Hansel et Gretel ▿ Greer & Sweeney

Greer était affamée comme elle l'avait rarement été dans sa vie. Ce n'était pas une sensation particulièrement agréable, bien au contraire même. Elle avait l'impression de sentir tout son corps réclamer de la nourriture, de sentir son estomac se tordre sous la faim. Cette sensation de faim était particulièrement étrange, elle ne semblait pas naturelle. Elle était trop puissante, trop violente. Comment pouvait-elle avoir si faim ?

Si cette sensation l'inquiétait tout particulièrement, le fait de se retrouver en pleine forêt avec un parfait inconnu sans être capable de dire pourquoi était plus inquiétant encore. Cette ville n'en était pas à son coup d'essai et Greer connaissait ses caprices, mais à chaque fois elle se retrouvait dans le même état : elle s'inquiétait, elle paniquait, elle avait peur. Sa réaction était humaine, après tout, puisqu'elle n'avait pas la moindre idée de ce qui l'attendait. Mieux valait pour elle qu'elle reste en alerte, qu'elle reste méfiante et qu'elle ne prenne pas ces situations trop à la légère.

Dans un silence parfait, les deux inconnus marchaient côte à côte à la recherche d'une sortie, d'un indice, de quelque chose. Greer rêvait, pour sa part, de tomber sur une table magnifiquement et généreusement remplie, mais elle avait conscience que ce désir resterait de l'ordre du rêve. Pourquoi lui ferait-on un tel cadeau ? On tentait plutôt de l'affamer pour la laisser mourir de faim. Ou peut-être pas...

Elle s'était stoppée nette. L'homme également. Comme elle, il semblait voir l'impensable - et l'improbable. Se pouvait-il qu'il existe une maison entièrement faite de pain d'épice, en plein milieu d'une forêt ? Se trouvaient-ils dans une forêt enchantée, comme celles que l'on pouvait trouver parfois dans les contes et autres histoires pour enfants, qu'elle aimait lire à sa petite fille ? « Je le vois. » Rétorqua-t-elle dans un souffle, oubliant ses questionnements pour en rester aux faits. Sa faim la poussait à se jeter sur cette maison sans réfléchir, sans prudence, pour satisfaire son besoin et faire taire cette sensation désagréable. Sa raison la poussait à se questionner sur la présence d'une telle maison, comme un cadeau tombé du ciel, une sorte de miracle - et tout le monde savait que cet endroit ne faisait pas de cadeau. A personne. « Vous la sentez aussi cette faim incontrôlable, n'est-ce pas ? » Greer en était persuadée. Il suffisait de voir son regard, ses traits, ses yeux, face à cette étrange petite maison. « C'est plus fort que moi. » Souffla-t-elle, comme pour se justifier, avant de s'approcher de cette maison. Jamais elle n'aurait cru faire ça, mais elle était en train d'arracher un petit bout, sur l'un des murs, pour le dévorer. Elle en oubliait ce qui se faisait et ce qui ne se faisait pas - et en même temps, personne n'apprenait jamais si manger la maison d'un inconnu trouvée en pleine forêt se faisait ou non - pour simplement tenter de faire taire cette faim qu'elle n'arrivait plus à supporter, oubliant un instant sa raison et les possibles conséquences de ses actes.

Greer était prudente par nature. Par le passé, elle avait eu le malheur de mettre cette prudence de côté pour laisser parler ses passions ou son impulsivité et ça ne lui avait jamais réussi - bien au contraire, même. Pourtant, affamée comme elle ne l'avait jamais été - bien qu'elle avait déjà connu la faim, après avoir été renvoyée du château, jamais elle ne l'avait ressentie de cette façon - elle n'arrivait pas à résister face à cette maison de pain d'épice. Tout son corps réclamait de recevoir de la nourriture. Elle avait l'impression que son ventre se tordait sous la faim. Comment résister à ce qui devenait la plus délicieuse de toutes les tentations, alors ? L'homme partageait le même supplice. La faim le tiraillait tout autant. Ce genre de faim n'avait rien de naturel, bien au contraire, et c'est ce qui aurait dû les pousser à prendre la fuite face à ce cadeau tombé du ciel. Pourtant, Greer oubliait tout de sa méfiance, de sa prudence, pour se jeter sur cette maison qu'elle dévorerait d'un seul bloc si elle en avait eu la possibilité.

Céder à la tentation. Répondre à ses envies. C'était tellement facile, au fond. Il suffisait de se laisser aller, de ne plus réfléchir. Plus aucune retenue, aucune réflexion. Agir plutôt que réfléchir. Agir plutôt que craindre. Au diable les conséquences, après tout. Elle voulait simplement manger. Faire taire cette faim qu'elle ne supportait plus. Elle affronterait le reste ensuite, lorsque la faim aurait disparu. L'odeur que dégageait la maison ne faisait qu'attiser cette faim. Tout était fait pour qu'ils ne puissent pas résister. Les couleurs et les odeurs. Et le goût. Il avait suffi d'un minuscule morceau pour que Greer comprenne qu'elle n'y résisterait définitivement pas. Il s'agissait de la meilleure chose qu'elle avait mangée de toute sa vie. C'était délicieux. C'était même plus que délicieux, c'était addictif.

