Mensonges et vérités ▿ Love

Clarke avait envie de croire aux mots de son amie. Il était tellement plus simple d'avoir cette vision des choses. Il était tellement plus simple de croire que les choses s'arrangeaient toujours, qu'il fallait simplement trouver de nouvelles raisons d'être heureuse, qu'il fallait simplement trouver de nouvelles raisons de se battre. Clarke s'était toujours battue pour ce qu'elle croyait être juste : sa famille, son peuple, sa survie. Elle n'avait jamais eu de repos véritable. Tout le monde comptait tout le temps sur elle, tout le monde lui reprochait tout le temps ses choix. Aujourd'hui, sans tout ça, elle se sentait vide. Elle aurait dû être heureuse d'une telle chance - et elle l'avait été à certains moments - mais c'était difficile. Trop.

Alors, bêtement, elle espérait que voir quelqu'un d'autre réussir lui donnerait la preuve que c'était possible. Elle espérait que voir Love réussir lui donnerait la force suffisante pour l'imiter, pour le faire, pour réussir. Jamais elle ne pourrait oublier sa fille ou sa famille, mais peut-être pouvait-elle les conserver dans son coeur tout en trouvant d'autres raisons d'être heureuse ? Peut-être. Love, en répondant à sa question, ne semblait plus aussi sûre d'elle. Elle croyait. Elle supposait. Sans doute qu'il était difficile de prendre un recul suffisant sur ce genre de choses et que répondre à ce genre de question était particulièrement difficile ?

Love réfléchissait puis apportait des précisions. Son travail l'aidait. Clarke le comprenait parfaitement. Elle s'était jetée corps et âme dans le sien, afin de ne plus penser, afin de ne plus pleurer, afin d'oublier. Ce n'était peut-être pas la meilleure solution, mais ça avait fonctionné pendant un temps - jusqu'à ce qu'elle craque complètement aujourd'hui. Mais Love paraissait aimer son travail et le profit devait être véritable. Et, ce qui semblait également l'aider, c'était ses rencontres avec de nouvelles personnes. Clarke ne pouvait s'empêcher de retenir un sourire en coin - ce qui contrastait grandement avec ses yeux rougis par les larmes - parce qu'elle était d'accord sur ce point aussi. Après tout, elle l'avait bien rencontrée, elle. « Ça, je ne peux qu'être d'accord avec toi. » Souffla-t-elle. « Je sais ce que c'est d'avoir des amis sur qui compter dans les pires moments... » Parce que des pires moments, elle en avait eu son lot et ses amis aussi. Ils avaient toujours été là les uns pour les autres, mais leur relation était tout aussi chaotique que belle - elle avait tué pour eux, elle avait sacrifié pour eux, mais, dans certains cas, elle avait été prête à les tuer et les sacrifier pour sauver plus de vies. « J'suis heureuse de t'avoir rencontrée. » Dit-elle finalement, ne sachant plus trop où elle voulait en venir avec le début de sa phrase. « Tu me connais pas tant que ça finalement, mais t'es là aujourd'hui, prête à me rassurer et me réconforter et... » Elle poussait un soupir tout en haussant les épaules. « ça compte beaucoup pour moi. » Love était cette nouvelle personne dans sa vie, celle qui pouvait lui redonner le sourire et la réconforter parce qu'elle la comprenait mieux que personne, parce qu'elle aussi devait vivre sans son enfant. Alors, finalement, peut-être que ce n'était pas si difficile de trouver de nouvelles raisons d'être heureuse ? Facile, non. Mais faisable, en tout cas, oui.

Clarke avait eu cette chance incroyable de forger des amitiés fortes. La vie qu'ils avaient menée y était pour quelque chose. Ils avaient dû survivre ensemble, se battre ensemble, affronter la mort et la perte ensemble, faire la guerre ensemble... Alors, il était évident que ses amis étaient devenus bien plus. Ils étaient une famille. Une famille pour qui Clarke aurait pu être prête à tout - et elle l'avait été, comme l'épisode du Mont Weather l'avait prouvé. Pour eux, elle avait tué et elle avait pris des décisions que personne, jamais, ne devrait avoir à prendre. Ce monde-ci était très différent, les choses ne se faisaient pas de la même manière et Clarke n'était pas certaine de savoir aimer d'une autre façon. Elle avait envie d'essayer, elle avait envie de promettre à Love qu'elle serait ce genre d'amie pour elle, mais en était-elle capable quand tout était si différent ? Et, surtout, était-ce une bonne chose pour Love ? Clarke avait, certes, des amis dont elle était très proche, mais combien de fois les avait-elle mis en danger ? Combien de fois avait-elle dû prendre des décisions dangereuses ? Combien de fois l'avaient-ils détestée pour ça ? Ici, elle ne devrait pas avoir ce genre de choix à faire, ce genre de décisions à prendre, mais... Alors, comment aimer ses amis de la même façon ? Peut-être que les choses se feraient naturellement, tout simplement, ou peut-être qu'elle en serait incapable, malgré ses efforts.

