Mensonges et vérités ▿ Love

Love et Clarke ne se connaissaient pas encore très bien, contrairement à ce qu'aurait pu laisser penser cette soirée. Elles s'étaient trouvées un peu comme par miracle et avaient été capables de se confier facilement sur certaines choses, notamment sur la perte de leur enfant. Elles étaient deux mères éplorées, ce qui devait faciliter les liens. En dehors de ce lien qu'elles avaient développé lors de cette soirée d'Halloween, elles tentaient d'en apprendre plus l'une sur l'autre, d'apprendre à se connaître... Les choses se faisaient petit à petit. Accidentellement, même, parfois. Love venait, par exemple, de parler de son frère. Un frère inconnu pour Clarke. Un frère dont elle ne savait rien.

Elle lui disait pourtant de ne pas perdre espoir, que ce monde était capable de tant de choses qu'il pouvait parfaitement réapparaître comme par magie dans sa vie un beau matin. Oui, bon nombre d'espoirs était permis dans ce monde. Love, pourtant, avouait ne pas être sûre d'avoir envie de le revoir ici. Pas parce qu'il ne lui manquait pas ou qu'elle n'avait pas envie de le revoir, mais parce qu'elle jugeait que la situation était bien comme elle était. Peut-être voulait-elle lui épargner le malheur d'être sur cette île, qu'elle lui souhaitait seulement de reposer en paix ? C'était la façon dont elle interprétait les choses, du moins, sans aucune certitude derrière. « Non, bien sûr que non ! » S'empressa-t-elle de répondre quand, après son aveu, Love lui avait demandé si cette information faisait d'elle une horrible personne. « Tu n'es pas horrible... Tu... Tu as le droit de le préférer en paix, ailleurs. » Ou tout autre chose d'ailleurs, elle avait le droit de penser ce qu'elle voulait. Clarke avait l'impression que jamais elle ne pourrait la trouver horrible parce qu'elle lui était devenue vitale en ce qui concerne Madi. Alors, elle se sentait prête à tout lui pardonner ou tout lui excuser.

Comme une amie le ferait, Clarke était prête à écouter Love si cette dernière éprouvait le besoin de se confier. « Je n'ai rien de particulier à faire du reste de ma soirée et de ma nuit, alors... » Elle souriait, imaginant Love parler pendant des heures. « Tu as du temps devant toi si tu as des choses à dire. » Elle l'encourageait sans la forcer, parce qu'elle ne voulait pas qu'elle se sente obligée de quoi que ce soit. « J'crois pas qu'il y ait de bonnes manières de commencer... » parce que le but n'était pas de narrer son histoire de A à Z comme on pourrait le faire dans certaines situations. « Commence par me donner son prénom... Ton plus beau souvenir avec lui... Ce qui te manque le plus... Enfin, j'sais pas, dis ce que tu as envie de dire, on se fiche que ça ait un sens ou non. » Clarke était juste là pour écouter Love se soulager de cette peine, pas pour écrire une histoire sur son frère, alors qu'importe si tout était décousu, raconté dans le désordre ou qu'il n'y ait aucune logique ? Ce n'était pas ça l'important. Ce n'était pas ça qui comptait vraiment.

La famille. Clarke n'en avait plus. Elle avait perdu son père sur l'arche, sa mère sur une planète lointaine. Sa fille sur une autre planète encore. Elle n'avait ni frère, ni soeur. Ses amis, ceux avec qui elle avait tout vécu, étaient également sa famille à ses yeux. Mais là encore, il s'agissait d'une famille disparue depuis longtemps, pour la plupart. Clarke les aimait tous. De tout son coeur. De toute son âme, même. Pour eux, elle avait été prête aux pires choses. Elle rêvait de les revoir, de les serrer dans ses bras, de construire une nouvelle vie à leurs côtés. Et, en même temps... En même temps, elle les préférait en paix et en sécurité dans un au-delà où ils pouvaient enfin avoir ce qu'ils méritaient. Ici, ce monde, c'était une seconde chance, oui, mais elle n'était pas parfaite. Il se passait des choses difficiles, des choses insupportables... Puis il y avait tous ces sentiments terriblement humains comme l'amour, la peine, la tristesse, la colère, la rancoeur, la culpabilité... Tous ces sentiments qu'elle espérait ne pas voir exister dans l'après. Pour qu'ils soient véritablement et totalement en paix. Alors, oui, ils étaient peut-être mieux dans cet ailleurs, mais, égoïste, elle ne pouvait s'empêcher de les vouloir près d'elle en même temps que de les vouloir en paix.

