Manipulation ▿ Sabrina.

Appartement miteux. Immeuble miteux. Katherine était, comme à chaque fois, ravie de franchir le seuil de son palace. Il n'y avait pas un jour où elle ne rêvait pas d'arracher la tête à celui qui osait louer des appartements dans cet état, à ce prix-là. Elle en aurait presque de la pitié pour les pauvres mortels et humains qui devaient se contenter de ça toute leur vie. Elle, elle savait que ce n'était que temporaire - enfin, temporaire... Elle se disait ça depuis cinq ans, c'était du temporaire long - et qu'un jour ou l'autre, elle aurait le plaisir de pouvoir obtenir tout ce qu'elle voulait grâce à la manipulation. Pour les autres... Condamnés à cette vie minable... Non, vraiment, elle avait une pointe au coeur et de la pitié.

Aujourd'hui n'était pas un jour comme les autres. Aujourd'hui, Katherine avait demandé à Sabrina de lui rendre une petite visite. Pour l'occasion, elle n'avait fait aucun effort sur le rangement ou sur la préparation de cette visite. Sabrina se contenterait parfaitement de ce qui traînait dans le frigo ou les placards si elle voulait quelque chose à boire ou à manger. Après tout, même si elle se faisait passer pour sa grande amie, cette fille n'était qu'une pièce de son plan - une pièce très importante, cependant.

Sabrina, elle l'avait rencontrée un peu par hasard, au détour d'une aventure qui avait poussé cette dernière à montrer l'étendue de ses pouvoirs et de ses capacités. Autant dire que Katherine avait été impressionnée, mais surtout très intéressée par cette gamine capable de tant de choses. Elle serait un point essentiel de sa vengeance. Depuis, elles se voyaient assez régulièrement et Katherine jouait à l'amie dévouée qui tentait de libérer tout le potentiel de la sorcière - elle était déjà très libre, mais elle se limitait encore au nom d'une pseudo-morale ridicule. Il lui fallait une sorcière puissante, capable de tout sans réfléchir. Pour cela, il fallait user de manipulation, mais ça n'avait jamais dérangé Katherine de le faire.

Afin de la motiver dans sa tâche, Katherine lui avait fait part de ses propres capacités. Et, bien sûr, elle en avait inventé un certain nombre, notamment le très pratique je suis capable de retrouver ta famille grâce à mes pouvoirs de reine des Enfers si je survis jusque-là. C'était très motivant, étrangement, pour quelqu'un qui était autant attaché aux siens. En réalité, elle ne comptait pas l'aider à retrouver les siens. Mieux encore, elle comptait sans débarrasser à l'instant où elle aurait obtenu ce qu'elle voulait et à l'instant où Sabrina aurait fait ce qu'elle avait à faire. Inutile de s'encombrer des larbins devenus inutiles.

A demi allongée sur son vieux canapé inconfortable, Katherine attendait donc impatiemment l'arrivée de Sabrina, prête à lui faire son petit discours manipulateur, comme à chaque fois, prête à jouer avec ses émotions et ses sentiments, comme à chaque fois.

Voilà quelques semaines que Sabrina avait rencontré Katherine. Elles s’étaient retrouvées, toutes les deux, dans un nouveau piège de la ville et pour sortir de là, Sabrina n’avait pas eu d’autres choix que de se servir de ses pouvoirs. Et c’est grâce à cela que les deux femmes sont restées en contact. Katherine n’était pas une simple mortelle. Ce monde ne lui avait pas encore rendu ses pouvoirs, mais elle avait, autrefois, était reine des Enfers elle aussi. Ses pouvoirs étaient différents de ceux de Sabrina et pour la sorcière, il avait une certaine importance. Katherine avait le pouvoir de retrouver la famille de Sabrina. Vraiment. Elle était capable de les localiser avec précision, de les suivre à la trace. Mais pour cela, il fallait que Katherine retrouve ses pouvoirs. Et Sabrina était prête à attendre le temps qu’il fallait. En attendant, les deux femmes étaient devenues amies - enfin, Sabrina croyait qu’elles l’étaient devenues - et elles se voyaient régulièrement. Avec elle, Sabrina avait l’impression de pouvoir parler de magie sans avoir à se cacher. Elle pouvait tout dire, n’avait pas besoin de se retenir, parce que Katherine ne la jugeait jamais, au contraire, elle était plutôt du genre à l’encourager dans ses projets. Elle était même essentielle dans la vie de sorcière de Sabrina, puisque grâce à elle, Sabrina avait l’impression d’être plus puissante encore. Elle n’avait pas retrouvé tous ses pouvoirs, mais avec Katherine, elle avait l’impression qu’elle était capable de faire tout ce qu’elle voulait et que le reste de ses pouvoirs n’étaient qu’un plus. Seulement, Sabrina ne voyait pas tout le jeu de manipulation qu’il y avait derrière tout cela. Elle avait confiance en Katherine, à tort, mais c’était simplement parce qu’elle était aveuglée par les promesses de la brune, par ses doux sourires et ses airs d’innocentes. Une comédie qu’elle jouait à la perfection, puisqu’elle avait réussi à berner Sabrina, qu’elle avait réussi à entrer dans sa tête et avait commencé à guider son pantin comme elle le désirait, la modelant à sa façon pour pouvoir servir ses intérêts, sans que la pauvre Sabrina ne voit quoi que ce soit arriver.

