(Terminé) Discussion entre amies | Clarke

Il y avait des jours - et des nuits - où il était presque impossible de se poser plus de deux minutes sans être débordée de travail de tous les côtés. Il y avait des jours où chaque minute paraissait incroyablement longue parce que les patients ne se bousculaient pas ou parce que les cas étaient tous plus ennuyants et répétitifs les uns que les autres. Il y avait des jours où il s'agissait d'une sorte d'entre-deux agréable, où, sans être débordé, il n'y avait pas le temps de véritablement s'ennuyer. Cette nuit était un peu de cette nuit-là. Ni trop de travail, ni pas assez. Pas trop pour s'épuiser véritablement, pas trop peu pour s'ennuyer à mourir. Les heures avancées tranquillement, Clarke aussi. Les choses se déroulaient plutôt bien et étaient plutôt simples. Pas de cas particulièrement compliqué ou excitant à résoudre - l'hôpital était si loin de la vie qu'elle avait menée autrefois où chaque seconde comptait lorsqu'il s'agissait de sauver une vie ou de soigner quelqu'un. C'était un bien parfois, un mal d'autres fois.

Les heures étaient passées et l'hôpital était plongé dans le calme. C'était reposant après avoir travaillé tant d'heures, il fallait l'avouer. Clarke, désormais, n'avait plus qu'une hâte : rentrer et dormir. Les heures de fatigue s'accumulaient et il devenait difficile de garder les yeux ouverts ou de rester attentive à chaque détail. Clarke avait l'habitude, ces derniers mois plus encore, puisqu'elle se tuait littéralement au travail afin de ne pas penser à ce qui n'allait pas. Néanmoins, même si son but était de s'épuiser jusqu'à ne plus être capable de réfléchir correctement, elle se permettait une pause. D'un pas pressé, elle était donc passée à la machine à café - une délicieuse invention dont Clarke profitait allégrement - avant de sortir prendre l'air, afin de se réveiller pour affronter sa dernière heure avant de pouvoir quitter l'hôpital et rentrer. « Pas trop fatiguée ? » Souffla-t-elle en apercevant Elena, une amie étudiante, avant de s'installer à côté d'elle - et si elle voulait être seule, elle n'aurait qu'à lui dire, tout simplement.

Clarke n'était pas la collègue la plus bavarde qui soit, ni même l'amie exceptionnelle que l'on rêvait d'avoir. Elle essayait, néanmoins, de se montrer agréable et gentille, surtout lorsqu'elle s'entendait bien avec les autres étudiants et médecins. C'était le cas d'Elena. Les deux femmes s'entendaient plutôt bien et discutaient de temps à autre, lorsqu'elles en avaient l'occasion. Elles n'étaient pas des amies proches, mais elles étaient de bonnes amies, malgré tout - selon les critères actuels de la blonde, en tout cas, qui avaient perdu tous ses autres amis, ou presque.

Alors, en l'apercevant, installée, seule sur un banc, elle s'était approchée. Si cette dernière désirait être seule, elle s'éloignerait évidemment, mais elle tentait de le deviner en lui demandant comment elle se sentait, si elle n'était pas trop fatiguée. A sa réponse, elle comprendrait certainement et elle comprenait qu'elle n'avait pas l'air de la déranger. « La journée a été longue. La nuit, aussi. » Souffla Clarke, en souriant et en s'installant aux côtés d'Elena. « Alors, je dois bien avouer que je commence à être épuisée, moi aussi. » Répondit-elle, en reprenant ses mots.

