Des envahisseurs en rouge et noir [PV Jean de Rugès]

Le Docteur était connu pour ses voyages. Tous ceux qui l'avaient fréquenté, que ce soit momentanément ou durablement ne pouvaient que l'associer à ce contexte de voyage. Il avait vu des mondes et des époques si loin et si différents les uns des autres, et il avait passé tant de temps à montrer l'univers à tellement de différends regard qu’il en connaissait certainement des recoins que personne n'avait jamais vu. Pour autant, il aurait été difficile de savoir lesquels étaient les plus beaux et les plus impressionnants. Il faudrait peut-être faire voter carrément les différents compagnons qu'il avait eu au fil du temps.

Pour sa part, il visitait relativement régulièrement L'Angleterre du vingtième siècle. C'était généralement à l'endroit où il trouvait la plupart de ces compagnon. Ce n'était pas tant que cet endroit lui plaise plus que d'autres lieux ou époques, mais il trouvait que les personnes vivant à cette époque étaient un bon compromis entre la maîtrise et l'émerveillement. Il avait eu des compagnons plus anciens en termes d'époque. Mais il était plus difficile de vivre avec eux les aventures sur la durée. Ils avaient tendance à être rapidement dépassés et il était alors plus compliqué de les gérer.

« Je n'ai pas vraiment de période ou de lieux de prédilection. L'univers est tellement fascinant. C’est sa multiplicité qui le rend intéressant, le fait de pouvoir découvrir un grand nombre d'endroits et de vivre des choses différentes selon là où vous allez. Je dois reconnaître qu'il pourrait y avoir quelque chose de frustrant à voyager au sein de cette ville dont effectivement, il semblerait que l'on ne puisse pas sortir. Mais je ne pourrai en être totalement sûr que lorsque j'aurais retrouvé mon TARDIS. En attendant, rien n'empêche d'espérer qu'il nous permettrait de sortir d'ici. »

Le Docteur avait toujours été un être plein d'espoir. Il arrivait bien-sûr trop souvent qu'il se trompe et que cet espoir soit vain, mais il continuait à espérer tant qu'il n'avait pas de preuves que les choses n’iraient pas dans son sens. Après tout, où était l'intérêt de croire spontanément que tout allait aller mal. Il préférait se persuader que les choses allaient bien. Ce n'était pas toujours vrai mais ça avait le mérite de convaincre les autres que l'espoir était une bonne idée pour eux aussi. Il était persuadé que c'était l'essentiel à offrir à ses compagnons.

La bienveillance et la gentillesse du Docteur envers la race humaine venait probablement de l'admiration qu'il avait pour elle. Il avait évidemment conscience que tous les humains n'étaient pas bons et que certains pouvaient même être dangereux. C’était pour cette raison qu'il n’acceptait pas tout le monde dans le TARDIS et notamment ceux qui aimaient l'usage des armes n'y étaient pas les bienvenus. Mais globalement, il préférait penser que l'instinct de l'être humain était bon, pour la plupart des humains en tout cas.

« Je reconnais que tous les humains sont loin d'avoir la bonté et la bienveillance que l'on pourrait espérer de leur part. Mais il demeure qu’il y a une telle myriade de belles personnes aux qualités exceptionnelles. Bien des êtres humains gagnent à être connus et ce sont ceux-là que je veux aider et épauler pour qu'ils puissent avoir la plus belle vie possible. »

Le Docteur avait eu affaire à bien des curieux au cours de ses voyages. C’était d’ailleurs comme ça qu’il trouvait ses nouveaux compagnons, dans un certain sens. Une personne s’intéressait à ses voyages, le Docteur s’intéressait à sa personnalité, et pop, cela menait à une offre de balade et généralement à un compagnon. Il se demandait si Jean aurait pu faire un bon compagnon. Il était curieux, un peu aventureux. Sa méconnaissance de la technologie n’était pas un obstacle, il avait eu des compagnons qui avaient encore moins de connaissances à ce sujet que lui. Ça n’était jamais un obstacle.

« Vous aimez courir ? »

Il se demandait quel genre de créature, quel genre d’obstacles, le Docteur avait pu affronter au cours de sa vie. Il y en avait en effet certaines qui étaient terrifiantes, d’autres fascinantes, de nombreuses très puissantes. Quant à établir lesquelles étaient les plus dangereuses ? Entre les Daleks qui exterminaient quiconque n’étaient pas eux, les Cybermen qui transformaient tout le monde en eux ou les Anges Pleureurs qui envoyaient les gens dans le passé dans le meilleur des cas et leur brisait la nuque dans le pire. Il était difficile d’évaluer quelle menace était la pire. Le plus ahurissant dans l’affaire, c’était qu’ils les avaient parfois affrontés en même temps.