Puisque les deux femmes devaient se voir, Sabrina était passée à la boulangerie, elle avait pensé que les deux amies allaient pouvoir discuter de tout et de rien, tout en dévorant quelques viennoiseries. Alors, c’est avec quelques sachets en main, qu’elle avait débarqué chez Katherine. La blonde avait toqué à la porte et Katherine était venue lui ouvrir. « Je suis contente de te voir. » Un fait qu’elle pensait réciproque, à tort. « J’ai apporté des viennoiseries. Comme je savais pas trop ce que tu aimais, j’ai pris un peu de tout. » Comme une gentille amie dévouée et attentionnée.

Sa marionnette venait tout juste d'arriver. Katherine s'était levée de ce canapé qu'elle ne supportait plus pour se diriger vers la porte, prendre un air de circonstance, et ouvrir. Avec le sourire, elle avait accueilli cette fameuse amie, Sabrina. « Sentiment partagé. » Avait répondu Katherine quand la sorcière lui avait avoué être heureuse de la voir. Ce n'était pas totalement faux, après tout. Elle était véritablement heureuse de la voir, il fallait bien prendre des nouvelles de son pantin et s'assurer que tout se déroulait comme prévu. Il ne fallait jamais rien laisser au hasard, il était donc important de s'assurer que ses alliés étaient toujours des alliés.

Dans une autre vie, elles auraient peut-être pu être de véritables amies. Après tout, les deux femmes se ressemblaient énormément. L'une était sorcière, l'autre vampire, mais elles étaient surtout toutes les deux reines des Enfers. Elles n'aimaient pas les limites qu'on leur imposait, elles étaient prêtes à tout pour leur liberté et il était impossible de leur retirer une idée de la tête. Vraiment, elles avaient de nombreux points communs. Cependant, Katherine n'était pas là pour se faire de véritables amis. Tout ce qu'elle désirait, c'était des alliés, des pantins à utiliser pour se venger de ceux qui l'avaient trahie autrefois. L'amitié viendrait peut-être un jour, mais elle en doutait.

« Oh, c'est vraiment gentil ! » Affirma Katherine en observant les sachets que son amie lui tendait. Il y en avait pour tout un régiment, mais elle n'allait pas s'en plaindre - ça ferait mauvais genre. « Je te sers quelque chose à boire ? » Parce qu'il fallait jouer le jeu de l'hôte attentive et attentionnée pour garder la petite sorcière dans sa poche. « Alors, dis-moi tout, comment vas-tu ? » Elle espérait simplement qu'il n'y avait pas de nouvelles retrouvailles dans l'air. Si Sabrina retrouvait les siens, les promesses de Katherine n'auraient plus aucune valeur et elle perdrait alors son avantage. Le mieux, finalement, ne serait-ce pas de retrouver les proches de Sabrina avant elle pour les tuer et se débarrasser de ce problème ? Mais sans pouvoir, c'était risqué, ce n'était donc pas une décision à prendre à la légère. Puis, il n'y avait pas d'urgence - enfin, elle l'espérait.

