Le ciel était dégagé, les oiseaux chantaient, les passants bavardaient gaiement… Bref, aujourd’hui était une journée parfaite pour se pencher sur sa dernière affaire, une série de meurtres franchement crades. Stiles n’avait certes pas l’estomac le plus accroché, mais les corps des victimes avaient été recouverts pour une raison. Et d’après ses dernières lectures, le FBI était probablement à la poursuite d’un Wendigo. Rien que le nom le rendait mal à l’aise ; cela se rapprochait un peu trop de Donovan pour que Stiles puisse adopter le recul nécessaire. Et de fait, le jeune agent en était à sa deuxième nuit blanche d’affilée.

Il se trouvait désormais malheureusement dans une impasse : tous les indices étaient compilés, analysés, comparés, mais quelque chose manquait. Et comme d’habitude lorsque quelque chose manquait, Stiles était parti à la chasse aux informations surnaturelles. Mais cette fois-ci, internet avait cruellement manqué de détails, et il s’était résolu à entrer dans toutes les bibliothèques et librairies sur son chemin pour rechercher des livres spécialisés en mythologie nord-américaine. Il s’était déjà donné des cauchemars en lisant Lovecraft et Stephen King, mais n’était pas parvenu à trouver quelque chose de concret.

De son quartier, il était parvenu jusqu’à Raccoon Square, son sac à dos désormais plein à craquer, mais Stiles n’était toujours pas satisfait. Il se fit refouler d’une énième librairie qui n’avait pas ce qu’il cherchait, le regard suspicieux de la vendeuse le suivant jusqu’à la rue d’après. C’est sur cette entrefaite que ses yeux s’arrêtèrent devant un magasin modeste, mais dont la devanture promettait monts et merveilles. Les magasins d’antiquités et les brocantes avaient toujours été comme une caverne d’Ali Baba pour Stiles, dès tout petit ; son père l’avait emmené plus d’une fois dans un endroit similaire et l’avait regardé passer de bibelot en bibelot, tenter de comprendre leur mécanismes ou jouer avec les rouages et les petites pièces. En grandissant, il s’était rendu compte qu’il pouvait également s’agir d’une mine d’or, notamment au niveau du surnaturel. Charmes et protections, boîtes aux symboles mystérieux, matériaux divers, mais aussi livres et manuels de toutes sortes. Là où le regard des gens les traversaient, Stiles tendait la main.

Peut-être avait-il finalement trouvé son Eurêka. Entrant d’un pas déterminé dans la boutique, Stiles commença à parler sans regarder le vendeur, les yeux déjà attirés par la petite section de livres près de l’entrée :

- Bonjour ! Je cherche des livres de mythologie nord-américaine, et c’est un étui en cuivre que je vois là ? Oh, et si vous avez de l’argent pas trop cher que je peux faire fondre, je…

Son regard croisa celui de l’antiquaire et son soliloque s’arrêta net.

- Liam ?! Mais qu’est-ce que tu fous là ? s’exclama-t-il avec un grand sourire aux lèvres.

Avant de grimacer légèrement lorsqu’il se souvint que la raison pour laquelle Scott avait mordu Liam avait été pour le protéger d’un Wendigo. Ouais. La coïncidence était un peu grosse.

Stiles observa Liam quitter son comptoir et s’affairer à trouver ce que Stiles cherchait. Ses sourcils se haussèrent. Le louveteau avait bien grandi.

- Regarde-toi, on dirait que t’es bien retombé sur tes pattes ! dit-il avec fierté.

Il pensa ensuite à Jackson, mais aux dernières nouvelles, lui et Liam ne se connaissaient pas. Stiles choisit donc de répondre par un évasif « Ça fait du bien de voir un visage familier ! » qui n’affirmait ni n’infirmait la question sous-entendue de Liam.

Il observa le loup-garou avec attention, notant la façon dont ses épaules s’étaient élargies, son maintient s’était affirmé et sa contenance était devenue plus calme. Après le désastre qu’avaient été ses retrouvailles avec Jackson, le jeune homme était heureux de constater qu’au premier abord, Liam semblait aller bien. Peut-être était-ce l’âge, peut-être avait-il trouvé un moyen plus efficace de gérer son syndrome de Trouble Intermittent Explosif ; toujours était-il que le jeune homme semblait à l’aise dans ses baskets.

Liam n’était plus un adolescent, et Stiles se sentit soudain comme un parent qui se rendait compte que son enfant n’avait plus besoin de lui. Était-ce de cette manière que son père s’était senti lorsque Stiles était parti pour Washington ? Un sentiment doux-amer qui l’empêchait de quitter Liam des yeux, le cœur un peu serré mais l’esprit en paix ? Bon sang, si jamais Stiles revoyait un jour son père, il le prendrait dans ses bras pour ne plus jamais le lâcher. Il aurait toujours besoin de son père, pensa-t-il avec une certaine tristesse. La vérité, c’est qu’après la mort de Claudia, il avait dû grandir bien vite ; Noah avait fait de son mieux, mais lui aussi s’était étouffé dans son deuil. Et pourtant. Ce que Stiles donnerait pour le revoir, rien qu’une fois. Pour croiser ses yeux toujours remplis de gentillesse et sentir son odeur de parfum et de poudre à canon, mélangée parfois à celle, un peu moins bienvenue, de Jack Daniel’s ou d’huile de friture.

