(Terminé) D'heureuses retrouvailles | Greer

Ce monde lui offrait une chance de vivre autrement, d'être plus libre, de goûter à cette indépendance dont elle avait tant rêvé autrefois. Il n'était pas toujours simple, parce qu'il était bien loin de tout ce qu'elle avait connu - mais en quatre ans, elle s'était habituée à bien des choses - et parce que cet endroit était particulier, dans son fonctionnement, mais Greer était plutôt heureuse. Elle élevait sa fille seule, mais elles étaient heureuses toutes les deux. Elle n'avait aucune nouvelle des gens qu'elle avait connus et aimés autrefois, mais elle gardait espoir de les revoir tôt ou tard. Elle était en accord avec ses principes et vivait plutôt confortablement grâce à ses économies. Alors, si Greer devait faire le point, elle était plutôt heureuse et elle s'en sortait plutôt bien.

Depuis qu'elle avait quitté son précédent emploi, Greer profitait des journées passées avec sa fille. Elle grandissait si vite qu'elle ne pouvait plus remettre à plus tard le temps passé avec elle. Puisqu'il faisait plutôt beau, Greer était donc partie en balade, dans le parc. La main de sa petite fille dans la sienne, elle s'était stoppée à l'instant où le son de cette voix, qui prononçait son prénom, était parvenu jusqu'à elle. Elle n'avait aucun besoin de se retourner, aucun besoin de réfléchir, elle savait qui était en train de l'appeler. Cette voix, elle la reconnaîtrait entre mille. Son coeur accélérait à l'idée de se tourner et de voir, qu'en réalité, il n'y avait personne. « Mary. » Souffla-t-elle pour elle-même, avant même de se retourner.

Puis, très lentement - elle ne saurait pas dire pourquoi, peut-être simplement à cause de cette peur de voir qu'elle venait d'halluciner - elle s'était retournée vers le son de cette voix qui l'avait appelée. Aussitôt, ses yeux rencontrèrent ceux de son amie. Son sourire s'élargissait. Les larmes lui montaient aux yeux. Elle était heureuse comme elle ne l'avait pas été depuis une éternité. « Mary ! » Répéta-t-elle en se dirigeant vers elle, pressant le pas pour la rejoindre et la prendre dans ses bras - son bras, l'une de ses mains tenant toujours celle de son enfant. « Mary, je suis si heureuse. » Elle avait tant espéré revoir ses amis et, enfin, son voeu était exaucé. Il avait été particulièrement difficile pour elle de vivre sans avoir la moindre nouvelle de ceux qu'elle aimait, sans savoir s'ils se portaient bien ou si, tout simplement, il se trouvait dans cet endroit mystérieux, eux aussi.

Depuis qu'elle était dans ce monde, cet instant était sans doute l'un des plus beaux et des plus heureux. Depuis les premiers jours, elle avait espéré retrouver ses amis et ses proches. Ses espoirs étaient restés vains pendant quatre ans, malgré ses recherches et ses prières. Aujourd'hui, alors qu'elle ne faisait que se promener, Mary était là. Comme tombée du ciel, on venait de lui rendre son amie. Cette amie qui lui était si précieuse. Cette amie avec qui elle avait tant vécu.

Il y avait eu un instant d'hésitation. Un instant où elle n'avait pas osé se retourner. Un instant où elle avait craint qu'il ne s'agisse que d'une hallucination. Un rêve. Alors, lentement, elle s'était retournée jusqu'à voir le visage de Mary. Son propre visage s'était illuminé. Un sourire gigantesque avait pris place sur ses lèvres. Ses yeux étaient baignés de larmes. Et, sans attendre, elle l'avait serrée contre elle. Sans attendre, elle s'était avancée pour réduire la distance et avoir la chance de pouvoir retrouver son amie. Elle était si heureuse. Mary aussi semblait l'être. Il n'y avait pas de plus beau cadeau. « Tu m'as manqué, toi aussi. » Souffla-t-elle tout contre elle, avant que Mary ne mette fin à leur étreinte.