Revoir Katherine était vraiment plaisant. Quand elle était avec elle, Sabrina avait l’impression d’être en bonne compagnie. Elle avait l’impression d’être avec une amie sincère et fidèle, mais en réalité, il n’en était rien. Katherine se servait d’elle et se moquait bien de savoir comment elle allait, elle n’avait pas envie de l’entendre parler de ses problèmes… Seulement Sabrina était bien trop naïve sur ce coup. Elle voyait en Katherine, une amie parfaite, une âme charitable, à l’écoute et prête à tout pour aider les autres. C’est pour cela qu’elle était contente de la voir, pour cela qu’elle cherchait à l’aider et pour cela qu’elle était toujours plein de bonnes intentions à son égard. Surtout que Katherine était une bonne actrice, sachant jouer les filles parfaites et les amies attentionnées. Lorsque Sabrina lui montra toutes les viennoiseries qu’elle avait achetées avant de venir chez elle, Katherine avait affirmé que cette attention était gentille, ce qui avait fait sourire la sorcière. « Je veux bien un jus de fruits, si tu as. » Demanda-t-elle, souriante, avant de s’installer dans le canapé de son amie. Elle avait l’habitude de venir et Katherine lui disait toujours de faire comme chez elle, alors elle avait fini par ne plus attendre l’autorisation de s’asseoir.

« Honnêtement, ce n’est pas la grande forme. » Commença-t-elle avec franchise. Elle n’allait pas très bien ces derniers temps, sa famille lui manquait, la fac n’était plus sa priorité et son cousin était devenu un adulte trop responsable à son goût. « Je n’arrive plus à me concentrer sur mes études en ce moment. J’ai eu quelques notes et elles ne sont pas très bonnes. » Et pour être honnête, elle ne savait pas si cela l’affectait réellement. « Sans oublier, que mes proches me manquent vraiment et que toutes les pistes que j’exploite ne mènent à rien. » Pour le plus grand plaisir de Katherine, ce que Sabrina ignorait totalement. « Et il y a mon cousin. Je sais qu’il fait ça pour moi, mais il est parfois… Rrh.. Insupportable. Parfois, j’ai l’impression d’être une enfant avec lui. » Même si des fois, il était insupportable, Sabrina l’adorait et elle était heureuse de l’avoir dans sa vie, mais ça ne l’empêchait pas de vouloir s’en plaindre parfois. « Et toi ? Des nouveautés ? » Côté pouvoirs surtout. Bien évidemment, Sabrina s’intéressait sincèrement à ce qui avait pu lui arriver ces derniers temps, mais elle voulait aussi savoir si elle avait retrouvé ses pouvoirs - ceux qui n'existaient pas, alors que Sabrina comptait sur eux - pour l’aider à retrouver ses proches.

Katherine aurait aimé l'envoyer promener, mais elle ne le pouvait pas. Alors, elle s'était contenté de hocher la tête, un sourire aux lèvres, avant d'aller lui servir ce foutu verre de jus de fruits. Pendant ce temps, Sabrina s'était installée et Katherine l'avait rejoint avant de lui tendre son verre et de s'installer à son tour.

Comme toujours, elle jouait l'amie parfaite et attentionnée. La première chose à faire était donc de prendre de ses nouvelles - et pourtant, ce qu'elle pouvait s'en moquer. Bien sûr, Sabrina se trouvait obligée de dire la vérité et de lui faire part que ce n'était pas la grande forme. Mais elle prenait Katherine pour sa psy ? Heureusement qu'elle avait besoin d'elle, sans quoi, jamais elle n'aurait eu la patience de supporter cette insupportable gamine capricieuse et incapable de se satisfaire de quoi que ce soit - oui, oui, c'était l'hôpital qui se foutait de la charité, clairement.

Faussement concernée, la jeune femme hochait la tête de temps à autre alors que Sabrina détaillait le pourquoi du comment. Il lui fallait faire un effort surhumain pour écouter, mais bon... Il fallait bien faire quelques sacrifices pour obtenir ce que l'on voulait. « Pour tes études, ne te fais pas de soucis avec ça. Ça arrive, tu te rattraperas plus tard. » Et pour ce à quoi ça servait, franchement... Sabrina ne verrait certainement pas le début de l'année prochaine puisque Katherine avait pour ambition de s'en débarrasser aussitôt sa vengeance accomplie. Inutile, donc, qu'elle s'embête avec les études. « Pour tes proches, sois patiente ! Je t'ai promis de les retrouver. » Mensonge, évidemment. Mais entretenir l'espoir de cette jeune sorcière était jouissif, elle devait l'avouer. « Montre-lui que tu es capable de faire tes propres choix. Pourquoi tu ne partirais pas de chez lui quelque temps ? Histoire de lui montrer que tu es une adulte et que tu peux te débrouiller. » En réalité, son seul but était de l'éloigner de sa famille restante, celle qui risquait de la faire rester dans le bon camp, mais il ne fallait pas être trop frontale ni trop directe.

