La vieille grange ▿ Sabrina.

« Sabrina, tu vois bien qu'il n'y a rien du tout ici, alors dépêche-toi de remonter dans cette voiture et ne m'oblige pas à venir te chercher ! » S'agaçait Ambrose, tout en criant au milieu de nulle part, devant une vieille grange abandonnée, après sa cousine qui se trouvait à l'intérieur. Pour la énième fois, Ambrose s'était laissé embarquer dans une nouvelle mission de Sabrina. Pourquoi il continuait à la suivre, il se le demandait bien, mais il se trouvait particulièrement stupide et naïf de le faire - en réalité, il savait très bien pourquoi : il refusait qu'elle prenne des risques en étant toute seule et il voulait garder un oeil sur elle. Foutue conscience.

Si Ambrose se retrouvait perdu au milieu de cette campagne avec pour seule compagnie une vieille grange dont le toit était à moitié détruit, c'était parce que Sabrina était persuadée d'avoir retrouvé la trace de leurs tantines. Enfin, persuadée... Elle avait persuadé Ambrose qu'il y avait une petite chance, en tout cas. Stupide comme il était, il s'était jeté dans sa voiture et il l'avait conduit bien docilement. Il avait fouillé avec elle, il avait retourné chaque pierre et chaque morceau de bois, mais il n'y avait rien du tout. Puisqu'il neigeait de plus en plus, Ambrose tentait de presser sa cousine. Bien sûr, ils pouvaient utiliser la téléportation, mais il se méfiait de la ville et de ses sales tours - elle pouvait les priver de leurs pouvoirs n'importe quand.

« Sabrina ! La route va devenir dangereuse, il y a vraiment beaucoup de neige, je vais partir sans toi ! » S'il ne partirait jamais sans elle, il ne mentait en revanche pas pour la première chose. Les routes étaient dangereuses, la neige était vraiment haute et la tempête se levait. Comme la sorcière n'était pas décidée à sortir d'ici, il avait fini par attraper son manteau pour se rendre dans la grange et la faire sortir par la force. « Sabrina Spellman ! » Criait-il en franchissant les grandes portes en bois, qui se refermaient à cause du vent. « Les mortels ont pour tradition de prendre des résolutions pour la nouvelle année, les miennes sont déjà toutes prêtes : ne plus jamais te faire confiance, ne plus jamais te suivre dans tes aventures, t'apprendre à arrêter de faire autant de bêtises... » Il s'agaçait tout seul, devant sa porte. « Apprendre à rester bien tranquillement chez moi, au chaud, au coin de la cheminée, un thé et un bon livre entre les mains, oublier que tu es ma cousine et que je me dois de te protéger... » Continuait-il de lister en s'avançant lentement. « Prendre ma retraite, en somme. Me reposer. Ah... Dormir. Tu m'imagines, dormir sans craindre pour ta sécurité et sans avoir à réparer tes bêtises ? » Soupira-t-il, avant de l'apercevoir. « Je repars, Sabrina. » Affirma-t-il avant de faire demi-tour pour ouvrir la porte. Porte qui ne s'ouvrait pas malgré ses nombreux efforts et essais. C'était une plaisanterie ? « Argh, il ne manquait plus que ça ! La porte refuse de s'ouvrir, on va devoir passer la nuit ici ! » Peut-être exagérait-il, peut-être trouveraient-ils un moyen, mais il voulait faire comprendre à sa cousine que ses actions avaient des conséquences, comme toujours - mais elle n'apprenait jamais de ses erreurs, donc pourquoi cette fois serait différente ?      

Ses tantines étaient là. Ou du moins, elles n’étaient pas loin. Sabrina faisait de nombreuses recherches pour retrouver les siens. Bien souvent, elle utilisait la magie pour s’aider. Et bien souvent, elle se trompait. La ville était sans doute à l’origine de toutes ces fausses pistes. Sabrina en était certaine. Et même si elle perdait souvent espoir, elle finissait toujours par reprendre ses recherches. La preuve en était là. Sabrina avait embarqué son cousin dans cette vieille grange, parce que la magie lui avait dit que ses tantines étaient là… ou qu’elles étaient passées par là récemment. Alors comme toujours, Sabrina n’était pas passé à côté et avait foncé vers cette grange.

