TERMINE - Le moment des retrouvailles ⊹ Sophie.

Depuis cette lune rouge, les univers se sont mélangés. Tout le monde est arrivé ici sans réellement comprendre pourquoi ni comment. Camille fait partie de ces gens. Elle ne comprend pas pourquoi elle est ici, elle ne comprend pas non plus comment elle a pu arriver ici. Un peu perdue, elle n’avait pas d’autre choix que de s’adapter à ce nouveau monde. Elle savait que ceux qu’elle connaissant d’autrefois n’étaient pas loin. C’était la seule chose dont elle était certaine. Après tout, elle était arrivée avec son petit garçon, alors pourquoi lui et pas les autres. Elle savait que Sophie n’était pas loin, elle n’avait qu’à remonter la piste des catastrophes. Paul, Léon, Jean, Marguerite et sa petite sœur Madeleine, ne devaient pas être loin non plus. Elle n’avait plus qu’à tenter de les retrouver et quoi qu’il arrivait, elle savait que tôt ou tard, elle les retrouverait. Elle ne regrettait qu’une chose : son époux. Son tendre époux. Elle se souvenait de son visage, de sa douceur, de sa bonté, de sa gentillesse. Elle se souvenait de tout l’amour qu’il avait pour elle et pour leur merveilleux petit garçon, mais elle ne se souvenait que de cela. Une bonne partie de sa vie s’était effacée de sa mémoire. Pour qu’elle mystérieuse raison ? Camille l’ignorait. Elle ignorait également si elle allait un jour ou non recouvrer la mémoire, mais si elle retrouvait son tendre époux, elle savait qu’elle retrouverait certainement une partie de ses souvenirs, où du moins, elle pourrait s’en créer de nouveaux.

Aujourd’hui comme depuis plus de deux mois maintenant Camille s’occupait de l’orphelinat. Elle ne savait pas comment, mais c’était là qu’était sa place. Quand elle a débarqué dans ce monde, elle était dans cet ancien manoir, transformé en orphelinat. Elle y avait ses appartements, sa cuisine personnelle, la chambre de son garçon, tout y était comme si elle y vivait depuis des années, pourtant, il n’en était rien. C’était désormais son chez elle, sa raison de vivre. Les enfants s’amuser au ballon dans le jardin, pendant que les plus grands faisaient leurs devoirs dans la grande salle du bas. Camille avait déposé son petit garçon au pas de la porte, dans son berceau, pendant ce temps, elle s’amusait avec les plus jeunes au ballon. Puisque pour les moments, les plus grands étaient en train de réviser leurs leçons et n’avaient pas besoin d’elle. Alors qu’elle s’amusait tranquillement, elle fut dérangée par une personne qui venait de se manifester à la porte. Prévenant les enfants qu’elle n’en avait qu’une minute, elle embrasa son petit garçon, avant d’aller ouvrir. Il s’agissait d’une femme qui recherchait son enfant, qu’elle avait perdu. Elle lui avait décrit physiquement l’enfant qu’elle recherchait, mais malheureusement, l’enfant n’avait pas était recueillit par Camille. La jeune mère éplorée était repartie en larmes, Camille n’ayant pu la consoler. Un pincement au cœur, la jeune femme était repartie auprès des enfants.

Sophie n'avait retrouvé personne depuis son arrivée ici. Elle avait cherché, avait essayé de discuter avec les gens qu'elle croisait, mais le destin semblait vouloir lui jouer un mauvais tour. Dans son esprit s’immisçait même l'idée qu'elle était peut-être ici toute seule. Sauf que cette idée s'accompagnait de nombreuses questions : comment et pourquoi étaient les principales. Pourquoi elle et pas ses amis ? Était-elle morte ? Dans ce cas, pourquoi n'était-elle pas avec sa mère ? Et son père ? Non décidément, de ce monde, Sophie ne comprenait absolument rien. Elle était perdue. Elle avait besoin d'aide, mais elle ignorait vers qui se tourner pour obtenir des réponses.

Aujourd'hui, elle déambulait dans les rues. Ses yeux se posaient sur tout ce que ce nouveau monde avait à offrir. Et à chaque nouveauté, Sophie faisait la comparaison avec son ancien chez elle, son monde. Son monde lui manquait, sa vie aussi. Ses amis et sa famille étaient absents et elle avait tant besoin d'eux. Ce nouveau monde lui avait volé une partie de sa vie aussi. Enfin, elle n'en était pas certaine, mais elle le pensait. Sophie était adulte ici, mais avait le comportement de la Sophie adolescente parce qu'elle ne se souvenait plus avoir déjà été adulte. Des brides, des sensations, elle en avait, mais pas celle d'avoir réellement eu une vie après avoir retrouvé Paul au château de Fleurville. Fleurville... cela lui semblait tellement loin. Comme un lointain rêve. En déambulant, elle avait vu ce nom. Elle ne savait plus où puisque son cerveau n'avait pas réagi immédiatement. Mais maintenant, la jeune fille en était certaine, elle l'avait vu. Elle avait vu Camille de Fleurville. Camille de Fleurville, ce nom sonnait si bien, ça ne pouvait être qu'elle. Sa sœur. Celle qui l'avait adopté aussi bien que si elle avait été sa sœur de sang. Oui, c'était forcément elle, il ne pouvait pas exister deux Camille de Fleurville.

C'est ainsi que la jeune Sophie s'était retrouvée devant l'orphelinat, grâce à ses déambulations et à quelques recherches. Un orphelinat. Camille était donc devenue adulte aussi. Adulte et directrice d'un orphelinat. Au fond, Sophie n'était pas étonnée de son amie. Elle qui était si douce et maternelle, s'occuper d'enfants abandonnés, malheureux ou seuls, cela lui ressemblait tellement. Elle était arrivée devant les grandes portes de l'orphelinat. Elle avait longuement hésité avant de sonner, chose qu'elle ne faisait jamais, préférant toquer. Elle n'attendait qu'une chose, que sa chère sœur vienne lui ouvrir et qu'elle puisse se retrouver. Elle espérait par-dessus tout ne pas s'être trompée, que son cerveau ou ce nouveau monde ne lui ait pas joué de mauvais tour. La douleur et la déception seraient trop grandes pour Sophie. La porte s'ouvrit enfin sur Camille. Camille. Maintenant, au fond d'elle, elle en était certaine, c'était bien elle, pourtant elle fut effrayée par cette vérité. Elle était là aussi, donc tous les autres aussi ? Ou alors, il leur était arrivé quelque chose à toutes les deux ? Ou peut-être rêvait-elle et, en face, ce n'était pas Camille. Elle fut elle-même étonnée de s'entendre dire : « C'est pour... un don... pour l'orphelinat... » Elle avait besoin de savoir si Camille l'avait reconnu aussi, si elle n'était pas juste folle alors elle ne s'était pas jetée dans ses bras.

