesure, Nesquick est bel et bien le même cafard à chaque fois qu'elle le voit.  Elle s'est renseignée sur le sujet (dans les livres, évidemment) et la longévité d'un cafard n'est pas bien élevée. Elle a toutes les raisons de penser que Nesquick est une espèce de titre donné par Wall-e à son cafard préféré du moment et qu'un nouveau prend systématiquement la place du dernier en date.

C'est pourquoi dans le même ordre d'idée, elle salue les autres cafards qui pointent leur museau lorsque l'assiette de gâteau leur est servie en disant.

- Bonjour Nesquick 2 ...  3 ... 4 ... et 5 !

Le ton est un peu plus mesuré et prudent. Voir autant d'insectes rampants l'inquiète un peu. Non pas que ces petites bêtes la dérangent en l'état, mais sa petite cervelle calcule. Sur les 5 cafards, on peut raisonnablement penser que au moins deux sont des femelles. A raison de 50 oeufs par femelle pondus chaque mois et d'un temps de maturation des larves d'un peu plus d'un an, (elle s'est renseignée je vous dis !) les chiffres la laissent imaginer une véritable invasion d'ici quelques années. Est-ce que Wall-e est préparé à ça ? Elle ne peut que l'espérer. Elle espère aussi qu'entre rats et cafards, le propriétaire de la maison ne vienne jamais regarder de trop près ce qui se passe ici ...

Wall-e explique l'activité de Bruno et un sourire gêné apparait sur son visage quand son ami lui demande si elle a peur.  Polie, elle élude avec nervosité.

- Moi ? Oh non, c'est pas vraiment ça ...

Elle mordille le bout de son pouce ganté avec une certaine nervosité avant de préciser.

- Disons que ... un rat ca va.

Oui vraiment. Individuellement, si on omet la grosse queue dégoûtante qu'ils trainent, ca peut apparaître comme mignon. Des petites patounes jolies, des longues moustaches mignonnes, un pelage luisant et des yeux ronds brillants d'une joyeuse malice. Elle peut se faire à cette image.

- ... mais une horde. Ca a quelque chose de ... heu ... un peu plus intimidant.

Encore une fois, elle fait dans l'euphémisme. Il est probable qu'en présence d'une pareille masse grouillante, Ophélie devienne hystérique et cherche à fuir dans la plus grande des paniques. Aussi honteuse soit t'elle de se l'avouer ...

Mais puisque les animaux sont enfermés dans une chambre, il n'y a aucune raison pour qu'elle s'inquiète. Elle pousse un discret soupir de soulagement et elle ne peut s'empêcher de réagir à un détail qui la titille.

- Tu veux dire ... qu'il ne tue aucun rat en étant dératiseur ?

Voilà quelque chose de sacrément bizarre. Mais cette Ville semble être emplie de gens bizarres dont certains possèdent des pouvoirs étranges hérités de leurs anciennes vies. Après tout elle est bien en train de prendre le thé
avec un ancien robot. De là à imaginer que c'est le cas de Bruno, il n'y a qu'un pas.  Ca la pousse d'ailleurs à poser la question.

- C'est un genre de flûtiste de Hamelin ... ? Il contrôle les rats ?

Ceci expliquerait cela dans un sens.

Wall-e parle ensuite de son ami artiste. Aimable, Ophélie hasarde, alors qu'il bute sur un mot.

- Saltimbanque ?

Oui ca semble être ça. Elle écoute la description succinte que Wall-e fait du garçon et hoche la tête.

- D'accord. Tu me préviendras le jour où il fera une représentation si tu veux ... ?

Ca fera une occasion de sortie. C'est si rare. La jeune femme devrait sortir plus, elle le sait. Ce n'est pas "normal" de vivre recluse comme une quinquagénaire à son âge ... Les autres filles de sa génération sortent, dansent, font la fête, boivent de l'alcool, organisent des "soirées filles" et font des tas d'autres choses futiles qu'Ophélie considère avec un mélange de consternation et d'incrédulité. Peut-être est-ce parce qu'elle a jamais pratiqué quoi que ce soit dans cette liste qu'Ophélie a du mal à en percevoir l'intérêt ...

Les deux larrons sont en contact par téléphone, Wall-e saura lui communiquer l'information. Ophélie est du genre à vérifier ses messages à heure fixe, deux fois par jour, pour vérifier qu'aucun appel ou message n'a été manqué. (Et vu que bien peu de personnes la contactent, c'est bien souvent en vain).