Cette dernière avait alors posé les yeux sur la petite Rose qui, bien sagement, tenait la main de sa mère et qui attendait certainement qu'on lui explique ce qui se passe. Mary lui adressa alors quelques mots avant de déposer un baiser sur son front. « Il s'est passé tant d'années depuis la dernière fois où tu l'as vue. » Souffla-t-elle, en souriant et en observant sa petite fille. Elle était loin du bébé que Mary avait vu pour la dernière fois, c'était certain. « C'est Mary, tu te souviens d'elle ? » Demanda-t-elle alors à sa fille, qui avait eu le droit à bien des histoires sur Mary et ses autres amies, à tel point qu'elle devait presque avoir l'impression de les connaître et de les avoir déjà rencontrées. « Et James ? Il n'est pas avec toi ? » Questionna-t-elle, inquiète à l'idée que la mère et le fils n'avaient pas été réunis dans ce nouveau monde. Après toutes les difficultés qu'elle avait rencontrées, Mary avait le droit de vivre près de son enfant, de le voir grandir et d'être heureuse à ses côtés.

Les années ne se rattraperaient jamais. Ce qu'elles avaient manqué l'une pour l'autre, jamais elles ne pourraient le récupérer. On leur avait volé des instants magiques et précieux. On leur avait volé toutes ces fois où elles auraient dû être là, l'une pour l'autre, à se soutenir. Cependant, les mots de Mary résonnaient comme une promesse que Greer ne voulait pas décevoir. Peut-être qu'elles pourraient rattraper le temps à leur façon ? Bien sûr, elles ne récupéreraient jamais ces quatre dernières années, mais elles pouvaient faire en sorte de les oublier en ne se quittant plus ? En vivant tout ce qu'elles auraient dû vivre ensemble ? « Bien sûr, oui. On va le rattraper. » Souffla Greer, à son tour, comme une promesse, refusant de décevoir son amie et prête à croire en cette promesse comme en aucune autre.

Qu'avaient-elles pu manquer l'une pour l'autre ? Des moments difficiles, l'adaptation à ce nouveau monde... Evidemment. Mary n'avait pas vu Rose grandir et Greer n'avait pas vu James grandir. Etait-il seulement avec sa mère ? Greer l'espérait de tout coeur, imaginant le déchirement que provoquerait une telle séparation, mais elle ne le voyait pas. Elle s'inquiétait, bien sûr, et interrogeait la mère. La jeune femme fut alors aussitôt soulagée en entendant les mots de Mary, qui lui indiquait en même temps où se trouvait son petit garçon. Ils étaient ensembles. Ils n'avaient pas été séparés. C'était une nouvelle qui réjouissait la jeune femme plus que n'importe quelle autre, en cet instant. Jamais elle n'aurait pu supporter la séparation avec Rose, elle imaginait que ça aurait été la même chose pour Mary et James.

Sans attendre, elles rejoignirent toutes les trois le petit garçon. Mary s'était avancée vers lui, Greer et sa petite fille attendaient patiemment à quelques pas de lui que Mary fasse les présentations. Lorsque le petit avait levé les yeux vers elle, elle lui avait fait un petit signe de la main. A son regard et à son sourire, on aurait presque pu croire qu'il la connaissait déjà ou qu'il n'était pas particulièrement étonnée de la voir. Un peu comme Rose, lorsqu'elle avait aperçue Mary. Elles avaient parlé de l'autre à leur enfant, quoi de plus évident ?

