Il était une fois...
Londres, Pensionnat pour jeunes filles de Miss Michin, 15 décembre 1853
Je suis née en Inde et n’ai malheureusement jamais connu ma mère, d’origine française car elle est morte le jour de ma naissance, après m’avoir mise au monde. Fille unique de Ralph Crewe, officier de l’armée britannique, c’est lui qui m’a élevée. Je suis très proche de lui, c’est un papa très aimant. Je parle donc français, anglais et hindi. Il paraît qu’il est riche et que je le serai plus tard. Je l’ai toujours entendu dire, mais ça ne change rien pour moi. A la maison, il y a des domestiques qui s’occupent de nous, qui m’appellent « mamzelle sahib ». Il paraît que c’est lié.
Aujourd’hui est un jour particulier, car, selon les volontés de ma mère et comme beaucoup d’enfants en Inde, j’ai pris le bateau avec papa. Nous sommes arrivés à Londres. Il fait sombre, froid. Il y a du brouillard. Et nous avançons dans un fiacre vers une pension pour jeunes filles. L’établissement de Miss Minchin, où je passerai les prochaines années. Papa dit que je m’amuserai bien avec les autres filles, que je ne verrai pas le temps passer. Que bientôt je serai grande, de nouveau auprès de lui et que ça sera à mon tour de m’occuper de lui. Et puis, il m’a promis de m’envoyer des livres, tout plein de livres, comme ça, je pourrai me distraire autant que je le souhaiterai. J’adore lire et il le sait !
Une fois arrivée dans cette école, on en a rencontré la directrice, qui n’est pas très… agréable, se montre sèche même et est visiblement stricte, mais a l’air très impressionnée par papa. Ensuite, papa et moi avons passé notre dernière journée ensemble. Nous avons fait des courses, pour que j’aie des vêtements adaptés et qu’il m’achète Emilie, ma poupée avec laquelle je pourrai parler de lui quand il sera parti.
Ça y est, nous sommes revenus au pensionnat et papa m’a laissée dans ma chambre. On m'a dit que c’est la plus grande. Elle a aussi un salon. Papa est reparti et j’ai eu beaucoup de chagrin. Oh, oui, il m’enverra des lettres, mais qui sait quand je le reverrai ? J’ai confié tout ça à Emilie aussi.
Londres, Pensionnat pour jeunes filles de Miss Michin, 16 décembre 1855
Après mon arrivée, j’ai rencontré les autres filles du pensionnat. Il y a Lavinia qui n’est pas sympathique aussi, mais globalement, je m’entends bien avec les autres. Surtout avec Ermengarde, ma meilleure amie et Lottie, pour qui je suis devenue une seconde maman. Et puis, il y a la pauvre petite Becky aussi qui doit remplir nos cheminées de charbon, faire du feu dans les chambres et les classes. Elle doit avoir à peu près mon âge, mais on ne la laisse jamais se reposer. Elle sert de bonne.
Le lendemain de mon arrivée, le professeur de français a remarqué que je savais déjà parler cette langue et que le cours était beaucoup trop facile pour moi. Alors, il me donne des lectures, des exercices qui me permettront de progresser dans cette langue au lieu de me demander de suivre le cours tel qu’il le donne pour les autres filles du pensionnat, qui elles, découvrent encore cette langue.
Il y a eu un grand événement : papa s’est vu proposer par un vieil ami de participer avec lui à l’exploitation d’une mine de diamants. La mine doit être magnifique avec tous ses souterrains et pierres précieuses étincelantes. Ça me fait une nouvelle histoire à raconter à mes amies. Car oui, cher journal, tu ne le sais pas encore, mais j’aime raconter des histoires. Et il paraît qu’elles sont plutôt captivantes. Par exemple, je suis persuadée que la nuit ou encore quand je ne suis pas là, Emilie prend vie et mène sa propre vie. Et que c’est plus généralement le cas des poupées. Enfin, bref, ces fameuses mines de diamants sont le principal sujet de conversation d’à peu près tout le monde au pensionnat. Et c’est comme si pour Miss Minchin j’étais devenue encore plus importante. J’avais déjà le droit de faire presque tout ce que je veux et j’étais déjà traitée avec plus d’égards que les autres. Mais maintenant, il semblerait que rien ne soit trop beau pour moi.