L’Orphelinat. Son fils. C’était désormais tout ce qui restait à Camille. Cependant, elle ne perdait pas espoir. Jamais. Elle savait que si elle était là, ses amis, sa famille était là aussi. C’était presque une certitude. Elle ne pouvait pas être arrivée là seule. C’était impossible. Elle allait attendre le temps qu’il fallait pour les retrouver, mais elle les retrouverait. Elle ne voulait pas précipiter les choses. Même si elle avait très envie de les revoir, même si elle faisait en sorte d’effectuer quelques recherches afin de trouver des indices pour les retrouver. Mais pour elle, ce n’était pas aujourd’hui qu’elle allait retrouver quelqu’un. Cette journée allait être comme les autres. Elle allait s’amuser avec les enfants, les aider à faire leurs devoirs, les nourrir, les coucher… Comment pouvait-elle imaginer que cette journée allait être différente des autres. Comment pouvait-elle devinait qu’elle allait retrouver l’une de ses amies, sa sœur même. Camille venait à peine de quitter une jeune mère attristée par la disparition de son enfant, que quelqu’un venait de sonner à la porte à nouveau. Elle espérait ne pas revoir cette pauvre mère, car elle ne saurait pas quoi lui dire d’autres. S’excusant alors de nouveau auprès des enfants avec qui elle était en train de jouer au ballon, Camille quitta la pièce se dirigeant vers le grand hall d’entrée. Camille ouvrit la porte et sous ses yeux elle était là. Elle en était certaine s’était bien elle. Elle le sentait. Elle lui ressemblait tellement. Sophie. C’était Sophie. C’était forcément elle. La jeune femme qui se trouvait en face d’elle prononça quelques mots, disant qu’elle était là pour faire un don pour l’orphelinat. Elle n’était pas assurée, elle semblait sortir cette phrase de nul part, comme si elle venait par hasard, sans y avoir réfléchi auparavant. « Sophie ? » Camille n’avait pas pris la peine de répondre à la première phrase de sa jeune sœur. Elle voulait, elle devait être certaine qu’il s’agissait bien de sa jeune amie. Elle ne voulait pas faire erreur. Elle ne voulait pas se faire de fausse joie. Camille espérait entendre une réponse positive de la part de la jeune femme qui se trouvait en face d’elle. Elle espérait que ce soit réellement Sophie. Elle l’espérait du plus profond de son être.

Le coeur de Sophie battait si vite. Elle était si heureuse et terrifiée en même temps. Elle se demandait pourquoi elles étaient là. Elle se demandait pourquoi Camille était là. Elle se demandait pourquoi tous les autres n'étaient pas là ? Ou alors étaient-ils tous là ? Comment ? Comment de leur monde, de Réan et de Fleurville, ils avaient pu atterrir dans un monde si étrange et évolué ? Sophie était effrayée parce qu'elle ne connaissait pas les réponses. Sophie était effrayée parce que du moment où elle n'avait retrouvé personne, elle pouvait imaginer que tout ceci n'était qu'un long rêve ou qu'elle était folle. En retrouvant ceux qu'elle connaissait et aimait, elle craignait la réponse qu'ils pouvaient lui donner, elle craignait la vérité qu'ils pouvaient connaître.

Alors, étrangement, lorsque la porte s'était ouverte sur Camille, son amie et sa soeur, Sophie n'avait su comment réagir. Elle avait peur aussi de ne pas être reconnue. Alors, elle avait sorti la première phrase qui lui était venue : un don pour l'orphelinat. Chose qui aurait été tout à fait possible et probable si la personne face à elle n'était pas Camille. Enfin, peut-être prenait-elle ses désirs pour la réalité ? Peut-être n'était-ce pas du tout Camille ? Ses doutes s'envolèrent immédiatement après que la jeune femme eut ouvert la bouche pour l'appeler par son prénom. Aussitôt, Sophie se jeta dans les bras de sa soeur, laissant l'émotion parler pour elle. « Oh Camille, j'ai eu tellement peur d'être seule et de ne jamais tous vous revoir ! » Commença-t-elle en serrant plus fort encore son amie pour être sûre qu'elle soit bien là. « Madeleine est avec toi ? Dis-moi qu'elle l'est ! » Elle espérait tellement retrouver toute sa famille, au complet. « Tu es avec eux tous ? » Dit-elle ne s'arrêtant plus de parler. Elle parlait évidemment de leur mère, mais aussi de Paul, de Jean et de Léon. De tous leurs amis et de leur famille. Elle espérait tant que tous étaient avec Camille. « Je suis tellement heureuse de te voir Camille ! » Souffla-t-elle, se taisant enfin pour profiter de ses retrouvailles tant espérées et attendues.

