Tu as besoin de changer d’air. Et visiblement, te plonger dans un bouquin ou même suivre tes cours n’est pas suffisant pour te vider l’esprit. Journée terminée, tu ne veux pas rejoindre ta chambre pour étudier. Tu n’as pas envie de croiser la personne qui partage ta chambre, car elle va encore te poser un tas de questions. Tu ne lui en veux pas trop en réalité, cette personne est soucieuse. Un peu trop à ton goût. Alors, tu te diriges de façon plutôt machinale dans les couloirs de l’université, regardant rapidement par les fenêtres des portes si les salles sont plutôt vides. Tes pas s’arrêtent devant une salle de colle, dans laquelle tu vois le surveillant dormir à moitié avec son journal sur les genoux.

Pourquoi s’entêtent-ils à vous mettre des surveillants à l’université ? Ils ont peur que vous ne fassiez pas votre heure correctement ? Vous n’êtes plus des lycéens. En ce qui te concerne, tu as toujours su te tenir. Te retrouver dans l’une des ces salles n’est pas habituel, surtout s’il y a un motif derrière. Tu ouvres la porte doucement, il y a quelques élèves à l’intérieur. Décidément, université de cancres. Aucun d’entre eux ne lève la tête pour voir qui entre, tant mieux. Tu te glisses silencieusement jusqu’à un bureau libre au fond de la salle. Tu as une vue d’ensemble sur les personnes présentes. Et tu souris. Comme quoi, voir le désespoir sur le visage d’une personne permet de te changer les idées. Et c’est tout à fait ce que tu cherches à la base. Ne voulant pas attirer l’attention sur toi, tu fais attention à ne pas faire trop de bruit en sortant ton carnet à dessin et un stylo. C’est bien ton chemin de fuite favori, le dessin. Surtout dans ce genre de salle. La moitié d’entre eux se demandent ce qu’ils font ici, même le surveillant, et l’autre moitié rêve d’une autre vie.

De la précédente ? Tu secoues la tête. Non, tu ne dois pas penser à ça. Tu ne dois pas penser à ce qu’il y avait avant, à ce que tu as perdu. A tes trous de mémoire. Tu serres les dents, et commence à griffonner. Installée de travers sur ta chaise, à moitié contre le mur, tu lèves régulièrement les yeux sur le garçon à côté de toi. Celui à qui tu voles les traits pour les poser sur ton papier. Même si au fond tu t’en fou complètement, tu as une pointe de curiosité en ce qui concerne le motif de sa venue ici. Et pourquoi il a l’air autant dépité. Pauvre créature. Ton cerveau concentré sur le papier griffonné, tu parviens à ne plus avoir de pensées intrusives. Car ta tête est bruyante. Pleine de questions qui restent sans réponse. Alors, le simple fait d’observer le stylo glisser encore et encore te vide l’esprit. Même si tu restes attentive à l’attitude du jeune homme que tu copies.

Et mine de rien, tu dois avouer que ça te fait un bien fou.  

Une mèche de cheveux devant le visage, tu te figes. Cette mauvaise habitude était revenue au moment où tu ne comprenais plus ce qui arrivait à ta vie. Comme si tu régressais. Et même l’aide de Ned ne suffit pas à te redonner entièrement confiance. Parce que tu es convaincue qu’il te manque quelque chose, pour tout comprendre. Cependant, tu te figes alors que tu passes et repasses sur un trait qui ne te satisfait pas. Ton voisin est-il vraiment en train de t’adresser la parole ? Tu ne reconnais pas sa voix, et lorsque tu lèves la tête pour le regarder, son visage ne t’es pas plus familier qu’il y a quelques minutes. Dubitative, tu arques un sourcil sans forcément lui répondre. Ça te démange de lui dire qu’il n’y a que tes amis qui t’appellent MJ, et à la coloc. Pourtant tu ne veux pas être désagréable. Ce jeune homme t’intrigue, tu ne peux pas l’ignorer.

Mais, sa remarque sur ton collier te fait tiquer. Par réflexe, tu portes une main au dahlia brisé. Personne ne sait vraiment de quoi il s’agit, étant donné qu’avec ses deux pétales, la fleur ressemble davantage à une chauve-souris. Comment peut-il savoir que c’est bien un dahlia ? Et comment sait-il que tu le portes depuis si longtemps ? Le voyant debout, avec son sac sur l’épaule, tu restes muette. Tu as trop de questions. Pourquoi, comment, qui ? L’expression sur le visage sévère, tu jettes un œil furtif au surveillant, qui est toujours plongé dans son journal. Mais si le gringalet continue à te taper la causette, ça ne va pas lui plaire. Alors, toujours sans un mot, tu enfouis tes affaires dans ton sac avant de te lever. Tu attrapes fermement le poignet du garçon mystérieux avant de l'entraîner avec toi à l’extérieur de la salle. Dans une autre vie, tu étais certainement un superhéro, genre a femme invisible. Pourtant, tu entends le surveillant commencer à protester alors que vous passez le pas de la porte. Agacée, tu passes ta tête par l’encadrement pour regarder l’homme et son journal. « Ça va, on est en fac ou en prison là ?! » que tu fais, froidement. C’est limite s’il ne se cache pas derrière son bout de papier pour se cacher. Il ne faut pas t’agacer. Et là, tu es largement assez irritée pour la journée.

Entraînant encore l’étudiant un peu plus loin, tu finis par le lâcher, et faire volte face pour le regarder. Tu te penches légèrement sur lui, étudiant ses traits dans l’espoir qu’ils te reviennent. Mais rien. Tu finis par te pincer l'arête du nez en soupirant doucement. « OK. On se connait ? Tu me suis depuis combien de temps exactement ? C’est ça ? T’es un espion de la CIA qui est là pour me surveiller parce que j’ai fait quelque chose d’horrible dans le laps de temps qui manque dans ma tête ?! » débites-tu, l’air toujours grave. Puis un autre soupir. Tu fermes les yeux un instant. Est-ce que tu as vraiment envie de tout savoir ? Ce garçon ne fait qu’apporter davantage de questions à ton esprit troué et torturé. « Nan, tu sais quoi ? En fait je m’en cogne. » finis-tu par sourire, avant de hausser les épaules. Qu’il te raconte ce qu’il lui chante. Tu viens distraitement jouer avec le dahlia-chauve-souris, avant de reprendre ton chemin dans une direction qui t’es parfaitement inconnue. Pourtant, tu l’invites quand même à te suivre. Parce qu’il t’intrigue.

« Comment tu t’appelle déjà ? »