« Malheureusement, non. » Avoua-t-elle dans un soupir, plein de faux désespoir. « Ça va plutôt bien, malgré tout, mais... La vie ici n'est pas toujours facile. » La grande Katherine dans toute sa splendeur et son jeu d'actrice. « Et, niveau pouvoir... Rien non plus. » Malheureusement pour la pauvre petite Sabrina qui ne pourrait pas retrouver sa famille - et même avec elle n'aurait pas pu, d'ailleurs, mais ça, elle ne le savait pas.

Katherine jouait les amies parfaites et avec elle, Sabrina avait l’impression de pouvoir être elle-même. Elle avait l’impression de pouvoir lui parler de ses problèmes et surtout, pour une fois, elle avait l’impression d’être comprise et écoutée. Bien évidemment, tout cela était faux, mais Sabrina était sans doute trop mal, trop naïve et trop remplie d’espoir pour remarquer quoi que ce soit, sans oublier que Katherine était une très bonne actrice. « Tu as raison. » Sabrina avait du mal à se concentrer sur ses études. Elle habituellement bonne élève avait beaucoup de mal à travailler, elle séchait beaucoup de cours, ne rendait pas forcément les devoirs attendus… Mais Katherine avait raison, elle allait pouvoir se rattraper plus tard, quand elle irait mieux, quand ses proches seront là, auprès d’elle. Et puis s’il le fallait, elle redoublerait son année, après tout, il n’y avait aucun mal à ça, sa famille était sa priorité. « Je ne doute pas de toi, je sais que tu y arriveras, je te fais confiance. » Elle avait été patiente, mais le manque commençait à trop se faire ressentir. Katherine lui avait promis de les retrouver, elle savait qu’elle allait les revoir, elle lui faisait confiance - à tort - mais le temps était long. « Pour aller où ? Je n’ai nulle part où aller, sauf au Lux, mais je n’ai pas envie d’y passer tout mon temps. » Sabrina aimait son père adoptif, mais elle ne se voyait pas vivre avec lui tous les jours. « Et puis, je ne veux pas laisser Ambrose. Il m’agace parfois, mais c’est mon cousin et je tiens énormément à lui. » Elle ne tenait pas à lui faire de la peine. C’était hors de question. Elle savait que, parfois, ils n’étaient pas sur la même longueur d’ondes, mais ils avaient presque toujours vécu sous le même toit et Sabrina aimait bien, malgré tout, cette collocation.

Katherine retrouverait ses pouvoirs un jour ou l'autre, elle en était certaine. Cependant, elle ne ferait rien de ce qu'elle avait pu promettre à Sabrina. D'abord, parce qu'elle n'en avait pas les moyens. Ensuite, parce qu'elle n'en avait aucune intention. Aider les autres, ce n'était pas son truc - celui de son sosie, oui, mais pas le sien. « Ça me touche, ce que tu dis. Je ne sais pas si quelqu'un a déjà eu confiance en moi de cette façon avant toi... » Souffla-t-elle, en baissant les yeux. Mais sérieusement, qu'attendait-on pour lui décerner la palme d'or ? Un titre de meilleure actrice ? Quelque chose, quoi ! Ne le méritait-elle pas avec ce petit regard larmoyant, ces yeux baissés, ces mots soufflés ? Pauvre Sabrina, elle n'y voyait que du feu et Katherine en profitait en exagérant bien comme il le fallait.

« Tu as des pouvoirs, sert-en pour te trouver un endroit où passer quelques semaines. » Inciter la petite sorcière à se servir de ses pouvoirs pour manipuler, ça aussi c'était plaisant à souhait. Plus elle la conduirait du mauvais côté, d'abord par de petites actions qui ne faisaient de mal à personne, plus il serait simple de la manipuler et de la convaincre à faire du mal aux bonnes personnes. « Je t'aurais bien proposé de venir ici, mais c'est minuscule, on se marcherait dessus. » Disait-elle, d'un air désolé. Elle n'avait déjà pas de chambre pour elle, alors vivre à deux... Non, merci ! D'autant que Katherine aurait en horreur de devoir jouer cette petite comédie en permanence. C'était un jeu qu'elle aimait, mais avec parcimonie. Alors non, même pour toutes les manipulations du monde, elle ne l'hébergerait pas. « Eh, je sais que tu tiens à lui et je ne te demande pas de l'abandonner, évidemment. » Non, bien sûr que non - pas encore, en tout cas. « Je sais que tu l'aimes énormément, mais tu dois penser à toi parfois. Et, ça ne peut vous faire que du bien à tous les deux. Au début, ce sera peut-être difficile et il t'en voudra peut-être, mais il finira par comprendre ce dont tu es capable et il aura moins peur pour toi. » Il fallait la convaincre que c'était quelque chose de difficile à faire sur le coup, mais quelque chose qui finirait par leur rendre service, à tous les deux.