La question de Wall-e sur ses progrès fait avoir une moue coupable à la jeune femme.  

- Ils pensent que ... je ne dois pas arrêter les exercices. Mais ils doutent que je réalise vraiment des progrès.

Difficile pour elle d'accepter que le manque de résultat de sa thérapie soit uniquement la faute à "pas de chance". Ophélie est le genre de personne à culpabiliser malgrès elle, se dire en son fort intérieur  "peut-être j'aurais pu mieux faire" même si les docteurs ne sont pas du même avis.

- Si j'arrête ma situation se détériore de nouveau. Et il faut des mois d'exercices pour remonter la pente.

Elle hausse les épaules et adresse un sourire navré à son ami. Elle ne veut pas plomber l'ambiance ni se faire plaindre outre-mesure. Alors sur un ton qu'elle veut léger et rassurant, elle affirme.

- Mais ca va très bien au quotidien ! Je sais que je deviendrais jamais danseuse de claquettes ni une funambule. Je laisserai ça à ton ami Jack.

Il ne faut pas se laisser abattre ! Puisque les gâteaux ont commencé à être servis pour les cafards, elle décide que c'est le bon moment pour servir les humains aient leur part aussi ! Aussi mal fichus soient-ils ils ne pourront qu'égayer l'atmosphère. Personne au monde n'a jamais déclaré "Maintenant que j'ai avalé un morceau de gâteau, je me sens plus malheureux qu'avant". Personne !

C'est ainsi qu'avec beaucoup de précautions, elle extrait des pâtisseries de leurs boites et entreprend de les servir. Au vu de la purée qu'est devenue certain d'entre eux, l'assiette et la cuillère ne sont pas du luxe. Et pendant qu'elle réalise ses tripatouillages pâtissiers, elle parle de ses projets immobiliers.

- Je ne sais pas trop où, mais je vais avoir besoin de quelque chose de pas très loin de mon travail, oui. Ou accessible en bus !

Hors de question pour elle d'envisager de passer le permis de conduire ou même de conduire un deux-roue, ce serait inconscient ! Elle ne peut compter que sur ses petits petons ou sur le réseau de transports urbains ...

- Un propriétaire qui accepte que je n'ai pas d'apport ni de contrat de travail vraiment fixe ...

Une bizarrerie administrative qu'il faudra qu'elle finisse par régler tôt ou tard  
- ... et dont le loyer sera raisonnable.

Ce qui est évidemment la base. Le salaire "d'apprentie Archiviste" que la ville lui verse est très correct mais la flambée des prix de l'immobilier semble bien réelle. Elle ne peut pas se permettre de folies. Elle pourrait envisager la colocation bien sûr. Bien des jeunes adultes commencent ainsi. Mais elle n'est pas sûre d'être prête à tant de proximité avec des inconnus. Imaginez, partager la même salle de bain que quelqu'un ? LES MEMES TOILETTES ?? Et quand bien même elle serait prête à franchir ce pas, resterait le problème : "Comment on fait pour trouver un colocataire ??". Ophélie n'en a aucune idée. Elle est presque certaine qu'il ne faut pas aborder des inconnus au hasard en leur disant "Bonjour, je m'appelle Ophélie, vous voulez qu'on soit colocataires ?". Non cest impensable.

Mais comme toujours, Ophélie tempère immédiatement le problème en affirmant.

- Mais je ne suis pas pressée tu sais. Je ne suis pas à la rue. J'ai réussi à me trouver un petit coin dans le Musée en attendant.

Une solution "provisoire" qui dure depuis plus de trois mois maintenant. Ca n'est pas l'idéal mais c'est que ca fonctionne quand même.

Ah ! Les quatre autres cafards ont des nom. Ils sont plus difficiles à Retenir que Riri / Fifi / Loulou et Donald.

Obligeante et pleine de bonne volonté, Ophélie répète donc.

- Ketchup, Banane, Pêche et Persil, je vous souhaite un bon appétit.

Qui est t'elle pour juger quelqu'un qui parle au cafard quand elle même vient d'un peuple qui parle aux objets ? (et se dispute même parfois avec). C'est dans un esprit tout aussi serviable qu'elle confirme à Wall-e.

- Oui. Une Horde ca veut dire beaucoup.

Elle se retient de dire que c'est péjoratif mais précise néanmoins

- C'est utilisé pour parler d'envahisseurs ...

