Il était une fois...
— “I shoot things with style. I had an excellent teacher.” (Moi je dégaine avec du style. J’ai eu une excellente professeure.)
Novyi Zem. Ses rivages rayonnants et prospères visitent souvent ses rêves, comme un rappel à ses origines et parmi eux se glisse un visage perdu depuis longtemps, comme une torture maligne. Il avait sept ans lorsqu’il a vu sa mère s’effondrer sous l’effet du poison, sept ans lorsqu’on lui a ordonné de cacher ses capacités si spéciales… qui ont tué son ange. Sept ans lorsqu’on l’a convaincu qu’il n’était guère un
zowa, béni par la nature, mais plutôt un enfant maudit. Ainsi à chaque fois que le visage de sa mère apparaît dans ses cauchemars les plus tendres, la culpabilité le ronge de n’avoir eu de cesse de renier cette partie de lui. Celle qui fait de lui un Grisha aux yeux du monde, un Durast aux regards les plus fins et qui sous le règne ravkan, le rangerait dans l’ordre des Materialki. Il aimait changer les cuillères en anneaux, les pièces de bronze en clés et regarder sa mère atteindre toutes ses cibles sans jamais les rater. Il y avait du bon à être un Durast, elle le lui chantait que bien trop souvent, mais son père voulait le protéger et il s’est enfermé dans ce secret. Ainsi personne ne le forcerait à utiliser ses dons par devoir et personne ne se servirait de lui non plus. Il n’a cependant jamais vraiment cherché à progresser et n’est capable que de petits tours simples qui, pourtant, auront attiré l’attention de son plus proche ami et frère d’armes, Kaz.
— “I like the chaos, the gamble of Barrel life. Never knowing what comes next.” (J’apprécie le désordre, l’incertitude de la vie dans le Barrel. Ne jamais savoir ce qui m’attend.)
Ketterdam et ses rues marchandes ont changé le cours de sa vie au sens le plus brutal. Encensé à l’idée d’y étudier dans un premier temps, il fut happé par les possibilités infinies que lui offrait la ville et avec elles, les saveurs empoisonnées du
jeu. Il tomba sous le charme du Barrel et de ses vices, bars et maisons de jeux à s’en trouer les poches jusqu’aux dettes fatales. Erreur de jeunesse ou choix du destin ? Il se souvient encore du jour où Kaz Brekker est entré dans sa vie ; un coup de canne dans la tête de son agresseur et un regard aussi froid que les rives fjerdan à son encontre, mais d’une main tendue vers lui, un boulot lui fut proposé et c’est ainsi qu’il entra dans le monde de la pègre. Ce n’est qu’une fois passé derrière les rideaux qu’on en découvre tous les aspects et Jesper en appréciait chacun d’eux, même si sa vie était parfois mise en jeu. C’est l’étincelle qui lui manquait à Novyi Zem où il ne vivait que trop paisiblement avec son père. Depuis, il a trouvé sa nouvelle famille dans le Barrel en la qualité de ses deux acolytes ou plutôt, amis les plus chers. Il n’est pas rare qu’il soit la cause de certaines représailles contre leur club cependant, surtout lorsqu’il dépouille les mauvaises personnes en trichant aux cartes, mais qui saurait se passer de sa belle gueule ? Il préfère ne pas prétendre qu'on le garde pour ses talents de tireur émérite. Il leur mène sans doute la vie dure, mais nulle inquiétude quand on sait qu'ils le lui rendent bien.
— “True wealth is the friends we make along the way.” (La vraie richesse, ce sont les amis qu’on se fait en chemin.)
Ravka et son invocatrice de lumière ; une mission somme toute suicidaire et à l’aventure garantie, mais pour quelques millions de kruge, surtout
nécessaire pour affirmer l’influence de leur gang au sein du Barrel. Ce n’était qu’une question d’argent au départ, du moins pour Jesper qui n’avait cure de l’authenticité de cette prétendue invocatrice. Qu’elle soit réelle ou non, il ne voyait que la récompense et la manière dont il la dépenserait – à l’excès, cela va s’en dire. Pourtant quand l’enlèvement d’une Sainte se changea en sauvetage avec pour seul paiement, sa gratitude, le Zemeni repensa à ses priorités. Ils avaient tout de même frôlé la mort quelquefois pour cette
richesse convoitée, mais n’est-elle pas présente en permanence autour de lui tout compte fait ? Kaz est tel un frère qu’il peine souvent à comprendre, mais pour qui il prendrait une balle sans hésiter. Inej lui est précieuse aussi et sa liberté lui tient tellement à coeur, qu’il accepterait de la voir partir non sans pleurer. Et il aurait aimé que la vie soit plus clémente avec eux, que leurs frères respectifs soient saufs ou à leurs côtés, mais Jesper n’avait que sa piètre compagnie à leur offrir pour compenser. Hélas, son affection ne fut pas suffisante pour éteindre les flammes vengeresses d'un orphelin du Barrel.
— “I can’t make you any promises or pr edi ct what might happen between us. But I can tell y o u that.. I’d like to find out.” (Je ne peux pas te faire de promesses ou prédire ce qu’il pourrait se passer entre nous, mais ce dont je suis sûr c’est que.. j’aimerais bien le découvrir.)