« Il est difficile de savoir quelle espèce est la plus dangereuse. J’en ai rencontré tellement, tant ont menacé la survie de bien des peuples, notamment l’humanité. Mais je crois que j’ai vraiment été horrifié par la planète mangeuse de TARDIS. Elle attirait mes semblables et les tuaient avant de manger leur TARDIS. Mais moi et ma Sexy l’avons vaincue », acheva-t-il avec un clin d’œil.

Penser à ses compagnons avaient tendance à le rendre triste. Mais ici, les choses étaient étonnamment différentes. Tellement d’entre eux semblaient avoir été volés à leur réalité pour être plongés au cœur de cette ville. Il ne se sentait plus éloigné d’eux. Le retour dans le TARDIS avec Amy, Rory et Clara, même s’il avait été bref et qu’il ne savait toujours pas pourquoi cela s’était produit, cela lui avait fait plaisir de les retrouver tous dans une nouvelle aventure. Les compagnons étaient précieux pour le Docteur. Beaucoup le lui avaient dit, ça ne lui allait pas de se promener seul.

« J’en ai eu des compagnons, de nombreux, tous plus précieux les uns que les autres. Certains sont ici, d’ailleurs. »

Sa croyance en la nature humaine et l’amour qu’il avait réellement pour l’humanité n’était pas neuve. Le Docteur avait toujours passé beaucoup plus de temps sur Terre que sur Gallifrey, sa planète d’origine. Pour autant, il savait que tout le monde n’était pas pur. Il y avait de méchantes personnes et il n’aimait tout particulièrement pas les soldats. Il en fallait, pour défendre les autres, mais il ne les aimait pas. Il ne les voulait pas dans le TARDIS. Mais quelqu’un comme Jean y serait forcément le bienvenu, il était tellement tourné vers les gens. Le Docteur ne pouvait que se sentir proche d’une personne telle que lui.

« C’est une image magnifique. Ce sont ces images qu’il me donne envie de préserver quoi qu’il advienne. »

Il était certain que lorsqu'on explorait l'univers avec le Docteur, il fallait savoir courir. Et cela restait plus ou moins vrai dans cette ville. Il avait l'art de se mettre dans les ennuis et s’il y avait une créature étrange ou dangereuse qui pouvait faire exploser une planète, le TARDIS filait droit dans cette direction. Il y avait quelques exceptions, notamment dans tout ce qui concernait la gestion des règles basiques du temps, et c'était d'ailleurs dans ces moments-là que l'on pouvait constater que le TARDIS était le véritable expert des règles du temps et non le Seigneur lui-même. Il avait déjà pu constater combien le TARDIS était capable de tout faire pour l'empêcher d'atteindre son but lorsqu'il avait voulu franchir sa propre ligne temporelle.

Dans une équipe, peu importait qui courait le plus vite, le Docteur ne laissait personne derrière. Il préférait se sacrifier lui-même plutôt que de laisser un de ses compagnons souffrir ou être blessé à cause de lui. Et pourtant, il y en avait eu des morts et des blessés. Il y avait ceux qui s'étaient perdus et il y avait ceux, comme Amy et Rory, qui avait trouvé le bonheur malgré tout dans leur perte, parce qu'ils étaient tout de même ensemble. Quelque part, Martha Jones qui avait définitivement dit adieu au TARDIS et menait une vie de combattantes sur Terre était peut-être celle qui avait encore le meilleur destin de tous.

« Pour ceux qui m'accompagnent dans mes voyages, je fais toujours tout ce que je peux pour m'assurer qu'ils courent assez vite pour regagner le TARDIS. j'ai perdu trop de compagnons pour ne pas essayer de protéger ce que j'ai, même au détriment de ma propre sécurité. »

Effectivement, il y avait plusieurs Docteurs en théorie. Son passé témoignait de plusieurs rencontres entre différentes versions du Docteur et cela l'amusait toujours beaucoup. La rencontre avec le dixième Docteur avait été particulièrement réjouissante. C’était comme de retrouver un vieux frère. Mais quand il parlait de ceux que la planète avait tués, il ne s'agissait pas de la même chose. Il s'agissait d'autres Seigneurs du Temps qui portait d'autres noms. Mais si ce n'était pas d'autres versions de lui-même, ils étaient ses amis et son peuple et il avait été extrêmement en colère de découvrir le destin qu'on leur avait fait subir.