« Tu pourras toujours compter sur moi. » Lui promettait-elle, avec conviction. Peut-être que Clarke ne serait pas une bonne amie, mais elle ferait toujours en sorte d'être présente pour Love, dans les bons comme dans les mauvais moments et elle ferait ce qu'il y a à faire pour l'aider, la protéger, lui venir en aide. Parce que c'était ainsi qu'était Clarke. Elle ne faisait pas les choses à moitié. Si elle acceptait quelqu'un dans sa vie, cette personne devenait l'une de ses priorités. Love était présente pour elle dans ses moments difficiles, Clarke serait là à son tour. Elle le lui promettait.

Clarke était heureuse d'avoir rencontré quelqu'un comme Love. Elle était loin de ceux qu'elle avait connus jusqu'à présent, mais elle lui faisait du bien. Leurs peines se répondaient et elles se comprenaient. C'était de ça dont Clarke avait besoin. Quelqu'un qui connaissait sa douleur, quelqu'un qui la comprenait vraiment. Cette rencontre avait été un hasard - ou le destin, peut-être ? - bienheureux. Elles ne se connaissaient pas encore énormément, mais le temps ferait les choses, n'est-ce pas ? Ou alors Clarke voulait le croire, parce qu'il y avait bien des choses qu'elle n'avait pas envie d'avouer, considérant que son amie la haïrait après ça. « Ça vaut pour toi aussi. » Affirma alors Clarke. Love pouvait se confier, lui parler parce qu'elle avait envie de la connaître, elle aussi. « Quant à moi, il y a des choses qu'il est préférable que tu ne saches pas. » Ce genre de mots attisait la curiosité, sans doute, mais Clarke voulait surtout que Love prenne conscience que Clarke lui cacherait des choses, mais par nécessité, pas par envie de mentir - ce qui n'expliquait pas, en revanche, qu'elle continue de lui cacher la mort de Madi puisque là, les raisons étaient tout autre.

Love était un cadeau du ciel pour Clarke. Elle était arrivée au bon moment dans sa vie, alors qu'elle avait perdu tout espoir, alors qu'elle était au plus mal... Leur rencontre n'avait été qu'un étrange, mais heureux, hasard. Aujourd'hui, Clarke était persuadée qu'il y avait quelque chose à tirer de cette amitié parce qu'elles se ressemblaient bien plus qu'il n'y paraissait aux premiers abords. Clarke voulait y croire. Leur amitié naissait de quelque chose de douloureux - la perte de leur enfant respectif - mais d'un événement terrible et douloureux pouvait naître une belle relation, non ? Après tout, toutes les relations de Clarke n'étaient-elles pas nées ainsi ? Tous ses amis, tous ces êtres auxquels elle avait tant tenu... N'étaient-ils pas devenus si précieux pour elle après les événements difficiles auxquels ils avaient tous été confrontés ? De ces débuts douloureux étaient nées des relations belles et profondes, des amitiés pour lesquelles Clarke était prête à tout - ce qui n'était pas forcément une bonne chose, d'ailleurs, puisque Clarke n'avait presque aucune limite.

Alors, comme elle avait cru en ses amitiés d'autrefois, elle voulait croire en celle-ci, parce qu'elle en avait besoin. Elles en avaient besoin, même. Et même si Clarke rêvait de pouvoir construire quelque chose de sain, de sincère, elle ne pouvait pas se résoudre à tout lui raconter. Elle voulait qu'il y ait de la franchise entre elles, de la sincérité, mais... Le passé de Clarke était bien trop sombre pour qu'elle puisse tout dire, si vite. Elle n'avait pas particulièrement honte, même de ses pires actes, simplement elle savait qu'elle méritait d'être jugée pour eux et elle ne voulait pas perdre une amie parce qu'elle avait été un monstre autrefois pour protéger d'autres de ses amis. Alors, plutôt que lui mentir, la jeune femme préférait lui dire clairement qu'elle avait des choses à cacher, mais que c'était mieux ainsi. Ce à quoi Love avait répondu par un non direct et catégorique, sans l'ombre d'une hésitation.