Ce n’était sans doute pas le bon moment, puisque le froid était présent. Les alentours de la grange avaient même gelé à certains endroits. Et Sabrina avait même glissé sur une plaque de verglas et était tombée au sol. Fort heureusement, Ambrose ne l’avait pas vu, sans quoi, il se serait moqué d’elle pendant des années. En plus du verglas, la neige allait sans doute tomber dans peu de temps, mais Sabrina ne voulait pas faire demi-tour. Elle refusait de partir sans avoir le moindre indice sur ses tantines. Elle voulait vraiment passer le Noël suivant avec elles. Elle voulait les avoir auprès d’elle pour l’ouverture des cadeaux, elle voulait déballer ce qu’elles lui avaient offert, arrachant le papier cadeau que tante Hilda avait pris soin de bien faire. Elle voulait les avoirs près d’elle pour manger la dinde, comme le voulait la tradition des mortels. Sabrina voulait pouvoir allumer la bûche de Yule avec ses tantines comme le voulait la tradition des sorcières. La jeune femme avait envie de sentir l’odeur des petits biscuits, ceux qu’elle faisait à la cannelle ou saveur clémentine de sa tante Hilda. Si Sabrina avait fait sa liste de cadeaux, elle aurait demandé à ce que ses tantines et ses amis lui soient rendus pour cette fête de Noël. Et ce retour, elle en rêvait souvent, lorsqu’elle regardait certaines de ses boules à neiges qui lui faisaient penser à Greendale ou à ceux qu’elle aimait profondément. Voilà la soirée de Noël parfaite pour Sabrina : une soirée en compagnie de sa famille, de ses amis. Une soirée où elle allait pouvoir rire, s’amuser et manger tous les bons petits plats que sa tantine avait préparé. Une soirée où ils allaient pouvoir déballer leurs cadeaux tous ensembles dans ce monde. Mais ce monde était tellement cruel qu’elle avait sans doute plus de chance de se retrouver au Pôle Nord en compagnie de lutins ou de gnomes. Sans oublier les fidèles rennes du Père Noël. Père Noël qu’elle pourrait peut-être même voir sur son traîneau.

Voilà pourquoi Sabrina tenait tant à retrouver ses proches. Voilà pourquoi malgré les cris d’Ambrose, elle ne bougeait pas d’ici et continuait à chercher. La neige pouvait bien tomber, elle s’en fichait. Avant de partir, elle voulait être certaine d’être sur une mauvaise piste. Bien évidemment, Ambrose restait Ambrose et il ne pouvait s’empêcher de jouer les ronchons se plaignant de sa cousine et du fait qu’il était fatigué de la suivre partout tout le temps… « Tu ne sais tout simplement pas comment t’y prendre. » Dit-elle en arrivant non loin de son cousin. « Quant à mes résolutions pour l’année prochaine, je promets d’être encore plus diabolique, d’être encore plus agaçante avec mon cousin préféré. Je promets de continuer à l’entraîner dans chacune de mes aventures et je promets de faire encore plus de bêtises, parce que je sais que tu adores ça. » Voilà sa liste de résolutions pour l’année qui arrivait. Autrement dit, elle avait décidé de ne rien changer ou plutôt d’être pire encore. Parce que c’était plus drôle comme ça. « Bon alors, cette porte. » Dit-elle en arrivant à sa hauteur. La bonde déposa ses mains sur la poignée et tira, mais rien ne se passa. Alors elle avait essayé la magie, mais visiblement, ça ne fonctionnait pas mieux. « T’en fais pas cousin, on va se téléporter et on viendra rechercher la voiture plus tard. » Il n’y avait pas d’autres choix après tout. La blonde prononça les deux mots habituels, mais rien. Elle n’avait pas bougé d’un pouce. Elle était toujours à la même place, dans cette même grange. « J’ai l’impression qu’on va devoir passer la nuit ici. » Dit-elle un sourire amusé aux lèvres, parce qu’elle savait à quel point cette idée n’allait pas plaire à Ambrose.

Ambrose n'en pouvait plus. Il était si faible face à sa cousine, qu'il ne pouvait s'empêcher de la suivre dans toutes ses aventures. Combien de fois s'était-il retrouvé en mauvaise position à cause d'elle ? Combien de fois avait-il risqué sa vie par sa faute ? Trop, certainement, pour continuer à les compter ! Alors, pourquoi continuait-il ? Parce qu'il était incapable de lui dire non, incapable de la laisser se mettre en danger toute seule, évidemment. Il s'était donné pour mission de la protéger et comment pourrait-il le faire s'il ne l'accompagnait pas ? Alors, il la suivait. Il la suivait, puis il se plaignait de l'avoir fait, comme en cet instant où il se retrouvait à crier dans une grange, perdue au milieu de nulle part, pour faire sortir sa cousine avant que la neige ne recouvre les routes - et la voiture.

