« Est-ce que tu as aimé ? - Oui… Mais j’ai de la compassion pour Mercedes. » V avait tourné vers moi son marque inexpressif, ne laissant deviner son émotion qu’au travers de sa seule voix, une voix que je crois pouvoir entendre encore en me concentrant bien, malgré les années écoulées, une voix qui à cet instant exprimait la plus entière incompréhension. « Pourquoi ? - Parce qu’il tenait davantage à sa vengeance qu’à elle… »
Je secoue la tête et tente de rassembler mes esprits, chassant le souvenir qui vient de parasiter mes pensées pour me concentrer sur les indices plus formels de mes présuppositions. Je ne dois rien laisser au hasard, c’est certain, je ne dois pas non plus me laisser abuser par mes émotions, ou même par cette nostalgie étrange d’un temps qui n’avait pourtant pas grand-chose d’heureux. Pourtant, quand nous nous tenions côte à côte dans ce salon souterrain, face à l’écran de télévision qui diffusait le récit épique de la vie d’Edmond Dantès, j’éprouvais une sorte de réconfort que je ne suis plus sûre d’avoir ressenti en l’état ensuite, même si j’ai su trouver une autre sorte de douceur et de réconfort dans les bras de David.
Le Comte de Monte-Cristo. Ce n’est pas un hasard. Loin de m’imaginer, en dépit de toutes les étrangetés auxquelles j’ai pu être confrontée dans ce nouveau monde, qu’il puisse s’agir véritablement du mythique héros de Dumas, je crois plus aisément en une réalité d’un autre ordre. Si V est ici… serait-il si surprenant d’envisager que pour alias, il ait choisi celui de son héros ?
Oui… pour la première fois depuis bien longtemps, la possibilité de le revoir, après avoir enterré cette possibilité, réémerge à la surface. En même temps que l’hésitation. Bien sûr, oui, que je veux le revoir… Bien sûr également que je sais que le revoir serait dangereux. Comment pourrais-je faire autrement, quoi qu’il en soit ? Je dois au moins en avoir le cœur net, m’assurer qu’il s’agit bel et bien de lui.
Alors, après avoir fait jouer mes contacts pour dénicher son adresse (ce qui n’a pas été bien difficile, l’homme possède visiblement un imposant manoir à l’extérieur de la ville), je me décide. Je n’ai pas réellement de plan préétabli, je n’ai aucune certitude, j’écoute seulement mon instinct. S’il s’agit bien de V, je sais que je dois m’attendre à ce qu’il n’ait pas trouvé la paix, en dépit de sa vengeance assouvie… le choix d’un tel pseudonyme en dirait long à ce sujet. L’idée avait survécu à l’homme, mais l’homme ne voulait pas vivre indépendamment de cette idée.
Je gare donc ma voiture à proximité de l’imposante résidence, le cœur battant. Notre instinct est de bon conseil sauf quand il ne l’est pas. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui m’attend… Ma foi… chaque jour passé ici est un bon dans l’inconnu, après tout. Alors, finalement, je me signale à l’entrée… Sans la moindre idée de ce qui m’attends. Mieux préparée au doute qu’à la déception.
The past can't hurt you anymore, not unless you let it.
Le soleil s'était levé bien tôt en cette journée qui sonnait la fin de l'été. J'avais toujours trouvé ça bien étrange que les saisons soient les mêmes en ce monde alors que tout était si différent, si mystique... Mais certaines choses ne changeaient pas malgré un univers alternatif, certaines réalités restaient encore encrées dans cette société régie par un maître en discrétion que je n'avais malheureusement jamais rencontré depuis ces années passées en ces lieux. Un maire, paraît il. Depuis que certaines informations étaient sorties, je n'avais pu m'empêcher de m'y intéresser un peu plus, après tout, le savoir représentait le pouvoir et cet endroit d'échappait pas à cette règle que je me suis toujours imposé. Réveillé, donc, de bon matin, cette journée n'annonçait rien de particulièrement passionnant, une certaine routine que je parvenais à briser qu'à quelques petits instants, surtout la nuit... Raison pour laquelle je me sentais fatigué chaque matin. Si j'avais à faire comme rendre visite à cette entreprise de téléphonie que j'aide avec parcimonie, l'envie n'y était pas. Peut-être que rester chez moi pouvait être une solution plus agréable même si Jacopo m'avait signalé qu'à force de retarder, je risquais de perdre ce précieux partenariat. Ma fortune se suffisait déjà à elle-même pour que je ne prenne aucunement cette menace au sérieux, au point même de les convoquer en fin de semaine chez moi plutôt que chez eux. Une menace en l'air qu'ils m'avaient lancé car c'était eux qui avaient besoin de moi et non l'inverse.
