Le nez plongé dans un moteur, comme ça a tendance à être mon quotidien à présent, je remarque à peine l'irruption d'une nouvelle personne au garage. Enfin, j'ai bien compris que Mutt (qui avec un peu de temps et beaucoup de patience finit par être bien moins insupportable que je ne l'aurais pensé au moment de le rencontrer) ne parlait pas tout seul, mais j'ai supposé tout d'abord qu'il s'adressait à un client, jusqu'au moment où il me fait comprendre que c'est moi que l'on vient voir.

Je lève les yeux, l'air circonspect tout d'abord, un blond barbu ? Un pote à moi ? Pour commencer, on ne peut pas dire que je possède un nombre considérable de "potes", ici. J'ai Finn, j'ai Poe, j'ai Ben (dans ce dernier cas, c'est plus compliqué que ça, mais on va simplifier), dans une certaine mesure, j'ai Mutt. Mais un blond barbu. Mon regard recherche l'individu en question, et alors, je comprends immédiatement. Evidemment, un blond barbu... disons que ce ne sont pas là les termes que je me serais permis d'employer pour qualifier Obi-Wan Kenobi. Cela dit, il est effectivement blond, et barbu, donc...

❝Merci❞, dis-je à l'adresse de Mutt avant de tirer un chiffon en tissu de la poche de mon bleu de travail pour essuyer mes mains couvertes de cambouis tout en me rapprochant.

Est-ce qu'il passait vraiment dans le coin et vient me trouver comme de par hasard ? Ce n'est pas dit, en revanche, je pense qu'il a raison sur ce point : une conversation en bonne et due forme ne sera pas du luxe, d'autant qu'on ne peut pas franchement dire que nous ayons eu l'occasion de discuter, et encore moins dans de bonnes conditions au cours du dîner pour le moins chaotique organisé par Padmé. Pourtant, oui, je pense que j'aurais beaucoup à apprendre de lui... et sans aucune forme de prétention, il a peut-être deux ou trois choses à apprendre de moi.

❝Je ne suis pas certaine d'être moins perdue que vous, mais ce sera avec plaisir. Laissez-moi juste le temps de prévenir mon collègue et de me changer.❞

Ce que je fais, laissant à Mutt le soin de lui tenir la jambe pendant que je disparais enfiler une tenue vaguement plus décente, en espérant qu'il ne le fera pas fuir en quelques seconde de temps seulement, mais non, il est toujours présent, fidèle au poste quand je reviens.

❝Je connais un restaurant tranquille et pas très cher, à deux pas, j'ai l'habitude d'aller déjeuner là-bas... si ça vous convient ?❞

Je laisse passer un temps de silence tandis que j'ouvre la marche en direction du lieu suggéré. Cette situation est si incongrue qu'en dépit de la bienveillance naturelle d'Obi-Wan, je ne peux m'empêcher d'éprouver un léger malaise. J'imagine qu'il finira par se dissiper. Comme pour bien d'autres des situations singulières qui sont monnaie courante ici, c'est une affaire de temps et d'habitude.

❝Je ne sais même pas vraiment... par où commencer. Est-ce qu'il y aurait une chose que vous voudriez savoir plus que les autres ?❞

J'adresse un fin sourire à la remarque de mon interlocuteur quand ce dernier me fait remarquer qu'il n'est pas de nature à faire la fine bouche, surtout après tant de temps passé sur une planète désertique où on ne s'embarrassait pas de telles considérations d'ordre culinaire. Forcément, je devine qu'il n'a pas prononcé ces mots au hasard, et bien sûr, je m'y reconnais d'emblée, le "choix du restaurant" n'était définitivement pas une de mes préoccupations majeures sur Jakku. Sur Jakku, je n'avais de toute façon qu'une seule et unique préoccupation, et c'était de retrouver mes parents.