Silencieusement, elle observait loin devant elle, là où ne régnait que l'obscurité, coupée parfois par quelques reflets lumineux, tout en buvant une gorgée de son café bien chaud. C'était agréable, ce genre de moment où il n'y avait presque plus aucun bruit. La ville entière semblait calme, endormie. C'était reposant. « J'aime ce moment de la journée. Enfin, de la nuit. » Elle ne savait pas quoi dire, mais fallait-il forcément dire quelque chose ? Peut-être pouvaient-elles simplement profiter de l'air frais, qui les réveillait, de ce calme, qui les reposait ? L'une à côté de l'autre, comme un soutien silencieux à ce qu'elles ne s'étaient jamais dit, mais qu'elles avaient deviné, dans une certaine mesure. « C'est si calme. On a presque l'impression que rien ne peut nous arriver. » Pas de danger, pas de perte, pas de problème. Face à ce calme, Clarke restait pensive. Elle avait presque l'impression d'être plongée dans un autre monde et ce n'était franchement pas une situation désagréable.

Le silence s'était installé. Il n'était pas désagréable ou gênant. Il était reposant, calme et agréable. Elles étaient ensemble, toutes les deux, à profiter de ce moment de répit. Elles n'avaient pas besoin de parler. Il n'y avait pas besoin de combler les blancs. Pourtant, Clarke avait fini par dire quelque chose. Comme si le calme n'était pas acceptable plus longtemps, comme si elle était obligée de dire quelque chose et de rompre ce silence agréable - de peur, peut-être, qu'Elena s'imagine qu'elle l'ennuyait ? « Oui. » Se contenta-t-elle de répondre dans un souffle, lorsqu'Elena, pour compléter ce qu'avait dit Clarke, avait parlé de la nuit comme d'un moment apaisant. Ça l'était. A cet instant, en tout cas.

A son tour, Elena ajouta quelque chose pour faire la conversation. Elle évoquait l'idée que les deux femmes puissent se voir en dehors de l'hôpital. C'était une bonne idée. Sur bien des points, elles se ressemblaient et il n'était pas impossible qu'elles puissent devenir de bonnes amies. A l'hôpital, elles se croisaient presque tous les jours et elles s'entendaient plutôt bien à chaque fois qu'elles prenaient le temps d'échanger quelques mots. « Ça me ferait plaisir. » Assura-t-elle en se tournant vers elle pour lui offrir un sourire sincère. « Ça nous donnera l'occasion de discuter d'autres choses que l'hôpital. On se parle souvent, mais je ne sais rien de toi. » Constatait-elle. Elles parlaient de l'hôpital et du travail, la plupart du temps. En même temps, Clarke, comme n'importe qui, ne pouvait pas discuter de tout et de rien avec tout le monde, mais avec Elena, c'était différent. Elle avait l'impression qu'elles pouvaient se comprendre sur certaines choses et qu'elle pouvait devenir une compagnie agréable. « J'sais même pas de quel genre de monde tu viens. » Et pourtant, depuis quelque temps, après quatre années passées ici, les langues se déliaient plus facilement et chacun osait expliquer l'endroit d'où il venait, plus ou moins en détails, évidemment.

Puisque Clarke appréciait la compagnie d'Elena dans le cadre du travail, pourquoi ne l'apprécierait-elle pas en dehors ? Elles ne savaient rien l'une de l'autre et se voir en dehors serait l'occasion d'y remédier. Clarke y voyait également un autre avantage. Elle se sentait terriblement seule dans ce monde. Elle avait trouvé des amis et certains étaient particulièrement précieux à ses yeux, mais la solitude était et restait terrible à supporter. Dans son monde, sur l'Arche ou sur Terre, elle avait toujours été très entourée - elle se sentait cependant parfois très seule, mais elle n'en restait pas moins toujours entourée. Elle avait, néanmoins, un vague souvenir d'années de solitude, avec Madi, mais ce n'était qu'un qu'un souvenir justement. Vague et imprécis. Un souvenir qu'elle ne souhaitait pas revivre.

