Show me how you show off ft. Dimitri

Les doigts de ta main droite s’agitent contre le dos de ta main gauche alors que tu regardes ton nouvel acteur. Il a signé un contrat pour une production la veille au soir, presque sur un coup de tête, tant et si bien que tu t’attendais presque à ne pas le voir arriver sur le plateau aujourd’hui. Et pourtant, quelle surprise ! Bonne ou mauvaise ? Tu l’ignores. Le problème, sur cette île, c’est que beaucoup de personnes sont bien trop prudes ; aucun sens esthétique, aucun goût artistique, et parler de cul ? Bonté Divine, pas à mes chastes oreilles ! Oui. Vous n’êtes plus en Enfer. Cela n’empêche pas à l’hypocrisie de foisonner, comme partout. A tes yeux, le monde humain n’a rien de bien différent avec le monde d’en-dessous si ce n’est que la violence est proscrite, que l’on ne dit pas tout haut ce que l’on pense tout bas et que la notion de honte arrache la gorge du premier venu. Des inhibitions à n’en plus finir. Voilà pourquoi, entre autres, il t’est difficile de trouver des acteurs.ices fiables. C’est l’histoire d’un ou deux contrats avant d’aller voir ailleurs. A l’époque, ça ne se passait pas ainsi. Celleux qui se retrouvaient enchaîné à toi ne repartaient plus jamais. Les temps changent, et à cause de cette situation désastreuse, te voilà bien obligé d’accepter celleux qui se présentent.

Ce type ne te dit pas grand chose mais il a au moins le luxe de t’inspirer un peu. Il sera parfait pour le scénario que tu as rédigé quelques jours plus tôt. Ton stagiaire ne prend plus la peine de l’ouvrir sur certaines suggestions, ce qui t’arrange, parce qu’il n’a rien à dire. A peine a-t-il le droit de respirer. C’est déjà une chance pour lui d’être là (et pour toi qui n’as pas à le payer, mais ce détail n’a pas besoin d’être su). Après ces longues minutes d’examen, à le détailler, à peser le pour et le contre derrière tes lunettes de soleil en forme de cœur, tu finis par te lever avec la grâce sulfureuse qui te qualifie et t’approche de lui en soufflant la fumée de ta cigarette à son visage. Tu n’es malheureusement plus doté de tes si utiles phéromones mais cela ne t’empêche pas de fumer du matin au soir, les effets en sont juste bien différents. Et cela te détend, sans ta dose de nicotine quotidienne, tu es sûr que tu aurais déjà arraché la tête de l’un.e de ces minables employés.es qui font si mal le travail demandé (et qui, par-dessus tout, aimeraient prendre des congés ! La blague !).

“Eh bien, mon mignon, oui, tu feras parfaitement l’affaire, j’imagine,” susurres-tu en lui tournant autour pour détailler son corps sous ces couches de vêtements inutiles. Peut-être aurais-tu dû procéder à cet examen avant qu’il ne s’engage, la veille au soir. Tu pourrais toujours le virer mais cela engagerait des procédures et des indemnisations auxquelles tu n’as même pas envie de penser. Mais ce n’est pas grave. Les acteurs se révèlent toujours bons ou mauvais au moment du tournage, après tout. Tu croises les bras sur ta poitrine et fais quelques pas en arrière avant de sourire, ravi. “C’est bien, nous allons pouvoir commencer notre première journée de tournage. Nadine va s’occuper de toi.” Dis-tu avant de faire demi-tour et de laisser le nouvel acteur aux mains d’une de tes assistantes. C’est une jeune femme dynamique, qui n’a pas sa langue dans sa poche, et tu te surprends même à l’apprécier de temps en temps. Elle te rappelle un peu Velvette, et tu en éprouves une certaine nostalgie écœurante. Tu n’as pas de temps à perdre avec le sentimentalisme, sinon ton affaire ne décollera jamais et tu ne pourras pas clouer le bec de ton ancien partenaire. Penser à lui te met déjà dans une rage folle et tu l’écartes aussitôt de ton esprit pour te concentrer sur le reste de la journée. Il y a tant de choses à faire et tu as si peu de moyens. Parvenir à ton excellence passée est difficile - mais pas impossible. Tu es LE Valentino, après tout. Rien ne te résiste.

Il ne s’agit pas d’une très grosse production. Les acteurs sont deux, et il n’y aura qu’une longue scène. Tu espères qu’ils seront plus performants et plus endurants que les précédents, tu as d’ailleurs dû recommencer les scènes à maintes et maintes reprises. Le scénario, comme pour tous les films porno que tu tournes, est surtout là pour mettre les spectateurs dans un contexte, leur apporter des pistes de fantasme divers et variés. Tu as toujours des idées foisonnantes, adaptées à tous les fétichismes et tous les plaisirs, comme si ton imagination n’avait, en ce sens, aucune limite. Tu ne t’es jamais demandé, d’ailleurs, ce que tu aurais pu faire d’autre de ta vie (humaine ou démoniaque). Quand on est doué pour quelque chose, à quoi bon chercher à faire fortune ailleurs ? Tu dois admettre que, sur tes dernières années en Enfer, tu avais du mal à te renouveler. Peut-être que ce détestable monde humain dans lequel vous êtes revenu est une sorte de mise à l’épreuve, de quoi secouer ces ailes que tu n’as plus pour te remettre au travail.

Nadine s’occupe de briefer les deux acteurs sur le script ; celui que tu as examiné quelques instants plus tôt est censé être un palefrenier des années quatre-vingt, en Amérique, et l’autre un riche propriétaire équestre qui, pour permettre au palefrenier de continuer à faire son travail, lui propose de coucher avec lui. S’en suivent plusieurs scènes torrides dans la paille, et blablabla. Tu masses ton crâne, la journée va être longue. Tu aimes ton travail mais depuis que tout est devenu si difficile, tu es épuisé (et il est hors de question que tu admettes la moindre faiblesse). Ce qu’il te faudrait, c’est trouver un riche producteur qui couvrirait tes dépenses. Mais cet endroit est bien trop pourri pour ça.
Tu reviens vers tes des acteurs et tes équipes de tournage avec un sourire mielleux, en allumant une autre cigarette.

“Bieeeeen, Nadine a dû tout vous dire. Des questions ?” Et tu espères qu’ils n’en ont aucune pour que vous puissiez commencer à tourner.