Sophie. Sophie était bel et bien là. Camille n’était désormais plus seule. Plus jamais. Son espoir de retrouver ses proches venait de s’amplifier. Si elle venait de retrouver Sophie, elle retrouverait aussi tous les autres. La jeune Sophie venait se jeter dans les bras de sa sœur. Camille resserra ses bras autour de sa taille. Sophie donnait l’impression d’avoir besoin de serrer sa sœur pour s’assurer de sa présence. Mais Camille était bien là. Tout comme Sophie était là, devant elle. Elle n’avait pas changé, elle était toujours aussi pipelette. Elle enchaînait les mots sans s’arrêter. Camille n’arrivait même pas à placer un seul mot. Alors elle souriait en écoutant sa jeune sœur enchaîner chacun de ses mots. « Je suis vraiment heureuse de te retrouver aussi ma Sophie. Malheureusement, je n’ai retrouvé personne ici. J’ignore où est Madeleine, Paul, Léon, notre mère. Je ne sais pas où ils se trouvent, ni même comment les retrouver. Mais je suis certaine que nous allons finir par les retrouver. Il faut laisser faire le hasard. Après tout, nous nous sommes bien retrouvée toutes les deux. » Ils allaient les retrouver. Paul allait resurgir comme il l’avait fait en revenant des Amériques. Ils allaient retrouver Madeleine, ils allaient retrouver Jean ou encore Léon et tous les autres. Ils allaient les retrouver. Camille ne disait pas cela pour rassurer sa jeune sœur, elle le pensait réellement. Elle était certaine qu’ils n’étaient pas loin. Tous. Comme Sophie et elle, ils allaient se retrouver un jour ou l’autre. Il fallait simplement se montrer patient. « Allez entre, tu ne vas pas rester dehors. » Camille se reculait du seuil d’entrée pour laisser sa petite sœur rentrer. Elle comptait faire visiter sa nouvelle demeure à Sophie, mais en attendant, elles allaient s’installer à la cuisine, pas celle qui était faite pour les enfants, mais dans la cuisine qui était faite pour les employés de l’Orphelinat. Elle prépara deux tasses de thé sans penser à demander si Sophie en voulait une tasse. En donnant une tasse à son amie, Camille se rappelait de ce thé fait avec l’eau des chiens et du blanc à argenterie qu’avait préparé Sophie. « Comment est-ce que tu m’as retrouvé ? Tu savais que je me trouvais là ? Où alors est-ce le hasard qui t’a amené devant ma porte ? » Camille s’était assise face à Sophie, la tasse de thé entre ses paumes de mains. Elle était prête à discuter avec sa jeune amie, sa jeune sœur, prête à profiter de leurs retrouvailles.

Depuis son arrivée dans ce monde, Sophie n'avait éprouvé aucune joie semblable à celle-ci. Elle était tellement heureuse de ne plus être seule et espérait tellement que tout ceci ne soit pas qu'un mauvais rêve. Camille. Si Camille était là, les autres étaient forcément là eux aussi. Alors bientôt, elle allait revoir Madeleine et Paul, Jean et tous les autres. Sophie se jeta dans les bras de sa soeur, ne pouvant se retenir plus longtemps. Et elle parlait encore et encore, sans plus pouvoir s'arrêter. Sophie avait toujours été bavarde, plus encore lorsqu'elle était heureuse comme elle l'était aujourd'hui. Camille, tout comme sa soeur, semblait heureuse de la retrouver. Quoi de plus logique, au fond ? Ce qu'elle dit ensuite peinait davantage la jeune Sophie. Malheureusement, Camille était seule et n'avait retrouvé personne. Enfin, elle avait Sophie désormais. Mais où pouvait-être tous les autres ? « Oh... j'espérais en avoir fini avec tout ça. J'espérais qu'on serait enfin tous réunis. » souffla Sophie, déçue. Mais cette pauvre Camille n'y était pour rien du tout. Inutile d'être déçue devant elle et de gâcher la joie de s'être retrouvées. Après tout, elles allaient tous les retrouver comme elles deux s'étaient retrouvées.

Camille fit ensuite entrer Sophie qui ne se faisait pas prier plus longtemps. Elle s'installa dans la cuisine de sa soeur, regardant autour d'elle. En prenant la tasse de thé, Sophie se mit à sourire. Elle espérait que ce thé ne serait pas aussi horrible que celui que Sophie avait servi une fois, en étant jeune. Sophie sortit de cette amusante pensée lorsque Camille reprit la parole. « Je ne sais pas... Le hasard a mis ton nom sur ma route, mais je te cherchais, je vous cherche tous depuis le premier jour. J'ai cru rêver en voyant ton nom... » Elle ne savait même plus où tant ses idées étaient floues et chamboulées. « Et toi, tu m'as cherché ? » Demanda-t-elle en baissant les yeux vers son thé. Elle espérait que sa soeur avait pensé à elle et l'avait recherché. « Tu te souviens de toute notre vie ? Je veux dire, tu as souvenir d'avoir été adulte ? Tu sais comment nous sommes arrivées là ? » Tant de questions qu'elle ne pouvait pas toutes les poser d'un coup, mais elle ne pouvait pas se contenter d'une seule. Camille avait toujours été plus sage et plus intelligente que Sophie, peut-être avait-elle une explication logique et rationnelle, peut-être qu'elle savait ce qui s'était passé, peut-être que Sophie avait juste oublié. Sophie ne voulait qu'une chose : avoir des réponses pour pouvoir se reposer sur quelque chose de plus solide que les doutes et les questions.

Camille et Sophie étaient désormais réunis. Elles s’étaient retrouvées, c’était une très bonne chose pour chacune d’elle. « Je l’espérais aussi Sophie. Mais on va tous être réunis très bientôt, j’en suis certaine. Nous nous sommes bien retrouvées toutes les deux, donc nous serons réunis avec tous les autres très bientôt. Paul, Léon, Madeleine, Jean, tout le monde sera avec nous dans très peu de temps. » Camille insistait sur le fait qu’elles allaient toutes les deux retrouver tout le petit monde qui faisait autrefois partis de leur vie. Camille en était plus que certaine, s’ils étaient ici, s’ils étaient dans ce nouveau monde, elles allaient les retrouver. Sophie posa une nouvelle question, Camille l’avait-elle cherchait ? Avant de baisser les yeux telle une enfant. Sophie n’avait pas changé, elle était toujours la même. « Bien évidemment que je t’ai cherché Sophie. Comme j’ai cherché Madeleine et les autres. Mais j’aimais croire que le hasard me les ramènerait. Et regarde, tu es là. Je remercie le ciel et le hasard de t’avoir mise sur le chemin de mon orphelinat. » Quelle question. Ne se doutait-elle pas de la réponse ? Il était pourtant évident que Camille l’avait cherché, c’était son amie d’enfance et sa petite sœur. « Non, je ne me souviens pas de tout. Je me souviens quasiment de la totalité de notre enfance. En revanche, je ne me souviens quasiment de rien de ce qui est de ma vie adulte. Je ne sais pas non plus pourquoi ni comment nous sommes arrivés ici. C’est incompréhensible. La dernière chose de notre ancienne vie que j’ai vue, c’est une lune rouge. Et je me suis retrouvée dans ce monde. Mon mari n’était plus là, vous n’étiez plus là. Je suis arrivée avec mon fils et des tonnes de souvenirs en moins. Je ne sais pas si je retrouverais la mémoire un jour, mais je l’espère sincèrement. Et toi ? » Camille était peinée par ce trou de mémoire. Elle ne se souvenait de rien concernant sa vie adulte ou presque. Elle avait l’impression de ne pas s’être vu grandir et d’être atterri là bien plus âgée qu’elle n’aurait dû l’être. Elle espérait pouvoir retrouver un jour l’intégralité de sa mémoire, mais elle ne savait pas si cela était possible ou non.