Et elle conclut sur un ton d'excuse.

- Je n'aurais pas du employer ce mot. Vos amis sont adorables.

Elle apprend ainsi en écoutant son ami que les deux colocataires se montrent raisonnable dans le nombre d'animaux qu'ils accueillent avec eux. Bruno relâche les rats dans la nature. Elle marque son approbation en acquiesçant et en affirmant.

- Ca a l'air d'être une bonne solution oui.

C'est charitable de sa part et ca semble effectivement être une solution acceptable pour tous les concernés. Y compris pour les chouettes des bois et les renards qui se voient servir un repas à l'œil mais c'est le vilain esprit de contradiction d'Ophélie qui parle. Il est hors de question qu'elle se laisse aller à le faire remarquer au pauvre Wall-e ! Des fois elle s'en veut que des pensées si peu charitables lui viennent en tête ...

L'histoire de Hamelin ne dit rien au garçon-robot. Ophélie sourit et affirme.

- Ce n'est rien.

Elle se promet intérieurement d'essayer un jour de lui rapporter un livre traitant du conte. Ce sont des livres pour enfants, ca aidera Wall-e à se perfectionner à la lecture.

- Hamelin est le nom d'une ville. L'histoire est celle d'un flûtiste qui contrôle les rats en jouant de son instrument. Effectivement ca n'a rien à voir avec Bruno.

Surtout qu'à la fin de l'histoire, le flûtiste envoie les rats se noyer dans le fleuve et utilise ensuite sa flûte pour faire pareil avec les enfants de la ville qui a refusé de le payer après ça. Ca ne ressemble pas aux manières que Wall-e lui décrit !

Le rendez-vous pour un jour aller voir Jack pris, les deux jeunes gens s'attardent un peu sur l'état physique d'Ophélie. Elle grimace un sourire quand Wall-e parle des pouvoirs de la ville et hause les épaules.

- Qui sait à quelle sauce cette ville va vouloir nous manger.

Elle n'a pas le choix que d'accepter son sort, puisque aujourd'hui elle ne possède aucun élément qui lui permette d'entrevoir la nature de l'entité qui les dirige ou ses buts. La colère que ressent la jeune femme est froide et s'exprime rarement. Ce n'est pas pour autant qu'elle ne serait pas prête à faire passer un très vilain quart d'heure à la ou les personnes responsables de son enlèvement quand elle était presque-enfant. C'est une des très rare occasion où la très gentille Ophélie pourrait véritablement sortir les griffes.

Heureusement les élans d'optimisme de Wall-e dissipent sur le champ ses pensées déplaisantes. Il s'évertue à lister des activités qui demeurent accessibles à la jeune fille en dépit de sa maladresse.

- Tu as raison, je peux faire tout ça. Et plus que ça encore. Mais entre nous, je vis comme ça depuis bien avant mon arrivée en ville. Pour une fois je ne crois pas que la Lune Rouge ou la ville soient responsables.

Quand enfin Ophélie parle de ses projets de trouver un logement et évoque les difficultés qu'elle pressent, Wall-e lui conseille d'en parler à May, la presque-maman de tant de jeunes en Ville . Ophélie et Wall-e ont eu tous les deux la chance de croiser la route de cette femme exceptionnelle qui a su prendre le temps de les écouter de les aider. Surprise par la proposition, Ophélie s'arrête et regarde fixement Wall-e pendant quelques secondes, bouche presque entrouverte. Puis elle balbutie avec incrédulité.

- Oui ... tu as raison. Je devrais lui en parler ... Pourquoi je n'y ai pas pensé ?

La réponse réside sans doutes dans le désir d'indépendance farouche d'Ophélie qui la pousse à vouloir tout faire et tout régler seule. C'est idiot car beaucoup de gens seraient prêts à l'aider pour peu qu'elle en formule le besoin. Quant à comprendre pourquoi la jeune femme cherche à tout prix à impliquer le moins de monde possible dans ces histoires, allez le demander aux psychologues qui ont suivi l'adolescente qu'elle était à l'époque de sa séparation avec sa famille. Sans doutes auront ils énormément d'explications à donner au comportement de leur ancienne patiente.

- J'ai quand même une piste pour une chambre dans Baker Street, je comptais y aller vendredi. Dans deux jours donc.

- Si ca ne donne rien, promis, je lui en parlerais !

