C'est chiant de lire les petits caractères Ft. Navia

   Le manque de moyens pouvait pousser à bien des concessions et bien que Navia concéda qu'il ne s'agissait pas de sa première expérience en la matière, elle admit que poser en tant que modèle dans une agence inconnue en était une pour elle. Qu'aurait dit Chiori si elle l'avait vu en ce moment ? Problablement en aurait-elle ri : Navia n'aurait pas pu lui en vouloir. Elle n'avait pas honte et ne regrettait pas sa démarche, car elle avait conscience que l'argent qu'elle obtiendrait à l'issue de quelques jolies photos servirait aux intérêts de la Spina di Rosula. Ces gens qu'elle aidait, ces enfants qui la câlinaient, elle les entrevoyait en cet instant avec une clarté déterminée : pour ceux qu'elle avait pris sous son aile, elle ferait tout. Et puis, il n'y avait rien de mal à rendre également service à une agence de mannequins. Elle obtenait de l'argent pour son association, et l'agence pouvait se targuer d'avoir de quoi faire sa publicité en Ville.

  Du reste, Navia avait conscience d'être une jolie femme ; on lui avait souvent complimenté le voile blond qui flottait au vent au gré de ses pas, sa peau laiteuse ainsi que ses jolis orbes bleutés qui laissaient refléter facilement toutes les beautés de ce monde. Jusqu'ici, elle n'avait jamais songé à se servir de ces atouts pour servir une cause qu'elle chérissait – ou peut-être n'en avait-elle jamais pris conscience jusqu'à maintenant, qui sait – mais elle était convaincue que tant que sa dignité et son honneur n'étaient pas mis en danger au détour de quelques activités inhabituelles, elle ne craignait rien à l'utiliser de temps à autre. Pourquoi pas, après tout ? N'avait-elle jamais utilisé à profit son intelligence ou ses poings dans d'autres circonstances ? Pourquoi n'aurait-elle pas pu le faire occasionnellement avec son minois ? Il ne s'agissait pas d'une entreprise malhonnête et sournoise, de toute manière ? Alors c'était tout ce qui comptait. Tout allait bien.
  La manche de son ombrelle parée d'or et de jais serrée entre ses doigts délicats, la jolie plume ensoleillée quitta son modeste logement avec tous ses songes se bousculant dans sa tête, puis finalement sa silhouette abandonna Lockwood Hill au profit du Raccoon Square ; l'adresse qu'on lui avait transmise l'amena à s'arrêter devant une superbe devanture, moderne et tape-à-l'œil, digne d'être l'une de celles de ces étoiles montantes auxquels rien n'aurait pu les arracher à la fortune et la gloire. Loin d'être intimidée par un tel spectacle, la fille de Callas leva le menton, se para de sa carapace habituelle et se prépara à éblouir de son enthousiasme les futurs individus qu'elle rencontrerait. Rien ne l'arrêtait et ne l'arrêterait jamais.

  Et certainement pas l'apparence des choses.

  Une fois à l'intérieur de l'agence, elle retira joyeusement ses lunettes de soleil et alla se présenter à l'accueil. Mademoiselle Caspar, Navia. Doit participer à un shooting photo dans l'heure qui suit. C'était parfait. Pas de difficultés, tout était clair pour tout le monde. Navia souriait et ses yeux pétillaient ; elle parvint sans grand mal à s'attirer la connivence de la secrétaire, apparemment. Après lui avoir confiée son ombrelle ainsi que ses lunettes de soleil, les deux femmes entreprirent une discussion emplie de banalités en attendant que Monsieur Mariposa daigne se montrer. A ce propos, une nouvelle silhouette émergea dans le couloir : un homme aux lunettes de soleil en forme de cœur et avec une grâce qui attira définitivement l'attention de la présidente de la Spina di Rosula. Intriguée, elle le laissa s'approcher. A première vue, il semblait être quelqu'un d'agréable et sa sympathie fit apparaître un sourire ensoleillé sur le visage de la Demoiselle. Elle avait toujours apprécié la compagnie des personnes avenantes et monsieur Mariposa semblait appartenir à cette catégorie !

— Vous me voyez honorée de vous rencontrer, monsieur Mariposa ! le gratifia Navia dans une légère courbette qui se voulait polie et engageante à l'égard de son supérieur. Elle remarqua à peine l'attitude charmeuse de l'homme et se concentra volontiers sur la suite de la procédure : Je suis Mademoiselle Caspar. Navia Caspar. Je vous suis avec plaisir.