Après avoir aperçu Sabrina qui s'approchait de lui, il avait prétendu qu'il s'en allait - histoire de la presser. Cependant, la porte refusait de s'ouvrir, le coinçant ici avec sa cousine. Etait-ce une mauvaise blague ? De sa cousine, peut-être ? Cousine qui s'approchait de lui en listant, à son tour, ses bonnes résolutions pour l'année prochaine. Enfin, bonnes... Qui avait dit qu'elles devaient forcément l'être ? Celles de Sabrina étaient... démoniaques. Diaboliques. Offraient des perspectives terribles pour le sorcier qui imaginait déjà une année à courir partout derrière elle pour assurer ses arrières et réparer ses erreurs. Elle promettait d'être elle-même, mais en pire. Une Sabrina version 2.0, améliorée et plus agaçante encore, de quoi le rendre complètement fou. Pourvu qu'ils retrouvent leurs tantines avant qu'il ne perde complètement la raison ! « Si l'Académie existait ici, je t'enfermerais dans les cachots pour avoir la paix pour les cent prochaines années... Au moins. » Il disait ça, mais il avait été le plus heureux des hommes en retrouvant sa cousine chérie et, pour rien au monde, il ne pourrait la perdre à nouveau. Simplement, il aimait bien s'en plaindre - et elle le méritait bien - histoire d'essayer de lui ouvrir les yeux sur les dangers qu'elle courrait et qu'elle lui faisait courir, par la même occasion.

Puisque madame savait tout mieux que tout le monde, elle était persuadée de pouvoir ouvrir la porte sans difficulté. Elle essuyait donc deux échecs : en essayant d'ouvrir humainement en tournant simplement la poignée, puis avec sa magie. Jamais à court d'idées, elle voulait se téléporter - c'était évidemment la solution la plus simple pour eux. Elle avait attrapé les mains d'Ambrose pour cela et avait prononcé les fameux petits mots, mais... rien. Rien du tout. Et, le pire aux yeux d'Ambrose était que Sabrina semblait trouver ça amusant. « Tu trouves ça drôle ? » S'emporta-t-il gentiment, agacé par le comportement de la petite inconsciente qui lui servait de cousine. « Nous sommes perdus au milieu de nulle part, dans une grange qui aurait pu être habitée par Satan lui-même, avec des pouvoirs qui ne fonctionnent plus et... Tu trouves ça drôle. » Il faisait les gros yeux et agitait ses mains, comme à son habitude, son air désespéré au visage. « Tu as conscience que c'est le début parfait pour un film d'horreur ? » Pour elle qui aimait tant ça, elle devrait s'en rendre compte, non ? « On peut se faire attaquer par n'importe quoi ! Ou mourir de froid ! » S'agitait-il, pour lui montrer son inconscience et la mettre face à la réalité. « Et par ta faute ! Tu nous imagines mourir de froid ici ? On a survécu à ton père, à la fin du monde, aux abominations, mais on va mourir à cause du froid ! » Quelle fin ridicule pour eux, de grands sorciers ayant affronté le diable en personne... Mourir parce qu'ils n'arrivaient pas à ouvrir la porte d'une grange. « J'ai survécu à tout pendant 140 ans et je vais mourir dans une grange... » Il exagérait ? Certainement un peu, comme toujours.

Sabrina adorait embêter son cousin, elle aimait le taquiner et le faire enrager. Elle savait qu’il détestait le comportement de sa cousine, mais qu’il ne pouvait pas s’empêcher de la suivre et de la protéger, quoi qu’elle décide de faire. Alors elle lui avait fait tout un tas de promesses pour l’année qui arrivait. Elle promettait d’être une pire version d’elle-même, là pour faire encore plus enrager Ambrose. « On sait tous les deux que je te manquerai bien trop vite. » Répondit-elle souriante, amusée par la réponse de son cousin, parce qu’elle savait qu’il n’était pas capable de la tenir éloigner de lui aussi longtemps. Et il pouvait se rassurer, Sabrina ne voulait pas être loin de lui non plus. Elle avait perdu assez de monde comme ça et était restée sans son cousin pendant bien trop de temps, elle ne voulait pas que ça recommence.