Il n'y avait plus aucun bruit. Ils ne parlaient plus. Ils se contentaient de manger, encore et encore, morceau après morceau. Ils remplissaient leur estomac pour faire taire leur insupportable faim. Et ça fonctionnait. Greer avait déjà l'impression de sentir un peu moins la faim. Un peu. Elle était encore très loin d'être rassasiée, cependant. Elle commençait à croire qu'il ne lui faudrait pas moins que toute la maison pour être totalement rassasiée. « Je n'aurais pas dit mieux... » Souffla-t-elle entre deux bouchées. Un délice. Un pur plaisir. C'était en effet ce que ressentait Greer à chaque bouchée, à chaque fois qu'elle sentait sa faim s'atténuer un peu plus.

Greer, tellement concentrée à dévorer cette maison, n'avait ni vu ni entendu cette vieille femme. Cette dernière était sortie de cette maison qu'ils dévoraient et les observait peut-être depuis un certain temps, en silence. Puis, elle s'était mis à parler. Sa proposition avait fait sursauter Greer, surprise d'entendre une autre voix que celle de son compagnon d'aventure. Ils n'étaient donc pas aussi seuls qu'elle le croyait. Ses yeux se posèrent sur cette dame un instant. Greer l'observait, presque honteuse d'avoir ainsi cédé à ses envies en dévorant la maison de cette dame - elle le supposait, du moins, et le plus étrange restait que ça ne lui semblait pas plus étrange que cela de posséder ce genre de maison en plein milieu d'une forêt.

A la proposition de cette inconnue, Greer ne savait pas quoi répondre. La vieille dame ne semblait pas en vouloir aux deux affamés d'avoir goûté de sa maison et elle semblait bien inoffensive. Y avait-il réellement des raisons de se méfier ? Il ne fallait jamais se fier aux apparences et il était préférable de toujours rester sur ses gardes, c'était ce que soufflait une petite voix en Greer, mais la proposition était tellement alléchante. Un vrai repas. Pas juste du sucre. Un repas. Complet. Copieux. Peut-être aussi bon que cette maison ? Peut-être meilleur, même ?

Greer jetait un coup d'oeil interrogateur à l'homme qui était à ses côtés. Elle hésitait, mais son estomac et sa faim avaient déjà choisi pour elle. Que risquaient-ils, au pire ? Ils n'auraient aucun mal à prendre la fuite ou se défendre face à une vieille dame, si ? Le poison était peut-être la pire menace qu'imaginait Greer, mais elle ne voyait aucune raison pour que ça arrive. Cette naïveté était bien plus dangereuse qu'elle ne l'imaginait, mais elle était guidée par la faim et uniquement par la faim, cette faim presque surnaturelle, ce qui ne facilitait pas les choses. « Nous acceptons votre offre généreuse avec plaisir, Madame. » Souffla-t-elle, souriante et aimable. « Merci beaucoup. » Ajouta-t-elle tout en passant le seuil de cette maison, sans imaginer ce qui l'attendrait à l'intérieur.

Greer, n'écoutant que sa faim, faisait preuve d'une grande naïveté. Elle ne voyait en cette vieille femme que l'innocence et la gentillesse. Elle se fiait aux apparences, supposant qu'à deux, ils restaient plus forts qu'elle et qu'elle ne pouvait donc leur faire aucun mal. Une petite chose, au fond d'elle, lui indiquait de faire attention, d'être prudente, de rester sur ses gardes, mais sa faim restait plus forte que tout le reste. Alors, sans plus aucune hésitation, elle avait accepté la proposition de cette dame et elle était entrée à l'intérieur, suivie par son compagnon d'aventure. Il fallait avoir confiance, n'est-ce pas ? On leur mettait cette chance sur leur chemin, il fallait qu'ils la saisissent.

Greer observait d'un oeil discret les alentours. Cette petite maison était particulièrement soignée, mais simple. Il n'y avait rien d'extravagant, rien de particulièrement inquiétant, non plus. Greer trouvait même l'endroit agréable et chaleureux. Son compagnon d'aventure remercia à son tour la vieille dame, remerciant le destin qui les avait guidés vers cette maison. Il était vrai que cette maison était un cadeau tombé du ciel, une véritable bénédiction pour ces deux êtres affamés. Elle était apparue au bon moment. Une véritable chance - et rien que pour ça, Greer aurait dû se méfier davantage.

Sans attendre davantage, Greer s'était installée à table, après un énième sourire poli à son hôte. Cette dernière souriait également, tout en les observant tour à tour. Sweeney, quant à lui, observait les lieux avec une attention toute particulière. Greer l'observait d'un oeil curieux, mais compréhensif. Il était méfiant. Il en avait le droit et, même, il avait sans doute raison. « Ne vous inquiétez pas tant, ce n'est qu'une vieille dame inoffensive. » Souffla-t-elle après la mise en garde de son compagnon, en souriant dans l'espoir de le rassurer un peu. Encore une fois, elle avait conscience qu'il était mauvais de se fier aux apparences, mais guidée par la faim, elle ne pensait qu'au précieux repas qui l'attendait.

Il s'était finalement installé face à elle, couteau en main - à cet instant, elle se demandait de qui elle devait se méfier le plus, tant il dégageait quelque chose d'inquiétant. Leur hôte, quant à elle, s'activait pour leur apporter le repas tant attendu. Greer en salivait d'avance, tant la faim lui paraissait à nouveau être insupportable. Pour autant, bien élevée, malgré l'envie qui la tiraillait, Greer attendait. Elle ne pouvait pas se jeter sur la nourriture. Alors que les nombreux plats sur la table dégageaient une odeur absolument délicieuse, l'homme n'était pas décidé à se mettre à table. D'abord, il préférait mettre en garde la vieille dame - et il n'avait pas tort, Greer le reconnaissait volontiers - sur le fait qu'ils n'avaient aucun moyen de la dédommager pour la nourriture. Sa bonté, si elle était là pour obtenir quelque chose en retour, ne serait pas récompensée par de l'argent ou des objets de valeur. En effet, ils étaient dépourvus d'argent et de tout moyen pour payer.