Love avait perdu un frère. Un frère qu'elle espérait ne pas revoir. Un frère qu'elle préférait en paix. Clarke pouvait comprendre. Mais même si Love n'avait pas espoir de le revoir, peut-être avait-elle envie de faire vivre et perdurer son souvenir en parlant de lui ? Clarke l'écouterait. Quoi qu'elle veuille bien dire à son sujet. Elle était prête à entendre des détails insignifiants, des souvenirs importants, des anecdotes, des informations qui n'avaient aucune logique... Tout ce que Love voudrait dire, Clarke écouterait parce que c'était à ça que les amis servaient.

Alors, elle commençait. Elle commençait par donner son prénom - n'oubliant pas une réflexion à propos de ses parents qui fit sourire Clarke. Puis, elle poursuivait en parlant de son comportement compliqué. Un comportement et de mauvaises habitudes qui l'avaient conduit à sa perte. Une perte difficile tant ils étaient proches. Clarke posa sa main sur celle de Love, ne sachant pas quoi faire d'autre dans un premier temps. « Ça n'a pas dû être facile... » Souffla-t-elle, alors que c'était une évidence peut-être ridicule à soulever. « Je n'ai jamais eu de frère, et je ne peux qu'imaginer ce par quoi tu es passée, mais... » mais elle pensait être capable de se mettre à sa place pour bien des raisons. « Il continue à vivre en toi... Et, même si ce n'est pas dans ce monde, tu finiras par le revoir. J'en suis certaine. » Et ils pourront rattraper le temps perdu, retrouver ce lien qui les unissait. Clarke l'espérait en tout cas, de tout son coeur - après toutes les horreurs qu'elle avait connues, il fallait bien croire qu'il y avait un monde meilleur après celui-ci pour tenir debout. « Lorsque l'on perdait quelqu'un de cher, dans mon peuple, on avait une sorte de... tradition. On espérait le revoir dans un autre monde, alors on lui souhaitait bon voyage et on terminait en disant : puissions-nous nous retrouver. » Une façon de dire à bientôt, plutôt qu'adieu. Une façon de tenir debout dans l'espoir d'un jour retrouver cette personne. « C'est peut-être stupide, mais faut croire qu'il existe un monde après celui-ci où tout le monde peut se retrouver, en paix. » Sinon, à quoi bon supporter toutes les horreurs qu'elle avait du supporter ? A quoi bon chercher à rendre fiers ceux que l'on avait perdus ?

L'au-delà. C'était un concept rassurant de savoir que quelque chose nous attendait après la mort et qu'il n'y avait pas juste le vide. Clarke ne s'était jamais vraiment posé la question. Dans son peuple, il y avait cette vieille tradition de se souhaiter au revoir plutôt qu'adieu, de souhaiter se retrouver après la mort, mais... Y croyait-elle ? Après tout ce qu'elle avait vu et vécu, elle supposait que oui. Elle avait besoin d'y croire. Profondément besoin. Pour ne pas sombrer plus encore. S'il n'y avait rien après la mort, alors elle ne reverrait jamais plus Madi ? Impossible. Il y avait forcément quelque chose. Un monde où la mère et la fille se retrouveraient pour être heureuses, loin des guerres et des horreurs. Comment trouver la force de se battre autrement ?

« C'est pas l'au-delà ici, ni un Paradis, ni quoi que ce soit qui s'en rapproche et qu'importe comment tu appelles ça. » Souffla Clarke, tout en finissant son verre. Avec toutes les questions que leur sujet soulevait, elle avait bien besoin d'en oublier la moitié avec l'alcool qu'elle ingurgitait peut-être un peu vite. « Ou alors on nous teste... On nous teste pour savoir où on va aller ensuite. » Encore que, pour elle, il n'y avait aucun besoin de test, c'était l'Enfer qui l'attendait. Elle le savait. Elle l'avait toujours su. Si l'Enfer existait, elle y aurait une place de choix. « J'aimerais qu'il y ait autre chose après... » Se confia-t-elle. « Je sais que je ne pourrai jamais racheter toutes mes fautes et que je n'ai pas le droit de réclamer d'être heureuse, mais j'aimerais qu'il y ait quelque chose pour retrouver toutes les personnes que j'ai aimées. » Sa mère. Son père. Ses amis. Sa fille. Toutes ces personnes qu'elle ne retrouvait pas ici et qui lui prouvait qu'elle n'était pas dans un au-delà, même si Love était morte et pourtant bien en face d'elle. « J'aimerais juste goûter au plaisir d'une vie simple et heureuse... » une vie. Après la mort. N'était-ce pas ironique quelque part ? Certainement. Ou stupide, au choix. « Et que tu puisses y goûter, toi aussi. » Parce que même si Clarke ne savait pas tout de Love, elle savait qu'elle n'avait pas eu une vie facile et elle méritait d'en avoir une, une autre chance où elle pourrait être heureuse et retrouver son frère pour rattraper tout ce temps perdu dans un monde où le temps n'aurait plus aucune importance.