Il était une fois...
« Serpentard ! »
A peine une fraction de seconde écoulée avant que le choixpeau magique ne décide de la maison dans laquelle envoyer le jeune Regulus. Ce dernier, qui n’en menait pas large l’instant d’avant, se redresse à présent de toute sa suffisance retrouvée, sa pire hantise a été évitée. Il marche fièrement sur les pas de ses parents, répare le déshonneur provoqué par son frère, qu’il aperçoit à la table des Gryffondors, qui glisse, sourire narquois aux lèvres, quelques mots à l’adresse de son voisin de table, un gamin dégingandé à la chevelure improbable et aux lunettes rondes. Regulus devait être à Serpentard. Il n’avait pas le choix. Au-delà de combien cette maison sied à son caractère, il s’en était quoi qu’il en soit fait une obligation personnelle.
Regulus est issu de la très ancienne et très noble famille Black, une famille de sangs purs intégralement sorcière et ô combien fière de l’être. Depuis sa plus tendre enfance, on lui a inculqué les préceptes qui sont ceux de sa famille : la suprématie sorcière est la seule qui vaille, et les Moldus, tous autant qu’ils sont, sont des êtres inférieurs. Leçon plus qu’apprise, retenue et appliquée pour Regulus qui toute son enfance a respecté très aveuglément les exigences parentales. Complexé par son grand-frère, Sirius, plus beau et naturellement intelligent que lui, il a mis les bouchées doubles pour frôler l’excellence s’il lui était impossible de l’atteindre. Deuxième-né, il voulait être le premier aux yeux de ses parents.
Sur ce point, Sirius lui a clairement facilité la tâche. Le préadolescent rebelle s’était vu envoyer à Gryffondor, première disgrâce pour les Black, mais pas la dernière car Sirius se révéla bien vite être un adolescent particulièrement turbulent, irrespectueux des codes et morales familiaux, et bien décidé à mettre un grand coup de pied dans la fourmilière à futurs mangemorts qu’est la famille Black. Pour Regulus, l’obligation d’être le parfait petit héritier que Sirius ne pourra plus être pour sa famille est d’autant plus grande. Et il ne s’emploie plus qu’à rendre ses parents fiers par tous les moyens possibles. A Poudlard, il est un élève poli, courtois, propre sur lui et très studieux, attrapeur de l’équipe de Quidditch de sa maison. Un élève brillant à qui l’on promet une carrière tout aussi brillante… mais Regulus n’a aucune intention de suivre la voie que ses professeurs daignent tracer pour lui. Il a d’autres desseins, desseins largement encouragés par ses parents : sitôt ses classes terminées, il rejoindra les rangs de Lord Voldemort.
La proximité de Sirius à Poudlard est vécue comme une provocation par le vert et argent. Regulus prétend à qui veut l’entendre qu’il n’a pas de frère, qu’il n’en a plus, la vérité, c’est que la distance qui se crée entre eux le fait souffrir, et il vit comme une véritable trahison son départ définitif de la famille, le jour où son aîné prend la décision pure et simple de les abandonner, de l’abandonner, pour aller vivre chez les Potter. Crise de nerfs de la part de Walburga Black, la mère des deux frères, que cette fugue ne rendra que plus acariâtre, elle efface définitivement Sirius de l’arbre généalogique familial. Regulus est dorénavant le seul à pouvoir encore porter haut et fort les valeurs de sa famille, et il prend cette mission personnelle très à cœur.
Au Seigneur des Ténèbres, je sais que je ne serai plus de ce monde bien avant que vous lisiez ceci. Mais je veux que vous sachiez que c'est moi qui ai découvert votre secret. J'ai volé le véritable Horcruxe et j'ai l'intention de le détruire dès que je pourrai.
Promesse toute personnelle tenue, Regulus rejoint les rangs du seigneur des ténèbres sitôt ses ASPIC en poche. La lueur de fierté qu’il voit briller dans le regard de ses parents au moment de leur présenter fièrement la marque des ténèbres imprimée dans les chairs de son avant-bras vaut tous les gallions du monde pour le jeune mangemort dont l’idéal d’un monde débarrassé une bonne fois pour toute de la fange non sorcière va rapidement prendre du plomb dans l’aile. Entre l’utopie et sa concrétisation, il y a un monde, et à ce monde, Regulus n’était finalement pas aussi préparé qu’il l’avait cru.