A son tour, Greer désigna le petit garçon pour le présenter à sa fille, l'incitant à aller à sa rencontre. « Il a tellement grandi, lui aussi. » Souffla-t-elle à Mary, en se rapprochant, tout en observant les enfants. Les deux enfants avaient presque le même âge, mais les voir si grand alors qu'elles avaient connu l'une et l'autre les enfants tout petit était perturbant. Plus que jamais, les instants perdus lui sautaient aux yeux. « Il y a d'autres personnes ici ? » Demanda-t-elle finalement, curieuse et impatiente d'avoir une réponse à cette question qui lui brûlait les lèvres. Peut-être que d'autres de leurs connaissances étaient ici, elles aussi ? Peut-être que Mary n'était pas seule avec James et qu'elle avait retrouvée les siens ? Greer l'espérait de tout coeur. Sa vie avec sa fille lui plaisait beaucoup, mais elle rêvait de retrouver ceux qu'elle avait aimés autrefois pour avoir l'impression d'être rentrée chez elle et de ne plus être sur une île perdue au milieu de nulle part - même si cette île avait clairement des avantages, elle ne pouvait le nier.

Maintenant que les présentations étaient faites, Greer et sa fille s'installèrent aux côtés de Mary et James. Il y avait tellement de choses à raconter, tellement de souvenirs à faire remonter, tellement de moments à rattraper... Greer ignorait si, un jour, elles pourraient tout rattraper ou tout savoir l'une de l'autre, depuis qu'elles étaient ici, mais elle était certaine d'une chose : maintenant qu'elle avait retrouvé Mary, elle refusait de la perdre à nouveau. Greer n'était pas seule dans ce monde, il y avait Rose, mais elle avait connu une telle solitude ces dernières années qu'elle était plus qu'heureuse de retrouver celle qui avait été sa meilleure amie dans un autre monde. Et elle ne voulait plus vivre sans elle. Elle ne voulait plus vivre loin des gens qu'elle aimait.

Les deux femmes étaient plus souriantes que jamais. Les yeux de Greer brillaient de larmes de joie et elle était heureuse et attendrie de voir Rose et James jouer ensemble, comme s'ils s'étaient toujours connus. A les voir, tout paraissait presque naturel. Ils se connaissaient depuis une minute à peine qu'ils faisaient déjà leur petite vie de leur côté, en jouant et en s'amusant, sans plus se soucier de leur mère respective. Alors, Greer les laissait jouer pour se reconcentrer sur Mary. Tout naturellement, elle s'interrogeait sur la vie de Mary dans ce monde et plus particulièrement sur ceux qu'elle avait pu retrouver. Malheureusement, Mary était dans sa situation. Elle n'avait que son enfant - et heureusement d'ailleurs, il s'agissait déjà d'une grande bénédiction, elle en avait parfaitement conscience - et elle n'avait retrouvé personne. Cependant, ce temps était révolu. Désormais, elles étaient ensemble.

Néanmoins, Mary reprenait de façon plus énigmatique, sous-entendant qu'elle n'avait retrouvé personne à qui elle tenait, mais qu'elle avait bien retrouvé quelqu'un tout de même. Qui ? Son dernier époux en date ? Celui qui avait tenté de lui retirer son enfant ? Greer n'eut pas besoin de poser la question puisque bien vite Mary lui donna la réponse. Elizabeth. Greer imaginait sans mal la situation compliquée dans laquelle son amie se retrouvait. « Je vois. » Rétorqua-t-elle dans un premier temps, pour toute réponse, afin de prendre le temps de digérer l'information et de trouver quoi répondre. Les deux cousines ne s'étaient jamais particulièrement appréciées, forcées de se faire la guerre pour leur royaume, mais ici, pour quoi se battaient-elles ? « Comment... Comment est-ce que ça se passe entre vous ? » La question était peut-être absurde, mais Greer avait besoin de détails. Se menaient-elles une guerre ouverte ? Attendaient-elles que l'un fasse une erreur pour attaquer ? S'ignoraient-elles simplement ? Greer ne s'était pas attendue à devoir revivre ce genre de vie un jour, mais il semblerait que le passé finisse toujours par vous rattraper, d'une façon ou d'une autre.