Si la dame ne répondait rien, elle semblait s'étonner d'une telle réponse. Sans doute pour comprendre ses motivations profondes, l'homme continua, cette fois-ci, en lui posant une question. Greer, quant à elle, n'avait qu'une hâte : manger. Il était méfiant. Sa posture, son ton, ses gestes... Tout était très clair. Cette dame, pourtant, n'avait montré aucun signe d'hostilité à leur égard et se montrait même particulièrement bonne et généreuse envers eux - bonté qui disparaîtrait peut-être s'il continuait ainsi. Après sa réponse, que Greer jugeait rassurante, Sweeney avait observé Greer. Elle souriait, douce, pour qu'il puisse se détendre et se rassurer. Sa vie n'avait pas dû être simple pour qu'il soit aussi méfiant et Greer pouvait le comprendre, mais elle avait envie d'avoir confiance, de croire en la bonté et en la gentillesse innocente de cette femme. « Détendez-vous, nous n'avons rien à craindre. » Souffla-t-elle, dans un murmure que la vieille dame entendrait peut-être, mais ça lui importait peu. « Profitez de ce délicieux repas. » L'encourageait-elle, tout en commençant à se servir, pour l'inciter à suivre le mouvement. « Tout semble délicieux. » Affirma-t-elle en tournant les yeux vers leur hôte, pour la complimenter à propos des nombreux plats qui avaient pris place sur leur table. « Nous vous remercions encore une fois pour tout cela. Votre générosité vous honore. » Elle tentait de radoucir l'ambiance un peu trop lourde de cette pièce, à cause des questions et des réflexions de son compagnon d'aventure. Sur ces mots, Greer avait mangé une première bouchée, profitant de la sensation agréable de la nourriture dans sa bouche. Et, après avoir appelé la première bouchée, elle avait levé les yeux vers son camarade, comme pour l'encourager et lui dire qu'il ne s'était rien passé et que, donc, il pouvait avoir confiance.

Greer voulait croire en cette vieille dame. Elle voulait croire que seul son coeur parlait pour leur offrir ce repas et qu'elle n'attendait rien en retour et, mieux encore, qu'elle n'avait aucune mauvaise intention à leur égard. Elle faisait preuve d'une grande naïveté - et pourtant, elle avait suffisamment été trompée dans la vie pour être méfiante - mais elle voulait croire en l'être humain et faire disparaître cette faim qui la tiraillait. L'homme, en revanche, préférait sa méfiance. Il la voyait comme une fidèle compagne, comme quelque chose qui le protégeait, comme quelque chose d'essentiel et d'indispensable. Au fond, même si elle voulait le voir profiter de ce repas, elle ne pouvait pas le blâmer pour ça. Si Greer se montrait un peu plus attentive à la situation, elle y verrait certainement de quoi se méfier, également. « Je connais les êtres humains. J'ai vécu bien plus de choses que vous ne semblez le penser. » Répondit-elle avec gentillesse face au ton doux qu'il empruntait pour s'adresser à elle. Des choses différentes de ce que lui avait pu vivre, moins difficiles peut-être, mais elle avait vécu des événements difficiles qui l'avaient endurcie. Cependant, elle voulait garder confiance en l'humain parce que, que lui resterait-il sinon ? De la colère ? De la peur ? De la méfiance ? Non, elle refusait cette vie.

Elle l'entendait murmurer, mais elle ne répondait rien. Greer ignorait comment le convaincre de l'innocence de cette vieille femme. Elle ignorait comment le convaincre de la bienveillance, de la gentillesse, de l'altruisme dont certains êtres humains étaient capables. Alors, elle préférait lui prouver par des gestes, plutôt que par la parole. Doucement, après avoir une nouvelle fois remercié leur hôte, elle avait attrapé un peu de la nourriture qui traînait sur la table pour satisfaire sa faim. Elle espérait ainsi lui montrer qu'il n'y avait rien à craindre et qu'il pouvait satisfaire sa faim, comme elle était en train de satisfaire la sienne. « Je le crois. » Souffla-t-elle alors qu'il disait que, cette fois-ci, peut-être, la chance leur souriait enfin. Oui, elle voulait y croire, plus qu'à tout autre chose à cet instant.  

S'il avait cédé à l'appel de la faim, il restait sur ses gardes et continuait d'interroger la vieille femme sur ses intentions. Greer continuait de manger, lentement - même si l'envie de se jeter sur la nourriture ne la quittait pas - tout en écoutant la conversation de ces deux inconnus. Elle n'intervenait pas, elle écoutait, simplement. Sans aucune hésitation, la vieille dame répondait aux questions. Ils étaient donc son remède à la solitude. Cette pensée faisait sourire Greer avec douceur. Elle avait de la peine pour cette vieille femme, seule dans cette vieille maison perdue au milieu de nulle part. Comme la solitude devait être pesante dans une telle situation.

