Depuis qu’il était arrivé ici, Karube avait toujours étrangement réussi à éviter de se retrouver dans des situations critiques. En tout cas, ce monde semblait plus ou moins enclin à lui foutre la paix, à peu de choses près. C’était plutôt agréable. Après l’agitation de Borderland, tout paraissait doux, en réalité. Il s’étonnait de ne pas avoir croisé Chota. Si lui avait eu droit à une seconde chance, pourquoi son ami n’y avait-il pas eu droit, lui aussi ? Peut-être se trouvait-il dans d’autres quartiers où le faux blond se rendait peu. Et puis, ça lui avait permis de se construire une vie de zéro. Une vie où il retombait bien sûr dans certains de ses travers : aucune ambition et aucun avenir glorieux, un bar un peu moisi et louche, et puis sa tendance à tout résoudre par les poings au lieu de sa tête, bien entendu. La Tête de Sanglier étant fréquentée par des profils très différents et plutôt peu enclins à la discussions, Karube préférait régler les problèmes avant que quoi que ce soit n’ait le temps d’atteindre Abelforth. Non parce que le vieux avait une bonne centaine d’année, ou pas loin, maintenant. Karube n’avait pas l’intention de laisser le moindre coup l’atteindre.

Ce soir-là, cependant, venait de terminer son service. Abelforth terminait avec les derniers clients, puis fermerait le bar. Les choses se passaient souvent dans cet ordre, puisque le vieil homme vivait à la taverne ou juste à côté, contrairement à Daikichi qui vivait dans un autre coin du quartier. Ce qui était une raison tout à fait valable de se retrouver dans les rues alors que des bruits étouffés se faisaient entendre dans une ruelle adjacente. Vu l’heure, le faux blond n’avait pas besoin de réfléchir bien loin pour savoir ce qu’il pouvait se passer. Il rangea son téléphone dans son sac. En général, il ne craignait pas grand-chose à Lockwood Hill. Il était prudent, bien sûr, mais il avait un côté très téméraire, et surtout, il était plutôt connu pour savoir se défendre. En jetant un oeil dans la ruelle, la situation lui apparut très vite claire comme de l’eau de roche. Une silhouette était bloquée contre un mur, avec trois types qui rôdaient autour. L’un tenait ses bras en hauteur, et venait de se prendre un coup dont Karube était ravi de ne pas être le destinataire. Mais un second était déjà là pour s’approcher d’un peu trop prêt. La silhouette était féminine, ce qui ne l’étonna pas le moins du monde. Et puis, les trois types en question, il les avait déjà vus à la Tête de Sanglier. A chaque fois qu’ils buvaient trop, ils mettaient le bazar.

Karube parcourut en quelques enjambées la distance qui le séparait de la scène, et attrapa le deuxième gars par les épaules pour le tirer en arrière.

- Trois contre un, quel courage. Vous n’avez pas envie d’équilibrer un peu les choses, les gars ?

La surprise de son intervention donna probablement quelques précieuses secondes à la victime. Le faux blond, lui, avait déjà les muscles des bras et des jambes tendus.

“Putain, qu’est-ce que tu fais là, toi ?”, s’exclama le troisième, qui jusque là avait été un peu en retrait. Il ponctua son interrogation d’une tentative de coup de poing au visage du barman, qui se solda néanmoins par un échec. Karube se décala sur le côté pour le laisser passer, emporté par son élan, et lui attraper le col de la chemise pour le cogner contre le mur. Avantage : il était presque sobre, n’ayant bu que deux ou trois verres sur la soirée. Désavantage : avec l’alcool, ces idiots étaient capables de ne pas ressentir la douleur.

- Je suis en visite de courtoisie, ça se voit pas ?

S’il y avait une chose que Karube n’avait jamais beaucoup apprécié, c’était la lâcheté. S’en prendre à plusieurs à une seule personne, ou à des gens qui ne savaient pas se défendre, était d’une saleté sans bornes, selon lui. C’était comme ça qu’il avait rencontré Chota et Arisu, par ailleurs. Ces deux-là étaient incapables d’affronter les délinquants qui avaient voulu les dépouiller. Même s’il ne les connaissait pas plus que cela, Karube était intervenu. Parce qu’il ne tolérait simplement pas ce genre de comportements, qu’il savait que les deux garçons étaient bien loin d’être des sales types, contrairement à leurs agresseurs. Il connaissait un peu trop bien la pègre, ayant souvent frôlé la délinquance lui-même. Alors, il n’avait nulle intention de laisser cette fille galérer seule face à quatre gars alcoolisés. Il remarqua d'ailleurs assez vite qu’elle s’était remise à se défendre telle une lionne à son arrivée. Bien, ça l’arrangeait, il n’aurait pas à leur botter le cul à tous les quatre, il pourrait se contenter de la moitié d’entre eux.

Il n’aurait pas voulu être le destinataire du coup qu’elle porta dans les parties du type. Mais il n’eut pas le temps d’y penser plus que de raison, puisque le gars avec le crâne qui allait avoir bientôt une sacrée bosse lui fonça dessus. Ce mouvement le surprit assez pour qu’il se laisse emporter, tombant au sol, sous l’homme alcoolisé qui en profita pour lui mettre une droite..

- Tu sais vraiment pas quand t’arrêter, toi ?
“Y a pas de comptoir pour te cacher derrière, cette fois !”
- Je me cache jamais, connard.

Le faux blond lui balança son poing dans la figure, assez fort pour le surprendre et lui permettre de le pousser pour se remettre debout, et le pousser encore plus loin à l’aide d’un solide coup de pied. Cette fois, il devrait leur foutre la paix. Le stop qu’avait poussé la demoiselle n’avait eut aucun effet, sur un camp comme sur l’autre, de toute évidence. Et bientôt, il sentit une présence dans son dos. Il n’avait pas besoin de se retourner pour savoir que ce n’était pas une présence ennemie. Il s’agissait forcément de la demoiselle. Sa réflexion lui arracha néanmoins un sourire.

- Avec plaisir.

Karube nota l’étrange amusement qu’il pouvait percevoir chez elle. Il dut néanmoins esquiver rapidement un coup de poing plus ou moins hasardeux de la part du gars devant lui, ce qui lui permit de lui attraper les hanches pour le pousser de l’autre côté, le faisant entrer en collision avec son ami qui se trouvait face à l’inconnue. Karube se repositionna ensuite à côté d’elle.

- La passe.

Confirma-t-il avec un air plus sérieux. Il ne prenait pas forcément plaisir à casser la figure à des sales types, mais quand il fallait le faire, il le faisait. /div>