Tandis que nous avançons en direction du restaurant, il me rassure : non, il n'est pas là pour me faire passer un interrogatoire. Je le sais, mais quelque part, je voudrais presque que ce soit le cas : ce serait plus simple pour moi, ainsi. Il me poserait ses questions, et je tenterais d'y répondre du mieux que je le pourrais tout en tentant de soulager au passage ma propre curiosité. Mais j'apprécie autant, cependant, qu'il cherche à se montrer jovial, agréable. Il y a une certaine gêne entre nous pour le moment, car même si nous nous connaissons, nous restons des étrangers, mais je veux croire que cette gêne passera, il nous faut juste le temps de véritablement déterminer sur quel pied danser sans nous rendre responsables d'un nombre incommensurable de faux pas. Nous nous installons à une table, et la conversation peut s'engager réellement.

❝Jakku n'est pas la planète la plus accueillante qu'on puisse imaginer, c'est certain, mais... je me suis vraiment obstinée à y rester pendant très longtemps. J'ai eu plus d'une occasion de partir, j'avais à chaque fois décliné. J'attendais ma famille sans réaliser que je devais me rendre ailleurs pour la trouver.❞

Je parle beaucoup, je parle peut-être un peu trop. Les mots glissent tout seul, naturellement. Il m'inspire confiance, je crois que c'est aussi simple que cela. En sa présence, je n'ai pas envie de mentir ou de montrer plus cryptique que nécessaire.

❝J'ai du mal à faire la distinction entre ce qui tient de la légende et ce qui a réellement existé, en ce qui concerne l'ordre jedi. Luke Skywalker a été un maître exigeant mais aussi... peu protocolaire, je suppose. Je bénéficierais peut-être de ces préceptes étiolés qui ne m'ont pas été enseignés.❞ Je l'observe un instant, mes idées, mes questions, mes pensées... Tout cela part dans tous les sens, et je ne sais plus très bien que demander... ❝Comment ça s'est passé pour vous ? Comment est-ce que c'était, alors, d'être un jedi ?❞

Le mythe qui entoure l'âge d'or et l'effondrement de l'Ordre jedi est tel qu'il est plus que difficile d'isoler et de déterminer la part de réel qui a bien pu exister dans tout cela. Mais j'aimerais la connaître. Oui, je voudrais sincèrement la connaître.

Le changement n'est pas chose simple à accepter, et pourtant, en le refusant, c'était ce même changement que je cherchais à l'époque. Je faisais du surplace dans l'espoir de voir ma vie basculer, tout en sachant pourtant pertinemment que les choses ne pouvaient pas réellement se passer ainsi, que c'était impossible. Je ne sais pas à quoi je m'obstinais, sur la fin, sans doute insistais-je davantage par fierté que par réelle conviction. Quoi qu'il en soit, la remarque de mon interlocuteur m'arrache un fin sourire. "Vieux fou", je ne l'aurais pas défini ainsi. Cela dit, je veux admettre que ce n'est pas forcément l'âge ni même la sagesse qui permettent de rendre plus facile la perspective du changement, surtout quand on a comme moi tendance à assimiler sagesse et stabilité. A tort ou à raison. La Force, en ce sens, oui, peut en effet nous inviter aux choix les plus judicieux, et presque indépendamment de notre propre volonté, en fin de compte. Encore faut-il savoir se laisser guider par elle, ce qui en certaines circonstances se révèle plus facile à dire qu'à faire.

J'affiche un sourire en coin quand mon interlocuteur me confirme le fait que Luke Skywalker n'a en effet jamais été quelqu'un de très protocolaire, je le crois sans mal, et je suis quelque part un peu amusée, à imaginer cet homme que j'ai connu d'une certaine manière, qui tranchait largement avec l'image que j'avais de lui avant de faire sa connaissance, tel qu'il a pu être à l'époque où Obi-Wan Kenobi l'a rencontré de son côté. Je pense que je ne pourrais m'en faire qu'une image forcément inexacte, mais je bois quoi qu'il en soit les paroles de mon interlocuteur avec le plus grand des intérêts. Il accepte de répondre à ma question en employant tout ce qui me manquait de détails, en acceptant de revenir sur tout ce sur quoi je pouvais m'interroger, sans bénéficier de véritables précisions. J'essaie de me figurer cette époque avant la guerre, j'essaie de m'imaginer auprès de mes parents, jusqu'à ce qu'on vienne à ma rencontre, à peu près à cet âge où ma vie a basculé - non, encore plus jeune qu'à cet âge, en réalité -, pour m'apprendre que j'allait m'entraîner dur et devenir un jedi.