« D’ailleurs, suis-moi, tu peux prendre ta tasse, nous allons aller dans la chambre de Georges qui est en train de dormir. » Camille était d’abord allait dans la cour et dans la salle de travail pour prévenir les enfants que s’ils avaient besoin d’elle, elle était en haut, dans la chambre de son fils. Une fois les escaliers montés Camille avant sans faire de bruit vers la chambre du petit, poussant la porte avec délicatesse pour éviter de le réveiller. Pourtant, en ouvrant la porte, Camille remarqua que le petit garçon n’avait pas l’air endormi, il était dans son lit paisiblement, en train de s’amuser avec son mobile qui était encore allumé. Camille était alors entrée dans la chambre, en faisant signe à Sophie de faire la même chose. Elle déposa sa tasse de thé sur la table qui se trouvait prêt de la fenêtre avant d’aller ouvrir les volets, afin d’y voir plus clair. Camille embrassa son petit garçon, avant de couper la musique du mobile, ne le laissant que tourner. « Assieds-toi Sophie, tu as le choix entre chaise, fauteuil ou fauteuil à bascule. » Camille était allé rechercher sa tasse en attendant que son amie se décide. « Alors, raconte-moi un peu ce que tu fais depuis que tu es arrivée ici. Quelles bêtises nous as-tu faites ? » Camille riait, elle savait très bien que son amie avait tendance à faire des bêtises. Surtout, quand elle était enfant et elle doutait que ce problème ne fasse désormais plus partie de son amie.

Sophie était heureuse d'avoir retrouvé son amie. Sa soeur. Mais elle était peinée de ne pas tous les avoir retrouvés. Elle espérait tellement ne pas vivre ça encore et encore. Elle espérait tellement qu'ils puissent être tous réunis à nouveau, comme avant. Camille, comme elle l'avait toujours fait, rassura Sophie. Étrangement, elle croyait sa soeur, sans aucun doute. Ils allaient être tous réunis. Et heureux. Peut-être même auraient-ils la chance de retourner chez eux, dans leur monde d'origine. Les deux soeurs parlèrent donc de leurs recherches, et Sophie, curieuse, demanda si Camille l'avait cherché. Sa réponse lui fit relever la tête immédiatement et la fit sourire. Sophie n'avait ni la patience, ni le courage nécessaire pour attendre un coup du destin, elle avait besoin de cherché alors, elle l'avait fait. Mais Camille avait toujours été plus raisonnée et raisonnable qu'elle, alors ça n'étonnait même Sophie d'obtenir cette réponse de la part de sa soeur. Sophie ne répondit rien d'autre qu'un sourire sincère à sa grande soeur.

Si Sophie était curieuse, elle était aussi très bavarde et avait besoin de toujours tout savoir. Elle cherchait donc, tout naturellement, des explications auprès de Camille. Pourquoi étaient-ils là, comment ? De quoi se souvenait-elle ? Des questions, elle en avait des centaines. Elle devait savoir. Elle en avait besoin. La réponse de sa soeur ne la satisfaisait qu'à moitié. Elle aurait aimé des réponses claires, elle aurait aimé qu'elle, elle se souvienne pour pouvoir l'aider. « Ton fils ? » Dit-elle, étonnée. Dans son esprit, sa soeur n'était qu'une enfant, comme elle et n'avait certainement pas de fils. « Je... Je ne me souviens pas... » avoua-t-elle, honteuse d'avoir oublié cet enfant. « Je me souviens de mon enfance, je me souviens de tout, je me souviens de mes parents et de ma belle-mère, je me souviens du naufrage et de notre mère qui m'a accueilli comme si j'étais sa fille. Je me souviens de cet été où ma belle-mère est revenue, où elle est morte, je me souviens du retour de Paul et de notre joie à tous, puis après les souvenirs ont disparu. Je n'en ai presque plus aucun... Juste des impressions, des sensations... J'ai ouvert les yeux dans ce monde, dans le corps d'une adulte sans avoir conscience d'en avoir été une... » Elle fit une pause, elle avait tout le temps de raconter tout ça à Camille. Pourtant, elle avait l'impression qu'elle pouvait disparaître à tout moment et elle avait tant de choses à lui dire. « Comme toi... Presque. » Conclut-elle.

A la demande de sa soeur et sans dire un mot, Sophie la suivit, sa tasse de thé dans la main. « Georges ? » questionna-t-elle seulement au bout de quelques secondes. Elle avait essayé de faire fonctionner son cerveau pour mettre un visage sur ce nom, mais rien. Sophie suivait sagement sa soeur, sans plus dire un mot. Elle l'observait faire chacun de ses mouvements, puis elle posa ses yeux sur ce bébé. Il ne lui rappelait rien. Aux mots de sa soeur, sans hésiter, Sophie avait choisi le fauteuil à bascule dans lequel elle se jeta, s'amusant déjà à se balancer d'avant en arrière, beaucoup trop fort. « Je ne me souviens pas de lui... » souffla-t-elle en cessant de se balancer, l'air grave et sérieux. « Tu crois que j'ai oublié des choses aussi... importantes ? » s'inquiétait-elle soudainement. Et si elle avait aussi des enfants qui l'attendaient quelque part et dont elle n'avait plus souvenirs ? Cette idée l'effrayait tout à coup et elle se sentait mal.