- J’en reviens pas que c’est la première fois que je viens dans ta boutique, se lamenta Stiles en secouant la tête.

Ils auraient pu se revoir bien avant si Stiles avaient franchi ces portes une seule fois en trois ans !

- Ça fait longtemps que tu la tiens ?

Observant davantage le louveteau, une autre question lui vint à l’esprit. S’il avait remarqué quelque chose dans son boulot, c’était que les créatures surnaturelles de l’île ne semblaient pas toujours retrouver leurs pouvoirs, ni les retrouver à la même vitesse ; parfois, il rencontrait des humains anciennement surnaturels qui n’avaient rien retrouvé du tout.

- Loup-garou ou humain ? demanda-t-il ensuite avec nonchalance.

Si Liam était humain, cela pouvait également expliquer son air plus apaisé ; il fallait admettre que même pour Scott, être un loup-garou n’était pas de tout repos. Alors, pour quelqu’un qui avait une emprise ténue sur sa colère…

Stiles prit le livre que lui tendait Liam et l’inspecta sous toutes les coutures, lisant rapidement le quatrième de couverture avant de le retourner dans tous les sens et de feuilleter vivement les pages. L’ouvrage semblait à vrai dire très prometteur ; il possédait une table des matières efficace qui faciliterait sans doute ses recherches et l’épaisseur semblait suggérer des informations exhaustives. Le cuir semblait véritable, ce qui prouverait son authenticité, et l’auteur, comme pour beaucoup de pépites qu’il avait découvert, était anonyme. Cela pouvait paraître étonnant, mais c’est ce qui lui donna le plus d’espoir. Un écrivain qui ne souhaite pas être retrouvé est un écrivain qui ne veut pas être pris pour cible. Du moins, c’est comme cela que ça fonctionnait dans le monde du surnaturel.

- Nan, toujours ce bon vieux Stiles, confirma-t-il avec un sourire.

Il désigna ensuite le livre avec enthousiasme et enchaîna :

- C’est super, Liam ! Ça sera peut-être la percée dont j’ai besoin dans mes recherches. On dirait que t’as trouvé un bon boulot !

Il laissa quelques instants à Liam pour en placer une avant de répondre :

- C’est confidentiel. Mais je peux tout te dire, à toi ! ajouta-t-il en lui adressant un clin d’œil.

La vérité, c’était que Liam avait déjà vu des côtés pas bien jolis de Stiles, notamment quand celui-ci s’était mis à traquer obsessionnellement Théo. Certes, il s’était avéré qu’il avait eu raison, mais même en y repensant aujourd’hui, il avait un peu honte de la façon instable dont il s’était comporté, entre sautes d’humeur imprévisibles et attitude distante et bornée. Stiles avait été bien loin d’être un modèle exemplaire envers Liam, et était soulagé que celui-ci avait finalement préféré se référer à Scott (bon, certes, il avait essayé de le tuer entre deux, mais qui pensait à ce genre de détail ?).

Toujours était-il que Stiles ne savait plus trop sur quel pied danser avec Liam, et que le mettre dans la confidence semblait être un moyen aussi simple qu’efficace pour s’attirer sa sympathie. Et qu’il avait encore envie de frimer un peu devant le jeune loup, un peu comme un grand frère qui se vante de certains de ses talents devant son petit frère.

- Je suis dans une division spécialisée dans le surnaturel. En ce moment, on recherche ce qui ressemble fort à un Wendigo, mais j’ai besoin d’infos.

Stiles sourit un peu, touché que Liam se rappelle d’une information qui aurait pu sembler anecdotique et datait de plus de trois ans.

- Tu as devant toi une recrue du FBI !

Liam connaissait-il la véritable raison pour laquelle Stiles s’était engagé dans cette voie ? Avait-il la moindre idée que le lycéen d’alors ne voyait que des mains tachées de sang et avait perdu de vue toute perspective d’avenir ? Savait-il seulement que le sauvetage de Lydia avait fait se manifester quelque chose dans son cœur brisé, lui avait fait ressentir quelque chose à nouveau, au milieu de cet océan d’apathie et de honte ? Au milieu de ses mensonges et de son impression de se perdre en même temps que de perdre ses amis et sa famille ? Liam savait-il ce que Stiles avait fait, ou avait-on jalousement gardé son secret ?

Il ferma un instant les yeux pour chasser ces souvenirs indésirables, et posa sa main sur l’épaule de Liam avec sympathie. Ce manque était quelque chose que Stiles ne pourrait jamais comprendre, car la seule créature qui s’était manifestée en lui avait été le Nogitsune. Le savoir mort ne lui avait apporté que soulagement et froide vengeance, mais il savait qu’il n’en était pas de même pour les loup-garous. Il en avait été bien sûr le plus témoin avec Scott, mais il y avait quelque chose de beau et d’intangible qui se formait entre le loup et l’humain. La codépendance entre homme et animal n’avait bien sûr jamais été aussi flagrante qu’avec Malia, parfois presque plus coyote que femme. Parfois, Stiles se demandait s’il en était de même pour Lydia, ou si comme lui, elle ne voyait la Banshee que comme une malédiction.

- Je suis désolé, Liam, vraiment. J’espère aussi qu’ils reviendront.

Il laissa ses yeux se balader dans le magasin et demanda ensuite :

- Tu me présentes ta boutique ?