Le retour à
Ketterdam s’accompagna d’une guerre de gangs, déclarée par le pire de leurs concurrents : Pekka Rollins. Un homme aussi vil que détestable, prêt à tout pour se débarrasser du trio et les faire jeter en prison. Il faillit réussir tant la vengeance de Brekker aveuglait son jugement, mais ce fut sans compter sur l’aide de nouvelles recrues pour former un tout
explosif et redorer leur blason, en remportant la bataille. Mais c’est ici que les souvenirs du Zemeni s'effritent… et pour une raison inconnue, le rôle d’un certain démolisseur au sein du groupe, est
chassé de sa mémoire comme s’il n’avait jamais été là. Il a du mal à mettre en lumière les détails des derniers évènements, se souvient vaguement avoir arpenté les sentiers de Shu Han et rencontré leur Sainte, une puissante Durast. Il sait aussi que le fold a disparu ; qu’il était présent lorsque c’est arrivé et il a même conscience au fond de lui, d’avoir fait la paix avec ses dons de Grisha avant qu’ils ne disparaissent, ici bas. Mais le reste ? Ce serait comme un tableau dont on aurait arraché le centre, l'image même qui lui donnait sens et qu'il voudrait retrouver. Et aux tendres regards oubliés, aux doux baisers égarés, il entend parfois les notes lointaines d’une mélodie jouée au piano et son cœur s’emballe dans
le vide. Lune rouge qui a signé sa perte, bousillé sa tête.
— “I have so many questions. How? Why? Who? Where? When? I guess- yeah... I guess that's all of them.” (J’ai beaucoup de questions là. Comment? Pourquoi? Qui? Où? Quand? Et.. et c’est tout en fait.)
Ville étrange. Ou cauchemar ambulant, il n'aurait jamais pensé que le fold lui manquerait un jour
et pourtant… Il était affairé sur les quais lorsqu'une lueur rougeâtre venant du ciel attira son regard, quelques secondes d'inattention qui le condamna en un battement de cils. L'absence de son magnifique manteau de cuir sur ses épaules lui causa le premier choc, puis ce fut au tour de l'inconfort d'une matière inconnue sur ses jambes, qu'il apprendra plus tard être du
jean. Une fois les premiers chocs passés, il remarqua enfin les quelques étranges architectures qui l'entouraient, l'absence de pavés sur les routes pour une matière plus robuste. Mais le pire fut certainement lorsqu'il manqua de se faire faucher par une voiture sans chevaux, toute d'acier vêtue et tirée par la seule force de.. la nature ? Serait-ce un Grisha à son bord, de ceux qui maîtrisent parfaitement le vent ? Un cri lui fut arraché et ses doigts saisirent ses deux révolvers sans réfléchir, alors soulagé. Ses vêtements avaient changé, mais ses armes étaient restées les mêmes ; recouvertes du même acier, des mêmes broderies et pourtant quelque chose était différent. Il prit un tronc d'arbre pour cible et lorsqu'il pressa la détente, il ne sentit
rien. Il avait beau se concentrer sur les atomes présents autour de lui ou sur l'acier de ses pistolets, rien ne bougea. Il avait perdu le
lien et il ne pensait pas qu'il en aurait le coeur aussi serré.
La case
prison lui pendait au nez depuis ses premiers jours à Ketterdam, mais les choses étaient bien différentes là-bas. On fermait les yeux sur certaines activités illégales et surtout, Jesper était bien entouré. Ici, pas vraiment. Seul dans une ville aux technologies avancées et monde fou dans lequel il avait du mal à s'adapter, l'ancien gangster se réfugia dans les seuls domaine qu'il maîtrisait. Perdre le peu d'argent qu'il avait dans des paris foireux et
voler. Habile et flatteur, il a souvent dormi et mangé aux dépens des autres et de leurs portefeuilles dérobés ; d'hôtels en hôtels, de quartiers en quartiers et un nouveau chapeau toutes les semaines, par pur plaisir personnel et se cacher des caméras à l'occasion. A défaut de retourner chez lui, il retrouvait un peu ce train de vie excitant où chaque jour pouvait être le dernier. Et après avoir écumé assez de bars et de clubs sans y trouver la trace de ses amis corbeaux, il se résigna à penser qu'il était le seul touché par cette quelconque malédiction. Il comprit bien vite qu'il n'était pas le seul dans ce cas et qu'une hallucination collective serait improbable, au vu des témoignages racontés autour d'un verre. Cependant, avec sa fâcheuse manie de trop
parler et à force de se pavaner, Jesper fut pris la main dans le sac par les autorités de ce monde. Au moins, leurs cages étaient plus attrayantes que celles de Hellgate, mais il ne resta que quelques mois derrière les barreaux. Une caution conséquente fut versée en sa faveur pour le libérer avant jugement, mais il n'a jamais connu l'identité reliée à ce geste aussi bien généreux qu'obscur. Il attend toujours qu'on vienne lui réclamer un dû et sa mélancolie l'a même laissé imaginer qu'un certain
infirme se cacherait derrière ce mystère. Voilà donc maintenant une année seulement que Jesper s'est rangé, qu'il accepte de se plier aux règles et de gagner son propre argent. Une place toute trouvée dans une armurerie où il entraîne sa précision après chaque service. Sans l'aide de ses dons, les balles ne lui obéissent plus comme avant et c'est peut-être mieux pour son ego, de savoir qu'il touche toujours aussi bien le mille malgré tout.