Manipuler était l'un des jeux favoris de la jeune femme. Il y avait quelque chose de grisant à jouer avec l'esprit et les sentiments de quelqu'un qui n'y voyait que du feu. Il y avait quelque chose d'excitant à savoir jusqu'où l'on pouvait conduire une personne à faire ce que l'on voulait d'elle. Sabrina était une pièce maîtresse dans les plans de Katherine. Elle était sa vengeance. Son instrument. Pour la conduire là où elle voulait, elle devait faire en sorte de manipuler jusque dans les moindres détails de sa vie afin de l'éloigner de ses principes et de sa famille. Comment était-ce possible d'être autant attaché à quelqu'un ? Pire encore, comment celle qui se prétendait être la fille du diable pouvait avoir une telle moralité ? Katherine avait presque l'impression de lui rendre service en brisant les chaînes qu'on lui avait imposées en la bridant toutes ces années.

« Tu sais... » Commença-t-elle en soufflant, « je n'ai pas eu beaucoup de chances jusqu'à présent avec mes rencontres... Je tombe sur les mauvaises personnes et... » Baisser les yeux pour faire semblant d'être affectée. Réussir à avoir les yeux humides comme si l'on était à deux doigts de pleurer. « Alors peu de gens m'ont fait confiance... parce qu'ils me manipulaient trop pour cela. » Incroyable, n'est-ce pas, ce talent à inverser la situation et à se faire passer pour la victime de ce qu'elle infligeait elle-même ? Intelligent. Génial, même. Attiser sa pitié jusqu'à la pousser à lui faire absolument et entièrement confiance pour qu'elle fasse très exactement ce qu'elle demandait - histoire de lui montrer que des gens pouvaient lui faire confiance, tout ça, tout ça. La manipulation dans toute sa splendeur.

La première et la plus importante de toutes les étapes était de convaincre Sabrina de s'éloigner de sa famille et, surtout, de son cousin. Il fallait y aller doucement et la convaincre sans la brusquer - mais Katherine n'aimait pas devoir attendre, même si elle avait appris la patience depuis fort longtemps. « Tu sais quoi ? Tu oublies ça pour l'instant, tu auras tout le temps d'y réfléchir plus tard... » Aujourd'hui, demain - le plus vite possible parce que, merde, ça n'allait quand même pas prendre trois siècles cette histoire ! « Ambrose a beaucoup de chance de t'avoir et je sais que tu prendras la meilleure décision pour lui et pour toi. Celle qui vous permettra d'être plus heureux tous les deux. » C'est-à-dire celle que Katherine avait décidé et choisi pour eux. « On devrait parler d'autre chose, qu'est-ce que tu en penses ? » Proposa-t-elle en se redressant, histoire de ne pas donner l'impression de trop insister. « Ou faire un peu de magie ? » Katherine incitait Sabrina à s'entraîner souvent, à utiliser fréquemment ses pouvoirs. Officiellement pour elle, pour l'aider, officieusement, pour qu'elle soit prête le moment venu.

Sabrina avait confiance en Katherine. À ses yeux, elle était une véritable amie. Une personne sur qui elle pouvait compter. Une personne en qui elle pouvait avoir confiance. La sorcière n’avait pas conscience de tout ce qui se tramait dans l’esprit de Katherine. Elle n’avait pas conscience que tout cela n’était qu’un jeu pour la brune. À ses yeux, les personnes qui côtoyaient la brune avaient beaucoup de chance de l’avoir dans leur vie. À ses yeux, tout le monde lui faisait confiance, parce qu’il n’y avait aucune raison de se méfier d’elle. Katherine faisait beaucoup de peine à Sabrina. La jeune femme était empathique et voir son amie triste, la rendait elle-même triste. « Je suis vraiment désolée pour toi, Katherine. » Dit-elle en posant une main sur le bras de son amie. « Tu n’as plus à être triste pour toutes ces mauvaises rencontres. Ces gens ne sont plus dans ta vie et c’est très certainement mieux comme ça. Les manipulateurs n’ont pas leur place dans la vie des gens bien. » Ajouta-t-elle souriante, se voulant rassurante. Après tout, Sabrina avait raison, les manipulateurs n’avaient rien à faire dans la vie de Katherine, comme elle jugeait qu’ils n’avaient pas leur place dans sa vie. Alors son amie n’avait pas à être triste, elle devait oublier les mauvais côtés de tout cela et se réjouir de ne plus avoir ce type de personnes dans sa vie.