Puisqu’ils étaient bloqués dans cette grange, Sabrina avait essayé de l’ouvrir, avec la méthode des mortels dans un premier temps et avec la méthode des sorciers dans un second, mais cela n’avait rien donné. La serrure semblait bloquée et rien ne la faisait céder. Il ne fallait pas paniquer pour si peu. Ils étaient tous les deux des sorciers, ils n’avaient qu’à utiliser la magie pour se téléporter, ce n’était pas si compliqué. Enfin, ça n’aurait pas dû l’être. La téléportation ne fonctionnait pas non plus. Sabrina avait pourtant fait comme d’habitude, mais ils étaient toujours à la même place, ils n’avaient pas bougé d’un centimètre. Visiblement, ils allaient devoir passer la nuit ici. Rien de dramatique. Il fallait juste attendre que la température remonte et que la neige cesse de tomber et à ce moment-là, ils allaient pouvoir repartir sans aucun problème. « C’est bon Ambrose, arrête de dramatiser. Lucifer n’est pas là et il n’y a aucun démon ici. Dans le pire des cas, tu risques de te faire attaquer par un insecte, mais ça s’arrête là. » À première vue, il n’y avait aucun danger dans le coin. Ça n’avait rien à voir avec le début d’un film d’horreur et pour une fois, Sabrina n’avait pas envie de voir le mal partout. La température avait chuté, la neige était tombée, la serrure était vieille, alors le tout ensemble avait simplement fait que les deux s’étaient retrouvés enfermés ici pour la nuit. Rien d’anormal. « C'est pas comme si on était enfermé dehors. Au moins, on ne mourra pas de froid ici. Bon d'accord, le toit n'a pas l'air super récent et super solide, mais il nous protège. Et pour dormir et ne pas avoir trop froid, on pourra dormir dans la paille, la grange en est remplie. Et regarde, on pourra même se couvrir avec ça. » Dit-elle en désignant de vieux tissus. D’accord, ils n'étaient pas super récents et super propres, mais ça pouvait servir si vraiment, il faisait trop froid. « Bon d'accord, ils ne sont pas en très bon état et ils n’ont pas l’air super propres, mais ils sont épais et on pourra s'en servir pour nous protéger du froid. » Ajouta-t-elle, un sourire se voulant convainquant aux lèvres. « Et comme tu le dis si bien, on a déjà vécu pire. Alors crois-moi, on va bien survivre au froid, j’en suis sûre. » Ambrose l'avait lui-même dit, ils avaient survécu à Satan, aux abominations et à tout un tas d'autres dangers, alors ils allaient bien réussir à passer une nuit dans une vieille grange abandonnée - ou Satan était bel et bien absent - et glaciale. « On va passer une super soirée, tu vas voir. » Bon elle n'en était pas convaincue, surtout qu'Ambrose n'était pas très amusant quand il était comme ça, mais il fallait espérer que ça ne soit pas leur pire soirée. Et surtout, il fallait espérer qu’Ambrose arrête d’exagérer et qu’il y mette un peu du sien.

Sabrina marquait un point. Elle savait parfaitement que son cousin, même s'il se plaignait beaucoup, ne pouvait pas se passer d'elle ou lui refuser quoi que ce soit. Et, comme elle en avait parfaitement conscience, elle en jouait - elle n'était pas la fille du diable pour rien. Alors, pour ne pas lui donner raison, lui faire plaisir ou mentir, Ambrose préférait tout simplement ne rien répondre et se convaincre, lui-même, qu'il était capable de l'enfermer pendant cent longues années pour avoir la paix.

Grâce aux idées de génie de sa chère cousine, ils étaient donc coincés dans cette vieille grange alors que la neige continuait de s'accumuler derrière cette porte. S'ils ne restaient là qu'une nuit, ils pourraient s'estimer particulièrement chanceux. S'ils survivaient aussi, d'après Ambrose. Ils étaient privés de leurs pouvoirs - du moins, la téléportation ne fonctionnait pas - mais ça ne semblait pas interpeler sa cousine plus que ça. Etait-elle inconsciente ? La réponse était oui, évidemment, mais à ce point ? C'en devenait presque surnaturel à ce niveau. Un vrai don de l'Enfer.

Comme à son habitude, Ambrose dramatisait, se plaignait, exagérait, voyait le pire côté des choses - il avait peur et il était en colère, ce n'était pas sa faute. Il s'imaginait tout de suite le pire de ce qui pouvait arriver. Avec Sabrina, les ennuis avaient tendance à leur tomber dessus un peu trop facilement. Logique qu'il en devienne parano, non ? « Le fait qu'on ne puisse pas se téléporter, ça ne t'inquiète pas plus que ça ? » Non parce que son insecte pouvait vite se transformer en démon ayant bridé leurs pouvoirs ou il ne savait quoi d'autre, alors plutôt que de se moquer de lui, il serait préférable que la sorcière reste sur ses gardes, pour une fois.

Sabrina tentait de voir le bon côté des choses. Ils étaient en intérieur - enfin, les murs n'étaient pas très épais et le toit n'avait pas l'air particulièrement solide, mais bon - ils avaient de la paille pour dormir et des vieux sacs pour se couvrir. Génial ! Des conditions idéales et enviables, bien sûr. « Super ! Puis si on commence à avoir faim, on grignote une planche de bois ? Si on a soif, on essaie de récupérer un peu de neige ? » Demanda-t-il pour se moquer de Sabrina. « Si le toit ne nous tombe pas dessus, on pourra déjà s'estimer chanceux. Et quant à ne pas mourir de froid... La température baisse et les sacs ne suffiront pas. Il faut aussi penser au fait que la porte pourrait rester coincée plus d'une nuit si la neige ne s'arrête pas de tomber. » Parce qu'il faisait déjà bien froid alors qu'ils avaient encore leurs manteaux et toute la panoplie réservée à l'hiver... Alors, au beau milieu de la nuit, ils n'allaient pas rire. Et moins encore si la neige tombait pendant des jours entiers.

