C'était improbable.

Lui, finir en colocation, qui plus est avec son assistante sociale ?

Leur rencontre était peut-être fortuite, il faut bien l'avouer, mais il doit aussi reconnaître que son offre de le loger tombait à pic, lui qui était sans domicile fixe depuis son arrivée dans cette étrange ville. Les temps étaient durs.

C'est aussi grâce à elle qu'il s'est engagé dans la police ; le métier qui ressemble le plus à celui de héros, finalement. Chassez le naturel, il revient au galop, dit-on.

Aujourd'hui, il n'en est cependant qu'à ses premiers jours, et il lui en faudra encore quelques autres pour pouvoir payer un loyer. Alors Marie l'accueille encore, le temps qu'il faudra, a-t-elle dit alors qu'il fumait à la fenêtre.

C'est ce jour-là qu'elle lui a demandé une cigarette pour la première fois, et qu'il l'a ainsi initié malgré lui à ce poison qui détruit lentement ses poumons. Mais il en a besoin, comment contrer ses démons intérieurs sinon ?

Faire une psychothérapie ? Ha ! Jamais.

L'idée ne l'effleure pas, pas même lorsqu'il se réveille en criant le nom d'Oboro, de Nemuri, ou de n'importe lequel de ses anciens élèves, le front ruisselant de sueur et le souffle court. Les traumas ne s'effacent pas en un claquement de doigts, et malheureusement pour lui, pas non plus en atterrissant sur une île mystérieuse dont il ne sait toujours rien, si ce n'est qu'ils sont des centaines (milliers ?) dans son cas.

Ce matin-là, alors qu'il se fait couler un café - noir, sans sucre, merci bien - tout en se préparant une clope bien méritée après une énième nuit mouvementée, Marie lui propose... un cigare ? A la vanille ?

Shôta hausse alors un sourcil, le regard tourné en sa direction - il ne porte pas son cache-oeil, pas encore, aussi Marie peut-elle apercevoir l'horrible cicatrice qui barre son oeil droit.

Marie, qui lui annonce l'avoir entendu hurler, cette nuit, pour la première fois depuis qu'il a emménagé avec elle. Lèvres d'abord pincées, l'ancien héros laisse toutefois un soupir s'en échapper.

« Désolé, grogne-t-il en se tournant vers la cafetière qui finit de couler. Il récupère la tasse fumante avant de se poster à sa fenêtre habituelle. Laisser sa colocataire s'apercevoir d'une de ses faiblesses n'était pas au programme, et comme il ne veut pas l'inquiéter, il sent bon d'adresser le sujet plutôt que de ne pas répondre à sa question.

- Ca arrive, tu n'as pas à t'en faire. Je vais bien, tente-t-il de la persuader en ouvrant la fenêtre, posant le récipient sur son rebord pour pouvoir allumer sa clope. Cette nuit, il a encore rêvé de son amour perdu - Oboro - ; cet homme qui lui a été ravi avant de réapparaître vingt ans plus tard, corrompu jusqu'à sa propre essence malgré lui. La douleur est toujours aussi vive, d'autant plus que leur nouvelle séparation a eu lieu à un moment important à la fois pour la société et pour eux. Oboro était toujours là, au fond de Kurogiri, Shôta en est intimement convaincu - il l'a vu, il l'a entendu. Et c'est cette voix qu'il a encore entendu cette nuit, l'appelant au travers d'un voile de fumée noire.

- Un cigare, hmm ? change-t-il alors de sujet, ne souhaitant pas raviver la douleur qui commence doucement à se réinstaller. Je ne pensais pas t'avoir perverti à ce point avec une simple cigarette. » finit-il par avouer avec un léger sourire, du genre de ceux qu'on ne remarque que lorsqu'on connaît bien le bonhomme. Il souffle une volute de fumée grisâtre par la fenêtre avant de zyeuter Marie à nouveau.

Un cigare. Un fuckin' cigare. La pensée est drôle, il faut bien l'avouer.

Un enfer insoutenable - Marie n'aurait pu le verbaliser mieux. Voilà des décennies que Shôta est blessé, bien plus profondément qu'il ne souhaiterait l'admettre. La disparition d'Oboro fût très dure, mais la révélation concernant sa mort (ou plutôt, sa non-mort) fût bien pire encore.

Shôta n'a pu garder son calme en l'apprenant, et c'est en pleurs qu'il s'est retrouvé face à Kurogiri pour tenter de retrouver son meilleur ami disparu. Shôta ne pleure pas - Shôta ne pleure jamais. Mais les larmes se sont mises à couler toute seule lorsque la possibilité de revoir son âme soeur s'est ouverte à lui, comme s'il admettait soudainement toute la tristesse de la situation.

Il était si proche de le faire revenir, avant de se faire amener sur cette putain d'île...

« Je ne compte pas rester ici toute ma vie, dit-il de but en blanc en plongeant son unique oeil valide dans ceux de Marie. Il faut que je retourne dans mon monde.

La guerre n'attend pas.

Mais ça, Marie ne le sait pas. L'ancien héros reste discret sur son monde, n'en dévoile jamais trop ; juste ce qu'il faut. Il n'a pas vu l'utilité de lui parler de la guerre contre Shigaraki et All for One - pour l'instant, du moins. Nul besoin de l'affoler plus que de raison.

De nouveau, il souffle une volute de fumée à travers la fenêtre. Marie est gentille et douce ; elle ne méritait pas non plus de se faire ainsi arracher à son propre monde, loin de ses amis et de son mari.

C'est là qu'elle reparle des cigares, et qu'elle lui annonce en avoir acheté un stock complet. Effectivement, elle ne fait pas les choses à moitié, songe-t-il en haussant un sourcil face aux boîtes ainsi dévoilées.

- Pourquoi en avoir acheté autant, alors que tu ne fumes qu'occasionnellement ? lui demande-t-il alors qu'il écrase son mégot dans le cendrier posé contre le rebord de la fenêtre.

Lui n'est pas intéressé par d'aussi gros cigares, d'autant plus qu'ils sont parfumés et que ce n'est pas ce qu'il préfère. Il décline ainsi l'invitation de son amie d'un simple geste de la main, avant de récupérer sa tasse et de fermer la fenêtre.

De nouveau, elle change de sujet, évoquant le week-end à venir.

- Pas grand-chose. » se contente de dire le japonais en s'installant face à elle, posant son récipient cafféiné sur la table. Sans doute va-t-il continuer son enquête sur ce nouveau monde afin de savoir si quelqu'un a déjà réussi à s'en enfuir... bien qu'il se doute que la réponse sera difficile à trouver.