[terminé] With luck, it might even snow for us [Alana]

La brune hocha légèrement la tête lorsque son interlocutrice lui confirma vouloir qu'elle prévienne Sam d'un potentiel contact de sa part. C'était bien naturel.

Elle craignit un instant que Margot refuse finalement de venir chez elle. Elle avait raison de pointer le risque que cela représentait, bien sûr. Mais en vérité, elles couraient toutes deux un danger permanent. Morgan également. Tant que Mason et Hannibal seraient dans les parages, ce serait le cas.

Alana se permit de retrouver une respiration régulière après que son épouse ait finalement accepté.

- Allons-y sans tarder, dans ce cas.

Elle caressa la joue de Morgan du bout de l'index afin d'attirer son attention. Elle lui sourit avant de prendre sa main. Le garçon se laissa faire puis, avec un naturel désarmant, tendit son autre main à Margot afin que celle-ci la tienne également. Ce geste toucha Alana, qui esquissa l'un de ses rares sourires sincères.

Il leur fallut une dizaine de minutes pour rejoindre l'appartement. Il se situait au dernier étage d'un immeuble haut de cinq étages. Ils durent emprunter un ascenseur pour y accéder. Alana adopta un silence songeur, qui aurait pu devenir embarrassant si Morgan n'avait pas soudainement décidé d'interroger Margot sur son âge, son métier et ce qu'elle préférait dans la vie. Là encore, la scène était touchante. Alana choisit de rester légèrement en retrait et laissa ces deux-là se redécouvrir, s'écartant pour déverrouiller la porte d'entrée et, enfin, les laisser passer.

L'appartement attestait du salaire qu'elle recevait et du style de vie plus qu'aisé auquel elle était habituée. Il avait déjà été décoré au moment où Alana s'y était éveillé en compagnie de son fils, mais la décoration était si élégante qu'elle n'y avait presque pas touché, se contentant d'ajouter un cadre ou une plante ici ou là. Même s'il n'y avait que deux chambres, le séjour et la cuisine étaient immense. Elle fit rapidement visiter l'appartement à Margot, terminant par la chambre de Morgan qui s'était déjà débarrassé de son manteau et de ses chaussures pour jouer - et montrer chacun de ses jouets à Margot, bien évidemment.

Alana déposa sa veste sur le porte manteau de l'entrée et esquissa un geste pour débarrasser Margot de son manteau également.

- Je te sers quelque chose à boire ? l'interrogea-t-elle avec une douceur rendue plus évidente encore par la nostalgie qui s'était glissée dans sa voix.

Oui, ils étaient bien, ici. Mais la situation continuerait d'être frustrante tant que Margot ne se joindrait pas véritablement à eux, en pleine possession de ses souvenirs.

- Nous avons été plus chanceux que d'autres, admit-elle calmement.

Elle laissa Margot visiter l'endroit à son rythme. Pendant que son épouse observait le décor, Alana, elle, observait Margot. Elle s'appliquait à retenir chaque micro-expression qu'elle décelait, la manière dont le regard perçant de l'autre femme s'attardait sur le moindre détail, la courbure adoptée par ses lèvres. Elle ne sortit de sa contemplation proche de l'état de transe qu'après que Margot lui ait répondu au sujet de la boisson qu'elle désirait.

Alana sortit une bouteille de scotch du meuble à rangement où elle conservait les quelques bouteilles d'alcool en sa possession. Elle sortit également un verre approprié ainsi qu'un verre à vin. Elle servit d'abord la boisson de Margot, puis se servit pour sa part un verre de vin blanc. Les deux verres en main, elle revint auprès de son épouse et lui tendit sa boisson, avant de prendre place dans le canapé.

- Je pense qu'il t'a reconnue, même s'il ne le conscientise pas encore.

Elle but une gorgée de son vin avant de développer son analyse :

- Morgan n'a, jusqu'ici, montré aucun signe d'une possible amnésie. La confusion de ses souvenirs s'explique simplement par son âge. Il était trop jeune, au moment d'arriver en ville, pour différencier sa nouvelle vie de celle qu'il avait avant.

A cette pensée, elle esquissa un sourire attendri. Elle préférait que Morgan n'ait pas véritablement conscience du bouleversement qui avait eu lieu. C'était la seule manière qu'elle avait de préserver son innocence.