« Survivre au froid, peut-être. Au reste, je ne sais pas. » Parce qu'il restait persuadé que d'autres choses allaient leur tomber dessus. C'était toujours comme ça avec eux. Ils ne connaissaient pas la paix, la tranquillité. Il n'y avait qu'à voir tout ce à quoi ils avaient survécu en quelques années. « Je l'espère pour toi ou l'Enfer ressemblera au Paradis des mortels à côté de ce que tu auras le droit en retour. » La menaça-t-il avant de s'installer dans un coin de la grange, là où il y avait de la paille en masse, en croisant les bras pour resserrer son manteau autour de lui. « A t'écouter, c'est la soirée pyjama de l'année... J'espère au moins que t'as des histoires à me raconter pour m'occuper. » Parce que c'était à elle de se faire pardonner et donc de faire cet effort, histoire qu'ils ne passent pas la nuit à s'ennuyer.

Ambrose ignorait si sa cousine le faisait exprès ou non, mais elle l'agaçait avec son optimisme à toute épreuve. Être optimiste, ce n'était pas un mal, mais avec Sabrina cela se traduisait souvent par de l'imprudence excessive et de la mise en danger. Trop sûre d'elle, elle en oubliait la réalité et les dangers et elle faisait n'importe quoi - ce qu'Ambrose apprécierait éviter cette fois-ci. « J'oubliais que tu avais des pouvoirs de divination. » Soupira-t-il. Bien sûr qu'il ne se passerait pas forcément quelque chose, ce n'était pas ce qu'il disait... Simplement, il y avait un risque et ne pas le prendre en compte était particulièrement ridicule. Ne plus avoir accès à sa magie de cette façon cachait forcément quelque chose. Ce ne pouvait pas simplement être un hasard. Il n'y croyait pas.

Cependant, Sabrina n'avait pas tort sur tout. Ils avaient, en effet, de la chance de ne pas être restés enfermés dehors et d'avoir un endroit où se protéger du froid et de la neige. La situation aurait pu être plus catastrophique, il en avait conscience et il devait le reconnaître. « D'accord, je le reconnais, on ne devrait pas mourir de froid ou de faim en une nuit et on peut espérer que cette grange ne nous tombe pas sur la tête. » Il était conciliant et il était d'accord pour admettre ça. « Je suis même prêt à ne m'inquiéter que demain matin pour la serrure. » Vraiment, il était prêt à faire de nombreux efforts et de nombreuses concessions, là n'était pas la question. « Mais tout ça n'explique pas la perte de nos pouvoirs. C'est le froid qui les gèle, eux aussi ? » Ajoutait-il, presque pour se moquer et faire comprendre à Sabrina que s'il était prêt à croire que beaucoup de choses étaient dues au hasard, ce ne pouvait pas être le cas pour tout.

Alors tout en s'installant dans un coin, parce qu'il n'avait pas le choix, Ambrose avait menacé Sabrina de se prendre la pire leçon de morale de toute sa vie si quelque chose de mal se passait. « Tu n'y es pour rien ? Mais tu crois en ce que tu dis ou ton but est simplement de me faire perdre patience ? » Demanda-t-il sérieusement, commençant à douter des intentions de sa très chère cousine. « Tu as voulu suivre cette piste, tu es restée là alors que je t'appelais depuis une heure parce que le temps ne permettait plus de traîner... » Non, vraiment, elle était responsable sur tous les points.

Sabrina avait une drôle de façon de voir les choses. Pour elle, cet endroit ressemblait presqu'à l'Enfer et c'était la fête de l'année. « Mais si tu tenais tant à changer de décor, je sais pas... Je peux te payer des vacances dans un hôtel ? On pouvait louer un truc ? » Plutôt que de venir se perdre en plein hiver et tempête de neige dans une vieille grange abandonnée. « Sabrina, je me demande comment nos tantines n'ont jamais songé à t'abandonner dans une vieille grange comme celle-ci... » Rouspétait-il alors que sa cousine jouait avec ses nerfs, tout en tentant de se réchauffer en serrant ses bras contre lui, emmitouflé dans sa veste.

Comme toujours, Ambrose était rabat-joie. Il voyait le mal partout et ne supportait pas l’optimisme de Sabrina. La blonde n’avait pas toujours bon espoir, mais cette fois-ci, elle avait l’impression que rien de mal n’allait se passer. La serrure s’était bloquée, mais le froid y était pour quelque chose. Quant à leurs pouvoirs, dans cette ville, il n’était pas rare de les perdre sans raison. Le jeune homme soupira suite aux paroles de Sabrina, qui se voulaient pourtant rassurantes, ajoutant qu’il avait oublié que sa cousine avait des pouvoirs de divination. La sorcière soupira et ne releva rien. Elle préférait se taire, plutôt que de lancer une nouvelle dispute.