Clarke hésita un instant sur la réponse à donner. Elle l'observait simplement en silence. Love n'avait pas entendu pire. Enfin, elle le supposait. Si Clarke ne se souvenait pas de toute sa vie, elle se souvenait de ce moment où elle avait fait tuer des dizaines de natifs parce qu'ils les attaquaient - avec l'homme qu'elle aimait encore à l'extérieur, prête à le sacrifier. Elle se souvenait de ce moment où elle avait elle-même enfoncé le couteau dans le corps de l'homme qu'elle avait tant aimé pour lui éviter une mort pire encore, lente et douloureuse. Elle se souvenait de ce moment où, avec son meilleur ami, elle avait tiré sur ce levier pour protéger son peuple, tout en sachant que cet acte conduirait à la mort de centaines d'innocents, dont certains les avaient aidés. Elle se souvenait finalement de tant de choses horribles en ayant perdu des années de sa mémoire... Quelles autres horribles choses avaient-elles pu bien faire pour les avoir oubliées ?

Alors, non, Love changerait forcément d'opinion sur elle. Clarke en était intimement persuadée. « Je crois que tu n'as aucune idée de la femme que tu as en face de toi. » Répondit-elle simplement. « Crois-moi, n'importe qui, en apprenant ce que j'ai fait, changerait d'avis à mon sujet... Et je le comprends. » Si un jour Love devait tout apprendre et partir, elle ne pourrait pas lui en vouloir. Même si ses actions avaient toujours pour but de protéger son peuple et sa famille, ça ne changeait rien aux horreurs qu'elle avait commises. Survivre ou mourir, ça avait longtemps été son seul choix dans un monde comme le sien. Et, entre tuer et être tuée, elle avait choisi la première option. « Et si on se mettait à préparer le repas, plutôt ? » Souffla-t-elle finalement pour tenter de changer le sujet.

Après tout ce que Clarke avait pu faire et vivre, il était normal qu'elle s'inquiète de ce que Love pourrait penser d'elle en apprenant toute la vérité. Elle n'était pas juste cette femme qu'elle donnait l'impression d'être. Elle avait un passé lourd. Terrible. Un passé que l'on pouvait facilement juger comme étant monstrueux - ce qu'elle comprenait. Cependant, elle n'avait pas envie de voir Love changer d'avis à son sujet et, elle n'avait pas envie de la perdre. Elle tenait à elle. Vraiment. Alors, paradoxalement, elle s'imaginait que c'était le mensonge - ou plutôt cacher la vérité - qui l'y aiderait.

Et pourtant, lorsque Love lui promettait qu'elle était capable de tout entendre à propos de son passé, Clarke avait envie de la croire. Elle avait envie de céder et de se confier. Elle avait envie de se libérer de ce poids qu'elle était la seule à porter, mais... Et si Love n'avait pas conscience d'à quel point il fallait être prête à vraiment tout entendre ? Il était question de morts, de sacrifices d'innocents, de guerres, de décisions... Pouvait-elle seulement se l'imaginer lorsqu'elle regardait Clarke, là, à ses côtés, comme une amie ? « Je te remercie. » Se contenta-t-elle de répondre alors que Love avait ajouté qu'elle accepterait que Clarke n'en parle jamais, mais qu'elle restait prête à tout entendre de sa bouche. Elle n'en disait pas plus parce que Love était à deux doigts de réussir, de la convaincre qu'elle pouvait vraiment tout lui dire de ses pires erreurs, de ses pires décisions, de ses pires moments.

Alors, à la place, pour changer leur sujet de conversation et s'éviter la perte d'une amie qui était devenue précieuse malgré la courte durée de cette relation pour l'instant, elle proposait de se reconcentrer sur le dîner. Après tout, il fallait bien qu'elles se nourrissent, comme prévu, et puis c'était plus simple d'en revenir à ça. Les vestiges de la vaisselle cassée attendraient un peu avant d'être ramassés et leurs histoires également. Rien ne disparaîtrait en quelques minutes ou dans quelques heures - malheureusement - elles avaient le temps.