Premières missions au service de son maître, premiers crimes, premières victimes. Il n’oubliera jamais le sentiment qui l’a saisi aux tripes lorsqu’il a vu pour la première fois la vie s’éteindre dans le regard d’une de ses victimes. Il pensait qu’il s’habituerait, ça n’a jamais été le cas. L’horreur et la violence déployées par les mangemorts l’horrifient. Mais il est pris au piège. Pas de retour en arrière possible. Il n’y a qu’une seule façon de quitter le groupe et il le sait. Et même s’il en ressortait vivant, il serait incapable de supporter la déception, l’horreur, le dégoût, dans le regard de sa mère. Il ne veut pas être effacé de la famille comme l’a été Sirius. Alors il serre les dents, il consent, il se hait.
Jusqu’à la fois de trop. Quand le maître vous demande personnellement un service, vous êtes tenu d’accepter, vous n’avez pas d’autre choix. Alors il a accepté. Regulus a confié Kreattur, son elfe de maison, au seigneur des ténèbres comme s’il ne s’agissait que d’une entité disposable. Il ne savait pas quel sort attendait son elfe de maison. Toute la nuit, il a attendu, angoissé, le retour de son elfe. Certains traitent ces créatures sans égard, ça n’a jamais été le cas du jeune mangemort. Kreattur a été au service de sa famille depuis presque toujours, avant même sa naissance. Il a peur pour lui, il craint pour sa vie. Alors il l’appelle. Il lui ordonne de rentrer, peu importe si cela doit compromettre les plans du Lord.
C’est un Kreattur diminué, terrifié, affaibli qui a su rassembler ses dernières forces pour rejoindre son maître au 12, square Grimmaurd, demeure des Black. Regulus, horrifié, le soigne du mieux qu’il peut, le remet sur pied tandis que l’elfe de maison lui apprend l’enfer qu’il a vécu. Le seigneur des ténèbres l’a mené dans une grotte au bord de la mer. Et tout au fond de la grotte, il y avait une caverne et dans la caverne un grand lac noir… Et au milieu du lac noir, un îlot. Sur l’îlot, un bassin, rempli d’un poison que le mage noir lui a fait boire jusqu’à la dernière goutte avant de l’abandonner aux inferi qui peuplaient les eaux profondes de la caverne. Au récit de Kreattur, Regulus comprend. Le seigneur des ténèbres utilise ces lieux à un emploi bien particulier, afin de protéger un médaillon, pas n’importe lequel. L’héritage de Salazar Serpentard, oui, mais pas seulement. Le médaillon est un horcruxe, il renferme une partie de l’âme du seigneur des ténèbres.
Cette révélation, l’état de Kreattur, font l’effet d’un déclic sur Regulus. Troublé, il hésite avant de passer à l’acte. S’il trahit son maître, il sait qu’il n’en reviendra pas. Mais s’il ne fait rien, il ne s’en remettra pas davantage. Alors il fait un choix. Un choix suicidaire. Une nuit, il vient chercher Kreattur et lui ordonne de le conduire dans la fameuse caverne. Ce dernier exécute les ordres de son maître. Le plan de Regulus est simple. Il a réalisé une copie conforme de l’horcruxe, et il va les interchanger. Après avoir ordonné à son elfe de procéder à l’échange, après lui avoir sommé de partir sans lui, de ne rien dire de tout ceci à sa mère, et de tout faire pour détruire le vrai médaillon… Il a bu le poison.
J’affronte la mort dans l’espoir que lorsque vous rencontrerez un adversaire de votre taille, vous serez redevenu mortel.
R. A. B.
Un incendie au creux des entrailles, une souffrance qu’aucun doloris ne saurait égaler… une soif inextinguible. Kreattur a transplané. Regulus, lui, agonise. Il rampe, à bout de forces, jusqu’aux eaux noirs, y plonge la tête. Sa tignasse brune agrippée par une armée de bras squelettiques. L’eau envahit ses poumons… Il perd connaissance.
Puis ses yeux s’ouvrent. Le froid le saisit d’abord, puis l’angoisse… Il est sur une plage de sable fin, sans rapport avec les plages rocailleuse des eaux britanniques. Il se redresse sur ses avant-bras, réalise que ce monde, le monde où il se trouve, n’est plus le sien. Il pense être dans l’au-delà, tout d’abord. Mais les rencontres se succèdent, et il comprend qu’il n’en est rien. C’est un autre monde, qui échappe à toute logique, mais où la magie, sa magie, n’est plus… Sa baguette, dans sa poche, ne lui sert plus à rien, bête bout de bois. Il est devenu ce qu’il a toujours exécré… Pourtant, Regulus se sent libéré… Il peut vivre, revivre, sans la menace que représentait pour lui le seigneur des ténèbres. Se reconstruire est difficile, ses vieilles habitudes ont la vie dure, et ce nouveau monde ne lui plaît qu’en partie. Pour autant, au fil du temps, il a pris ses marques. Il a trouvé un appartement, il travaille dans une librairie de quartier. Il se fond dans le décor.