« Je vous promets que je serai prudente. » Avait-elle fini par dire à cet homme qui, une nouvelle fois, la mettait en garde avec bienveillance. Si ça pouvait le rassurer de savoir Greer sur ses gardes, même un minimum, alors autant lui promettre - et faire un petit effort. Après ces quelques mots, Sweeney interrogea de nouveau leur hôte à propos de son histoire. Elle racontait alors une histoire de solitude, ses pertes et sa vie isolée. Une nouvelle fois, Greer eut de la peine, imaginant sans mal ce qu'était une vie de solitude - elle l'avait connue, après avoir été renvoyée du château, perdue dans un monde qu'elle ne connaissait pas, sans le sou, loin de ses proches et des gens qu'elle avait aimés. L'histoire semblait le convaincre, lui aussi. Il semblait presque touché par ce qu'il avait entendu. A sa réflexion, Greer avait souri, avec tendresse. Sa vie n'avait pas dû être simple, il n'y avait qu'à le voir pour s'en rendre compte, mais peut-être que de telles rencontres réussiraient, un jour, à lui redonner confiance en l'être humain. « Il faut avoir confiance. » ajouta-t-elle, persuadée que certains êtres humains, comme cette dame, était profondément bons et purs.

« Vous ne mangez pas avec nous ? » avait-elle fini par demander avec douceur à la vieille dame, l'incitant à profiter de leur compagnie, mais elle refusait, prétextant avoir du travail qui l'attendait. « Dans ce cas, je vais vous aider. » Proposa Greer, en se relevant, sans aucune méfiance. « C'est la moindre des choses après le repas que vous nous avez offert. » Même si Greer n'aurait pas été contre continué à goûter à tous ces délicieux plats. « Vous, profitez de ce repas. » Souffla-t-elle à Sweeney qui n'avait pas encore eu l'occasion de manger autant qu'elle, tout en se préparant à suivre la vieille dame pour l'aider dans ses taches.

Greer tenait à rendre sa gentillesse à cette vieille dame. Pour cela, elle avait décidé de l'aider dans les multiples tâches qui semblaient l'attendre, selon ses dires. Il était évident qu'elle aurait préféré profiter de ce délicieux repas encore un temps, mais elle avait déjà mangé suffisamment - bien que son appétit, mystérieusement, ne disparaissait pas complètement. Et, surtout, elle voulait tant prouver à cet homme, qu'elle ne connaissait pourtant pas, qu'il pouvait avoir confiance, que tous les êtres humains n'étaient pas mauvais, que la bonté pure existait... A tort, évidemment, mais elle l'ignorait encore, cependant.

Alors, Greer s'était relevée pour accompagner la vieille dame, tout en ordonnant gentiment à Sweeney de profiter enfin de ce repas. Comme un père l'aurait fait avec sa fille - enfin, pas son père à elle, puisqu'il n'avait jamais eu aucune tendresse à son égard et ses seules mises en garde étaient, en réalité, plutôt des menaces concernant son avenir - il la mettait de nouveau en garde. Un sourire tendre aux lèvres, Greer déposa sa main sur son épaule dans un geste qu'elle voulait rassurant. « Ne vous ai-je pas déjà promis d'être prudente ? » Ce n'était pas un reproche, au contraire, elle se montrait douce et elle souriait, dans l'espoir de le rassurer. Il ne lui voulait que du bien, elle en était persuadée.

Greer suivit finalement leur hôte, pensant abandonner Sweeney à cette table pour le moment, le temps de son repas. La vieille dame la questionnait, lui faisait la conversation. Greer restait assez évasive, préférant écouter ce qu'elle avait à dire à propos de ses multiples tâches, plutôt que parler d'elle. Greer se montrait compatissante, plaignait cette pauvre femme qui vivait seule, dans cette insupportable solitude, et qui était contrainte de faire vivre cet endroit sans personne. Elle imaginait comme cette tâche devait être compliquée et épuisante. Et elle avait de la peine pour cette personne.

Arrivée dans une pièce qui ressemblait à un lieu où son interlocutrice stockait ses vivres et ses réserves, elle lui expliquait qu'elle devait ranger les divers sacs et boîtes sur les étagères. Elle lui expliquait, notamment, que monter l'échelle qui lui permettait de ranger les choses en hauteur devenait compliqué pour elle. Tout naturellement, la jeune femme se proposait pour le faire. Après tout, elle pouvait bien lui rendre un tel service, n'est-ce pas ? Elle grimpait alors quelques marches, sans monter trop haut, pour commencer, et demanda à la vieille femme de lui donner les premiers sacs.

Au début, tout se passait à peu près bien. La vieille dame approchait les sacs, Greer les soulevait, avec difficulté parfois, tant ils étaient lourds - c'était surprenant que, jusqu'à présent, cette femme aux allures fragiles et frêles avait pu réaliser une telle action seule - et les rangeait à la place indiquait. Doucement, la confiance de Greer s'endormait. Elle souriait, elle discutait, elle travaillait. Il n'y avait vraiment aucune raison de se méfier de cette vieille dame, d'après elle. Pas lorsqu'elle l'entendait raconter sa vie et ses difficultés ou lorsqu'elle la voyait agir ainsi avec elle.

Cependant, sa méfiance complètement endormie, elle n'hésitait plus à lui tourner le dos, sans plus se méfier des bruits et des mouvements autour d'elle. Leur hôte avait été suffisamment rusée pour ne pas agir tout de suite, pour attendre le moment opportun. Ainsi, sans que Greer ne se rende compte de rien, elle s'était saisie d'une bûche. Et alors que la jeune femme était en train de parler, elle n'avait pas la moindre idée que son interlocutrice s'apprêtait à lui asséner un coup pour l'assommer. Peut-être aurait-elle dû, finalement, accorder plus de valeur à cette promesse qu'elle avait faite à Sweeney ?