Sabrina n’avait pas compris que celle qui était manipulée, c’était elle. Le but de Katherine était de l’éloigner de sa famille. Elle voulait que Sabrina s’isole. Elle voulait surtout que Sabrina n’ait plus rien à perdre. Elle voulait que Sabrina n’ait plus aucun attache. La fille du diable n'était autre qu’un pion dans le plan de Katherine. Elle devait penser comme l’ancienne vampire, elle devait faire tout ce que Katherine lui demandait de faire et personne ne devait pouvoir l’en empêcher. Il était donc important pour Katherine, que la famille de Sabrina ne soit plus dans les parages, tout comme ses amis. C’est pour cela qu’elle faisait tout pour que la sorcière quitte l’appartement de son cousin. Mais il était encore un peu tôt pour que Sabrina ne cède à cette “requête”. Malgré tout, Sabrina lui promettait de réfléchir à ce qu’elle venait de lui dire. La blonde n’avait pas envie de s’éloigner de son cousin, mais elle n’avait pas envie d’être un poids pour lui. Et elle n’avait pas non plus envie d’être bridée toute sa vie. Tout comme elle n’avait pas envie d’être considérée comme une enfant têtue et imprudente pour l’éternité.

Sabrina n’avait pas envie de discuter de tout cela toute la soirée, même si ça faisait beaucoup de bien de pouvoir discuter avec Katherine, parce qu’elle se sentait comprise et écoutée. Alors lorsque la brune lui avait dit qu’elle allait oublier ça pour l’instant et qu’elle avait le temps d’y réfléchir, Sabrina lui avait fait un signe de tête. « Tu as raison. » Lâcha-t-elle simplement. Pas mécontente de se concentrer sur un autre sujet. « J’espère en être capable. Sincèrement. Je tiens trop à mon cousin pour ne pas regretter et m’en vouloir d’avoir pris la mauvaise décision. » Sabrina allait vraiment prendre le temps de réfléchir. Elle ne voulait pas prendre de décision à la hâte. Elle savait que d’après Katherine, le mieux pour elle et son cousin, c'était que Sabrina parte, qui l’appartement de son cousin, qu’elle s'éloigne un peu de lui. Seulement, Sabrina ne savait pas si cette solution était la meilleure et surtout, elle ne savait pas si elle était capable de la prendre. Elle tenait beaucoup à Ambrose et elle ne savait pas si elle pouvait vivre en l’éloignant d’elle. « Je suis partante pour un petit tour de magie. » Sabrina aimait beaucoup discuter avec ses amis, mais elle aimait encore plus faire de la magie en leur compagnie. Alors si elle devait choisir entre les deux, le choix n’était pas difficile. « Tu as une idée de ce que tu voudrais qu’on fasse ? » Sabrina lui laissait le champ libre, elle pouvait choisir ce qu’elles allaient faire avec la magie de Sabrina.

Désolée pour elle. Combien avaient été désolés pour elle avant de se rendre compte de son petit jeu ? Pourtant, et même avec le temps, Katherine aimait toujours autant entendre les gens être désolés pour elle. Elle aimait toujours autant lire de la pitié sur leur visage et de la tristesse dans leurs yeux. Elle aimait voir la compassion dont ils faisaient preuve alors qu'elle les utilisait simplement, qu'elle les manipulait et qu'elle jouait avec eux. Il n'y avait rien de plus plaisant que ça. « Je te remercie Sabrina. Tes mots me touchent. » Répondait-elle à toutes ses gentillesses, un sourire ému sur les lèvres. Ces mots la touchaient tellement... Elle exploserait de rire si elle le pouvait. Si cette petite idiote connaissait la vérité. Si elle n'était pas stupide à ce point... Heureusement pour Katherine qu'elle l'était, mais... C'était amusant, tout de même.