Ma décision était donc prise, en cette belle journée mais assez douce, je comptais profiter un peu de mon jardin où prolifèrent certaines mauvaises herbes. L'hiver, je laissais des professionnels s'en occuper mais j'apprécie m'y affairer moi-même lorsque la météo et mon emploi du temps me le permettent. L'après-midi sonne très vite alors qu'une bonne partie du jardin avait reçu l'entretien qu'il méritait et si j'étais plutôt content du résultat, je me souviens subitement avoir oublié de dîner, encore une fois... La faim ne se montrait que rarement tout simplement parce qu'avoir un sentiment réel de faim m'avait persécuté pendant de nombreuses années passées enfermé au Château d'If. Alors oui, il n'était pas rare que j'oublie de me nourrir sans même le sentir. J'enlevais le tablier qui avait protégé une chemise en lin légère que je me permettais de porter lorsqu'aucune visite n'était prévue. Je me frottais les mains pour enlever les restes de terre sur celle-ci alors qu'un bruit attire mon attention, ceux d'une voiture venant de se garer plus loin, près de l'entrée de mon humble demeure. Je haussais un sourcil, je me trouvais derrière l'immense bâtisse et je me rappelais alors que le portail de l'entrée était resté ouvert pour faciliter la livraisons de certains produits.
Je me relevais avant de me mettre à longer les murs avec une certaine discrétion alors que j'entendais des pas fouler le gravier vers la porte d'entrée. Des pas assez léger desquels je reconnaissais la démarche d'une femme. Oui, vous pouvez penser que je m'attache à certains clichés mais j'étais prêt à mettre ma main à couper à ce sujet. Quelque peu intrigué, je m'avançais encore un peu avant d'attraper quelques fleurs prêtes à être cueillies, des pivoines de couleur blanche pour être exact. Arrêtée à la porte, la jeune femme se retrouva alors face à Jacopo, un homme assez imposant dont le visage pouvait en effrayer plus d'un, il semblait fort perplexe de la présence de cette jeune femme et ne se montrait guère accueillant. D'ordinaire, dans cette situation, il prenait le temps de m'avertir mais mon absence de l'intérieur de la maison l'avait empêché toute prévention et il avait conscience que je n'avais actuellement pas de téléphone sur moi. Sûrement parce que je ne supportais pas ça et encore moins en pleine communion avec la nature.
— Qui êtes vous et pourquoi êtes vous ici ?
Voilà les questions abruptes que posa mon fidèle ami et serviteur à la jeune femme. Il n'était pas vraiment l'exemple l'hospitalité même si nous travaillions à ce sujet depuis un moment. J'étais pourtant si soulagé de l'avoir retrouvé en ce monde contrairement à d'autres fantômes du passés que je n'avais jamais recroisé depuis toutes ces années. Je ne pus retenir un petit rire rien que pour moi avant de sortir de derrière le bâtiment, me rapprochant de cette scène qui n'avait rien pour me plaire. Je n'accordais que rarement ma confiance mais il n'était pas rare que des personnes viennent me rendre visite à l'improviste en quête d'aide pour assouvir une vengeance ou pour d'autres choses d'ailleurs. Mes quelques fleurs en main, je m'approchais de la jeune femme que je n'avais jamais vu auparavant et pour sûr que je m'en souviendrais car elle représentait une certaine beauté, loin d'une pureté totale, une beauté plus dure, ayant vécu des choses qu'elle préférerait sûrement omettre dans une discussion.
— Excusez mon ami Jacopo, il présente encore des difficultés avec l'hospitalité...
Que je disais d'une voix douce et se voulant amicale malgré une pointe de méfiance dans mon regard adressé à la jeune femme. Jacopo grimaça un court instant avant de me regarder, cherchant à savoir ce qu'il devait faire mais d'un geste discret de la tête, je l'invitais à rejoindre l'intérieur de la maison. Il comprit aussi que je ne comptais pas inviter cette inconnue à l'intérieur, la journée était trop belle pour rester enfermer. Raison pour laquelle il ferma doucement la porte derrière lui mais je savais pertinemment qu'il garderait un œil sur cette situation.
— Et je vous prie de m'excuser pour mon accoutrement. Je n'attendais aucune visite aujourd'hui...
Poursuivais-je à la fois sincère dans mes excuses mais aussi légèrement accusateur dans le ton quant à sa visite impromptue. J'attendais de connaître la raison de sa venue mais dès lors qu'elle posa son regard sur mon, je compris qu'elle s'attendait peut-être à quelqu'un d'autre... En tous cas, j'avais l'impression de percevoir un espoir disparaître dans ses yeux dès l'instant ou elle m'avait vu ou que j'avais parlé. Mais surtout... Si j'avais beau ne pas la connaître, dans la lueur de son regard, je percevais presque comme une familiarité, une connexion que je ne pouvais expliquer et dont je me passerais bien pour l'instant. Les yeux légèrement plissés, j'ajoutais lors ces quelques mots.
— Qui êtes-vous ?
Je voulais savoir son identité autant que connaître la raison de sa venue. Dans sa démarche, dans son attitude, je n'avais pas l'impression qu'elle souhaitait faire une quelconque affaire et c'est bien ça qui me plongeait dans un doute certain. Elle avait d'ailleurs peut-être déjà répondu à Jacopo mais dans mon élan, je n'avais point écouté sa réponse.