Love lui promettait alors un repas délicieux puisqu'elle était un véritable chef, selon ses propres mots. « Pour avoir goûté à tes pâtisseries - les meilleures que j'ai pu manger, soit dit en passant - je ne doute pas une seule seconde de tes talents. » Elle n'avait jamais mangé de pâtisseries si bonnes et ce n'était ni une exagération, ni un compliment destiné à la flatter. « Alors, dis-moi ce que je dois faire. » Histoire qu'elle puisse aider un peu à la confection du repas - sans tout gâcher, de préférence. « Tu sais, de là où je viens, la nourriture était... Comment te dire... Différente. » Affirma-t-elle dans un sourire. Ce n'était pas les grands secrets évoqués tout à l'heure, mais parler un peu de leur monde d'autrefois, pour ces petits détails, ne pouvait pas faire de mal. « Sur l'Arche, on devait se contenter de peu et ce n'était jamais sophistiqué... » Ils n'en avaient pas les moyens, il fallait manger ce qu'il était possible d'obtenir sur une Arche, dans l'espace. « Et à notre arrivée sur Terre... On mangeait ce qu'on trouvait. » Grâce à la chasse ou à la pêche, grâce à la cueillette aussi, mais autant dire que les repas n'étaient jamais travaillés. La viande était cuite sur un feu et était mangée ainsi. On pouvait oublier l'assaisonnement, les mets raffinés pour l'accompagner. Il était déjà difficile d'obtenir de la nourriture suffisante, la rêver bonne était un rêve justement. « La nourriture actuelle, c'est sans doute ce que je préfère dans ce nouveau monde. » Finissait-elle par ajouter, en souriant. Comme ça faisait du bien d'oublier et de simplement parler, comme si les problèmes n'existaient plus vraiment, comme s'il était possible de les mettre sur pause et de juste vivre le moment présent.

Clarke essayait de passer à autre chose. Elle essayait d'oublier les parties les plus sombres et les plus douloureuses de son passé. Et, surtout, elle essayait d'oublier ce qu'elle ressentait à chaque fois qu'elle pensait à Madi. Elle avait besoin de calme, de repos, de répit. Juste un instant. Un court instant. Juste pour souffler et reprendre des forces avant de craquer plus encore, sans jamais plus trouver la force de se relever. Parce que ça allait arriver. Elle le sentait. Elle sentait que ses nerfs lâcheraient, tôt ou tard, de manière bien plus violente encore qu'aujourd'hui.

Alors, Clarke tentait de parler d'autre chose. Autre chose, tout en parlant de son passé. De ces détails qui faisaient d'elle ce qu'elle était. De ces détails qu'elle pouvait donner à Love sans crainte d'être jugée ou abandonnée. La nourriture, par exemple. Ça ne disait rien sur les horreurs que Clarke avait pu commettre, mais ça lui permettait d'évoquer son monde, de le faire découvrir à Love. S'il y avait bien une chose positive dans cet endroit, c'était ça. Clarke mangeait à sa faim et elle découvrait des plats dont elle ne voulait plus se passer. Habituée à des repas simples, minimalistes, elle était toujours heureuse de découvrir de nouvelles saveurs - et plus encore maintenant qu'elle connaissait Love. « Je vais essayer de ne pas faire n'importe quoi. » Répondit-elle en souriant, écoutant sagement le conseil de Love.

Installée, Clarke avait donc attrapé les fameux oignons pour les couper - ses yeux, déjà rougis par les larmes, n'étaient plus à ça près, il fallait voir le bon côté des choses. « Tu aurais appris à chasser ou pêcher... Et tu aurais appris de tes erreurs en cueillant des baies aux effets... particuliers. » Souffla-t-elle en se souvenant de cette fois où ils avaient eu la merveilleuse idée de découvrir ces baies hallucinogènes. Pour le reste, elle se serait habituée - plus encore si elle avait toujours vécu ainsi - et aurait trouvé impensable de pouvoir manger autant qu'on le voulait, quand on le voulait.

« D'autant que je n'en ai pas tant que ça et que ça va me coûter cher. » Essayait-elle de plaisanter, en pensant à ses pauvres assiettes qui gisaient toujours sur le sol. « La liste me paraît moins dangereuse. » Casser la vaisselle lui avait fait du bien, elle ne le nierait pas, mais faire une liste pourrait être tout aussi bénéfique. « Terminons de préparer le repas et faisons cette fameuse liste. » Après tout, Love avait été, jusqu'à présent, de bons conseils, alors pourquoi ne pas la suivre, une fois encore ? « J'espère simplement que j'y trouverai plus à dire que la nourriture... » Ajouta-t-elle, en souriant. Ce serait triste et désespérant dans le cas contraire - et ça ne l'aiderait pas à voir le bon côté des choses. Parce qu'en y pensant, comme ça, elle voyait surtout qu'elle avait perdu ses amis et sa fille en arrivant dans ce monde, pouvait-elle trouver des bons côtés, même avec ça en tête ?