- Je pense donc qu'il sait, instinctivement, que tu es sa mère. Mais il ne pourra en obtenir la certitude que lorsqu'il pourra associer de nouveaux souvenirs à ton visage et à ta présence.

Ses réponses n'étaient pas destinées à faire plaisir à Margot. Alana pensait sincèrement que Morgan avait, en partie, reconnu Margot. Il n'aurait pas agi ainsi avec une personne qu'il aurait véritablement estimé être une inconnue, même par curiosité infantile. Pour cette raison, et même si elle tentait de ne pas se bercer d'illusions, elle avait bon espoir que tous trois parviennent un jour à reconstituer leur famille.

La réaction de Margot attendrit Alana, qui savoura les implications qui se glissaient sous ces propos. C'était une certitude en laquelle elle avait envie de croire. Morgan et Margot n'étaient pas destinés à rester séparés bien longtemps.

Elle continuait de l'observer attentivement, son regard pénétrant s'attardant sur chaque micromouvement de ses lèvres ou de ses yeux. Alana perçut donc le changement qui s'opéra dans l'attitude de Margot. Elle perçut l'observation qu'elle subissait à son tour, mais ne chercha pas à se dérober. Le regard perçant de son épouse qui se posait sur elle avec autant d'intérêt lui avait manqué.

Leur mariage était la suite logique d'une passion puissante et lubrique. Il y avait toujours eu de l'attachement et de la tendresse entre elles, mais avant tout de la passion. Il n'en fallait pas moins lorsque de tels sentiments naissaient au beau milieu d'une ambiance aussi oppressante que celle qui hantait le domaine Verger quand Alana s'y était présentée pour la première fois.

Elle s'humecta les lèvres, y sentit le goût subtil du vin.

- Evident, répondit-elle avec un sourire.

En vérité, elle ne voulait pas s'avancer à parler pour Margot. Celle du passé. Mais pour sa part, leur union avait bel et bien été une évidence. Tout comme le fait de mettre au monde Morgan. Ce n'était pas pour rendre service à son épouse qu'elle avait accepté de porter l'héritier Verger. Mais par réelle envie de s'unir à cette femme qu'elle ne cessait de vouloir protéger, chérir et adorer.

- Tumultueux, parfois. Mais sincère. Je suis tombée enceinte quelques semaines après notre mariage.

Le souvenir de l'instant où elle avait obtenu la certitude d'être enceinte teinta son sourire d'une tendresse nouvelle.

- J'ai emménagé chez toi très tôt. Je pense pouvoir affirmer que nous avons toutes deux été équitablement surprises de constater à quel point nous sommes rapidement devenues inséparables. Nous sommes pourtant d'une nature solitaire, toi et moi. Mais je crois que nos solitudes, et nos blessures, sont complémentaires.

C'était la psychiatre qui s'exprimait en ces termes. Alana s'en aperçut après avoir prononcé ces paroles et but une nouvelle gorgée de vin pour tenter d'anesthésier cette déformation professionnelle qui la menait trop souvent à faire sa propre analyse, ainsi que celle de son rapport à chaque personne de son entourage par la même occasion.

- La cérémonie était discrète. Calme. Mais notre nuit de noces, elle, était... Moins calme, lui confia-t-elle sur le ton du badinage.

Spécifiquement attentive aux réactions de Margot pendant qu'elle lui expliquait la nature de leur mariage, Alana prit grand soin de se souvenir des sourires qui troublaient l'impassibilité de son épouse, ainsi que des subtils changements dans son regard à chaque fois qu'elle énonçait un nouveau fait. Puis, après avoir bu une gorgée de vin, ce fut par effet miroir qu'elle posa elle aussi son verre sur la table basse. Afin de lui accorder toute son attention. Afin, également, d'être à disposition pour le moindre de ses besoins. Pour le moindre ses désirs.

Elle accepta docilement que Margot glisse sa main dans la sienne. Sa dernière remarque lui fit manquer un battement de coeur. C'était une sensation que seule la femme qui lui faisait face avait réussi à lui faire avoir au cours des dernières années. C'était une sensation vertigineuse, entre vulnérabilité et confiance, entre risque et assurance. C'était une sensation délicieuse.