Sa soeur reprit la parole avec une question qui amusait beaucoup Sophie. « Je ne fais jamais de bêtises, mademoiselle ! Je suis une grande fille maintenant et je suis sage ! » dit-elle en croisant les bras. Plus qu'une grande fille, elle était désormais une femme. Une adulte. Sauf qu'elle n'avait l'âme et l'esprit que d'une enfant. Parfois pourtant, elle sentait qu'elle savait être adulte et qu'elle l'avait déjà été, quelque chose de plus posée et sérieux se réveillant en elle. Comme si deux personnes étaient coincées en elle, deux versions d'une même personne. « Je suis surtout restée chez moi. L'extérieur m'effrayait beaucoup, surtout au début. Tout est si... différent ! Et je ne connais personne, les gens sont étranges ici, ils parlent et vivent différemment. Ils ont de drôles d'appareils qui font du bruit et que l'on arrive pas à arrêter ! Et tu as vu leur voiture ? Elles ne sont même pas tirées par des chevaux ! On a l'impression qu'elles sont tirées par une force invisible ! Sans parler de ces drôles de boîtes qui parlent et qui font des images, comme si un livre s'animait ! Et tous ces bâtiments si différents... Et les vêtements aussi... Non, vraiment, j'étais trop effrayée pour avoir le temps de faire des bêtises ! Alors j'ai passé beaucoup de temps chez moi ou à vous chercher, à essayer de comprendre aussi... Et toi que fais-tu ici ? » se questionna-t-elle après avoir fait état de ses nombreuses peurs et de ses peu nombreuses actions dans ce nouveau monde.

« Oui Sophie, j’ai un petit garçon. Tu l’as oublié, ce n’est rien. J’ai l’impression que cela est normal par ici. Beaucoup de personnes vivant dans cette ville semble avoir oublié des choses concernant leur passé. » Les souvenirs allaient certainement revenir un jour. Normalement. Camille espérait retrouver certains de ses souvenirs. Sa rencontre avec son mari, l’annonce de sa grossesse, son accouchement… Il était assez étrange de remarquer que Sophie et elle avait quasiment les mêmes souvenirs. Comme si une grande partie de leur vie n’avait jamais existé. Cela était étrange, mais c’était bel et bien ce qui s’était passé. Les deux jeunes femmes montaient à l’étage afin d’être en compagnie du jeune garçon de Camille qui était en train de se reposer dans sa chambre. Sophie, qui suivait le pas, pris un instant pour prononcer le nom de Georges. Elle ne se souvenait pas de lui. « Oui, Sophie, Georges, mon petit garçon. » Aucun souvenir ne semblait lui revenir, mais peut-être qu’en le voyant, certains d’entre-deux allaient se révéler. Si ce n’était pas le cas, ce n’était pas grave. Rien ne pressé et Sophie allait prendre le temps de faire de nouveau connaissance avec lui.

Une fois dans la chambre Sophie pris place sur la chaise à bascule, ce qui n’étonnait pas Camille, qui avait l’habitude de l’attitude de sa jeune sœur. Elle ne se souvenait pas du bébé et cela avait l’air de la perturber ? Elle avait également peur d’avoir oublié d’autres choses très importantes et Camille se devait de la rassurer, en effet, c’était son rôle de grande sœur. « Mais non Sophie. Ne t’en fais pas. Je suis certaine que tu n’as rien oublié d’important. Si tu as peur d’avoir oublié tes propres enfants, dans mes souvenirs, tu n’en avais pas encore. Et puis, je suis certaine que ton instinct maternel aurait pris le dessus. Je suis certaine que tu n’aurais pas pu oublier tes enfants, cela est impossible, crois-moi. » Camille espérait que cela allait suffire pour rassurer sa demi-sœur.

« Sage toi ? Laisse moi rire Sophie. Tu as toujours été attirée par les bêtises. Je suis certaine qu’être grande ne t’empêchera pas de continuer tes enfantillages. » Camille souriait en regardant Sophie toujours assise dans sa chaise à bascule. Sophie avait déjà su se montrer mûre par le passé, mais elle garderait toujours son âme d’enfant, cela était certain. « J’ai eu beaucoup de mal au début avec ce nouveau monde. Il est vrai que tout est différent ici. Nous sommes loin de nos anciennes vies, de nos anciennes habitudes et coutumes. Beaucoup de choses m’ont effrayée ici, au début du moins. Puis, avec le temps, je commence à m’y faire. Je dois avouer que certaines choses m’étonne encore et que je n’arrive pas à me faire à tout. Mais maintenant, nous ne sommes plus seules, nous sommes toutes les deux. Bien qu’ils nous manquent encore beaucoup de personnes pour être au complet, nous pourrons s’appuyer l’une sur l’autre pour surmonter cette épreuve et nous pourrons chercher ensemble les autres membres de notre famille. » Camille lança un sourire rassurant, car elle se voulait rassurante envers Sophie. Puis se dirigeant vers le berceau de son petit garçon, Camille se baissa afin de le prendre dans les bras. Après l’avoir embrassé sur le front, elle s’adressa à Sophie. « Tu souhaites le porter un peu ? »

Sophie ne se souvenait plus de grand chose. Elle se souvenait d'avoir été une enfant. Elle se souvenait de ses malheurs et de ses bonheurs, mais elle ne se souvenait plus vraiment d'avoir été adulte, comme si sa vie s'était arrêté alors qu'elle n'était qu'une enfant. Comme si elle était arrivée dans le corps d'une adulte sans jamais l'avoir été. Elle ne se souvenait plus de ce qu'elle avait fait, de ses amis ou de l'enfant de sa demi-soeur. Camille avait un petit garçon... Sophie n'en avait aucun souvenir, même pas un vague. Elle ne comprenait rien. Les questions étaient nombreuses alors qu'elle suivait son amie à l'étage pour retrouver le petit garçon endormi.