Avec ce sourire qui dissimulait sa peine, Clarke évoquait des événements de son ancienne vie. Rien de clair. Rien de détaillé. Mais des souvenirs tout de même. Des souvenirs qui la rendaient nostalgique, qui la faisaient sourire et qui lui rappelaient les quelques bons moments qu'elle avait pu vivre - si elle oubliait la mort et la guerre - dans cet autre monde qui avait été le sien autrefois. L'histoire de ces baies la faisait sourire. Inexpérimentés, novices, ils n'avaient pas fait la différence entre cette baie et une autre. Heureusement pour eux, elle n'avait été qu'hallucinogène et pas mortelle. « Tu aurais été notre jardinière attitrée. Tu aurais été une chance pour nous et tu aurais eu ton rôle, comme chacun de nous. » Les uns péchaient, pendant que d'autres chassaient et que d'autres encore essayaient d'empêcher une guerre entre les Natifs et les gens de l'espace - ou la provoquaient, au choix. Chacun son rôle. Vraiment.

Toujours à l'écoute et prête à l'aider, Love proposait ensuite de faire une liste des bonnes choses de cette nouvelle vie, de ce nouveau monde. L'idée n'était pas stupide - et protégerait la pauvre vaisselle de Clarke. Elle lui permettrait de voir peut-être enfin toutes les bonnes choses et de faire une croix sur les mauvaises. Ce ne serait pas aussi facile que de barrer une chose sur une liste, évidemment, mais peut-être était-ce un premier pas pour réaliser les choses et les accepter ?

Love était optimiste et était certaine qu'il y aurait des choses à dire sur cette fameuse liste. Clarke haussa les épaules et resta silencieuse, pensive. Elle continuait à effectuer les petites tâches demandées par son amie jusqu'à ce que le repas soit terminé, prêt à cuire, tout en réfléchissant à diverses choses concernant ce monde et l'ancien. Et maintenant qu'elles n'avaient plus qu'à attendre, c'était le moment idéal pour faire cette fameuse liste. « Prépare les verres, je vais nous chercher ça. » Et en quelques secondes, Clarke était de retour avec un carnet et des crayons, prête à trouver de bons côtés à sa nouvelle vie - plus si nouvelle, finalement. « Découvrons les bonnes choses de ce monde et ouvrons-nous l'appétit dans ce cas. » Souffla-t-elle en souriant et en se réinstallant. « Tu commences ? » Qu'elle entende une première bonne raison pour pouvoir s'en inspirer.

Parce qu'elles n'allaient pas bien, elles improvisaient des solutions pour se sentir mieux, pour souffler un instant, pour retrouver goût à cette vie. Il n'y avait certainement pas de solution miracle, en dehors du temps, mais il y avait peut-être des façons d'aller mieux, peu à peu. Par exemple, en listant les choses positives de ce monde. Avoir cette liste sous les yeux, peut-être que cela les aiderait à se remotiver, à retrouver du courage, dans les pires moments ? Après tout, il était parfois très difficile de voir le bon côté des choses, ce rappel les aiderait peut-être réellement ?

Clarke, après avoir servi deux verres de vin, avait proposé à Love de commencer cette liste. La première chose qu'elle notait, la plus évidente, comme elle le disait, était qu'elle n'était pas morte. C'était un bon point, en effet. Excellent, même. Et à cette annonce, Clarke n'avait pu s'empêcher d'esquisser un sourire... Comment était-ce seulement possible de se réjouir de ne plus être mort ? Comment ce monde étrange fonctionnait-il pour ramener les morts à la vie ? Parfois, face à ces questionnements, Clarke s'était convaincue qu'elle était dans une sorte de purgatoire et qu'elle devait être morte, elle-même... puis après elle se disait simplement que ce monde était régi par des règles différentes.

Sa deuxième raison était plutôt bonne, elle aussi. En vie et débarrassée d'un énorme problème... Autant dire que, vu comme ça, ce monde était un cadeau béni des dieux plus qu'un problème. « Il ne t'approchera plus. » Souffla-t-elle comme une promesse alors qu'elle mettait en avant le fait que ça ne durerait peut-être pas. Clarke ne la connaissait peut-être pas depuis très longtemps, mais elle pouvait au moins lui assurer une chose : elle ne laisserait pas son ex l'approcher de nouveau, qu'importe ce qu'il fallait faire pour éviter ça. Love méritait d'être heureuse et débarrassée de ce type pour toujours.

Le tour de Clarke était venu. Elle avait attrapé le stylo et le papier, puis avait pris un instant pour réfléchir, avant d'énoncer tout en écrivant : « Je ne suis plus obligée de me battre ou de tuer pour survivre. » Et ça, c'était son point le plus important après tout ce qu'elle avait dû faire dans cette autre vie pour vivre et protéger les siens - et en annonçant cela, elle se demandait encore comment Love pouvait être là, à ses côtés, prête à tout pour l'aider... « Je connais autre chose que la guerre. » Arrêter de se battre, vivre plutôt que survivre, apprendre à vivre en paix... Ce n'était tout de même pas rien, il fallait l'avouer... Ces bons côtés, elle les connaissait déjà, mais peut-être que les voir, écrits quelque part, changerait tout pour elle. « A toi. » Elle devait bien avoir d'autres raisons, non ? Ou tout se résumait à une ou deux choses, finalement ? Les plus importantes.

