Il y avait quelque chose de grisant à rencontrer ces jeunes, semaine après semaine. Les moins motivés avaient abandonné depuis les premières séances, ne laissant à Revan qu’une poignée d’apprentis, prenant de leur temps libre pour venir apprendre auprès d’elle. Oh elle savait qu’elle n’était pas un professeur facile : exigeante, sévère, elle savait apprécier l’effort mais n’acceptait pas les demi-mesures... c’était la seule voie pour la progression.

Enfin, elle n’ignorait pas que la plupart d’entre eux n’étaient pas là pour se préparer à un avenir cruel. Ce n’était que du loisir, quelque chose pour s’occuper et faire quelque chose de constructif, peut-être même considérer cela comme du sport... Peu importe. Tant que les efforts étaient là, Revan acceptait tout. Ce monde n’était pas celui qu’elle avait connu, après tout.

Parmi tous ses élèves cependant, il y en avait une qui sortait du lot. Elle ne faisait pas partie des premiers à s’inscrire mais il y avait quelque chose de différent chez elle. Cette nécessité, un sérieux que Revan ne retrouvait pas chez d’autres. Melinoë Ephialtès.

Revan avait perdu ses pouvoirs depuis des mois, mais rien ne remplaçait l’expérience et l’expertise : Melinoë se mouvait constamment comme si elle avait appris à le faire depuis sa plus tendre enfance. Des gestes précis et méthodiques, un style que Revan ne reconnaissait pas mais des bases particulièrement solides. Elle n’était pas à sa place ici : aucun de ses adversaires n’avait son niveau. Pire encore, Revan avait toujours l’étrange sensation qu’elle semblait se retenir contre eux... C’était fair play, certes, mais pas productif. Au fond d’elle, Revan se demandait combien de temps elle mettrait avant de quitter son cours. Trouver un autre professeur, proposant un autre niveau. Elle ne voulait pas faire le premier pas.

Ce petit jeu dura des semaines, bien plus longtemps que Revan l’aurait songé. Le cours était fini, les élèves partis pour la plupart, et il ne restait plus pour elle qu’à ranger la salle avant de fermer les locaux... Mais Melinoë était là.

Nerveuse, intimidée peut-être ? Revan la voyait s’incliner, chercher ses mots, avant qu’un sourire ne vint s’étirer sur ses lèvres.

« Cools, intéressants ? » répéta-t-elle avec cette voix amusée, tournant volontairement en rond avant de considérer cette jeune femme. Ainsi c’était le moment... « Tous ces cours, ce n’était pas de ton niveau... c’était flagrant. Mais je suis étonnée de te voir me demander. »

Pas si étonnée, mais le jour où Revan dira clairement ce qui lui passait pas la tête, la lune deviendrait le soleil.

« Et intriguée. Dis-moi pourquoi tu en veux plus, » demanda-t-elle, faisant un pas vers la jeune femme.

De la curiosité peut-être. Ou de l’intérêt. Cela pouvait aussi être de la nécessité, un besoin personnel de devenir meilleure, plus forte.

« Je peux t’apprendre, si tu le souhaites. »

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Devenir plus fort... un objectif simple mais qui avait l’avantage de revenir à l’essentiel. Des fois, le combat n’avait pas de raison, simplement la satisfaction de se dépasser. Découvrir quelque chose de nouveau à l’intérieur de nous-mêmes, et Revan pouvait voir en cette jeune femme ce désir au plus profond d’elle. Se battre, ça n’avait pas la même signification pour elle que pour ses élèves. Se battre, c’était au centre de sa vie.

Comme ça avait été au centre de celle de Revan.

Un voile de tristesse passa sur le regard de l’ancien Jedi en la regardant, réalisant cette évidence. Elle était trop jeune pour ce genre de vie. Peut-être pas physiquement – il sentait chez elle un écho ancien – mais il devinait une certaine jeunesse dans ses yeux.

« Cronos, » répéta-t-il, à la seconde où il entendit ce nom échappé des lèvres de son élèves.

Un nom qu’il ne connaissait pas, qu’il ne pouvait pas connaître, mais dont il commençait à deviner l’étendue. Un ennemi, la raison même peut-être de cette volonté de se battre chez la jeune femme. Revan resta de marbre un moment, l’observant davantage : la détermination dans ses yeux, dans sa posture, la colère qu’il semblait avoir perçue sur son visage, et surtout la rigueur avec laquelle elle se tenait encore si droite face à lui.