Londres, Pensionnat pour jeunes filles de Miss Michin, 15 janvier 1857
On a fini par oublier les mines de diamants. Et il y a quinze jours, j’ai eu onze ans. Il y avait une grande fête de prévue. Et je devais recevoir ma dernière poupée. Je deviens à présent trop grande pour ça. Oui, mais alors que j’allais entamer le gâteau, que j’avais ouvert mes paquets cadeaux, Miss Minchin est venue me chercher l’air furieux. Je n’arrive toujours pas à y croire…
Papa est mort…
Papa est mort ! Je ne l’ai pas revu depuis mon arrivée ici. Il paraît qu’il a succombé à une fièvre tropicale. C’est vrai qu’il avait l’air fatigué et malade dans ses dernières lettres. Une fois dans ma nouvelle "chambre", au grenier, j'ai beaucoup pleuré.
Papa a tout perdu. On m’a dit que ça s’appelait être ruiné. Selon Miss Minchin, papa lui devait encore des sous. Alors, elle prétend être généreuse en me gardant ici. Je dois gagner ma vie selon elle.
J’ai été envoyée au grenier, celui à côté de Becky. Il y a des rats comme elle me l’avait dit. Et comme elle, je dois à présent aider, m’occuper du feu, de la vaisselle, des courses, du ménage…
Orphelinat d’Hogwarts Place, 1er janvier 2019
Oui, oui, 2019, vous avez bien lu. Alors que moi je viens de 1857. Là où je vous ai laissés dans ma dernière page de journal. Laissez-moi vous raconter la suite. Le 16 janvier 1857, une lune rouge était prévue. C’est un spectacle rare il paraît. Alors, comme au pensionnat, il y a un velux de mon grenier qui donne sur le ciel, j’ai mis ma table et ma chaise en dessous pour grimper sur la table et regarder par le velux. Et j’ai donc vu cette lune exceptionnelle. Je l’ai vue devenir de plus en plus grosse. Puis, un bruit sourd. Et plus rien. Tout est redevenu normal, les étoiles brillent dans le ciel. Mais… Je me suis retrouvée dehors. Il n’y a plus de pensionnat de Miss Minchin, je suis à la rue, en pleine nuit avec une robe noire trop petite pour moi. Le quartier ne ressemble pas à ce que je connais. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais je suis perdue.
Finalement, j’ai été reccueillie et emmenée à l’orphelinat de la ville. Je dois de nouveau faire connaissance avec les autres enfants, trouver de nouveaux amis, me construire une nouvelle vie. Je n’ai plus ni Emilie ni la photo de papa, tout ça est resté dans ma chambre du pensionnat. Je n’ai plus rien qui me rattache à lui… Et ça augmente mon chagrin auquel je n’ai guère pu donner libre cours.
Orphelinat d’Hogwarts Place, 28 mars 2022
Dans mes premiers mois ici, j’ai été rapidement scolarisée au collège du coin. J’y ai rencontré une fille un peu plus âgée que moi, elle est maintenant au lycée elle. Elle s’appelle Françoise. Elle est devenue comme une grande sœur pour moi, d’autant qu’en arrivant, je n’avais plus rien à part mes souvenirs et mon imagination. Et à dire vrai, je me suis souvent réfugiée là. J’ai souvent imaginé que rien de tout ce qui s’est produit depuis la fin de l’année 1856 n’est vrai. Je suis juste retournée aux Indes, où j’ai retrouvé papa. Affaibli, mais guéri. Seulement, quand je reviens à la situation présente, c’est parfois encore plus douloureux.
Enfin, bref, quand je suis arrivée ici, j’étais complètement perdue. Figurez-vous, j’ai fait un bond de 162 ans dans le temps, plus d’un siècle et demi ! Alors évidemment, il y a eu plein d’évènements, plein d’inventions que je ne connais pas et face auxquelles j’étais perdue. Je suis encore parfois surprise, mais j’ai lu beaucoup de livres, d’Histoires ou sur les grands inventeurs, sur les progrès qui ont été faits. Comme ça, je me sens un peu moins décalée par rapport à ceux qui connaissent déjà tout ça.
Je suis bonne élève au collège et je me suis fait quelques autres amis. Je continue à chercher à me reconstruire après tout ça et à me faire une nouvelle vie. C’est un peu comme si j’avais dû repartir de zéro.