Énumérer les choses positives de ce nouveau monde poussait Clarke à réfléchir à ce qu'elle avait fait, à ce qu'elle avait été pour survivre. Les événements vous façonnaient, faisaient de vous des êtres différents, vous poussaient à agir pour survivre ou protéger ceux que vous aimiez. Les événements avaient poussé Clarke à tuer, avaient poussé Clarke à faire la guerre. Dans ce nouveau monde, les choses étaient totalement différentes. Ce monde n'était ni en guerre, ni sur le point de mourir. Ce monde lui faisait découvrir la paix, la vie. La vraie vie. Celle où l'on pouvait se créer des relations, celle où l'on devait se lever chaque matin pour aller travailler, celle où l'on pouvait construire quelque chose. La peur du lendemain n'existait pas... Ou n'était pas la même, en tout cas. Tout comme celle de mourir ou de voir ses proches mourir. Oui, tout était différent dans un monde comme celui-ci et c'était ce qu'elle mettait en avant pour les premiers points, c'était, selon elle, ce qu'il y avait de mieux ici.

C'était de nouveau au tour de Love. Après avoir évoqué des choses difficiles, elle évoquait des choses plus joyeuses, des choses plus légères. Sa réflexion faisait même sourire Clarke qui ne pouvait s'empêcher d'ajouter : « J'ai découvert tout ça en arrivant ici. » Souffla-t-elle avant d'ajouter : « Je me demande comment ces personnes auraient réagi en arrivant dans mon monde... » Un monde où l'on mangeait ce que l'on trouvait. Si l'on pouvait prêter attention aux allergies, pour le reste... Il était préférable de ne pas faire le difficile, au risque de mourir de faim. « Ne change jamais rien à tes pâtisseries ! » Avait fini par rétorquer Clarke. Elle pensait sincèrement ce qu'elle disait. Les pâtisseries de Love étaient ce qu'elle avait découvert de meilleur dans cette nouvelle vie. « D'ailleurs, ce sera mon prochain point. » Disait-elle en attrapant le stylo. « J'ai découvert une nourriture... que je ne connaissais pas, mais qui est délicieuse. Notamment la tienne. » Et elle le pensait vraiment. Si elle ne cuisinait toujours pas, elle avait pris goût à la nourriture. A la bonne nourriture. Au sucre. Au gras. A ce qui n'était pas forcément recommandé pour la santé. « Et j'aime découvrir les petits plaisirs simples de ce monde. Une journée à ne rien faire, sortir boire un verre avec des amis, prendre du temps pour soi... » Tout ce qu'elle ne faisait pas forcément, mais elle avait découvert ces petits plaisirs, malgré tout. Des plaisirs qu'elle appréciait, sans savoir en profiter. Comme toujours. Comme pour tout.

Clarke accompagnait la réflexion de Love d'un sourire. Elle n'imaginait pas à quel point elle était proche de la réalité en faisant ce genre de blague. Si certains avaient été obligés de pratiquer le cannibalisme pour survivre, coincés dans un bunker après une énième fin du monde, d'autres avaient été manipulés et contrôlés par un produit pour dévorer tous ceux qui osaient s'aventurer dans les grottes qui menaient au Mont Weather ou tous ceux qui étaient rejetés du Mont Weather, une fois vidés de leur sang. « Peut-être qu'elles avaient tout compris ? Elles avaient prévu le coup, pour éviter de se faire manger, tu vois... » Préférait répondre Clarke plutôt que de dire quoi que ce soit à propos de la réelle possibilité de se faire dévorer dans son monde par d'autres humains.

Quant à la vraie nourriture - la bonne, celle que Clarke aimait consommer ici - elle suppliait presque Love de ne rien changer à ses recettes. Elle avait découvert des pâtisseries au goût divin et elle ne voulait voir cela changer pour rien au monde. C'était d'ailleurs un point essentiel dans la liste des choses positives qu'elles étaient en train de faire. La bonne nourriture, la vie simple et tranquille, les petits plaisirs de l'existence... Tout ce qu'elle avait apprécié découvrir dans ce monde, même si elle n'était pas forcément capable d'en profiter, malheureusement pour elle. « Exactement. » Répondit-elle en souriant lorsque Love lui assura que c'était le meilleur point de tous. « Très bien, la prochaine fois, on fait ça. On sort boire un verre. » Il ne fallait pas lui répéter plusieurs fois. C'était toujours agréable à faire, même si Clarke, les rares fois où elle l'avait fait dernièrement, l'avait fait seule. C'était le genre de choses toujours plus agréable à faire à plusieurs, avec des amis. Autrement, le risque était de rapidement s'ennuyer et de produire l'effet inverse de ce qui était attendu.