Sweeney avait peut-être raison. Peut-être que Greer n'était pas suffisamment prudente. Peut-être que Greer avait une confiance trop aveugle en cette humanité qu'elle voulait croire bonne. Pourtant, la jeune femme avait eu son lot de mésaventures, de mauvaises choses, de mauvaises décisions, de mauvaises rencontres, ce qui ne semblait pas, visiblement, l'empêcher de continuer à faire des erreurs. Elle était trop naïve.

La vieille dame avait réussi à obtenir sa confiance. Elle avait réussi à endormir sa méfiance. A force de lui parler, de dévoiler ses faiblesses, Greer avait complétement baissé sa garde. Sans aucune crainte, elle lui avait tourné le dos. Que risquait-elle ? A ses yeux, rien du tout. Ce n'était qu'une vieille femme inoffensive contre qui Greer se défendrait sans mal... Enfin, ça, c'était ce qu'elle croyait. Dos à elle, elle ne voyait pas le danger arriver et donc, par conséquent, elle était incapable de l'éviter. Elle n'avait réalisé ce qui se passait qu'à l'instant où un cri, venant de Sweeney, avait attiré son attention. Elle s'était tournée vers lui, remarquant qu'il courait en sa direction et, avant qu'elle ne puisse vraiment réagir et comprendre ce qui était en train de se passer, il s'était interposée entre elle et la vieille femme. Le coeur de la jeune femme battait à tout rompre face à ce qu'elle venait d'éviter et face à ce qu'elle avait risqué. Il avait donc eu raison. Et parce qu'elle avait été imprudente, il s'était pris un coup à sa place. Il était blessé à cause d'elle. Elle s'en voulait terriblement. Elle s'en voulait terriblement d'avoir été aussi stupide. Et elle lui était terriblement reconnaissante d'avoir été là au bon moment.

Greer, cachée derrière l'homme, tentait d'observer la scène malgré tout. Il mettait en garde la vieille femme, tandis que Greer craignait une autre attaque. Derrière ce masque de gentillesse, qui sait ce qu'elle avait caché d'autres ? Après ses mises en garde, il avait fini par se tourner vers elle. A sa question, elle ne put que répondre par un mouvement de tête. Oui, elle allait bien. Surprise et choquée, mais elle allait bien. Au moins, grâce à lui, elle n'avait pas été blessée. « Je... Je suis désolée. » Elle n'avait rien pu répondre d'autre face à ses mots. Il n'était pas en colère ou agressif, mais elle ne pouvait faire autrement que de s'en vouloir d'avoir ignoré ses avertissements. Elle ressemblait à une enfant face aux mises en garde ignorées de son père.

Greer ignorait ce qu'elle était censée faire, alors elle se contentait d'attendre - au moins, ainsi, elle ne ferait pas d'autres bêtises. L'homme ramassa la bûche avant d'expliquer à Greer qu'ils devaient partir parce qu'elle n'était plus en sécurité - et lui non plus, mais ça ne semblait pas le déranger plus que ça. Alors, sans protestation et sans un mot, elle l'avait suivi, laissant derrière eux cette vieille femme. « Attendez... » Avait-elle fini par souffler, malgré tout, après s'être éloignée de cette femme. « Merci. » Parce qu'il venait peut-être de lui sauver la vie ou, dans tous les cas, de lui éviter un moment désagréable. Alors, peut-être n'était-ce pas le moment idéal pour cela, mais elle devait le remercier.

Et ce n'était pas tout. Comptait-il simplement laisser cette femme ici, sans rien faire de plus ? Allait-elle seulement les laisser partir ? Ils avaient certainement été attirés dans un piège, sinon comment expliquer qu'ils s'étaient retrouvés, affamés, devant cette maison délicieuse ? A ce hasard, Greer n'y croyait pas. « Croyez-vous qu'elle nous laissera tranquille ? Et si la nourriture avait été empoisonnée ? » Avec un effet qui n'était pas immédiat. Elle n'y connaissait pas grand-chose en poison, elle devait l'avouer, mais elle avait fréquenté une reine qui en connaissait un rayon et qui s'en servait dès qu'un ennemi semblait un peu trop la contrarier. Ainsi, elle savait que l'effet de certains poisons n'était pas immédiat.

Alors, évidemment, elle avait peur. Peur qu'ils se retrouvent perdus en plein milieu de cette forêt, sans aucune issue, sans aucun moyen de s'échapper et qu'ils finissent par y mourir de froid ou de faim. Elle avait peur d'avoir été empoisonnée, peur qu'il ait été empoisonné, peur que l'un ou l'autre se retrouvent malade, ou pire encore. Elle avait peur que cette vieille dame ne soit pas seule ou n'en reste pas là. Fuir cet endroit était certainement la solution la plus sûre actuellement, mais le serait-elle sur le long terme ? Greer n'en savait rien, il n'y avait plus de logique, plus de raison, juste la peur qui parlait pour elle.

Greer n'essayait pas de discuter ce que Sweeney lui disait. Elle avait fait la bêtise une fois, elle éviterait de recommencer. Il semblait plus sage, plus réfléchi, plus prudent qu'elle. Suffisamment, en tout cas, pour qu'elle se décide à lui faire confiance - qu'il vienne de lui sauver la vie devait y jouer pour beaucoup, également. A la demande de l'homme, Greer ne lâchait donc pas du regard la vieille femme. Elle guettait le moindre de ses mouvements afin de pouvoir parer n'importe quel geste un peu trop brusque. Heureusement, elle n'avait pas bougé et avait gentiment attendu que Sweeney recouvre son visage d'un vieux sac et lui attache les mains. Ainsi, elle représentait une menace moindre et même si elle n'en devenait pas totalement inoffensive pour autant, Greer se sentait déjà rassurée.