  Elle salua une dernière fois la secrétaire dans un clin d'œil taquin avant de suivre sans un mot son nouveau compagnon. Eh bien, pour une première expérience de mannequinat dans un monde dont elle ne connaissait rien, il fallait dire qu'elle s'en sortait plutôt bien et qu'on lui facilitait grandement la tâche. Malgré son attention pour les petits détails, elle ne détectait aucun signe de pression ou de stress venant de Valentino. Il s'agissait sûrement d'une agence où il faisait bon vivre autant pour les clients que pour les employés – du moins elle l'espérait, pour elle-même mais surtout pour eux.
  La découverte du bureau ne la laissa pas indifférente : elle était aussi ordonnée que l'aurait été le bureau de Neuvillette du temps où elle pouvait encore vivre dans sa contrée natale. Ce souvenir, ce paysage éphémère la toucha en plein cœur, mais Navia était bien décidée à ne pas encombrer sa mission avec des sentiments de nostalgie. Ce n'était pas le moment ! Elle s'asseya à sa chaise après que Valentino se fut installé et elle répondit avec enthousiasme à ses interrogations.

— La Spina di Rosula, Monsieur. Certes, monsieur Mariposa l'avait enjoint à l'appeler par son prénom mais Navia n'y arrivait pas encore. Elle y serait peut-être arrivée s'ils s'étaient rencontrés il y a quelques années,  lorsqu'elle était plus jeune, ou s'ils avaient prévu leur discussion dans un autre environnement. Leur face-à-face dans un bureau s'apparentait davantage à une entrevue plus sérieuse, plus politique. Son rôle de présidente lui avait définitivement collé à la peau depuis qu'elle avait été conviée à remplacer son père. En avez-vous déjà entendu parler ? Il s'agit d'une organisation installée à Lockwood Hill. Ses membres s'engagent à essayer de régler les soucis d'autrui, qu'ils soient d'ordres financiers ou sociaux. Si jamais vous passez un jour par là-bas, je serai ravie de vous y accueillir. Je pourrais vous indiquer l'adresse à la fin du shooting si cela vous intéresse !

  Dans d'autres lieux, Navia se serait peut-être exempté de bassiner son interlocuteur avec la présentation de la Spina di Rosula – surtout alors qu'ils devaient collaborer professionnellement – mais elle avait la conviction, peut-être à tort – mais elle voulait le croire - que monsieur Mariposa était ce genre d'homme à peut-être vouloir rendre service à autrui de temps à autre, en dehors du travail. Il ne lui coûtait rien d'en faire la publicité, après tout, elle serait toujours ravie de voir une nouvelle tête au sein de ses locaux ! Sur ces mots, elle croisa ses doigts sur ses cuisses et glissa un sourire radieux à Valentino.

 Il n'y avait pas à dire : Valentino était un homme en tout point charmant. Navia l'entrevoyait distinctement, tant dans le minois qu'il arborait que dans les gestes, gracieux et avenants, dont il usait pour la mettre à l'aise. La curiosité de la rose dorée était piquée, alors qu'elle s'était promis naguère de se focaliser sur une première tâche de grande importance, et qui profiterait grandement à la Spina di Rosula ; mais comment résister à l'envie d'en découvrir davantage sur un gentleman tel que lui, alors que ce serait peut-être la seule rencontre entre eux deux qu'ils auraient l'opportunité d'avoir de leur vie ?
 D'où venait-il ? Navia savait que certains individus de Hockwhood Hill n'avaient pas toujours été des humains : cela ne semblait pourtant pas être le cas de Valentino. Il jouissait de son corps et de son langage avec toute la facilité dont aurait disposé naturellement un homme qui n'aurait jamais eu besoin de changer de forme corporelle de son existence.
 Cela faisait-il longtemps qu'il s'était retrouvé piégé au sein de cette Ville ? Elle se surprit à espérer une réponse affirmative ; elle se sentait parfois seule, dans sa confusion, sa solitude, ses souvenirs épars et dans ses angoisses de ne pas pouvoir revenir à Teyvat. Alors que la plupart des gens semblaient s'être résignés depuis longtemps à leur sort et s'étaient habitués à leur nouvelle vie ici, Navia, en raison du caractère récent de son arrivée, n'avait pas encore eu l'opportunité de digérer correctement les évènements. Quelle satisfaction cela aurait été de se trouver un tel point commun avec son interlocuteur ! Mais il fallait s'y résoudre, il lui semblait bien plus établi et intégré qu'elle ne l'était quant à elle. Ou alors, il avait eu de la chance, ou eut été bien plus débrouillard qu'elle n'aurait pu l'être sur une durée d'adaptation égale.
   En matière de débrouillardise, elle se défendait pas mal non plus. Alors, par déduction, Valentino devait soit dater, soit il connaissait quelques "tours" que Navia n'aurait pas été réticente d'apprendre à son tour à l'avenir.