Il fallait continuer cette liste, mais Love ne savait plus quoi ajouter. Clarke ne put s'empêcher de sourire, imaginant le peu de points positifs et la longue liste qui ferait face si elles avaient fait la liste des points négatifs. Pourtant, malgré la courte liste, Clarke savait que des points importants avaient été soulevés et c'était ça l'essentiel. « On la compléterait plus tard, c'est rien. » Affirma Clarke dans un haussement d'épaules tout en se servant un autre verre de vin. « Je vais nous trouver deux assiettes épargnées pour manger. » Puisqu'elles en avaient cassé quelques-unes qui jonchaient toujours le sol. « Goûter ton plat, ça prouvera la véracité de mon deuxième point sur notre liste. » Soufflait-elle amusée, réussissant peu à peu à oublier les raisons qui l'avaient poussée Clarke à inviter Love ce soir.

Plaisanter de tout et n'importe quoi, mais surtout du pire, parler de tout et n'importe quoi, pleurer, tout casser, rire, faire une liste des bonnes choses, évoquer les choses difficiles... Elles avaient fait tant de choses en une soirée. Tant de choses qui avaient fait un grand bien à Clarke. Elle avait débuté la soirée dévastée, à bout de nerfs, épuisée, avec l'impression que jamais elle ne pourrait se relever et continuer à faire semblant. Finalement, Love était arrivée et avait su lui remonter le moral, lui faire oublier le temps d'une soirée à quel point elle allait mal. Comme toujours, la douleur reviendrait. Comme toujours, le désespoir reviendrait. Comme toujours, tout reviendrait, mais s'accorder un peu de répit ne pouvait que lui être bénéfique et reposant pour son coeur détruit.

En se donnant l'impression de pouvoir avoir une vie normale, en se donnant l'impression de pouvoir sortir boire un verre pour profiter des bonnes choses d'un monde normal, bien loin d'une apocalypse, elle se sentait mieux. Vivante, presque. Bien sûr tous ses maux n'étaient pas effacés pour autant, mais elle réussissait à penser à autre chose, l'espace d'un instant, soulageant ainsi son esprit. « J'ai hâte de les découvrir. » rétorqua Clarke après que son amie lui avait assuré connaître des bars qu'elle adorerait. Elle avait hâte de faire ce genre de sorties. Hâte de découvrir cette ville sous un autre jour. Hâte d'essayer d'avoir une vie normale, si elle en était capable un jour. Si elle était capable d'arrêter de pleurer un jour. A sa réflexion suivante, Clarke s'était contentée de hausser les épaules comme si ça n'avait pas d'importance qu'elle passe pour une alcoolique à ses yeux - parce que ça n'en avait sans doute pas. « Je garderai ton secret, t'en fais pas. » Souffla-t-elle sur le ton de la confidence, pour rire, ne la prenant pas réellement au sérieux.

La liste était peu remplie, mais les idées manquaient déjà aux deux femmes. Ce n'était rien, ce n'était que partie remise. Elles la compléteraient dès que possible, dès que d'autres idées surgiraient. Elles laissaient donc cette liste de côté pour se concentrer sur le délicieux repas préparé par Love. Clarke partait donc à la recherche de deux assiettes pour les tendre à son amie - la majorité avait fini écrasée par terre et était désormais en morceaux. Love les dressait avec soin et élégance, ce qui amusait particulièrement la jeune femme. Même pour un simple repas entre amies, c'était plutôt agréable de faire les choses bien et de ne pas toujours se contenter de simplicité. Ça changeait un peu les choses, ça les rendait différentes, plus agréables. Puis, c'était amusant de voir deux belles assiettes bien dressées au milieu d'une cuisine pleine d'assiettes brisées. « Ça a l'air délicieux en tout cas et c'est magnifique et ça sent bon. » Autant de bons points qui lui donnaient envie de se jeter sur son assiette, mais ses rares bonnes manières l'empêchaient de le faire. « Goûtons. » Elle s'empara de sa fourchette et mangea sans attendre, trop impatiente pour cela. « C'est délicieux. Sans doute l'une des meilleures choses que j'aie mangé ici. » Elle était sérieuse, ça la changeait des plats tout prêts qu'elle avait l'habitude de manger ou de ce qu'elle commandait. « T'as vraiment du talent pour la cuisine, Love. » Un talent qui méritait d'être vanté.