Greer ne s'étonnait pas de la réponse de Mary. Les choses ne s'étaient jamais passées comme il fallait entre Mary et Elizabeth. Elles étaient ennemies, sans se connaître. Par leur naissance. Par leur statut. Toute leur vie, elles avaient dû se battre. Ce n'était ni par choix, ni par volonté, mais uniquement par obligation. Aujourd'hui, cette guerre continuait. Mais pourquoi ? Il n'y avait pourtant plus aucune obligation puisqu'il n'y avait plus de royaume à défendre, de royaume à conquérir. Alors, pourquoi se battaient-elles toujours ? Greer écoutait attentivement les explications de son amie. Mary assurait qu'elle aurait aimé que les choses soient différentes, mais qu'elles étaient destinées à être ennemies. Peut-être. Peut-être qu'il était écrit quelque part qu'elles se haïraient, qu'elles se feraient la guerre éternellement.

Greer n'avait pas dit un mot. Elle attendait les détails de son amie. Elle attendait des explications plus précises parce qu'elle savait qu'elles allaient arriver. Et elle avait eu raison. Mary lui racontait qu'elle avait été la première à retrouver Elizabeth et à aller vers elle pour discuter. Cependant, cette dernière avait fait semblant de ne pas la reconnaître et de ne pas être celle qu'elle pensait. C'était finalement bien peu de détails sur ce qui se passait actuellement, mais elle avait au moins eu les origines de cette histoire, ainsi que les craintes de son amie concernant la présence de la reine d'Angleterre. Evidemment, après ce qu'Elizabeth avait fait par le passé, elle craignait pour sa vie et pour celle de son fils, James. Greer ne pouvait pas le lui reprocher. Ses peurs étaient légitimes. « Mary... Ce monde n'est plus celui que nous avons connu, quel intérêt aurait-elle à te faire du mal aujourd'hui ? » Elle s'interrogeait sincèrement, en essayant de se montrer rassurante, mais peut-être avait-elle des preuves ou peut-être avait-elle déjà dû subir des attaques de la part de sa cousine ? « Es-tu au moins certaine qu'elle n'a pas réellement perdu la mémoire ? » Greer ne pouvait être certaine de rien puisqu'elle n'avait jamais vu Elizabeth de ses yeux, mais peut-être était-elle sincère ? Peut-être que Mary, à cause de ses peurs, agissait de la mauvaise manière ou refusait de croire ce qui était la vérité ?

Greer ne jugeait pas la situation de Mary, elle essayait simplement de la comprendre. Elle essayait simplement de comprendre pourquoi ces deux reines se menaient toujours une lutte acharnée loin de leurs royaumes et de leur pouvoir. Ce monde aurait pu leur offrir la paix. Aurait dû, même. Greer en était persuadée. Elle cherchait donc à comprendre les motivations d'Elizabeth, les raisons qui les avaient poussées à se battre à nouveau. Même si les explications de son amie restaient vagues, la jeune femme tentait de la rassurer, de la conseiller. Mary ne répondait pas à des attaques, elle attaquait en prévention. Ce n'était pas toujours une mauvaise chose, surtout dans l'endroit d'où elles venaient, mais ici... Ici, avait-ce encore de l'intérêt ? Du sens ?

Mary assurait qu'Elizabeth lui voulait du mal et qu'elle mentait, à propos de son amnésie. S'agissait-il de véritables certitudes, basées sur des preuves solides et irréfutables ou des certitudes qu'elle s'était elle-même fabriquée pour se rassurer et se justifier ? Mary tentait alors de se justifier, de s'expliquer, en entrant davantage dans les détails. Tout n'était qu'histoire de regard, d'impression. Un premier regard qui avait trahi l'Anglaise puis des éléments qui la trahissaient. Lesquels ? Parfois, lorsque l'on voulait véritablement quelque chose, on s'en persuadait soi-même. Et si Mary s'était persuadée que ces preuves existaient ? Après tout, il n'y avait rien de révélateur, comme elle le disait si bien, alors pourquoi ces preuves ne seraient pas uniquement liées à l'imagination de Mary ? Ou peut-être avait-elle absolument raison, Greer ne pouvait le dire. Pour cela, pour se faire un avis, elle devrait comprendre l'ensemble, observer elle-même, entendre tous les détails de cette histoire.