Sabrina avait raison, les manipulateurs n'avaient rien à faire dans la vie de Katherine. En revanche, ils avaient tout à faire dans celle de Sabrina. Enfin, surtout l'une d'eux. Elle. Son objectif était simple : la séparer de sa famille. C'était encore trop tôt pour que cela fonctionne, mais elle travaillait à lui mettre doucement cette idée en tête. Ainsi, elle y penserait d'elle-même et à force d'y penser et de l'entendre, elle s'en convaincrait seule. C'était tout un art. Un art dans lequel la vampire excellait, malheureusement pour la sorcière. Elle évoquait donc l'idée de quitter l'appartement d'Ambrose, tout en insistant sur l'importance de prendre la bonne décision ou le fait qu'elle devait penser à elle parfois. Pas stupide, elle n'insistait pas longtemps et changeait d'elle-même de conversation, comme pour faire semblant qu'elle avait compris que la conversation n'était pas agréable pour son amie et qu'il était préférable d'en changer. « Tout ira bien, je te le promets. Je te fais confiance pour faire ce qu'il faut. » A savoir quitter l'appartement d'Ambrose et travailler à ses ordres en tant que gentille petite sorcière. Le reste ne la concernait pas et elle n'aurait sans doute même pas le temps de retrouver sa famille. Dès que Katherine aurait obtenu ce qu'elle voulait, elle se débarrasserait d'elle pour ne pas avoir de témoin gênant ou persuadé qu'elle lui devait un service.

Pour changer de sujet, elle proposait de parler d'autre chose ou de faire un peu de magie. Katherine prenait très à coeur les progrès de la jeune sorcière. Elle avait besoin d'une sorcière puissante, pas d'une débutante qui ne savait rien. Elle contribuait donc à la perfection de ses pouvoirs et elle l'incitait régulièrement à en faire usage. Comme la vampire s'en doutait, Sabrina avait choisi la magie. Sabrina choisissait toujours la magie. C'était en elle, dans son ADN, elle aimait beaucoup trop cela pour son propre bien, en réalité.

Puisqu'elle lui laissait le choix, Katherine réfléchissait à ce qui lui semblait le plus important. « Soit tu t'entraînes à lancer certains sorts... » histoire d'allier l'agréable à l'utile avec des sorts qui pouvaient être utiles à Katherine. « Soit tu t'entraînes avec un pouvoir que tu ne maîtrises pas encore parfaitement. » Histoire d'être une sorcière puissante et imbattable, maîtrisant à la perfection chacun de ses pouvoirs. « Dis-moi ce que tu préfères, je ne sais pas... » Lui laisser le choix pour lui donner l'impression d'être maîtresse de tout, même des plus petites décisions qu'elle prenait en compagnie de la jeune femme. La manipulation était un travail de longue haleine, un travail qui prenait ses racines même dans des détails paraissant insignifiants aux yeux de beaucoup. Il ne fallait pas faire n'importe quoi. Jamais. Chaque détail avait son importance.

Katherine dégageait quelque chose de touchant. Tout était faux et surjoué, mais Sabrina ne voyait rien. À ses yeux, Katherine était une femme incomprise, gentille -trop peut-être- qui visiblement avait souffert et qui, surtout, avait besoin de son aide. Sabrina avait toujours été prête à tout pour ses amis. Et à ses yeux, Katherine était une véritable amie. Une amie qu’elle avait envie d’aider par-dessus tout. Alors à sa réponse, Sabrina lui offrait un sourire sincère. Katherine semblait tout aussi sincère avec Sabrina. Elle semblait très attentionnée envers son amie. Elle prétendait vouloir son bien, en lui disant de prendre ses distances avec Ambrose. Bien évidemment, elle n’avait pas insisté longtemps sur ce point, mais elle l’évoquait régulièrement, dès que Sabrina disait à quel point Ambrose pouvait être moralisateur, dès qu’elle disait à quel point il ne semblait pas la comprendre. Bien évidemment, Sabrina tenait trop à son cousin pour agir, pour l’abandonner ou pour prendre ses distances. Katherine semblait dire que c’était le mieux pour Sabrina, mais même si elle y avait déjà songé, elle n’était pas prête à sauter le pas. Ambrose était désormais sa seule famille et elle tenait bien trop à lui. Mais Katherine était particulièrement intelligente et fourbe. Elle savait trouver les mots pour manipuler Sabrina. En lui évoquant le fait qu’en restant, elle risquait de mettre sa relation avec son cousin en péril. Bien évidemment, elle ne disait pas clairement les choses, mais elle les faisait comprendre. Et Sabrina doutait, elle allait réfléchir pour prendre la bonne décision, pour ne pas faire une erreur qu’elle pourrait regretter, pour prendre la meilleure décision pour conserver la relation qu’elle avait avec son cousin.