Malgré la situation et les trous de mémoire qui la perturbait, Sophie se jeta sur le fauteuil à bascule et se bascula aussi rapidement que possible. Il y avait une telle contradiction entre ses gestes et sa voix. Sophie s'inquiétait désormais d'avoir oublié des choses aussi importante qu'un enfant. Et si elle était mère, elle aussi ? Et si son enfant était là, quelque part, perdu, sans elle ? Sophie ne pouvait le croire et pourtant... Elle avait bien oublié le petit garçon de sa soeur, sa vie d'adulte, son mariage avec Jean. Enfin, elle savait ou presque, qu'elle s'était mariée avec lui, mais ce n'était plus qu'une sensation lointaine, plus une certitude. « Je l'espère Camille. Je ne sais pas ce qui nous arrive, mais ça ne me plaît pas beaucoup. J'ai l'impression d'être coincée dans le corps d'une adulte qui n'est pas moi... » souffla-t-elle en cessant de se basculer. « Je ne fais pas de bêtises ici... J'ai l'impression que les autres ne comprennent pas mon comportement. J'ai l'impression qu'ils ne comprennent pas comment une adulte peut être ainsi alors... » Alors elle s'efforçait d'être sage. Ses gestes, ses mots et ses réactions, elle ne pouvait néanmoins pas les contrôler autant qu'elle le voulait alors souvent, on la trouvait un peu bizarre.

Par la suite, Sophie confia ses craintes et ses peurs face à ce nouveau monde regorgeant de choses nouvelles et effrayantes pour des personnes de leur monde d'origine. La technologie, les voitures... Tout semblait si différent. Et elle fut heureuse d'apprendre qu'elle n'était pas seule à s'y faire difficilement. Elle était heureuse de voir que sa soeur était aussi effrayée qu'elle. Quelque part, en retrouvant Camille, elle espérait que tout pourrait redevenir comme avant. Elle espérait retrouver tous les autres et être heureuse auprès d'eux. « J'espère qu'on les retrouvera et qu'on reformera une famille comme autrefois. J'aimerai tellement que l'on soit tous ensemble, comme avant... Je ne veux plus vous perdre, encore... » Elle les avait déjà perdu une première fois lorsqu'elle était partie en Amérique, elle venait de les perdre une seconde fois... Elle ne voulait plus jamais être séparée de son amie et de sa soeur, elle voulait retrouver tous les autres et ne plus jamais les quitter. Sophie n'avait jamais aimé la solitude, elle l'avait souvent craint et la craignait encore au vue de la situation actuelle. Le sourire de sa soeur et ses mots rassuraient Sophie, assez pour qu'elle recommence à se basculer, beaucoup trop fort.

Sophie, en silence, observa sa soeur qui prit son petit garçon dans les bras. Elle fut surprise par sa demande. « J'ai peur de le laisser tomber... » avoua-t-elle en baissant les yeux. « Tu sais comme je ne suis pas douée avec les enfants... » ajouta-t-elle en souriant et en relevant les yeux vers Camille. Sophie faisait évidemment allusion à sa poupée, sa fille. Elle espérait que Camille le comprendrait. Bien sûr, le petit garçon était réel lui et justement, bien plus fragile que sa fille alors elle craignait de lui faire du mal sans le vouloir.

Camille taquinait sa jeune demi-sœur sur les bêtises qu’elle devait faire dans ce nouveau monde depuis leur arrivée. Connaissant la jeune de Réan, il était évident que chaque jour qui passait été signe d’une nouvelle bêtise ou d’une nouvelle catastrophe qui s’annonçait. Pourtant non. Sophie expliquait à son amie qu’ici, elle ne pouvait plus être elle-même. « Je te crois Sophie. Mais je suis certaine qu’avec le temps, les gens apprendront à t’apprécier comme tu es. » Comme elle était, cela voulait dire comme une adulte se comportant comme une enfant, une adulte maladroite et faisant des tas de bêtises tout le temps. Cela devait être frustrant pour Sophie de ne pas pouvoir se comporter comme elle le souhaitait. Elle devait se contrôler et il était certainement compliqué pour elle de le faire. Sophie avait toujours était cette enfant attirée par la bêtise et par l’interdit et ici, elle devait se contenter d’obéir aux règles et à se comporter comme n’importe quel adulte lambda. Camille avait peur de ne pas la reconnaître, malgré tout, elle savait que Sophie resterait toujours Sophie, même si son vrai elle restait enfouie au plus profond de son être.


Toutes deux voulaient retrouver leurs proches, leurs amis, leur famille. Pourquoi étaient-ils tous séparés ? Cela était incompréhensible. Pourquoi leur faire vivre une telle épreuve ? Et bien que Camille n’aurait pas souhaitait que cela se passe autrement, pourquoi le fils de cette dernière était avec elle dans ce monde depuis le début ? « Je souhaite la même chose Sophie. J’aimerais retrouver notre mère et notre sœur, ainsi que tous nos amis. J’aimerais aussi pouvoir retrouver le père de mon enfant. J’ai grandi sans père, et même si je m’en suis bien sortie grâce à une mère aimante, cela a été compliqué pour moi. Je veux que mon garçon puisse grandir dans ce monde bien entouré et aimée. » Camille marquait une courte pause avant de se mettre à sourire. « Au moins, il a retrouvé une tante avec qui il pourra s’amuser. Mais attention Sophie, tu n’as pas intérêt à lui apprendre des sottises. Je ne veux pas que mon enfant ressemble à sa tante quand elle était jeune. Je ne veux pas avoir à le gronder et à lui faire la leçon tous les jours. » Camille s’amusait de la situation, elle aimait taquiner sa jeune amie et ne pouvait s’en empêcher.


Camille ne fut pas étonnée par la réponse de sa sœur qui refusait de porter l’enfant par peur de lui faire mal. « Tu fais donc là allusion à ta fille Sophie ? Mais mon fils n’est pas une poupée. Il est certainement plus fragile, mais je suis certaine que tu sauras y faire attention. En tout cas, tu seras plus douce avec lui que tu ne l’as autrefois été avec ta pauvre fille. Qu’est-ce qu’elle a souffert. » Camille se perdait peu à peu dans quelques-uns de ses souvenirs, revoyant tous les malheurs qui étaient autrefois arrivés à la pauvre poupée de Sophie, ses yeux, ses couleurs, sa jambe et tellement d’autres choses encore. « Je ne veux pas te forcer Sophie, mais dès que tu te sentiras prête à le prendre, tu me le demanderas. D’accord ? » Camille faisait confiance en sa jeune amie pour cela, malgré le passé de Sophie, la jeune mère savait qu’elle prêterait une attention toute particulière à son neveu.