En revanche, lorsque Mary avoua, gênée, qu'elle avait fait suivre Elizabeth, Greer releva les yeux brutalement. C'était un jeu dangereux dans lequel elle s'était embarquée là. Même si ce jeu, elle prétendait le jouer pour James, qu'elle désignait du regard, il restait particulièrement dangereux pour elle et pour celui qu'elle souhaitait protéger en agissant de la sorte. Mary allait très loin, elle faisait suivre Elizabeth, elle cherchait à récolter des preuves et elle consultait des voyants comme Nostradamus, autrefois. A trop chercher, elle allait finir par trouver. Si Elizabeth était réellement Elizabeth, et si elle n'avait pas perdu la mémoire, elle finirait par attaquer. Mary devait se montrer plus prudente. Agir avec sa tête, pas avec son coeur.

Greer n'avait rien dit encore. Elle sentait l'inquiétude de son amie et elle ne voulait surtout pas minimiser ses craintes. En revanche, elle voulait la protéger et l'éloigner d'une autre guerre. Elle voulait qu'elle profite de cette autre vie. Elle voulait que Mary puisse tirer un trait définitif sur ce passé douloureux et difficile. Il fallait donc s'assurer que cette lutte avait un sens. Un intérêt. Si c'était le cas, Greer serait à ses côtés pour l'aider. Si, en revanche, ça ne l'était pas, elle se devait de l'empêcher de continuer à faire une erreur qui pouvait lui être fatale. « Tu sais bien qu'il faut se méfier de ceux qui prétendent avoir ce genre de dons. » Souffla-t-elle en déposant sa main sur celle de Mary, dans un geste rassurant et protecteur. « Es-tu certaine que cette personne était fiable ? Tu as pu lui donner des informations, sans t'en rendre compte, qui lui ont permis de te faire ce genre de prédictions. Ou tu as très bien pu mal interpréter. » Encore une fois, elle ne savait rien de la réalité, elle voulait simplement protéger son amie et la rassurer. Vivre dans la peur constante devait être affreux pour elle. Alors, la paranoïa pouvait s'installer. Mary ne devait pas se laisser influencer par des gens qu'elle aurait indirectement influencé pour entendre ce qu'elle voulait ou avait besoin d'entendre.

« Tu l'as fait suivre depuis combien de temps ? » Elle s'informait pour l'aider au mieux. Sans toutes les informations, difficile de le faire. « Si tu es certaine qu'il s'agit bien d'Elizabeth, ce que tu fais Mary est... particulièrement dangereux. Tu risques de t'attirer sa colère et de lui donner des raisons de te faire du mal, comme tu le crains. » En d'autres termes, en voulant se protéger de quelque chose, elle allait se conduire elle-même à ce quelque chose. « Tu aurais dû la faire surveiller sans te manifester. » Elles s'étaient retrouvées depuis quelques instants à peine que déjà elles parlaient complots, vengeance, menaces et dangers - et quelque part, cette vie manquait à Greer. « Ne te mets pas en danger pour te protéger. N'agis pas avec ta colère ou ta peur, agis avec ça. » Dit-elle en désignant sa tête. Après quatre ans, ce genre de conseils arrivait peut-être un peu tard, mais peut-être était-il toujours possible d'arranger les choses ?