 Après avoir entendu l'agent de mannequinat prononcer quelques jolies paroles à propos de la Spina di Rosula, l'intéressée acquiesça avec un petit sourire satisfait. Elle ne savait pas trop quoi dire pour renchérir sur ce sujet : il venait lui-même d'admettre qu'il en avait entendu parler récemment et qu'il comptait de son propre chef s'y rendre, sans lui demander son reste.

— J'insiste, si vous avez des questions à propos de la Spina di Rosula, je serais honorée de pouvoir vous renseigner. Vous ne le savez peut-être pas encore, mais la Spina di Rosula tire ses racines de l'époque de mes parents, au sein de ma contrée d'origine – alors, certes, je ne l'ai pas créé moi-même mais je suis certaine que je trouverai bien des choses à vous raconter à propos de cette organisation !

 Toutefois, bien qu'elle sentît l'enthousiasme monter à l'idée de lui en dire davantage, la présidente de la Spina tâcha de tenir sa langue en se concentrant sur le reste de la discussion. Elle ne voulait pas paraître désobligeante en ne parlant que de sa personne alors que Valentino n'avait pas signé pour cela à l'origine. Peut-être pourrait-elle se permettre quelques libertés lorsqu'ils en auraient fini avec leur mission principale ?
 
— Oh ! Pardonnez-moi, Valentino – je ne voulais pas du tout insinuer une telle chose par rapport à votre âge en vous appelant "Monsieur". Navia haussa légèrement un sourcil surpris face à une telle remarque, avant de laisser échapper un léger rire amusé – comme si l'idée même semblait saugrenue. En fait, s'il fallait être tout à fait honnête, la Demoiselle de la Spina avait conscience de jouer un peu sur les compliments pour obtenir ce qu'elle souhaitait – il ne s'agissait certes pas de sa qualité première mais elle avait parfois dû jouer sur les mots lors de ses entrevues avec d'autres partenaires afin que cela se passe pour le mieux - mais pour le coup, ici elle avait été totalement sincère. Elle n'envisageait pas son interlocuteur outre comme un individu de sa tranche d'âge, si ce n'est un peu plus âgé. Je n'oserais pas penser cela de vous, à vrai dire. Certainement pas après avoir été témoin de votre charme rafraîchissant.

 Sur ces mots, elle le gratifia d'un léger sourire innocent, presque pour ponctuer ce qui allait s'ensuivre ; l'un des désavantages de la franchise était souvent la difficulté de devoir embrayer sur un autre sujet comme si de rien n'était après en avoir trop dit. Cela rendrait-il Valentino mal-à-l'aise ? Selon ses propres estimations, Navia était certaine que ce petit compliment le ravirait mais elle ne voulait pas non plus laisser penser qu'elle cherchait à le séduire.

— Je vous remercie, ajouta-t-elle simplement en se saisissant des documents portant à son nom, avant de les parcourir d'un œil attentif mais pressé. Bien, bien ... Tout lui semblait correct. Quoique ? ... Elle afficha une expression perplexe. Eh bien, Valentino, euh ... Il s'agit peut-être d'un abus de langage, mais ? Je lis que les photos que nous allons faire seront sous la propriété future de la Spina di Rosula ? Ne sont-ils pas censés vous servir à vous ? S'agit-il d'une erreur d'impression ?