Engagement pris, elle se laisse aller sur le dossier de son siège et prend avec précautions une cuillerée de son gâteau avant de la porter avec succès à sa bouche. Elle reprend quelques instants après, sur un ton léger.

- Et ne t'en fais pas, je suis très bien dans le bureau de mon musée en attendant. Les ressorts du vieux canapé grincent un peu mais ca a son charme.

Ophélie n'est pas du genre désordonnée et vu qu'elle est littéralement LA SEULE personne travaillant à temps plein dans ce Musée, elle doute que quiconque vienne la réprimander pour cette occupation un tantinet cavalière des lieux.

Elle est sur le point de plonger de nouveau la cuillère dans son assiette quand soudain, un craquement se fait entendre dans la maison. Ophélie se fige dans son geste, cuillère plantée dans la pâtisserie et regarde autour d'elle, incertaine. Ca provenait des murs ? Du parquet ? Du plafond  Perplexe, elle regarde son ami et l'interroge du regard avant de demander d'un ton incertain.

- Ca ... arrive souvent ... ?

C'est vrai ... Wall-e était un robot dans on univers. Un simple objet. C'est difficile à imaginer, même pour Ophélie qui pourtant provient d'une culture où justement les objets sont animés par leurs propriétaires et où il est communément admis qu'ils ont parfois leur propre caractère. C'est une pensée qui fait se poser beaucoup de questions à la jeune femme. Qu'est-ce qui différencie Wall-e de l'écharpe qu'elle portait plus jeune, qui était capable de bouger, bouder, manifester sa joie ou toute une gamme de sentiments plus ou moins variés ?

Wall-e est indubitablement vivant aujourd'hui, personne peut le contester. L'était-il avant le passage de la Lune Rouge ? Si
on en croit la définition stricte trouvée dans les livres, le consensus scientifique aurait tendance à affirmer que non. Et pourtant il avait une conscience, des sentiments, des goûts. La Lune Rouge a embrouillé les cartes et remis en question presque tout ce que les habitants de la ville considéraient comme normal autrefois.

En se perdant ainsi dans ses pensées, Ophélie va trop loin. Elle avait fixé un instant sa tasse de thé, le regard ailleurs. Elle ne revient à elle que quelques secondes plus tard. Elle grimace un sourire d'excuse, prend une gorgée plutôt tiède de la boisson qu'elle avait mis du temps à boire avant de reposer la tasse avec précautions et dire.

- Oui ... tu as raison. On ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve.

Une manière positive de voir les choses est de se dire que c'est ca la magie de la vie. L'inverse serait d'angoisser à l'idée qu'ici moins qu'ailleurs, les individus sont en contrôle de leur destin. De quoi faire trembler les esprits rationnels et ceux qui aiment être en contrôle de tout. Ophélie vacille en permanence entre les deux extrémités.

La discussion suit son cours. Les assiettes et les tasses se vident alors que les deux amis bavardent. Et puis vient l'épisode du craquement qui fait sursauter les deux compères. Après un instant de silence perplexe, Wall-e propose une explication : Un oiseau qui aurait fait son nid dans les combles. C'est plausible mais lui même n'a pas l'air très convaincu. Perplexe, Ophélie remonte ses lunettes et lève les yeux vers le plafond.

- Les oiseaux ? Ma foi ... oui. Ils sont charmants.

Tout un chacun aurait répondu ça, non ? Sur le principe, tout le monde aime les oiseaux. Si on parle des petits moineaux inoffensifs ou des mésanges délicates. C'est sûr qu'il existe des exceptions à la règle.

- Sauf les oies ... ce sont des créatures au caractère épouvantable.

Territoriales, agressives, promptes à attaquer les intrus et à les agonir de coups de becs. Ces bêtes là méritent sans doutes ce qui leur est infligé lors des fêtes de fin d'année. Mais bon, même une oie ne mettrait pas Ophélie aussi mal à l'aise qu'une horde de rats lâchée dans la même pièce qu'elle.

- Mais ca me surprendrait qu'une oie se soit fourrée dans ton grenier. Tu souhaites qu'on aille voir ... ?

Est-ce que c'est une bonne idée que deux maladroits notoires se chargent d'aller explorer une zone sombre, méconnue dont le chemin d'accès est plausiblement difficile ? Probablement pas ! Quand la curiosité surpasse la prudence, gare aux dégâts !

- Ah. Il y a des oies dans le jardin.