Greer restait perplexe. Elle connaissait les dons de certains voyants et ne remettait pas ce détail en question. Là où elle souhaitait que Mary se montre prudente, c'était sur les informations et les indications qu'elle aurait pu donner involontairement à cette femme. Certains charlatans savaient manipuler leurs proies pour leur donner l'impression que les informations obtenues étaient de véritables prémonitions de l'avenir. Greer voulait simplement que Mary reste méfiante et ne fasse pas aveuglément confiance à une menteuse. Mary restait persuadée de ne rien avoir laissé paraître - en même temps, dans ce genre de situation, on ne devait même pas s'en rendre compte. « Je ne remets pas en cause l'existence de véritables voyants. Pas du tout. » Affirma Greer, calmement, alors que son amie lui remémorait de terribles souvenirs à propos de Nostradamus, Aylee ou François. « Seulement, je sais aussi qu'il y a de nombreux charlatans dans ce domaine et je ne veux pas que tu te fasses avoir. Tu dois penser aux conséquences. » Les conséquences de ses accusations, de ses actes, pouvaient déclencher une guerre entre les deux cousines, une guerre qu'elles ne sauraient sans doute arrêter que par la mort de l'une ou de l'autre. Greer souhaitait simplement que son amie se montre extrêmement prudente avant d'entamer quoi que ce soit qu'elle pourrait regretter par la suite.

« Très bien... Mais reste prudente ! » Souffla alors Greer quand Mary lui assura que ses hommes avaient apporté des preuves qui confirmaient les dires de la voyante. Si c'était réellement le cas, alors Greer ne pouvait pas continuer à nier l'évidence et elle ne pouvait qu'encourager son amie à faire preuve d'une extrême prudence pour ne pas y laisser la vie. Cependant, elle ne voulait pas cautionner tous les actes de Mary sans les comprendre dans le détail. Mary avait tendance à être impulsive et à ne pas réfléchir aux conséquences de tous ses actes. C'était à ça qu'avait servi Greer durant leur vie à la cour. Elle était là pour la conseiller, la modérer. Pendant quatre ans, elle n'avait plus eu ce soutien et Greer voulait s'assurer qu'elle n'avait pas été conseillée par les mauvaises personnes.

Pour obtenir des réponses à ses nombreuses questions, elle interrogeait donc son amie à propos des événements depuis leur arrivée dans ce monde, concernant Elizabeth. Elle lui avoua donc qu'elle avait commencé à la faire suivre depuis leur arrivée - une chance que sa cousine ne se soit pas décidée plus tôt à régler ce problème de manière définitive. Si ses doutes, avec le temps, s'étaient transformés en certitudes, elle avait pris des risques inconsidérés en se comportant ainsi. Néanmoins, Greer pouvait comprendre. Elle voyait la peur dans son regard. Celle de subir les représailles de sa cousine. Celle de perdre la vie ou de mettre son enfant en danger. Celle d'avoir fait les mauvais choix. Mais il était de toute façon trop tard désormais pour revenir en arrière et changer les choix qui avaient été faits. Il fallait composer avec ce qui avait déjà été fait pendant quatre ans, mais surtout, il fallait faire les choses intelligemment, avec la tête désormais, et non avec le coeur. Il n'y avait plus d'erreur possible. « En quatre ans, je ne comprends pas pourquoi elle n'a toujours pas agi... » Avait-elle réellement changé ? Avait-elle réellement oublié ? Préparait-elle quelque chose ? Etait-elle trop isolée ? Malgré les certitudes de Mary, Greer trouvait ce point particulièrement étrange. « Tu as fait un choix parce que tu avais peur pour ton enfant et pour ta vie et nous ne pouvons plus revenir en arrière, donc inutile de regretter désormais. » Souffla-t-elle avec douceur pour la rassurer. Inutile de la faire culpabiliser pour des choix faits il y a longtemps. L'important, désormais, était de trouver quoi faire pour mettre fin à tout ça.