Puisque Sabrina n’avait pas l’air de trop vouloir insistait sur le sujet - et puisque Katherine savait que cela n’avait rien de bon pour son affaire - la jeune femme avait changé de sujet. Proposant de faire autre chose. À ses propositions, Sabrina avait choisi la magie. La demi-sorcière adorait tout particulièrement se servir de ses pouvoirs. Elle aimait ce qu’elle était. Elle aimait être dotée de pouvoirs. Elle aimait pouvoir l’utiliser sans limite. Avec Katherine, Sabrina l’utilisait souvent, pour s’amuser ou pour essayer d’aider son amie. Et à chaque fois que Katherine proposait entre plusieurs activités, Sabrina choisissait toujours la magie. « Hum… Je choisis de lancer des sorts. » Un sourire aux lèvres, Sabrina étaient impatiente de s’amuser à lancer des sorts. Elle le faisait régulièrement, mais elle ne le faisait jamais vraiment juste pour s’amuser. Elle le faisait quand elle vivait encore chez Sophie, puisque cette dernière aimait s’amuser à faire n’importe quoi avec la magie de Sabrina. Et elle le faisait désormais lorsqu’elle était avec Katherine. « Tu veux que j’ensorcelle une peluche ? Je peux la faire parler si tu veux. Ou tu veux qu’on maudisse quelqu’un ? Une personne que tu détestes. Dis-moi, ce que tu veux faire. » Demanda-t-elle amusait, impatiente de lancer des sorts à n’importe quoi ou n’importe qui, juste pour rire un peu et décompresser.

Katherine avait de nombreux défauts, mais elle était passée maître dans l'art de la manipulation. Sabrina était une victime idéale : naïve, perdue et avec un immense besoin d'attention. Katherine tentait donc de lui mettre certaines idées en tête, sans insister, tout en la poussant à croire que la décision finale viendrait d'elle. En réalité, elle s'insinuait lentement dans son esprit pour la manipuler et la pousser à prendre les décisions qu'elle voulait. Les meilleures décisions pour elle. Pour Katherine, évidemment. Il n'y avait que pour cette raison que Katherine s'encombrait de cette gamine pleurnicharde. D'elle, elle n'en avait rien à faire.

Katherine prenait également grand soin de l'entraîner à utiliser sa magie. Elle devait la développer, être plus forte, si elle voulait lui être utile un jour ou l'autre. Ce n'était pas d'une petite sorcière, faible et incapable de maîtriser la magie dont elle avait besoin, mais de quelqu'un de fort, de prêt à se battre, de capable de grandes choses. La jeune femme proposait donc à Sabrina de discuter d'autre chose que son cousin ou de faire un peu de magie et, sans étonnement, la sorcière avait choisi cette option. Elle choisissait de lancer des sorts. Parfait ! L'apprentissage des sorts était tout aussi important que celui des pouvoirs et elles s'exerceraient sur les pouvoirs une autre fois. Il fallait varier les plaisirs pour ne pas s'ennuyer et pour tout mettre au bon niveau. « Tu peux la faire parler ? Vraiment ? » Demanda-t-elle en se penchant pour attraper une peluche qui traînait sur la table basse. Elle ne savait plus comment elle était arrivée ici, mais elle l'avait depuis des années et elle ne s'en était jamais débarrassée... C'était peut-être parce que c'était ce qui se rapprochait le plus d'une amie pour Katherine - ce qu'elle n'avouerait jamais, évidemment. « On verra pour jouer aux méchantes sorcières plus tard. » Alors que Katherine mourait d'envie de lancer deux ou trois mauvais sorts à des voisins ou anciens collègues, elle jouait la personne raisonnable qui ne voulait de mal à personne en choisissant un sort inoffensif et amusant. Puis, quand elles se seraient bien amusées, elle amènerait le sujet sur quelqu'un qui lui posait problème sans jamais parler de lui lancer un mauvais sort... Non. L'idée viendrait de Sabrina. Ainsi, elle ne pourrait rien reprocher à Katherine et comprendrait que le mal était en elle. Venait d'elle. Maîtresse dans l'art de la manipulation - et sans pouvoir - comme elle l'avait dit...