Ma famille a toujours bénéficié d’une collection impressionnante de tomes sur les multiples disciplines arcanes, et ce que nous n’avions pas dans les grimoires ancestraux, nous pouvions toujours demander à l’un des membres du clan qui a la fâcheuse tendance à tout savoir. Honnêtement. C’est presque comme si nous avions un expert quelque part, peu importe le sujet.. Mais ici… ici, rien n’était pareil. Oui, j’ai retrouvé une facette de ma lignée en la personne de Gomez Addams et plus tard son épouse, mais les deux n’avaient rien de mes parents hormis leur nom et l'intensité de l'adoration qu'ils se vouaient l'un à l'autre. Et si leur bibliothèque est presque aussi correctement fournie que la nôtre, je regrette de n’avoir pu y trouver réponse à mes questions.
L’absence de Thing n’a jamais été aussi oppressante. Il aurait probablement su où chercher. Comment suis-je supposée comprendre un univers qui change de règles tous les deux jours, uh?
Il ne m’a fallu qu’une semaine pour m’habituer à l’idée que je suis désormais coincée ici, dans cet univers éternellement changeant, où l’architecture d’une rue peut d’un jour au lendemain être transformée en un bâtiment qui n’a absolument rien de comparable. Il y a une énergie derrière cet univers, un mystère à dévoiler et j’ai toutes les raisons du monde de vouloir lever le voile: nul ne me garde captive contre mon gré, même si j’ai un monde entier à explorer pour dire de taire ma curiosité. Mais au plus je cherche, au moins je trouve, et je commence à me demander si l’intelligence responsable de l’arrivée de temps de gens si éclectiques ne rit pas de mon infortune. Ne s’amuse pas de me voir échouer, jour après jour, dans les efforts que j’exerce dans le but de comprendre ce qui a bien pu nous arriver.
Il ne faut qu’un mois et demi pour que le sentiment devienne personnel et que je passe le plus clair de mon temps à essayer de percer le voile de mystère me séparant des réponses qui pourraient tout expliquer. Gomez a bien essayé de m’en dissuader, mais il ne me suffit que de le mettre dans les environs immédiats de Morticia pour qu’il m’oublie complètement dans l’élan de sa passion. Au moins mes parents sont similaires dans plus d’un univers…
Un curieux sentiment s’empare de mon coeur à la pensée de ma famille alors que j’esquive un intrus de plus, en route vers ma destination. J’ai passé tant de temps à promettre de les quitter et ne jamais plus revenir, mais avoir l’option de les retrouver a toujours allégé mes dires. Là… Je n’ai même pas le choix, ce destin a été décidé pour moi, et je rage à l’idée d’avoir si peu de contrôle sur le passage de mes jours. Je suis la seule à décider quand j’abandonne ma famille, personne d’autre. Je ferme les yeux et conjure l’image de mes Parents, avec mon petit frère à leurs côtés; une pointe d’amertume s’empare de moi alors que j’efface la vision, soudain remplacée par une chevelure blonde teintée de rose et de bleu. Pourquoi le spectre d’Enid s’impose à ma mélancolie, je ne le saurais probablement jamais mais il y a une énergie dans l’image que je me souviens d’elle qui manque d’arracher mes traits dans un sourire.
Absurde.
Je me secoue, avant de glisser vers une cour intérieure de l’université et de me mettre à avancer comme si j'avais tous les droits d’être là. J’ai fait le tour des ouvrages du manoir en l’espace de quelques semaines, et je passe de bibliothèque en bibliothèque dans l’espoir de tomber un jour sur un ouvrage qui pourrait expliquer ce qui nous arrive. Marshall a peut-être une section occulte que je pourrais inspecter, mais je n’ai certainement pas les droits de fréquenter le territoire de cette université si je n’y suis pas inscrite. C’est comme si Tyler s’était présenté à Nevermore avant et après la Rave’N: complètement impensable. Je continue mon avancée, ma foulée accélérée par l’agacement qui s’empare de moi au souvenir du Normie et ses amis ayant ruiné la soirée, le souvenir de la menace d’une autre entité s’imposant à ma mémoire lorsque je me remémore la menace voilée que j’ai reçue à la fin du semestre dernier. Enid est en mesure de se transformer, maintenant, elle ira bien, mais juste l’idée qu’un nouveau clown puisse envisager menacer la tranquillité qui n’appartient qu’à moi de rompre, à Nevermore, me glace les veines.
Pour une Addams, ce n’est pas peu dire.
Alors je suis là, ce soir, l’écho estudiantin s’étant rapidement effacé pour laisser la place à la quiétude d’une énième soirée dans ce monde infernal. La collection à Marshall est correcte, mais sans l’aide de Thing ou sans système particulier pour dire de rechercher mes informations, je finis entourée d’ouvrages et de notes prises à la volée, certains bouquins marqués par des bouts de papier destinés à souligner une piste intéressante sans pour autant endommager les biens: je ne suis pas Rowen, je préfère garder de côté avec respect plutôt qu’arracher les pages qui m’intéressent.
Est-ce que vous avez besoin d’aide?
Prise la main dans le sac... Je redresse l’échine à l’écho de la voix qui s’adresse à moi, surprise d’avoir été absorbée par ma quête au point de ne pas avoir été prudente et percevoir son approche. La jeune femme est plus âgée que moi, mais pas encore au point d’avoir l’âge de Morticia. La trentaine, donc? Livres en main, plus lourds que ce que la plupart des gens ne peuvent se soucier de lire en temps normal… une lectrice assidue, donc? Je pose sur elle un regard froid dénué de la moindre émotion, avant de détailler son apparence et calculer soigneusement quoi lui répondre. Je me lève, un peu trop rapidement peut-être pour quelqu’un supposée être là, mais je reste droite avant de lui faire face, les mains croisées devant moi.
Je l’ignore. Peut-être. J’ai entendu dire que Marshall avait une collection d’ouvrages en tout genre mais je crains ne pas avoir pu retrouver l’information que je recherche. Pour un projet d’étude, bien sûr, dis-je en articulant soigneusement chaque mots, même si le ton monotone de ma voix pourrait laisser des interrogations au coeur. J’ai du mal à apprivoiser le système de classement de cet établissement, est-ce qu’il y a une quelconque logique à la manière de trier les ouvrages, ou alors est-ce une fois encore l’île qui se moque de moi?, demandais-je en penchant doucement la tête de côté dans une question à la fois posée à l’autre femme qu’à l’éther qui m’entoure, au cas où l’intelligence nous écoutait. Je dois lever les yeux pour détailler les traits de la jeune femme, prête à décrypter le moindre soupçon d’information que ses micro expressions pourraient dévoiler.