- J'ai passé la majeure partie de mon existence à m'auto-analyser, en oubliant parfois de vivre au lieu de réfléchir. Il n'est jamais bon d'être son propre thérapeute, sourit-elle.

Elle s'interrompit, le temps de prendre une longue inspiration. Elle voulait lui offrir de la transparence. Mais pour cela, elle devait lutter contre chacun de ses instincts d'auto préservation.

- Je suis plus douée pour expliquer les blessures des autres que pour parler des miennes. Et pour parler de moi, tout simplement. Mais tu as raison.

Son regard s'attarda sur les lèvres de Margot. La tentation de l'embrasser était forte. Mais elle reconnaissait son envie comme un moyen séducteur de lui faire oublier ce dont elles étaient en train de parler. Or, elle lui devait cette conversation. Elle s'humecta les lèvres, cherchant ses mots. Puis elle décida de commencer par ce qui devait être le plus simple à évoquer.

- Lorsque tu m'as connue, j'avais occasionnellement besoin d'une canne pour marcher. J'ai été défenestrée par une ancienne patiente que je pensais morte, et... Eh bien, je ne m'en suis pas tirée sans séquelles. Ni physiques, ni mentales. J'ai même frôlé la mort. Mais j'ai récupéré la majorité de mes capacités physiques, à présent.

Ses doigts suivirent délicatement les lignes de la main de Margot. C'était une intimité émouvante que ce simple plaisir de se tenir la main. Mais le moindre contact physique avec son épouse, dont elle avait été séparée durant trop de temps, était une épreuve d'une intensité impressionnante, pour elle. Margot lui avait manquée, émotionnellement, sentimentalement et charnellement parlant. A cet instant, Alana pouvait se féliciter d'avoir passé tant d'années à s'imposer une maîtrise de soi qu'elle voulait inébranlable.

- Qu'aimerais-tu savoir d'autre ? questionna-t-elle doucement en relevant vers elle un regard aux pupilles dilatées.

La douceur de Margot était particulièrement touchante lorsque l'on connaissait son tempérament. Ce simple mot, "Tout", prononcé sur ce ton là faillit suffisamment émouvoir Alana pour que des larmes viennent humidifier ses yeux. Mais elle choisit plutôt de fermer ces derniers et de savourer le frisson familier que provoquait la simple présence de Margot. Cette dernière était ensorcelante. En tout point. Lorsqu'elle se retrouvait face à elle, Alana perdait sa concentration. Elle perdait sa sévérité, aussi. Margot savait, mieux que quiconque, révéler la femme qui se dissimulait sous le masque glacial de la psychiatre. Et le véritable pouvoir de Margot résidait en ce qu'Alana n'y voyait aucun inconvénient.

- Je te dirai tout, promit-elle avant que leur proximité physique ne devienne trop distrayante.

C'était une promesse qu'elle ne comptait pas briser. Mais, comme elle l'avait fait des années plus tôt, elle lui révélerait tout, progressivement. Car des sujets plus sérieux les entravaient toujours. Car ce qu'elle avait à lui partager n'était, finalement, pas si important que cela à côté de tout ce qu'elle avait vécu avec elle en tant qu'amante, compagne, puis femme.

Le baiser que lui accorda de nouveau Margot lui donna la sensation qu'elle respirait convenablement pour la première fois depuis qu'elle s'était éveillée dans cette ville maudite. La sensation de ses lèvres contre les siennes, c'était tout ce dont elle avait besoin pour se sentir à sa place. Là, dans l'intimité de son appartement, à l'abri du regard des autres, Alana se fit la réflexion qu'elles pouvaient s'accorder cet instant de répit.

Pendant que ses lèvres s'entrouvraient pour mieux accueillir celles de Margot, la brune sentit ses épaules s'affaisser légèrement pendant que l'entièreté de son corps se détendait soudainement. L'une de ses mains remonta le long des côtes de son épouse, se perdit un instant sur son épaule, puis sur sa nuque, pour finalement glisser dans les cheveux de Margot. Elle en savoura la texture sous ses doigts. Puis, sans brusquerie, elle en saisit une poignée à la base et tira avec douceur afin de lui permettre de la guider pour mieux approfondir le baiser. Sa langue chercha la sienne, goûta son rouge à lèvres et le léger parfum qu'avait laissé l'alcool sur le bord de ses lèvres.