Mais Sabrina n’était pas non plus irréaliste. Elle se disait que si on avait vraiment voulu leur faire du mal, alors on ne les aurait pas enfermé à l’intérieur de la grange. Ici, ils étaient à l’abri du froid, de la neige, de la tempête qui se levait. La sorcière avait même l’impression que tout cela avait été fait exprès pour les garder à l’abri. Ils étaient coincés à l’intérieur, comme ça, ils ne pouvaient pas tenter de rentrer en s’aventurant n’importe où en pleine tempête. Et sans pouvoir, ils ne pouvaient pas se téléporter dehors. Ils ne pouvaient pas non plus forcer la serrure à s’ouvrir. « Il y a peut-être une explication logique à tout ça. Nous priver de nos pouvoirs, c’est nous forcer à rester ici. C’est peut-être pour nous protéger de la tempête ? Pour nous forcer à rester là, plutôt qu’à prendre des risques inutiles. Où alors, les tantines vont repasser par ici. Peut-être qu’on a mal cherché et qu’on est passé à côté d’un indice. » Voilà pourquoi elle était optimiste. Parce qu’elle voulait croire en certaines choses. Elle voulait croire que cette ville l’aidait. Elle voulait croire que cette ville la mettait sur la bonne piste pour retrouver le reste de sa famille.

Sabrina était certaine de n’y être pour rien dans ce qui leur arrivait. Mais, comme d’habitude, Ambrose lui faisait des reproches et l'accusait. « Tu n’étais pas obligé de me suivre si tu ne le voulais pas Ambrose. Je ne t’ai jamais forcé à venir. Et tu voulais quoi ? Que je parte sans même être certaine que cette piste était fausse ? » S’agaça-t-elle légèrement, réussissant à garder son sang-froid pour ne pas s’énerver après son cousin. « Elles auraient mieux fait de le faire, au moins, je n’aurais pas eu à supporter ta mauvaise humeur ! » Répondit-elle, en ignorant une partie de ses paroles, agacée par ce qu’il disait, disant une fois encore des choses qu’elle ne pensait pas réellement, même si cette fois-ci, ses paroles n’avaient rien de très blessantes. « Du coup, on fait quoi ? On passe la soirée à s’engueuler ? On continue de chercher qui est coupable et qui ne l’est pas ? Ou on essaie de passer une soirée agréable malgré la situation ? » Et malgré tout ce qui n’allait pas dans la vie de Sabrina en ce moment.

Sabrina n'en démordait pas avec ses explications logiques et son absence de danger. A l'écouter, elle ne voyait que le bien, partout. Ce n'était pas vraiment son genre en temps normal, mais Sabrina était tellement différente... Difficile de dire pourquoi elle réagissait de telle ou telle manière en fonction des circonstances. La suivre était devenu plus que compliqué. Aujourd'hui, elle avait décidé de voir le bien partout. Elle avait décidé que chaque petite chose était une façon de les protéger. De les protéger... Qu'elle était naïve ! Ou qu'il était trop inquiet pour rien... Peut-être. Lui, dans le doute, sans certitude, il voulait rester sur ses gardes. « J'admire ton optimisme à toute épreuve et ta façon de voir le bon côté des choses. » Ce n'était pas moqueur, il s'en étonnait simplement. Et, quelque part, en cherchant bien, il était vrai que tout semblait vouloir les protéger, les amener à rester ici, bien au chaud et à l'abri de la tempête. « Nous laisser la possibilité de nous téléporter, ça nous aurait permis de rentrer à la maison. » Mieux encore pour la protection... Et Ambrose ne croyait pas trop à ce destin qui les lierait à cet endroit pour l'arrivée de ses tantines. Non, il n'adhérait pas à cette idée. Pas du tout. Mais il voyait bien que Sabrina y croyait... Qu'elle avait envie d'y croire. Besoin, même. Alors, il ne disait rien, ne voulant pas la blesser.

« Je suis obligé de te suivre pour te protéger. » Des dangers, mais aussi d'elle-même. Elle n'était pas prudente et il l'avait déjà perdu une première fois, il refusait que ça recommence. « Ce n'est pas ce que je t'ai dit, mais nous aurions pu revenir plus tard ou je ne sais pas... » Ambrose ne savait plus quoi dire pour convaincre sa cousine ou lui faire comprendre ses imprudences. Elle avait quelque chose en tête et lorsque c’était le cas, elle était trop têtue pour admettre avoir tort. Ils étaient donc tous les deux en train de perdre leur temps.