Ophélie prend la nouvelle avec calme et dignité, telle une Marie-Antoinette montant les marches d'un échaffaud. Elle rectifie du bout de ses doigts gantés la position d'une des tasses, la faisant tourner de manière infime pour que la anse soit parfaitement parralèle au bord de la table.

- Très bien.

Résignée, elle se sent comme ce noble de l'ancien temps qui (d'après les livres d'Histoire), avait dit à ses adversaires : "Messieurs les Anglais, tirez en premier".La poitrine gonflée d'une résolution fière, elle accepte avec stoïcisme son destin, maintenant que le danger mortel auquel ils risquent de s'exposer vient d'être nommé. Ainsi le dragon auquel ils font face à la chance d'être une oie. Une chimère redoutable, mi-oiseau mi démon buveur d'âme.

Elle prend le temps de lisser les plis imaginaires de sa jupe avant de se relever avec lenteur.

- Allons y alors.

Wall-e apporte deux lampes. Ophélie se retient de suggérer qu'ils devraient davantage prendre un balais pour avoir une chance d'estourbir l'oiseau si par le plus grand des malheurs il s'agit effectivement d'une oie. Elle suit docilement Wall-e jusqu'à l'étage et ne peut s'empêcher de jeter un regard inquiet aux portes des chambres fermées devant lesquelles elle passe.

- Tu es sûr qu'aucun rat ne peut s'échapper ... ? Il parait qu'ils peuvent s'infiltrer partout ...

Elle a lu des choses sur le sujet. Les rats sont (avec les cafards ...) les animaux les plus résistants et adaptables qui ont envahi tous les espaces possibles, qu'ils soient urbains, agricoles ou désertiques. Si ca tombe, le bruit provenant du grenier vient d'une horde de rats aux moustaches frétillantes et aux longues queues tentaculaires dégoutantes. Elle en frissonne alors que lentement elle lève le nez, à mesure que Wall-e commence à monter l'échelle escamotable, degré par degré. Elle suit du regard son ascenction tout en mordillant avec une certaine nervosité la couture d'un de ses gant.

- Toi aussi fais attention ...

Un conseil sans doutes inutile. Il est évident que le jeune homme qu'elle voit disparaitre dans le plafond a une conscience aigue de la précarité de sa situation.
 
Puis viens son tour de monter. Elle prend une grande inspiration, empoigne à deux mains l'échelle d'un air décidé et place la semelle de sa bottine sur le tout premier barreau.

- Et de un ... Jusque là tout va bien.

Avec une lenteur exagérée, son deuxième pied quitte le plancher des vaches rats et se pose sur le deuxième degré.

- Deux, de mieux en mieux.

Avec un luxe de précautions, elle enchaine ainsi les étapes. Petit pas par petit pas. Il faut une concentration que vous n'imaginez pas à cette maladroite pathologique pour accomplir des mouvements qui vous paraissent si triviaux. Quand enfin elle est sur le point d'atteindre le sommet, elle tend la main et attrape celle du jeune homme. Elle est frêle et fluette cette jeune fille, même un petit bonhomme comme Wall-e parvient à la hisser. Elle est pâle et légèrement tremblante quand enfin elle se redresse à côté de l'ouverture du grenier. Cette montée a été une telle épreuve pour elle que pendant quelques instants, elle avait oublié oies et rats. Mais à présent qu'elle se retrouve à côté de Wall-e, à l'orée de ce grenier sombre, l'inquiétude la gagne de nouveau.

Un craquement soudain retentit et la fait sursauter. Elle se retourne vivement vers l'origine du bruit.

- Là là ! Ca vient de là bas !

Tout en s'accrochant d'un bras à celui de Wall-e, elle pointe en direction d'une pile indistincte de ... choses ?  Elle ne sait pas quoi ! C'est dans le tas de bazar là bas. Est-ce une silhouette au milieu ? Un mannequin abandonné ? Une pîle de vêtements sur un porte manteau ?? AH si seulement elle avait pensé à pointer la torche dans cette direction !

Un premier cri retentit dans le grenier, quand la lumière de la torche se braque sur la silhouette furtive et délicate de la fouine. Un cri féminin et aigu qui s'est échappé de la gorge d'Ophélie dont l'angoisse et la peur des rats amplifie de manière déraisonnable la perception qu'elle a du monstre terrible. (Ironiquement une créature dévoreuse de rats ...).