Greer restait toujours à l'affût du moindre geste de la vieille femme tandis que Sweeney s'était éloigné, sans qu'elle ne sache pourquoi. Il y avait toujours cette crainte qu'elle puisse se libérer et s'en prendre de nouveau à elle, mais étrangement, la sorcière ne bougeait pas. Elle ne tentait ni de parler pour se défendre, ni de bouger pour se libérer. Rien. Elle se contentait d'attendre avec une patience et un calme presque effrayants en une situation comme celle-ci. Etait-ce parce qu'elle avait compris que les jeux étaient faits et qu'elle avait perdu ? Ou se préparait-elle à quelque chose ?

A l'instant où son compagnon de mésaventure était revenu dans la pièce, un long couteau à la main, Greer avait senti son coeur rater un battement. Elle n'avait pas peur pour sa propre vie, mais elle craignait de voir ce qu'il comptait faire de leur hôte avec cette arme. Pourtant, elle ne disait rien, ne protestait pas. Peut-être à cause de ce qu'il venait de supposer ? Non, d'affirmer. Son visage affichait un air de dégoût, de terreur, et elle avait l'impression d'avoir la nausée, tout à coup. Voir cette dent qu'il tenait dans sa main n'aidait en rien. Avait-elle vraiment eu l'intention de les... dévorer ? « C'est... » Rien. Elle n'avait rien à dire, en réalité. Il n'y avait rien à dire. Les preuves semblaient parler d'elles-mêmes pour que le moindre doute puisse subsister dans l'esprit de l'homme, pourtant, à l'instant où il avait évoqué la mort de cette femme, Greer avait relevé les yeux vers lui. Etait-il sérieux ? Ils n'allaient tout de même pas la tuer ? Se rendre coupable d'un tel acte ? Bien sûr que cette femme méritait d'être punie, et sévèrement, mais avaient-ils le droit de s'en occuper eux-mêmes ? Un instant, alors qu'il s'en était approché, elle avait cru qu'il allait le faire sans plus attendre.

Mais non. Il ne l'avait pas tuée. Il lui ordonnait simplement de montrer son four, ce qu'elle fit, après y avoir été encouragée par la lame qu'il tenait entre ses mains. La vieille obtempéra et Greer en fit de même, en restant en arrière, à l'abri. Sans un mot - il lui fallait le temps de faire passer le choc avant d'être capable d'exprimer un son correctement - elle les avait suivis jusque dans la cuisine où elle comprit, à la vue du four, que Sweeney disait vrai. Et, cette fois-ci, tout dans l'attitude de l'homme, et dans ses mots, indiquait à Greer qu'il s'apprêtait à commettre l'irréparable. Son coeur accélérait, mais elle n'osait toujours pas protester. Aurait-elle les mots pour le convaincre, de toute façon ?

Elle n'en avait pas eu besoin. Les mots semblaient inutiles. Il lui avait jeté un coup d'oeil et son attitude changea - elle était certaine d'avoir pu le lire en lui. Greer pensait s'être trompée - encore - en le voyant la pousser dans le four, mais il s'était contenté de le fermer, de coincer l'ouverture, sans l'allumer.  « Merci. » Se contenta-t-elle de souffler alors qu'il lui faisait clairement comprendre qu'il renonçait à ôter cette vie pour qu'elle n'ait pas à en être témoin. Cette femme méritait d'être punie, même s'il prétendait qu'ils ne trouveraient personne d'honnête pour cela, mais devaient-ils choisir du destin de quelqu'un - même s'il s'agissait d'un monstre ? Elle n'était pas certaine d'en avoir le droit.

Sweeney reprit la parole pour lui indiquer que la nuit était tombée. A ces mots, instinctivement, Greer avait tourné les yeux vers une fenêtre. Il avait raison. La forêt était dangereuse. La nuit, plus encore. Ils allaient donc devoir rester ici, dans cette maison terrifiante habitée par une sorte de sorcière mangeuse de chair humaine ? La perspective n'était guère réjouissante, mais... il n'y avait aucune autre alternative. Il devenait difficile de gérer toutes les émotions qui passaient en elle. Heureusement pour elle, ce n'était pas tous les jours qu'elle se retrouvait dans ce genre de situation. « J'aurais dû vous écouter, je suis désolée. » Affirma-t-elle une nouvelle fois alors qu'il lui faisait part de son avis sur le monde et ses dangers - des dangers qui, pour certains, devraient pourtant lui être familiers. Quant à Sweeney, il était évident qu'il avait vécu des événements difficiles - pire que ça, même - et elle comprenait le comportement qu'il adoptait.