L'apprécierait-on réellement un jour ? Sophie en doutait. Au fil des semaines, elle avait compris que l'on attendait beaucoup de tous les adultes de ce monde : être responsable, être sérieux, ne pas faire de bêtises... Tout ce que Sophie n'aimait pas ou ne pouvait pas être. Sophie était une enfant. Tout du moins, Sophie aimait avoir le comportement d'une enfant. Elle n'était plus la jeune Sophie qui n'écoutait rien ni personne, elle s'était assagie, était devenue plus mature et généreuse, mais malgré tout, elle aimait l'aventure et les bêtises. Tout ce que les adultes autour d'elle semblait détester. Ils étaient tous si sérieux et ennuyants, à quelques exceptions près bien sûr.

C'était sans doute l'une des raisons qui lui faisait détester ce monde. Ça, et le fait qu'elle se retrouvait seule face à l'inconnu. Enfin, ça c'était avant de retrouver sa soeur. Elle était si heureuse de ne plus être seule. Si heureuse d'avoir une compagnie, d'avoir une partie de son ancienne vie. Elle voulait retrouver tous les autres. Elle voulait retrouver sa vie d'avant. Cette vie était trop différente de la sienne. Évidemment, Camille souhaitait les mêmes choses. C'était tellement évident. Elle était aussi attachée à sa famille et à ses amis que Sophie l'était. « Je suis certaine que tu le retrouveras. Il ne faut jamais perdre espoir. » Essayait-elle de de la rassurer. « Et tu seras une mère aimante, comme la nôtre, ton fils grandira et sera heureux, quoiqu'il se passe. » Affirma-t-elle plus réalistement cette fois-ci. Sophie voulait garder espoir, son passé lui avait montré qu'avec de la patience et de l'espoir, on pouvait voir des choses changer. Après tout, n'avait-elle pas retrouvé Paul après des années, alors qu'elle le croyait mort ? N'avait-elle pas été libérée de sa belle-mère alors qu'elle se croyait perdue ? A chaque fois, après les terribles épreuves de la vie, cette dernière lui avait souri. Elle craignait, malheureusement, qu'ici tout soit différent. Elle craignait que la chance ne puisse lui sourire encore. Pourtant, elle l'espérait sincèrement, tant pour elle que pour son amie. Sophie ne put s'empêcher de sourire à l'idée de sa soeur. Elle avait tant de bêtises à lui apprendre. Mais pour ça, il fallait attendre qu'il grandisse. C'était si ennuyeux d'attendre. « Camille, voyons, je ne veux pas lui apprendre de bêtises, je veux juste qu'il s'amuse. Ce n'est pas de ma faute si toutes mes idées se transforment en bêtises. » Elle, elle n'y pouvait rien si tous ses faits et gestes finissaient mal. Ce n'était juste pas de chance.

Sophie aurait aimé porter ce petit garçon, mais elle craignait de le faire tomber ou de lui faire mal. Après tout, sa poupée avait subi bien des traumatismes. Ce petit garçon était réel et elle craignait d'être aussi maladroite qu'avec sa fille. « D'accord. » répondit-elle simplement en souriant. « Tu sais, parfois, j'aimerais que ma poupée soit avec moi. Je sais que je suis adulte et que je n'en ai plus besoin, mais l'avoir près de moi m'aurait rassuré. » Elle aurait juste aimé l'avoir près d'elle, pouvoir la regarder lorsqu'elle ne se sentait pas bien, pouvoir se rappeler de tous ces moments passés avec elle et ses amis. Pourtant, elle n'était pas là. Elle avait au moins le mouchoir que sa mère lui avait fait et le petit carnet que Jean lui avait donné, c'était déjà une chance énorme.

« Merci ma Sophie. J’espère vraiment pouvoir être aussi bonne que notre mère. » Camille avait toujours aimé la façon dont se comportait sa mère, sa façon de les élever et de les éduquer. Camille s’était toujours senti en sécurité à ses côtés. Elle avait toujours eu confiance en elle et savait que leur mère était toujours là pour ses enfants, qu’elle était toujours aimante et bienveillante. Camille avait envie d’être ce genre de mère pour son fils. Elle avait envie d’être une bonne mère, même sans la présence de son époux à ses côtés. D’ailleurs, il était fort probable qu’il ne se souvienne pas de Camille, qu’il ne se souvienne pas non plus de leur fils. Et comment le reconnaître en sachant que Camille ne se souvenait plus de son visage. Camille allait devoir se faire doucement à l’idée de ne plus jamais revoir le père de son fils.

Sophie était une fille à la tête de nombreuses bêtises et Camille doutait fort que ce monde l’ai changé. Elle était d’ailleurs même persuadée que sa jeune sœur allait apprendre à son fils des tas de bêtises. Cela la faisait rire, même si elle espérait que Sophie ne lui apprenne pas de trop  grosse bêtise. Madame de Réan avait parfois eu bien du courage d’élever seule Sophie et Paul. Même si ces deux-là s’aimaient beaucoup, ils se chamaillaient souvent, sans oublier les nombreuses bêtises que faisait cette pauvre Sophie étant jeune. « Ce n’est pas de ta faute Sophie, tu dois avoir ça en toi. Tu aimes bien trop les bêtises pour ne plus en faire. Tu amuseras sans doute beaucoup Georges quand il sera un peu plus grand. Je pense même que je vais devoir le surveiller d’un peu plus près à cause de sa tante. » Camille rigolait, elle aimait taquiner sa jeune sœur, même s’il y avait un fond de vérité dans ces paroles. Il était certains que le jeune Georges allait prendre exemple sur sa tante, il était bien plus drôle de faire des bêtises.

« Tu es en sécurité ici. Tu n’as pas besoin de ta poupée Sophie. Je peux te promettre qu’ici, rien ni personne ne pourra te faire de mal, tu peux me faire confiance. » Camille n’était sûre de rien, mais elle se devait de jouer son rôle de grande sœur et devait rassurer Sophie, elle devait lui dire que même sans sa poupée, elle pouvait s’en sortir. Elle pouvait affronter bien des situations sans « sa fille », Camille en était certaine. Et puis cette poupée était sans doute mieux là où elle était, elle avait tellement souffert qu’elle avait bien besoin de repos désormais.