Est-ce que j'aurais été complètement heureuse ainsi, ne me sens-je pas en partie libre du fait d'avoir trouvé ma voie d'une autre façon, mais n'aurais-je pas voulu comprendre plus tôt ma sensibilité à la force ? Bien sûr, ce sont des questions auxquelles il es impossible d'apporter de véritable réponse. J'imagine que c'est tant mieux, que c'est préférable. Je ne peux que m'inspirer du récit qui m'est conté pour agrémenter mon imaginaire et mes connaissances, et c'est déjà beaucoup, bien sûr.

❝La grande histoire est passionnante❞, je confirme avec un sourire au coin des lèvres, heureuse d'avoir une vision plus globale d'un héritage qui est définitivement le mien, et que je ne pouvais m'approprier sans tout en savoir. Je m'apprête à reprendre quand la serveuse vient prendre nos commandes. Je la laisse repartir avant de reprendre. ❝Mais j'ai toujours eu un faible pour la petite histoire, ces anecdotes plus personnelles. J'adorerais entendre les vôtres❞, j'affirme, le regard brillant d'une curiosité sincère.

Longtemps, je me suis fiée aux légendes et leur ai conféré cette part de sacralité qui sied aux récits les plus mémorables de l'histoire. Depuis, ma vision de ces mêmes légendes s'est métamorphosée au gré de mes rencontres avec tous ceux qui les ont composées. Rencontrer Luke Skywalker en chair et en os a eu tôt fait de remettre les choses à leur place et en perspective. Il était à mille lieues de l'image que je m'étais faite de lui. Cela avait été désarmant, c'est certain. Et, je dois le dire, un peu décevant aussi. Mais cela m'a permis d'apprendre cette leçon ô combien nécessaire : nos héros sont avant tout des humains.

Alors oui, je veux voir s'étioler l'image du grand sage jedi sans reproche, car son histoire ne s'en verra que plus fascinante. Nos héros ayant le plus d'impact sont aussi ceux auxquels il nous est possible de nous identifier, après tout. J'écoute donc mon interlocuteur parler tout en dégustant le contenu de ma propre assiette. J'avoue que j'ai du mal à l'imaginer en apprenti empoté, mais cette seule perspective fait naître en moi un honnête sourire. Puis un rire franc que je n'arrive pas à retenir quand il me fait part du surnom qui lui avait été donné : Lourdobiwan. Certains n'en manquent pas une. N'empêche que je dois admettre que ça a le mérite de me faire effectivement rire. Sans me vouloir moqueuse pour autant, mais s'il m'en parle, je veux croire qu'il a la dérision nécessaire pour que le sujet soit abordé sans heurts.

❝Votre secret est bien gardé avec moi, soyez-en sûr❞, dis-je avec humour. ❝Avec Luke, je dirais que ça a été plutôt compliqué dans un premier temps.❞ Je marque une pause. ❝Quand je suis venue le trouver sur Ahch-To et lui ai tendu son sabre laser, il a rejeté mon geste et a jeté le sabre au sol avant de partir sans même m'adresser un seul mot.❞

Maintenant, je peux évoquer cette anecdote avec le sourire, mais à l'époque, elle m'avait absolument décontenancée. Je ne comprenais tout simplement pas. J'avais fait tout ce chemin, je m'étais fais une image si différente de Luke Skywalker... Mais en définitive, les circonstances de cette rencontre aussi on été un enseignement pour moi, au-delà de tous ceux, plus concrets, dont il m'a ensuite fait bénéficier.

❝Si Chewie ne m'accompagnait pas, je ne sais pas si j'aurais réussi à le convaincre. Enfin, il en a fallu davantage pour qu'il accepte de m'aider. Il ne m'a pas ménagée, après ça, mais... même si je ne suis pas restée aussi longtemps qu'il l'aurait fallu, j'ai appris beaucoup de choses sur moi-même, durant ce temps. J'ai bénéficié davantage de son expérience personnelle que des quelques archives à sa disposition, et je pense, quelque part, que ça m'a été bien plus instructif.❞