« Je suis là, maintenant. » Et elle comptait bien lui apporter de nouveau ses conseils, comme autrefois. Greer n'était peut-être pas capable de tout arrêter, mais elle ferait toujours de son mieux pour servir Mary et ses intérêts. « Mettre fin à tout ça pourrait la pousser à t'attaquer, en effet, mais elle pourrait aussi y voir une chance de vivre sa vie librement... » Mary en vie était une menace. Une menace qu'Elizabeth aurait peut-être envie d'éliminer, évidemment, mais rien n'était certain. « Tu t'es lancée dans un conflit difficile... » Ce n'était pas un reproche, cependant, il fallait dire les choses comme elles étaient - et Mary en avait l'habitude. « La tuer, dans ce monde, reviendrait à te rendre coupable d'un crime dont tu ne pourrais pas te défendre. » Elle n'était plus reine dans ce monde et il serait difficile d'expliquer son geste ou son ordre. « La laisser vivre reviendrait à vous mettre potentiellement en danger, tous les deux. » En d'autres termes, il n'y avait pas de solutions idéales, simplement des choix à faire, en espérant faire les meilleurs. « Nous trouverons une solution, je te le promets. » Et elle n'aurait plus à vivre dans la crainte.

Greer reprenait ce rôle qu'elle avait abandonné, par la force des choses, il y a de nombreuses années. Elle écoutait les problèmes que Mary rencontrait et elle essayait de la rassurer, de la conseiller, comme elle l'avait toujours fait. Finalement, même si Mary n'était plus une reine dans ce monde, elle rencontrait certains problèmes similaires. A croire que le passé ne vous lâchait jamais complètement et qu'il vous poursuivait où que vous alliez. Ces histoires avec Elizabeth... Combien de fois Greer avait-elle dû intervenir pour conseiller, donner son avis, encourager ou faire entendre raison à Mary ? Bien trop souvent, et les choses n'étaient pas finies apparemment.

Greer ne voulait pas enfoncer Mary plus que nécessaire. Elle avait fait des erreurs, des erreurs qu'elle justifiait et des erreurs, surtout, que la jeune femme était capable de comprendre. Ses choix n'étaient guidés que par une seule chose : le besoin de protéger son fils. Et si Greer pouvait bien comprendre une chose, c'était cela : protéger son enfant. Ainsi, elle ne lui en voulait pas, elle ne la tenait pas pour responsable. Non, elle comprenait. En revanche, elle ne l'incitait pas à continuer. Bien au contraire, elle souhaitait trouver une solution qui calmerait les deux parties et qui empêcherait une nouvelle guerre de se déclarer. Si elle ne savait pas encore quoi faire, elle savait qu'elle trouverait, tôt ou tard. L'envie de vivre en paix l'aiderait.

Ce conflit ne pouvait pas être éternel et il n'était pas obligé de se finir dans un bain de sang - c'était, en tout cas, tout ce que Greer espérait du fond du coeur. Mary pouvait compter sur elle, et elle le savait. Ses mots et cette main sur la sienne en étaient la preuve. Elles se faisaient confiance comme au premier jour, comme autrefois, comme avant cette lune rouge et ce monde étrange.

Cependant, Mary avait raison. Si Greer pouvait lui être d'un grand secours, ou de bons conseils, elle n'était pas juste là pour ça et il n'était pas question de gâcher les retrouvailles en ne parlant que de cette guerre qui opposait Mary à Elizabeth. Ce problème avait été évoqué, Greer avait conscience de son existence, mais elle ne trouverait pas une solution miracle en quelques minutes. Ainsi, elle aurait tout le temps d'y réfléchir plus tard et de chercher à mieux comprendre certains détails. Mais l'heure n'était pas à ça. Elles devaient aussi profiter de leurs retrouvailles pour parler d'autre chose, pour apprendre à se connaître comme autrefois, pour parler de leur vie ici et de l'avenir qu'elles envisageaient. « Tu as raison. Oublions les problèmes et les conflits pour un temps, ils nous rattraperont bien assez tôt. Profitons simplement de nos retrouvailles... Il y a tellement de choses à dire. » Trop pour que tout puisse être dit, avait-elle l'impression. « Je n'aurais pas refusé, sois rassurée. » Au contraire, même, elle avait hâte de pouvoir prolonger ce moment, de pouvoir discuter, rire et oublier tout ce qui avait pu les rendre malheureuses. Elle voulait juste qu'elles se retrouvent, comme avant, et profiter de cette famille qu'elle avait retrouvée.