« Très bien, » accepta finalement Revan dans un souffle, et un léger hochement de tête. « Alors montre-moi ce que tu vaux réellement, Melinoë. Attaque-moi. »

Ici, maintenant, car il n’y avait pas de règle à la guerre. Ni honneur ni gloire, simplement l’instant présent.

« Si tu souhaites mon vrai enseignement, alors oublie tout ce que je t’ai appris jusqu’ici. Attaque-moi. »

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Elle reconnaissait cette lueur dans les yeux de son élève. C’était une flamme singulière, qu’on ne voyait que chez les guerriers. Melinoë hésitait, balbutiait, semblait confrontée à un dilemme intérieur et Revan l’observait.

Elle voyait chaque micro-mouvement. Chaque petite intention de muscle, que ce soit le bout de ses doigts ou la contraction de sa mâchoire au moment où elle se mettait en position. Il n’y avait pas que la Force : Revan lisait le langage du corps aussi aisément qu’elle lisait les mots si bien qu’elle pourrait presque en entendre les sons directement dans son oreille. Enfin, Melinoë se décida à attaquer. Un geste propre, précis, preuve d’un apprentissage rigoureux bien qu’un petit peu rouillé. Et une stratégie qui avait déjà porté ses fruits. Quand un adversaire paraît trop fort pour toi, commence par le déstabiliser.

Seulement, viser les jambes de Revan était tout de même trop prévisible. Elle ne lui en voulait pas, bien sûr : la jeune fille avait été surprise et n’avait probablement pas eu le temps de réfléchir à meilleure approche. Cependant son maître n’allait tout de même pas laisser passer cette erreur de jugement. D’un mouvement fluide elle changea d’appui, esquivant l’attaque de son élève, puis dans l’élan du premier, Revan lui assena un coup de pied dans le thorax pour la faire basculer en arrière, plus loin.

« C’est bien, tu as un bon équilibre, » remarqua-t-elle, se redressant légèrement. « Ta technique est propre, précise. »

Ce n’étaient pas tellement des compliments, Revan gardait ce regard perçant sur elle.

« Mais tu hésites. »

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Elle se justifiait... et hésitait encore. Cela non plus, ça n’échappait pas aux yeux de Revan. Silencieux, immobile, la jaugeant à chaque instant d’un regard pénétrant, sans une once de retenue. Cela pouvait prendre une seconde ou plusieurs minutes, la laisser se relever et retrouver son souffle tout en cherchant en elle ses propres réponses qui ne trouvaient aucun écho.

« Non, » répondit-il calmement, après lui avoir laissé tout ce temps pour comprendre ses propres mots. « L’hésitation, c’est la mort. »

Cette fois-ci, il ne resta pas passif : il s’élança sur elle et la frappa une nouvelle fois violemment au même endroit que la dernière fois, utilisant sa surprise pour appuyer le coup. Trop d’ouvertures, trop de faiblesse, tout cela à cause de l’hésitation.

« Hésiter, c’est perdre le contrôle. C’est une conséquence à l’aveuglement, au doute, aux demi-vérités. À chaque instant tu dois savoir ce que tu fais et pourquoi tu le fais. Un esprit clair, Melinoë. » L’instant d’après il était déjà si proche d’elle qu’il put la saisir par le col, la soulever et l’attaquer à nouveau. Ce serait une leçon douloureux, il le savait, il en était désolé pour elle... mais il ne pouvait pas le regretter. Il fallait ce qu’il fallait.

Il fallait qu’elle entende ce qu’il lui disait, verbalement et physiquement.

« Un adversaire n’est pas un ennemi mortel, mais un adversaire est un adversaire. Tu dois gagner, apprendre et avancer, est-ce que tu entends ? »

Il devinait, dans ses mots, ce qui pouvait-être à l’origine d’une telle retenue. Peut-être s’était-elle retrouvée aveuglée par la rage qu’elle avait presque tué un innocent, une histoire malheureusement trop fréquente. Il était naturel, instinctif, de corriger cette erreur par l’inaction mais pouvait-elle comprendre quelle grossière erreur c’était ? Passer d’un extrême à un autre, parler de contrôle alors qu’aucun des deux n’en contient. La culpabilité existait, certes... mais il ne fallait pas la laisser dominer. Elle sera toujours là, alors autant s’en faire une compagne et avancer malgré tout.

« Alors gagne, apprends, et avance. »

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