Poussée à se méfier, la crainte de ne pas être en sécurité, même dans cette maison, Greer craignait d'avoir été empoissonnée, tout comme son compagnon de mésaventure. Que deviendraient-ils alors ? Greer n'ajoutait rien, elle le voyait se perdre dans ses souvenirs, elle préférait attendre qu'il termine. « Je suis rassurée. » Et c'était peu dire. Elle s'inquiétait pour elle, évidemment, mais elle s'inquiétait également d'être impuissante face au poison qui pouvait couler dans les veines de celui qui veillait sur elle - parce que dans le cas d'un empoisonnement, elle ne pourrait pas lui venir en aide, et l'idée de se retrouver seule ici... Elle ne préférait même pas y penser. « Vous devez vous reposer vous aussi. » Souffla-t-elle, alors qu'il lui demandait d'aller se reposer pendant qu'il veillerait à ce que rien ne lui arrive. « Nous pouvons la surveiller à tour de rôle ? » Elle ne pourrait pas grand-chose si la vieille sortait de sa prison, mais ça n'arriverait pas. « Ou je peux rester ici avec vous ? » Histoire qu'il n'ait pas à rester seul toute la nuit dans cette ambiance lugubre. « Vous n'allez pas la tuer ? » Avait-elle fini par oser demander. Peut-être que c'était pour ça qu'il voulait qu'elle aille ailleurs, dormir, pour pouvoir avoir le champ libre.

Ils ne pouvaient se réfugier dans la forêt ou fuir cet endroit pour rentrer chez eux. Ils étaient donc contraints, par la force des choses, à rester dans cette vieille maison lugubre et inquiétante, en compagnie de cette sorcière. Greer ne souhaitait pas se retrouver seule dans une chambre, loin de celui qui pouvait la protéger, seule face à l'obscurité et aux dangers qui pouvaient se cacher partout dans cette maison. Elle ne voulait pas non plus le laisser seul face au plus évident de tous les dangers, cette femme enfermée dans le four. Malgré les propositions de Greer, il restait pourtant intraitable et refusait de changer d'avis. Il voulait qu'elle se repose et il lui assurait qu'il s'occuperait de la sorcière pendant qu'elle se reposait.

Avant d'accéder à son souhait, puisqu'elle ne voulait pas se battre pour obtenir de rester là, elle s'inquiétait tout de même d'une chose : comptait-il profiter de son absence pour tuer leur prisonnière ? Ce n'était pas que Greer tenait particulièrement à bien agir, mais elle craignait aussi pour la vie de Sweeney. Qui pouvait savoir de quoi cette créature était capable, après tout ? Et... Greer n'aimait pas l'idée de se venger, de faire justice soi-même. Cette femme allait payer pour ses crimes, mais ils ne seraient pas ses bourreaux. Ils ne le devaient pas.

Sweeney lui avait assuré qu'il ne la tuerait pas. Insistant, en ajoutant que la vengeance n'était pas une solution et qu'elle paierait pour ses crimes, autrement que de sa main. Greer se contenta de hocher la tête, satisfaite par la réponse. « Merci. » Comment ne pas remercier celui qui vous promettait de veiller sur vous ? « Soyez prudent. » Parce qu'elle refusait qu'il puisse lui arriver quoi que ce soit à cause d'elle - après tout, qui avait insisté pour entrer dans cette maison à la proposition de la vieille dame, sans aucune méfiance ? Elle lui avait lancé un dernier regard plein de reconnaissance avant de disparaître pour se reposer, comme il le lui avait conseillé.

Le sommeil était difficile à trouver. Impossible, même. Elle avait l'impression d'entendre chaque bruit, chaque respiration, et de ne les voir que comme des menaces. Elle avait l'impression de voir des ombres aussi effrayantes que dangereuses dès qu'elle ouvrait les yeux et de sentir la présence de quelqu'un à ses côtés dès qu'elle les fermait. L'ambiance dégagée par cet endroit, hanté par les âmes de ceux qui y étaient morts - en avait-elle l'impression, tout du moins - ne lui permettait pas de se reposer comme elle l'aurait aimé.

Puis, il y avait eu du mouvement. Peut-être que, finalement, Greer avait pu s'assoupir légèrement puisqu'il lui avait fallu quelques secondes pour réaliser qu'elle n'était pas en train de rêver. Greer s'était redressée à toute vitesse avant d'hésiter. Pourquoi hésiter ? Pourquoi ne pas se précipiter à l'extérieur pour venir en aide à Sweeney ? Elle l'ignorait, elle était comme paralysée. Et si elle arrivait trop tard ? Si elle assistait à la pire de toutes les scènes possibles dans ce scénario ? Le bruit et les cris avaient fini par la convaincre. Elle s'était précipitée à l'extérieur. Et elle l'avait vu. Elle était restée sur le pas de la porte. Elle l'avait regardé faire, incapable de bouger ou de parler pour le stopper.

Il y avait quelque chose de terrifiant dans le comportement de cet homme. Son geste lui semblait précis, presque habituel. Il avait gardé son sang-froid. Il s'était montré calme, malgré tout. Et il avait ôté une vie. Greer ne pouvait rien lui reprocher. Il l'avait fait par obligation, pour les protéger et elle n'avait rien fait pour l'en empêcher. D'une certaine façon, elle se sentait complice, coupable presque autant que lui, mais... L'assurance de son geste n'en restait pas moins perturbante.

Lorsqu'il s'était tourné vers elle, elle n'avait pas eu peur de lui, même après ce qu'elle avait vu. Non, il restait l'homme qui venait de lui sauver la vie. Il s'était approché d'elle et il lui semblait, tout à coup, si humain, si vulnérable, lui qui paraissait avoir agi avec sang-froid et sans émotion. Sa voix, qui s'excusait, lui paraissait si fragile. Brisée. « Vous n'aviez pas le choix. » Ce n'était qu'un souffle. Une excuse qu'elle lui offrait pour son geste parce qu'elle n'arrivait pas à lui en vouloir. Elle aurait évidemment préféré ne pas devoir assister à une scène aussi traumatisante, mais il n'y était pour rien.