Agacé, il avait fini par se demander comment ses tantines n'avaient jamais eu envie de l'abandonner dans une vieille grange, comme celle-ci. Bien sûr, il n'était pas sérieux, mais... C'était l'idée qui importait, ce qu'il essayait de lui faire comprendre... Il ne voulait pas vraiment que sa cousine soit abandonnée, pas réellement. « On devrait remonter le temps alors et leur dire de le faire ! » Ils ressemblaient à deux enfants en train de se chamailler, en train de se dire des horreurs pour faire comprendre l'un à l'autre son point de vue. « Tu sais bien que ce n'est pas ce que je voulais dire. » Il était capable de reconnaître, à sa façon, qu'il avait été un peu trop loin.

Ambrose n'avait pas envie de passer la soirée à se disputer avec Sabrina, malgré ce que l'on pourrait penser. Il n'était pas à l'aise et la situation ne le rassurait pas le moins du monde, mais il voulait faire un effort pour ne pas transformer une soirée compliquée en une soirée impossible. « D'accord, d'accord... On arrête de s'engueuler et de chercher qui est le responsable ! » Ils allaient passer une bonne soirée. Essayer, tout du moins. « Tu veux raconter une histoire qui fait peur ? C'est l'ambiance idéale ! » proposait-il pour changer de sujet et calmer la situation.

Ces derniers temps, Sabrina n’était plus vraiment elle-même. L’absence de ses proches, la peine qu’elle ressentait et les mauvaises influences faisaient que la sorcière se comportait parfois étrangement. Sabrina n’avait jamais vraiment été le genre de fille très optimiste. Elle n’était pas, non plus, le genre de fille à voir tout le temps le bon côté des choses. Seulement, cette fois-ci, elle avait envie d’être cette personne. Surtout que, malgré tout, tout semblait avoir été fait pour les protéger. Sans magie, ils devaient rentrer sous la neige. Seulement, cette tempête était assez violente, tout comme le froid glacial qu’il faisait à l’extérieur. Les enfermer ici, c’était, en quelque sorte, les protéger. « Oui, bien sûr, mais je suis sûre qu’il y a une explication. » Répondit-elle alors. S’ils n’avaient plus leurs pouvoirs, c’était pour une bonne raison. S’ils étaient forcés à rester enfermer ici, ça voulait également dire qu’il y avait une bonne raison. Sabrina voulait y croire. Elle refusait d’écouter Ambrose. Elle refusait d’écouter sa petite voix intérieure. Elle savait bien au fond, que tout cela n’avait rien de rassurant. Elle savait que ce que la ville venait de faire n’était pas pour leur bien. Mais elle voulait y croire. En ce moment, la demi-sorcière allait mal et quand elle allait mal, elle était du genre à se comporter comme ça.

« Je n’ai pas besoin qu’on me protège Ambrose. » Lâcha-t-elle avec agacement. Elle n’était plus une enfant, elle n’avait plus besoin d’être protégée. Elle était assez grande pour le faire elle-même. « Nous sommes sur place, je n’allais pas partir pour revenir plus tard. Je voulais chercher. J’avais besoin de chercher pour être certaine de ne rien rater. Si nous étions partis, nous aurions pu rater quelque chose d’important. Une chose qui aurait pu ne plus être là dans quelques jours. » Certes, ils n’avaient rien trouvé. Ils étaient donc restés pour rien. Mais en repartant, Sabrina aurait eu l’impression de passer à côté de quelque chose.

Agacé par la situation ou pour chercher à blesser Sabrina, Ambrose avait dit une phrase que la jeune sorcière avait beaucoup de mal à entendre. Il disait qu’il ne savait pas comment leurs deux tantines n’avaient jamais songé à abandonner Sabrina. Une phrase blessante à entendre. Et Sabrina n’avait pas manqué de le faire remarquer à Ambrose, en surenchérissant, en disant, qu’en effet, ils auraient mieux fait de le faire, ainsi, elle n’aurait pas eu à le supporter. Bien évidemment, Ambrose avait répondu, disant qu’ils devaient donc remonter le temps pour leur dire de le faire. Mais Sabrina n’avait pas eu le temps d’ajouter quoi que ce soit, puisque son cousin avait aussitôt repris la parole, disant, d’un ton plus calme, qu’elle savait très bien que ce n’était pas ce qu’il voulait dire. « J’en doute parfois sérieusement ! » Lâcha-t-elle en guise de réponse. Elle savait que son cousin l’aimait comme une sœur et elle l’aimait tout autant. Elle savait aussi qu’il n’avait pas envie de la faire disparaître de sa vie et Sabrina n’avait pas envie de disparaître de la sienne. Mais il lui arrivait parfois de douter de certaines choses. Sabrina n’était pas facile à vivre et elle ressentait parfois que ses proches lui échappaient et cette sensation lui faisait terriblement peur. Et cette peur lui faisait parfois dire ou faire des bêtises.