« Les Seigneurs du Temps. Il existe bien d'autres versions du Docteur, de moi, mais là je vous parle d'autres Seigneurs du Temps avec d'autres noms, qui ont tous fini entre les griffes de cet odieux monstre. Fort heureusement, ça n'a pas été mon cas. »

Chacun des compagnons du Docteur avait été une rencontre, un moment précieux avec des personnes qui avaient envie de le suivre dans ces aventures rocambolesques. C'était presque un sacrifice, un sacrifice de son temps et de ces moments d'une vie éphémère qu'ils offraient au Docteur en échange de tellement d'aventure et de découverte. Il y avait pourtant eu des faux départ, comme pour Donna ou des personnes qui avaient fini par arrêté de vouloir le suivre comme Martha. Mais la plupart de ces rencontres étaient des histoires qui avait une fin triste.

« Les compagnons viennent au fil du temps. C'est une personne qui est là à un moment précis et qui est heureuse de faire un bout de chemin en votre compagnie. En général, cela commence par une aventure. La première aventure est souvent la plus fascinante et ensuite la personne part avec vous. Mais il y a forcément un moment où les choses s'arrêtent. »

Elles s'arrêtaient, et puis il repartait avec quelqu'un d'autre. Ça repartait forcément avec quelqu'un d'autre. Elles étaient plusieurs à le lui avoir dit, il n'était pas fait pour rester seul. Mais lorsqu'il se battait, c'était pour des moments comme celui que Jean décrivait et pour que ces moments puissent être savourés par tous ceux qu'il aimait, le Docteur aurait pu aller jusqu'à sacrifier sa propre vie. Il avait beaucoup de défauts et l'orgueil n'en était pas un des moindres, mais la lâcheté n'en avait jamais fait partie, pas à ce niveau en tout cas.

« Ce sont les humains qui en valent la peine, les humains comme vous qui me font garder ma propre foi en l'humanité. »

Les paroles de Jean raisonnaient étrangement dans l'esprit du Docteur. Évidemment, il parlait de la planète mangeuse de TARDIS lorsqu'il mentionnait le monstre qui avait détruit tellement de TARDIS et tués tellement de Seigneurs du Temps, mais lorsqu'on parlait d'être le dernier de son espèce, c'était tout à fait autre chose qui lui venait à l'esprit. Cette pensée était à la fois douloureuse et réconfortante. Elle était douloureuse parce qu'il était clair que s'il y avait quelqu'un qui était responsable de la disparition des membres de son espèce, c'était bien lui. Mais il était réconfortant de savoir qu'il avait réussi à les épargner, au final.

« Je n'ai jamais su de quelle espèce il s'agissait vraiment, mais je peux vous dire qu'il ressemblait à une planète, même si son esprit était minuscule. Il avait des êtres vivants plus ou moins à son service qu'il avait reconstitué à partir des restes des Seigneurs du Temps qu'il avait tués. Un truc horrible. Cependant, s'il a tué beaucoup de Seigneurs du Temps, il n'est pas celui qui les a fait disparaître. »

Le Docteur s'interrompit. Jusqu’aux événements qui l’avaient amené à rencontrer certaines de ses précédentes incarnations, il ne lui arrivait qu’exceptionnellement de parler de ce qui s'était passé et généralement, à un compagnon en qui il avait une confiance absolu. Mais les choses avaient changé. Il savait maintenant qu'il était un héros et qui les avaient tous sauvés. Il devait seulement les retrouver. Cela lui permettait de raconter son histoire avec un peu moins d'amertume, même s'il était totalement conscient des erreurs qu'il avait commises et de ce qu'elles impliquaient en ce qui concernait son peuple.

