blue moon rising

Un loup hurle à l’horizon, m’arrachant à l’inconfort de rêves incomplets étouffés dans l’humidité de l’air qui m’empêche de dormir depuis deux jours. Je n’ai jamais été opposée au tourment, quelle que soit la forme prise, mais j’ai toujours préféré le climat de mon New Jersey natal: lugubre, maussade, parfait pour une enfance sous les meilleures auspices qui soit. Mais si l’atmosphère étouffante est cause de mon insomnie, ce n’est que le cri de l’animal que j’entends à nouveau résonner au loin qui m’arrache de mes draps. Pour tous les efforts que Gomez a pu faire pour me donner l’impression d’être véritablement chez moi, il y a partout cette persistante impression que je ne le suis pas. Et le hurlement qui résonne au loin n’est qu’un cruel rappel. L’espace d’un instant, ma chambre à Nevermore se calque sur la pièce qui m’a été offerte, un spectre multicolore marquant la moitié de la chambre avant de s’évanouir dans les méandres de mes souvenirs.

Je me lève avec un soupir, me dirige vers la fenêtre offrant un panorama sur le domaine entourant le manoir et lève les yeux vers l’astre qui attire mon attention, scintillant d’argent dans l’encre de nuit. La lune est pleine ce soir, et je me demande soudainement si le cri vient d’un loup ou de quelque chose de plus primal et époustouflant (je prends une note mentale pour me renseigner sur la différence vocale entre les deux espèces), le souvenir de la métamorphose de ma colocataire m’arrachant à nouveau le peu de souffle que. Sans faillir, mes pensées se tournent inexorablement vers la louve avec qui j'ai passé le plus long semestre de mon existence et je me surprends à me demander ce qu’elle fait en cet instant précis. Un filet lumineux traverse le ciel, seul témoin des derniers instants d'existence du météroïde venant périr dans l'atmosphère terrestre. Je ne suis pas imbue de moi-même au point d’imaginer que mon absence doit lui peiner, les règles de ce monde étant telles que je ne suis pas certaine qu’elle ait même réalisé quoi que ce soit, mais si je ne peux me permettre qu’une faiblesse, ici, dans la solitude de la chambre qui m’a été allouée, c’est de souhaiter le bien être de la blonde multicolore et jurer un tourment éternel sur son exécrable mère si elle lui fait passer un été misérable.

"Tu prends soin d’elle, d’accord?"

Chez d’autres personnes dans une situation similaire, la requête faite à la Lune aurait pu paraitre douce, voire sentimentale mais chez moi la demande tenait plutôt d’un ordre. Selene a tout intérêt à ne pas me faire regretter cet instant de vulnérabilité.

Une explosion retentit au loin, suivie d’éclats de lumière et je me demande brièvement ce qui peut bien se passer. Peut-être, avec un peu de malchance et de désespoir si typique de mon clan, est-ce là l’expression artistique de mon frère, piètre humain ayant enfin trouvé une raison de vivre et le moyen de me ramener chez moi?! Est-ce que Pugsley aurait véritablement fait exploser la réserve de dynamite que mon père lui avait offert pour son anniversaire, juste pour me signaler sa présence? Je ne pense pas que le sentiment qui s’empare de moi s’apparente à de l’espoir, mais quel qu’il soit, la sensation est absolument enivrante. Je prends un moment pour neutraliser mon impatience et ma curiosité avant de me décider: il ne me faut qu’un instant pour me changer et me faufiler hors de la chambre, insoucieuse du bruit que je peux faire puisque Gomez ne risque pas de réaliser quoi que ce soit depuis qu’il a retrouvé la compagnie de sa Morticia. Au moins, ces deux-là ont au moins une chose en commun avec mes propres parents: un cri d’extase me force à réprimer un réflexe nauséeux et m’encourage à accélérer le pas, l’urgence et le désir de ne plus être là ne pouvant pas être plus important qu’à cet instant précis. J’ai déjà eu assez de mes propres parents, je n’ai certainement pas besoin d’avoir les tympans percés par les affections de ce couple là.

Une fois dehors, je me permet un instant pour savourer la fraîcheur relative de l’extérieur comparée à la fournaise du manoir, avant de me mettre en route. Le sac à dos que j’ai pris me paraît bien léger et mon coeur manqua un battement à nouveau lorsque mes pensées se perdent jusqu’au souvenir de Thing: je n’avouerai jamais qu’il me manque, mais je ne peux nier que sa présence aurait été à la fois réconfortante et bien utile en ce monde. Au plus j’avance vers l’éclat de lumière que j’ai aperçu plus tôt, au plus un sentiment d’inconfort se niche au plus profond de moi. Parce qu’en plus d’explosions et de feux divers, je peux également distinguer de nombreux cris… Mais pas le genre de hurlements qui me laissent frissonner de plaisir, non. Il y a des éclats de rire et de la joie dans ces expressions de (fausse) terreur. L’environnement se fait plus clair, le voile du mystère se lève sur la question que je m’étais posée il y a une heure, ne laissant dans son sillage que l’amère goût d’échec. Une fête foraine. Quelle horreur. Ma main se porte machinalement à ma gorge, comme si je désire inconsciemment soulager une gêne occasionnée par le souvenir de la dernière fois que j’ai fréquenté un lieu pareil: Rowan essayant de m’étrangler, ma première altercation avec la créature, mon désir de fuir les attentions exagérées de Xavier et Weems. Je n’ai pas de raison de rester ici, mon fol espoir mourant au même titre que mes illusions à l’idée de quitter ce monde infernal. Je tourne le pas pour dire de m’évader de cet environnement d’amusement et de joie (horrible, eh?) avant de légèrement percuter quelqu’un.

Honteux. Je suis généralement plus attentive à mon environnement.

Les images qui s’imposent à moi, en revanche, n’ont rien de commun. Des créatures. Des panoramas qui n'ont rien de terrestre. La grandeur et magnificence de l'univers telle que même moi ne puis-je trouver à critiquer. Et partout, un homme et sa boîte, le seul point commun aux flashs virulents qui assaillent mes sens. La vision ne dure que quelques secondes, mais l’impossibilité de ce que je vois suffit pour nourrir ma curiosité à un autre sujet, fête foraine oubliée et nouvelle cible engagée. La jeune femme que j’ai percuté m’aide à me relever, le contrecoup de la vision ayant été probablement mépris par une chute causée par le choc de notre rencontre. Je me lève, frotte légèrement mes vêtements pour les débarasser de la poussière avant de redresser l’échine et m’adresser à la brunette, pour tout salut:

"Pourquoi une boîte bleue?"