Ce premier aperçu avait suffi à la figer sur place, les deux mains crispées sur la lampe torche dont le faisceau était devenu tremblant.

Ophélie est ainsi dans tous ses états quand presque immédiatement après s'ensuit l'appel inattendu dans leur dos en contrebas. C'est le sursaut de trop pour elle qui lâche la lampe et fait le faux pas qui la fait trébucher en arrière, à travers l'ouverture béante que le duo a emprunté pour monter quelques instants plus tôt.

Et c'est ainsi que sous le regard d'un Bruno effaré, il pleut des jeunes filles dans le couloir de sa maison. Idéalement placé pour réceptionner (volontairement ou non) la musophobe en perdition, sa présence va très probablement empêcher la pauvrette de se rompre le cou ou de finir aux urgences médicales.

Quant à savoir si le jeune homme sera en capacité de gérer le choc, c'est une autre affaire. C'est un poid plume la petite Ophélie, à peine plus lourde qu'une enfant. Avec un peu de chance le grand échalas, pour peu qu'il dispose des reflexes ou de la prescience suffisants, parviendra à la réceptionner sans dommage, à la plus grande gêne de la maladroite victime qui aurait aimé une manière plus courtoise d'entamer les présentations.

Deboussolée après sa chute, Ophélie met quelques instants à saisir la situation. Elle se redresse de son mieux, aidée par Bruno remet ses lunettes en place d'un air absolu confus.

- Je heuh ... je ... suis désolée ! Terriblement confuse !

Mais plus important encore.

- Merci, merci infiniment !

La présence fortuite de Bruno à cet endroit et à ce moment lui a sans doutes épargné une bien vilaine blessure. Entendant Wall-e s'enquérir de son état au dessus d'elle, elle lève le nez et fait un signe dans sa direction.

- Oui ... oui. Je crois que tout va bien !

Ou alors elle ne s'est pas encore rendu compte que quelque chose allait mal. Il y a des histoires qui racontent qu'avec l'adrénaline, il y a des gens qui recoivent des blessures terribles et ne s'en rendent compte qu'une fois
la tension retombée. Mais ... visiblement non. Elle s'inspecte, se touche l'arrière de la tête où éventuellement il aurait pu y avoir une bosse. Hormis une crinière de cheveux totalement en pagaille (ce qui ,on vous l'avoue, ne change pas de d'habitude).  

Encore secouée par l'émotion et en proie à une certaine gêne, elle fait face à son sauveur. Les joues empourpées, elle tend une main gantée dans sa direction.

- Vous devez être Bruno ! Enchantée, je suis Ophélie. L'amie de Wall-e.

Mais elle se corrige aussitôt.

- Enfin ... "une" amie je veux dire.

Elle hasarde un sourire, persuadée que Bruno comprendra ce qu'elle veut dire par là. Wall-e a l'extraordinaire faculté d'attirer la sympathie et l'affection des gens. Ce n'est pas surprenant dans ces conditions qu'il ait beaucoup d'amis.

- Merci de me recevoir dans votre maison !

Bruno n'y est pas pour grand chose dans sa présence ici mais c'est courtois de remercier TOUS les maîtres de maison quand on est invitée quelque part. Consciente de ne pas être le seul problème auquel le duo de colocataires est confronté pour l'heure, elle s'écarte prudemment de sous l'ouverture du grenier et écoute avec de grands yeux l'échange qui a lieu à propos des fouines. Elle a l'air catastrophée par la nouvelle. Que faut il donc faire ?? Est-ce qu'il faut utiliser des pièges à Fouines ? Est-ce qu'il existe du répulsif à Fouine dans les magasins de bricolages ?

Par chance, Bruno semble savoir quoi faire. Du moins il déclare être prêt à "gérer la situation". Quand quelqu'un gère la situation, c'est assurément qu'il sait ce qu'il fait, n'est-ce pas ?

Des bébés fouines. Abandonnées par une maman couarde. Allons bon.

Encore légèrement tremblante après sa mésaventure, Ophélie reste un petit peu à l'écart, souriant un peu nerveusement à Bruno en dépit de ses tentatives pas si mauvaises de détendre l'atmosphère. Il faut dire que on fait mieux comme entrée en matière pour se présenter que de tomber du plafond. Elle semble surprise quand Bruno lui affirme qu'elle est la première connaissance que Wall-e lui présente.

- Oh vraiment ... ?