« Il fut une époque où j'étais persuadé de les avoir tous tués. Je croyais être le dernier de mon espèce et que le monstre qui avait détruit les Seigneurs du Temps, c'était moi. Je croyais avoir utilisé une arme légendaire pour détruire les daleks qui menaçait notre planète, mes en réalité, je les ai tous sauvés d'une manière assez étonnante. J’ai emprisonné Gallifrey dans un univers de poche, un peu comme de la soupe en boîte, ils étaient en sécurité dans cet univers de poche et les daleks se sont entretués. Mais je ne l'ai su que bien longtemps après ces événements. C'est cela quand on voyage dans le temps. En tout cas, il est certain que je ne suis pas le dernier de mon espèce, même si je ne sais absolument pas où se trouvent actuellement les autres. »

Heureusement qu'il y avait eu ses compagnons pendant tout ce temps. Ils étaient déjà précieux avant, mais à partir du moment où il était persuadé d'avoir détruit les siens, ils avaient été son seul réconfort. C'était en les retrouvant ici qu'il avait compris combien il était important pour lui de les avoir auprès de lui. Il tenait beaucoup à les garder précieusement à proximité, surtout ceux qu'il avait connus dans son incarnation présente comme Amy ou Clara. Mais il aurait été ravi de revoir n'importe laquelle de ses anciennes compagnes. Le Docteur ne les oubliait jamais vraiment pour peu qu'elles aient compté suffisamment.

« En effet, j'en ai retrouvé quelques-unes ici. Des personnes très importantes pour moi. Avez-vous retrouvé des personnes importantes, également ? »

L'idée de parler à un journaliste de ses exploits ou de les consigner dans un livre n'était jamais venu au Docteur, tout simplement parce que le but n'était pas que le monde entier connaisse ses activités. Il agissait plutôt dans le secret et le mystère et il s’efforçait de faire tout ce qui était en son pouvoir pour que la majorité des humains ne s'inquiète pas de ce qui pouvait advenir chez eux. Ce n'était pas quelque chose de facile à faire, d'autant moins que les extraterrestres avaient de plus en plus une façon de faire les choses qui posait problème. Ils n'étaient pas discrets et le monde des humains avait pu observer leurs exactions un peu trop souvent. Du moins, le monde que le Docteur connaissait.

« Jusqu'à présent, enfin, avant que nous soyons emmenés ici, je dois dire que ma priorité n'était pas vraiment que tout le monde connaisse mes actions. En fait, c'était plus simple de ne pas agir au su de la majorité des gens. Bien entendu, ici, les choses sont peut-être un peu différentes. Il faudrait que j'y réfléchisse. »

C'était vrai qu'il était réconfortant de se dire qu'on n'était pas le dernier des siens dans l'univers et qu'il existait encore des membres de son peuple. Et plus encore, il était précieux de savoir qu'il n'avait pas mis fin à l'existence de l'ensemble de son peuple comme il le croyait. Ça avait été le plus douloureux dans l'histoire, être convaincu que le sort de tous ceux qui avaient été comme lui avait été scellé par son unique faute et c'était quelque chose qu’il n'avait encore jamais pu se pardonner, même s'il n'avait pas eu le choix, jusqu'à ce que ce ne soit plus nécessaire à présent.

Découvrir qu'il avait pris la bonne décision, même s'il avait dû attendre un nombre incalculable d'années pour s'en souvenir, ça avait été un des plus beaux cadeaux que la vie lui avait faite. Au final, il avait compris maladroitement que c'était justement cette arme ultime qui lui avait offert ce cadeau. De ce fait, il était tout à fait certain que cette chose n'avait pas été véritablement une arme, pas au sens où on l'entendait. En tout cas, en finalité, il était satisfait de ce qu'il avait fini par comprendre et il regrettait seulement de ne pas pouvoir prendre le temps de retrouver sa planète puisqu'il se trouvait maintenant très loin de son monde.

« C'est un véritable soulagement. J'ai vécu des siècles en pensant que tout était ma faute, et lorsqu'on finit par comprendre que ce n'est pas le cas, les choses prennent un tout nouveau sens. »

Le Docteur avait l'impression que cela ferait plaisir à son interlocuteur de lui présenter cet ami et en soi, il n'était pas contre, dans la mesure où il avait la maîtrise de ce qui deviendrait public. Le fait était simplement qu'il ne voyait pas l'intérêt pour lui-même, même s'il comprenait parfaitement l'intérêt pour les autres. En fait, il n'avait jamais cherché à se faire de la publicité, mais il était possible aussi que ses aventures influencent des écrits imaginaires et dans l'absolu, si ce n'était pas vraiment ce qu'il cherchait à faire dans son monde, d'autant que ces menaces étaient réelles, les choses pouvaient être différentes dans ce monde ci.

« Vous pouvez toujours me le présenter. Je ne saurais tout simplement pas vous dire si je pourrais vraiment lui être utile ou pas. »