Étrangement, dans ce monde qui ne courrait pas à sa perte, Clarke ne réussissait pas à se lier comme elle l'aurait aimé pour se découvrir une autre façon de vivre. Non. La proposition d'Elena était donc l'occasion idéale pour remédier à tout cela. Mais, avant même de se voir à l'extérieur, elles pouvaient discuter un peu. Et quoi de mieux, pour commencer, que discuter de leur monde d'origine ? Ça en disait long sur elles et sur leur vie d'autrefois. Elena se lançait donc la première. Elle venait d'un monde presque identique à celui-ci et à une époque proche de celle-ci. Au moins, elle ne devait pas être perturbée par les changements - enfin, pas trop - et c'était déjà une très bonne chose. Se réveiller dans une ville inconnue était déjà une épreuve suffisamment éprouvante. La seule différence notable - le seul avantage ? - était que les lieux n'avaient pas cette capacité particulière d'apparaître et disparaître.

Aux quelques informations d'Elena, Clarke se contentait de hocher la tête. Puis, sa collègue avait évoqué la magie, présente chez elle aussi. Elle citait alors des créatures qui existaient et vivaient chez elle, dans son monde. Clarke ne pouvait plus détourner le regard, toujours aussi curieuse de ces choses qui n'existaient pas chez elle, mais qu'elle apprenait à connaître, doucement, avec le temps, depuis qu'elle était ici. « Pas de magie chez moi et pas de créatures, non plus. J'ai appris que tout ça existe depuis que je suis là, mais ça m'étonne toujours autant. » Commença-t-elle, avec un sourire, pour évoquer son monde. « Je viens d'un monde post-apocalyptique. Je suis née et j'ai grandi sur une Arche, dans l'espace, après une guerre nucléaire qui a rendu la Terre inhabitable. » Deux histoires totalement différentes, leur vie passée n'avait rien en commun. « Puis j'ai été envoyée sur Terre avec d'autres jeunes, pour voir si les humains pouvaient à nouveau y vivre et ça a été le début des emmerdes. » Et ça, c'était vraiment peu dire, en réalité.

A la demande d'Elena, Clarke partageait quelques informations sur son monde d'origine. Il était à la fois très différent de celui-ci et, en même temps, il y avait beaucoup de points communs. Ce monde était une sorte de version antérieure au monde qu'elle avait connu. Une version avant catastrophe. Une version qui pouvait encore être sauvée - qui devait ? Son monde était le monde d'après. Celui qui avait connu l'apocalypse. Celui qui avait connu la fin du monde. La fin de presque tout. Son monde était celui où l'humanité s'était réfugiée dans l'espace. C'était là que Clarke était née et avait grandi avant d'être envoyée sur Terre. C'était sur Terre que sa véritable vie avait commencé. Elle avait tout appris là-bas, elle avait grandi, elle avait dirigé. Sur Terre, elle avait découvert ce qu'elle était vraiment. Qui elle était vraiment.

Sans trop entrer dans les détails, Clarke avait donc vaguement évoqué le début de sa vie jusqu'à son arrivée sur Terre. Elena semblait intéressée et elle se questionnait. Dès que quelqu'un commençait à évoquer son monde d'origine, c'était souvent le cas. On s'intéressait, on cherchait à comprendre. C'était parfois tout un monde de nouveautés qui s'ouvrait. C'était intéressant et fascinant. Effrayant, parfois. « Si, elle l'était. » Répondit-elle à la deuxième question, sans avoir eu le temps de formuler une réponse à la première. « La Terre était habitable pour nous qui venions de l'espace. Notre résistance aux radiations étaient suffisantes. » Ceux restaient sur Terre aussi, ceux qui s'étaient terrés, en revanche, ne pouvaient pas vivre à la surface, en extérieur. « On n'était pas seuls. D'autres avaient survécu. Les Natifs. » Difficile d'expliquer facilement une histoire aussi complexe, mais Clarke essayait d'aller à l'essentiel. « Ils nous ont attaqués parce qu'on était sur leur terre. On était des gamins, abandonnés sur une Terre inconnue, sans rien à manger, sans eau et sans arme, attaqués par des gens entraînés, par de véritables guerriers. » Autant dire que ça avait été la merde et que, vu comme ça, Clarke s'étonnait d'être encore en vie. « On s'est battu, on a cherché des accords, des traités... J'ai essayé de diriger le groupe au mieux, mais... J'étais une enfant avec des responsabilités que même des adultes expérimentés ne devraient jamais avoir. On a tenté de sauver tout le monde et... On a perdu beaucoup de nos amis, de nos proches. » C'était ça, la perte qui avait tant marqué sa vie passée. Des pertes qui avaient conduit Clarke à des actes horribles dont elle ne parlait pas, évidemment, pour ne pas voir le regard d'Elena se changer en un regard terrifié et plein de jugement.