Elle n'avait pas idée de l'honneur qui lui avait été fait. Sociable et gentil comme il est, elle avait toujours imaginé Wall-e entouré d'amis qui se seraient tous précipités pour l'aider à déménager.  ( Un rôle que malheureusement elle ne saurait pas endosser ...).

Elle écoute les échanges, se sentant assez désagréablement inutile dans les circonstances. Bruno s'occupe de tout. Bruno va se charger de la situation. La foi absolue que Wall-e place en Bruno ne semble pas usurpée !
Quand l'idée de préparer du thé est évoquée, Ophélie saute sur l'occasion.

- Du thé. Oui ! Je vais m'en charger !

Voilà une chose qu'elle peut faire. En faisant attention. Et tant pis si les deux finissent à peine de prendre le thé. Ce sera une affaire entre elle et sa vessie qui se règlera plus tard, ca vaut mieux que rester là comme une cruche les bras ballants. Elle a vu Wall-e préparer le thé tout à l'heure. Elle n'aura pas de mal à trouver tout ce qui lui faut. Au pire, elle trouvera ce qu'il faut dans les placards, n'est-ce pas ?

Reste avant de descendre à la cuisine une toute petite chose dont elle doit s'assurer.

- Tu ... vas réussir à redescendre seul, Wall-e ?

Lance t'elle en direction de la trape encore ouverte. Ce serait bien si, tant qu'à faire, il ne prenne pas le même chemin qu'elle pour descendre.

Aie ... heureusement que Bruno est là pour rattraper Wall-e, une fois encore. Définitivement, Ophélie et Wall-e feraient mieux de se tenir éloignés de toute activité dangereuse ...

Le thé. Le thé c'est définitivement à ce domaine là qu'ils devraient rester cantonnés. D'ailleurs il ne leur faut que quelques minutes pour que ces deux là préparent une nouvelle fournée de boisson chaude.

Les choses repennent vite un semblant de normalité dans cette maison (si on omet que les deux propriétaires des lieux sont sur le point d'adopter d'horribles petits monstres et qu'une mère en colère rode quelque part au dessus de leur tête, avide de vengeance et de sang).

Ophélie sert à Bruno une assiette dans laquelle elle a tenté de reconstituer un des cupcake issu de sa boite de gâteaux écrasée. Il n'a pas fier allure ... mais il sera bon, n'est-ce pas ... ?

- Tu reprendras un morceau, Wall-e ?

Peut-être qu'une douceur sucrée pourrait lui faire oublier les émotions qu'ils viennent de vivre ? Ce n'est qu'une fois son devoir accompli qu'elle prend place devant une tasse de thé avec la satisfaction du devoir accompli. A sa plus grande surprise, Bruno choisit ce moment pour engager la conversation.  Ravie de voir que le "problème" posé par les affreuses petites bêtes qui peuplent le grenier, elle sourit à l'homme et répond avec enthousiasme. (Du moins, ce qui ressemble à de l'enthousiasme de son point de vue. Car peu habituée à rencontrer des gens, Ophélie a tendance à triturer machinalement une de ses mèche folle du bout de son index ganté, ou à mordiller la couture au bout de son gant pour tromper sa nervosité).

- Oh, je travaille dans un Musée ! Et ... j'en ai plus ou moins la responsabilité.

Mais avant qu'il ne s'imagine qu'il s'agisse d'un poste incroyable, elle tempère.

- Il est tout petit. Je suis la seule employée.

Si on omet bien sûr l'équipe de nettoyage et de sécurité.

- J'adore les vieux objets. J'aurais aimé poursuivre des études en histoire mais ... je suis très contente comme ça aussi. Peut-être que je trouverai le courage de poursuivre les études lors de cours du soir ... ?

C'est une idée qui lui trotte dans la tête depuis un moment. C'est difficile d'enchainer des journées de travail avec des soirées de cour, mais après tout, pourquoi pas ? Si il s'agit d'une passion, ca pourrait être un plaisir, non ? Mais elle ne va pas embêter le pauvre Bruno en entrant davantage dans les détails. Comme toute passionnée, Ophélie serait capable de parler pendant des heures des sujets qui l'intéressent. Elle en a conscience et attend que les gens mettent les pieds eux même dans ces sujets avant de leur tomber dessus.

- Wall-e m'a dit que tu ...

Elle hésite brièvement avant de trouver un terme plus adéquat que "exterminer" ou "chasser".

- .. te spécialisais dans les rats ... ?