Il y avait quelque chose de particulier dans leurs échanges. Depuis la première fois, elles étaient capables de se confier, dans une certaine mesure, et de se dire les choses sans crainte. Evidemment, elles ne se disaient pas tout et elles n'avouaient rien de leurs pires secrets, mais il y avait une entente naturelle et une forme de confiance naturelle, elle aussi. Il ne semblait pas y avoir besoin de cacher ses peines ou de jouer à la gentille petite fille parfaite. Ensemble, elles pouvaient être elles-mêmes - en partie, tout du moins. Capables de parler de tout et de rien, elles enchaînaient les sujets les uns après les autres, sans jamais laisser place au silence. Et c'était terriblement agréable d'avoir ce genre d'amie.

Laissant cependant tous ces sujets derrière elles, les deux femmes s'étaient mises à table pour goûter au repas préparé par Love. Clarke avait hâte d'y goûter. Tout semblait parfait : la mise en forme, l'apparence, l'odeur. Il ne manquait plus que le goût pour confirmer ses impressions et elle n'avait pas été déçue du voyage. C'était délicieux. Une des meilleures choses qui lui avaient été données de manger depuis son arrivée ici - dans son autre monde, il n'y avait forcément pas photo. Love connaissait son talent et ne s'en cachait pas. Elle acceptait le compliment et ajoutait même quelque chose. Une chose qui l'avait fait réagir. Son sourire avait changé. Son expression également. Clarke comprenait alors qu'elle venait de parler sans réfléchir, mais elle préférait faire comme si elle n'avait rien remarqué dans un premier temps. D'abord pour ne pas gêner plus que nécessaire son amie, ensuite pour ne pas paraître trop curieuse et ne rien obtenir comme information. « Il avait parfaitement raison. » Fiable ou non. Love avait un don. Un vrai.

Clarke laissait le silence s'installer quelques instants. Juste quelques secondes, histoire de savoir comment tourner sa phrase pour ne pas dire une bêtise qui la brusquerait. « C'est la première fois que t'évoques ton frère. Il est ici ? Dans ce monde ? » Histoire de ne pas paraître trop curieuse, Clarke ne l'interrogeait pas davantage que ce qu'elle aurait pu demander à n'importe qui. D'une certaine façon, ça n'avait rien d'étonnant de ne jamais l'avoir évoqué auparavant - elles se connaissaient encore si peu finalement - mais sa réaction l'avait interpellée et elle souhaitait comprendre, désormais.

Love avait certainement parlé trop vite. Sans réfléchir. Elle avait donné une information qu'elle aurait probablement aimé garder pour elle. Une information qui pouvait être douloureuse, pour une raison ou une autre. Une information qui la faisait réagir d'une manière qui ne laissait planer aucun doute. Son frère. Un frère dont Clarke n'avait encore jamais entendu parler. Un frère qui n'était pas là, dans cette ville, d'après la réponse de Love. Un frère qu'elle aimait, Clarke était capable de l'entendre au son de sa voix ou de le voir à son regard. Un frère qu'elle avait perdu. Ce devait être une perte affreuse. De là où elle venait, les frères et soeurs n'existaient pas. Bellemy et Octavia étaient une exception. Une exception qui avait conduit la plus jeune en prison. En dehors de leur cas, la politique de l'enfant unique était appliquée dans l'Arche... Pourtant, sans avoir de frère, Clarke pouvait comprendre - en partie, du moins - Love parce que ses amis étaient devenus sa famille et elle savait la douleur qu'elle devait ressentir à son évocation. Et, surtout, elle avait vu le lien qui unissait Bellamy et Octavia. Elle l'avait vu et elle l'avait compris.

« Ne perds jamais espoir ! On ne sait jamais ce que ce monde peut faire. » Elle ne voulait pas lui donner espoir pour rien. Elle ne voulait pas la voir souffrir en espérant pour finalement être déçue. Elle-même refusait de croire au retour de Madi parce qu'elle refusait de se donner cet espoir, mais... elle voulait le donner à son amie. Pour la voir sourire. Pour ne plus voir ce qu'elle lisait dans ses yeux. « Si tu as envie de parler de lui... je serai là pour t'écouter. » Et si elle n'en avait pas envie, Clarke n'en parlerait plus. C'était aussi simple que cela. Leur amitié était basée sur ça. Sur des confidences, sur ce qu'elles étaient prêtes à faire et à se dire. Alors, Clarke lui laissait cette possibilité. Si elle voulait en parler, elle l'écoutait. Si elle lui disait ne pas vouloir, elles trouveraient un autre sujet de conversation.