A ses promesses, Greer n'avait plus rien répondu. Elle s'était contentée d'un hochement de tête, d'un remerciement silencieux. Elle avait confiance en lui pour la protéger, mais elle s'inquiétait des dangers qui leur tomberaient dessus et de comment il réagirait face à eux. En silence, ils s'étaient installés dans un coin de la pièce. Ils attendaient que cette nuit infernale se termine, d'être libérés de cet endroit. Le silence était nécessaire, mais pesant. Ils en avaient besoin, mais il rendait l'atmosphère plus difficile encore. Greer réfléchissait, pensait à ce qui venait de se passer, se convainquant qu'aucune autre solution n'avait été possible et se persuadant que les images disparaîtraient en même temps que cet endroit.

Elle ne pouvait ni dormir, ni penser à autre chose. Elle ne pouvait qu'observer cette pièce, plongée dans l'obscurité et attendre que le jour se lève. Elle ne pouvait qu'espérer que les épreuves ne se succèdent pas. Pourtant... Dans cette ville, dans un endroit comme celui-ci, comment pouvait-elle être aussi naïve ? « Si elle ne peut pas mourir, partons d'ici ! » S'empressa-t-elle de dire en se redressant. La scène qu'elle avait sous les yeux paraissait invraisemblable, mais la terreur qu'elle ressentait surpassait tout. Tout à coup, les dangers de l'extérieur ne lui semblaient plus aussi insurmontables. Pas face à cette sorcière immortelle. « Nous ne pouvons rien faire contre elle... » Et ils n'allaient tout de même pas s'amuser à la tuer encore et encore jusqu'à ce que le jour se lève pour espérer survivre.

Étrangement, Greer avait confiance en cet homme. A première vue, ce n'était pas ce qu'il inspirait, de la confiance, mais il semblait pourtant en être digne. Bien plus que de nombreux hommes que Greer avait rencontré au cours de sa vie. Il avait tué, certes, et ce n'était pas rien, mais n'avait-il pas tué par nécessité ? Par obligation ? Dans certaines situations, ce geste n'était-il pas excusable ? Justifiable ? Entre tuer et être tué, il fallait bien faire un choix... Et par ce choix, il l'avait protégée également. Alors comment lui en tenir rigueur ? Non, elle ne le pouvait pas. Elle lui faisait confiance. Suffisamment pour rester là, installée dans un coin, en sa compagnie. Suffisamment pour craindre pour sa vie et vouloir fuir cette maison, malgré la crainte que l'extérieur lui inspirait, afin de le protéger de cette sorcière.

Dans l'obscurité, Greer cherchait à le convaincre. Il fallait fuir. Fuir avant que cette créature ne se relève. Fuir avant qu'elle ne les attaque à nouveau. Fuir avant qu'elle ne réussisse à s'en prendre à eux. Cependant, il s'y refusait toujours. Il voulait se montrer plus rusé que la sorcière et, ses mains dans les siennes, il essayait de la convaincre que quitter cette maison avant l'aube était une mauvaise idée. Pour cela, il lui promettait de veiller sur elle. Et il l'avait déjà fait... Alors, comment en douter ?

Greer n'était pas rassurée. Elle craignait de rester là, si proche du cadavre de cette sorcière. Elle craignait d'être à sa merci. Elle craignait tant de choses... Pourtant, elle ne se sentait pas prête à lutter contre lui. S'il lui promettait qu'il ne lui arriverait rien, alors elle avait envie de le croire. Il ressemblait tant à un père souhaitant protéger son enfant que Greer en était perturbée - jamais elle n'avait eu un père qui tenait tant à elle. Silencieusement, sans rien lui répondre, Greer était restée dans son coin. Les minutes paraissaient être une éternité et face à cette éternité, avec Sweeney comme protecteur, Greer avait essayé de fermer un peu les yeux. Dormir était impossible, mais peut-être pouvait-elle au moins se reposer un peu ? S'assoupir ? Retrouver un peu de forces ? Il allait en falloir pour pouvoir affronter le lendemain.

Comme promis, il ne lui était rien arrivé. Il ne leur était rien arrivé. Les deux compagnons étaient en vie lorsque les premières lueurs du jour apparurent. Greer était soulagée. Soulagée de voir qu'ils avaient survécu jusqu'ici, ce qui n'était pas rien. Elle avait conscience des dangers que la sorcière représentait toujours et des dangers de l'extérieur, mais elle n'avait pas conscience que tout ne faisait que commencer. Au contraire, dans son esprit, elle préférait se convaincre que c'était la fin. Après tout, ils avaient survécu à la nuit, aux ténèbres, que pouvait-il y avoir de pire ? Rien, n'est-ce pas ?

« Nous partons ? » Avait-elle demandé doucement en se redressant. Il y avait dans sa voix une forme d'impatience - celle de quitter cet endroit - qu'elle ne dissimulait pas. « Nous la laissons là ? » Demanda la jeune femme en désignant la sorcière d'un signe de la tête. Ne valait-il pas mieux l'enfermer quelque part ? Juste au cas où ? Si jamais elle revenait à elle, n'était-il pas préférable qu'elle soit enfermée ? « Peut-être est-il préférable de l'enfermer quelque part avant de partir ? » Elle si impatiente de partir retardait désormais le moment pour prendre des précautions - peut-être inutiles, mais des précautions quand même.