Malgré la situation, Sabrina avait envie de passer une soirée agréable. En tout cas, elle n’avait pas envie de passer la soirée à s’engueuler avec Ambrose. Cela n’allait rien leur apporter. Pire encore, se disputer allait les distraire. Donc, si un potentiel danger se présentait à eux, ils n’allaient pas avoir le temps, ni la possibilité de réagir correctement. Et Ambrose semblait d’accord avec la demi-sorcière. Il n’avait pas envie de passer la soirée à chercher qui était plus coupable que l’autre et il n’avait pas envie de passer la soirée à s’engueuler avec sa cousine. « Je préfère quand c’est toi qui les racontes. Tu es resté longtemps assigné à résidence, mais tu connais des tas d’histoires et tu sais si bien les raconter. » Lâcha-t-elle avec calme, oubliant tout ce qui venait de se passer entre eux. L’ambiance était parfaite pour se raconter des histoires effrayantes, mais Ambrose était plus doué qu’elle dans ce domaine. Il savait raconter et surtout, il connaissait des tas d’histoires, contrairement à elle qui ne connaissait que ce que les films d’horreurs lui avaient appris, en grande partie.

Il était parfois difficile de garder son calme face à Sabrina et son entêtement. Elle ne voulait jamais rien entendre, jamais rien écouter et elle n'en faisait toujours qu'à sa tête. Une vraie Spellman. « Si, Sabrina, tu as besoin qu'on te protège. Qu'on te protège de toi-même ! » Rétorqua-t-il agacé, mais sans hausser le ton. Elle ne faisait jamais attention aux risques qu'elle prenait et elle en était morte une première fois. Etait-elle donc si égoïste pour ne pas penser à ce qu'Ambrose avait déjà dû vivre une première fois et n'avait pas envie de revivre une deuxième fois ? Elle se jetait sans cesse dans la gueule du loup et il fallait donc la protéger contre son propre comportement. « Sabrina, il n'y a rien ici ! Des choses importantes que tu rates, il peut y en avoir partout, tu ne peux pas fouiller tous les endroits de cette maudite île en même temps juste au cas où... » Donc son excuse n'était pas valable à ses yeux. Ils auraient pu revenir ou renoncer à cette indice - d'autant qu'ils n'étaient même pas certains qu'il y avait quelque chose. L'excuse d'être sur place ne fonctionnait pas non plus, ils pouvaient se téléporter ici en un instant. Donc rien ne justifiait le comportement de Sabrina pour rester dans cette grange.

Agacé, mais pour plaisanter, il avait dit que ses tantines auraient mieux fait de l'abandonner, histoire qu'il soit tranquille. Sabrina était vexée. Il ne comprenait pas bien pourquoi cette phrase lui faisait tant de mal, mais il s'excusait en expliquant qu'il ne le pensait évidemment pas. Sa cousine était la personne la plus importante à ses yeux et jamais il ne voudrait ne plus l'avoir dans sa vie. « Sabrina, avec tout ce que je suis capable de faire pour toi... Tu ne peux pas en douter ! » Il la suivait partout dans ses aventures, il lui venait en aide quitte à se mettre en danger lui-même, il la soutenait... Non, elle n'avait pas le droit d'en douter. Il faisait des erreurs, disait parfois des choses qui dépassait sa pensée, mais il l'aimait et elle le savait. En douter était douter de lui.

Malgré tout, ils n'avaient pas envie de passer la soirée à se disputer ou à se chercher des histoires. Quitte à être coincé ici, autant en profiter pour passer une bonne soirée et discuter. Inutile de perdre de l'énergie à rien. Sabrina voulait donc qu'il lui raconte une histoire, après qu'ils s'étaient installés aussi confortablement que possible dans cette vieille grange pour ne pas mourir de froid. Il devait donc raconter quelque chose. Elle ne voulait pas ou ne savait pas quoi dire, malgré la proposition du sorcier de la laisser commencer puisqu'il s'agissait de son idée. « Tu as de bonnes excuses, comme toujours. » Plaisanta-t-il alors que sa cousine justifiait le pourquoi il devait être celui qui raconte l'histoire. « Tu veux une histoire en particulier ? Un sujet particulier ? » Quelque chose qu'ils avaient réellement vécu, quelque chose qu'il inventait, quelque chose de nouveau, une histoire qu'il lui avait déjà racontée et qu'elle aimait particulièrement ? Après tout ce qu'ils venaient de se dire, il avait envie d'oublier et de lui faire plaisir en lui racontant ce qu'elle avait envie d'entendre.