       Il était vrai que relire attentivement les petites lignes n'avait rien de particulièrement vivifiant mais, en tant que présidente de la Spina di Rosula, Navia avait appris à faire violence contre son ennui afin d'honorer au mieux les responsabilités qui l'incombaient. Aussi fut-elle étonnée de lire des clauses qui différaient de celles qu'elle s'était attendue à assimiler ; ce n'était pas ce qui avait été conclu à l'origine, et elle comptait bien ne pas se faire manipuler par le biais d'une faute d'inattention prétendument innocente. D'autre part, sa surprise était tempérée par la confiance naissante qu'elle portait en Valentino : elle appréciait son sourire, son allure, sa manière de s'adresser à elle. Il était ce genre d'individu qu'elle aimait compter parmi ses amis. Ses compliments envers la Spina di Rosula accentuèrent les traits souriants de son minois délicat. A n'en point douter, la personnalité du directeur apporterait du bonheur aux gens de Lockwood Hill. Bien sûr, elle n'avait pas l'intention de profiter de son amabilité ! S'il aidait son association, et qu'en retour il quémandait son aide, Navia la lui apporterait avec plaisir, parce que c'était ainsi que les liens les plus forts se créaient : avec de la confiance, de la reconnaissance et du respect mutuel entre les deux partis. La demoiselle d'or n'était pas connue pour son ingratitude.

— Vous avez tout à fait raison. J'aime votre manière de penser ! Déclara-t-elle en lui lançant un regard complice et espiègle. Le masque professionnel s'effritait ; Navia s'efforçait de paraître sérieuse mais son énergie solaire était difficile à contenir, surtout en présence d'une personne qui semblait répondre à ses rayons avec autant de facilité. Un infime voile cramoisi recouvrit ses joues lorsqu'elle l'entendit parler d'une rose qui éclot. Ce n'était pas la première fois qu'elle entendait des hommes chanter ses louanges, mais il ne lui semblait pas que Valentino le faisait de façon intéressée et face à une telle amabilité pure, les émotions de Navia ne pouvaient résister. Par réflexe, son doigt ganté vint s'enrouler autour de l'une de ses boucles d'or ; ses iris de diamant continuèrent de détailler leur interlocuteur avec appréciation. Pouvait-on la désigner comme étant une jeune femme fleur bleue, naïve et innocente, que même un simple compliment suffirait à faire rougir d'embarras ? Navia ne se voyait pas du tout de cette manière ; mais il n'y avait rien de mauvais à laisser s'exprimer quelques émotions frivoles en des instances si agréables. Oooh ... Merci. Je commence de plus en plus à comprendre pourquoi vous avez été désigné pour devenir le directeur de cette agence.

       Enfin, ils abordèrent la question de cette fameuse clause qui leur faisait défaut : Valentino prétendit qu'il s'agissait d'une erreur et qu'elle serait rectifiée par son assistante. Loin de se formaliser pour si peu, il semblait même s'amuser de la situation et si Navia ne commençait pas déjà à cerner son caractère, peut-être aurait-elle été un peu piquée par l'ironie de ses paroles : il lui rappela sûrement malgré lui certains vils flatteurs qui séjournaient à Fontaine et auxquels elle avait déjà été confrontée. Des sourires de nacre, des plaisanteries qui sombraient dans les eaux profondes de la Nation Hydro alors qu'ils essayaient de dédramatiser les charges que la Spina di Rosula utilisait contre eux. Bien que ce souvenir était désagréable pour elle, Navia décida de passer outre son émotion et de se laisser porter par le déroulement des choses. En se redressant vivement, la demoiselle fit mine de s'étirer les bras, comme si l'étape de la discussion avait assez duré : Baaaaah, ne vous inquiétez pas ! Je crois que nous avons été suffisamment formels pour aujourd'hui, non ? Je ne vais pas vous ennuyer avec du thé et du sucre, tout de même ! Elle sourit de nouveau à Valentino, ses pupilles toujours aussi emplies d'espièglerie et de simplicité. Je vous remercie pour votre patience vis-à-vis de mes doutes. Maintenant, à mon tour de remplir ma part du contrat ! Que dois-je faire exactement ?

       Elle attendit derrière ses directives, jetant un coup d'œil discret aux alentours, tâchant de prendre de l'avance sur ce qu'il pourrait lui demander. Elle n'avait emmené nul accessoire : peut-être faudrait-il la maquiller, la coiffer différemment, l'habiller de sorte à ce qu'elle fasse ressortir une autre image d'elle. Navia avait hâte de passer à l'étape du contrat qui attisait le plus sa curiosité.