« Tu l'es déjà ! » Elle était déjà une bonne mère, en quelques minutes, ça se voyait déjà. Sophie savait parfaitement que Camille était une mère aussi douce, aussi aimante, aussi dévouée qu'avait pu l'être madame de Fleurville pour ses filles et pour Sophie. Camille était juste, aimante et douce. Sophie était bien placée pour le savoir. Camille avait su la protéger, l'aider, la comprendre lorsqu'elle en avait le plus besoin. Elle avait su être une amie et une soeur lorsqu'elle était malheureuse, qu'elle avait besoin d'aide. Alors forcément, elle ne pouvait être qu'une bonne mère pour ce petit garçon.

Il était vrai que par le passé, et encore un peu par le présent, que Sophie aimait faire des bêtises. Il était vrai qu'elle n'aimait pas toujours obéir. Pourtant, aujourd'hui, dans ce monde, elle se devait d'agir comme une adulte, ou d'essayer au moins. En effet, les gens comprenaient mal qu'une adulte puisse se comporter comme une enfant, et ce, pour beaucoup de choses. Sophie ne le vivait pas forcément très bien, se sentant souvent brimer, à moitié elle seulement, mais elle n'avait pas le choix. Malgré tout, Sophie aimait les bêtises et comme le disait si bien sa soeur, elle avait ça au fond d'elle. Et il était presque certain que ce pauvre George allait en apprendre beaucoup à cause de Sophie. Elle en avait hâte d'avance. « C'est vrai que j'aime ça, faire des bêtises... Et maintenant, plus personne n'est là pour m'en empêcher. » Ce n'était ni un constat joyeux, ni un constat triste, c'était juste un constat. « Tu as raison, je vais déjà préparer la liste de toutes les bêtises que j'ai faite pour qu'il les reproduise. » se mit-elle à sourire pour embêter sa soeur.

Sophie se mettait désormais à se confier, précisant qu'elle aimerait parfois avoir sa fille auprès d'elle pour se rassurer, se sentir en sécurité. Surtout avant de retrouver Camille, elle était terriblement seule sans ses amis et sans sa famille, elle avait l'impression de retrouver sa vie en Amérique lorsque son père était mort. Elle s'y sentait tellement seule loin de tout. Mais aujourd'hui, elle espérait que tout ça était fini, elle espérait désormais tous les retrouver et espérait qu'ils seraient tous heureux, pour toujours et ensemble. « Je te fais confiance Camille, mais elle me manque quand même... » souffla-t-elle, les yeux dans le vague. « Heureusement, j'ai ça avec moi... » Dit-elle en sortant le petit carnet de Jean et le mouchoir de sa mère de ses poches. « Lorsque je me suis réveillée ici, ils étaient là. Sans eux, je ne sais pas comment j'aurais fait... » Ce n'était peut-être que des objets et c'était peut-être incompréhensible pour beaucoup, mais Sophie attachait beaucoup d'importance à ses objets qui lui permettaient de se rassurer et de se souvenir. « et toi, des choses t'ont accompagné ici ? A part Georges, bien sûr. » lança-t-elle, maladroite.

« Merci ma Sophie. » Le compliment de sa jeune sœur faisait plaisir à entendre. Camille qui voulait tant être une bonne mère, comme l’avait été la sienne autrefois, semblait avoir réussi. Sophie l’avait rassuré en lui disant qu’elle était une bonne mère. Certes, Sophie ne l’avait pas vu très longtemps, mais généralement, ce genre de chose se ressentait très rapidement. L’amour qu’il y avait entre Camille et son fils était bien trop évident.

Sophie et les bêtises, ça ne faisait qu’un. Depuis très jeune Sophie faisait souvent des bêtises. Elle se faisait d’ailleurs gronder par sa mère, puis par son horrible belle-mère à cause de cela. Même si ses bêtises pouvaient parfois blesser, elle savait toujours se faire pardonner. Camille savait très bien que si son amie était souvent en contact avec son jeune fils, elle lui apprendrait à faire des bêtises et à faire enrager la pauvre Camille. Dans le fond, tout cela faisait bien rire Camille, elle était habituée aux bêtises de sa sœur et savait comment les gérer si son fils en faisait tout autant. De toute façon, elle allait devoir faire avec, elle n’allait pas pouvoir empêcher Georges et Sophie de se voir. « Moi, je peux t’en empêcher et je peux aussi vous gronder toi et Georges quand il se mettra à faire les mêmes bêtises que toi. » Camille s’était mise à rire. Elle pouvait empêcher son amie et son fils de faire des bêtises, mais elle savait que tout cela était normal et puis Sophie semblait être restée une enfant.

La poupée de Sophie lui manquait, elle l’appelait autrefois sa fille. Camille savait bien qu’elle devait lui manquer, mais elle allait devoir vivre sans, elle n’avait pas d’autres choix, puisqu’elle ne l’avait pas suivie jusqu’ici. En revanche, elle était revenue avec le carnet que lui avait offert Jean et le mouchoir brodé que sa mère lui avait offert avant le naufrage. Elle était heureuse de les avoir avec elle et Camille comprenait, car elle savait l’importance qu’avait ses objets aux yeux de Sophie. Et Camille, qu’avait-elle ramenait dans ce monde. Comme l’avait dit Sophie, elle avait ramené Georges, ce qui avait fait sourire la jeune mère, c’était déjà cela. « Je n’ai rien emporté de notre ancienne vie Sophie. Comme tu l’as si bien dit, j’ai emporté Georges voilà tout. Je n’avais rien d’autre. » En y réfléchissant un instant, elle ne savait pas ce qu’elle aurait aimer emporter. Elle n’en avait vraiment aucune idée.

Le temps passé bien trop vite aux côtés de Sophie et de Georges. Camille avait de grandes responsabilités, elle devait s’occuper de nombreux enfants et n’avait pas d’autres choix que de retourner à son travail. Surtout qu’il était l’heure pour les enfants de rentrer, ils s’étaient amusés pendant un long moment et avait d’autres choses à faire. « Je dois aller m’occuper des enfants. Je te laisse avec Georges, peut-être que tu pourrais passer la nuit ici, on pourrait discuter un peu plus ce soir, comme nous le faisions parfois autrefois ? » A la réponse de son amie, Camille s’était dirigée vers elle pour la prendre dans les bras. « Je suis si heureuse de t’avoir retrouvé Sophie. »


FIN.