Clarke osait se confier sur son monde. Elle ne parlait pas en détails, surtout pas des actes monstrueux qu'elle avait pu commettre au nom de la survie de son peuple, mais elle racontait à Elena, dans les grandes lignes, les débuts de sa vie sur Terre, après avoir quitté l'Arche dans laquelle elle avait grandi. Ce n'était pas joyeux, évidemment, et les regrets devaient se lire dans sa voix. Comment ne pas regretter tout ce qui avait pu se passer sur Terre ? Clarke était devenue une autre personne pour sauver son peuple, pour sauver sa famille, pour sauver les gens qu'elle aimait. Mais devenir ce que l'on doit être ne fait pas de nous, pour autant, un adulte capable d'assumer les actes et les décisions nécessaires. Clarke n'avait été qu'une enfant jetée dans un monde adulte, violent et brutal. « Peut-être. » Répondit-elle, dans un haussement d'épaules. Clarke n'avait pas conservé tous ses souvenirs, mais elle supposait avoir fait de son mieux, en effet, en commettant le pire pour sauver les gens qu'elle aimait.

A la question qui avait suivi, Clarke avait de nouveau haussé les épaules. Pourquoi eux ? Difficile à dire - et si évident, en même temps. Cette dernière ne pouvait répondre, Elena posait plusieurs questions à la suite. Clarke l'écoutait attentivement, prête à répondre à presque toutes les questions. « Pour ne pas sacrifier inutilement des vies utiles. Envoyer des soldats, des ingénieurs, des agriculteurs... Si la Terre n'était pas habitable, c'était perdre des gens utiles et indispensables à notre peuple. » Des gens qui auraient fini par manquer sur l'Arche, si une solution avait été trouvée pour y vivre plus longtemps. « Alors, ils ont envoyé des vies qui ne valaient rien, qui n'avaient pas d'importance. » C'était horrible à dire, mais aux yeux des autorités de l'Arche, c'était bel et bien le cas. « Nous étions des prisonniers. » Avoua-t-elle, en jetant un coup d'oeil à Elena, pour voir sa réaction, avant de lui donner davantage de détails. « Chaque crime, chaque délit, sur l'Arche, était puni par la mort. Les mineurs étaient emprisonnés jusqu'à leur dix-huitième anniversaire pour être jugés. » Meurtrier, voleur ou simple bagarreur étaient logés à la même enseigne, du moment où ils étaient mineurs - et à la même enseigne, lorsqu'ils étaient majeurs, en réalité : la mort. « Alors, nos vies n'avaient pas d'importance, puisque, de toute façon, il y avait une chance qu'on nous la prenne lors de notre jugement. Nous n'avons été envoyés que pour vérifier si c'était habitable. Que l'on survive ou non n'avait pas la moindre importance. » Si la Terre n'était pas habitable, ils mourraient - et ils seraient morts sur l'Arche, de toute façon. Si la Terre était habitable, les habitants de l'Arche pouvaient y descendre et qu'importe si les jeunes survivaient ou non en attendant leur arrivée. C'était une sorte de sacrifice essentiel à la société.