Business is business [Margot x Irène]

Une nouvelle cliente… Non, une nouvelle mission. Voilà ce qui attendait aujourd’hui Irène. Une demande peu commune, qui l’avait intriguée, elle devait bien le reconnaître. Elle avait l’habitude qu’on fasse appel à ses services pour les dits services, mais c’était bien plus rare qu’on lui demande de faire chanter quelqu’un. Ce n’était pas une première fois. Elle avait déjà aidé des femmes mariées qui voulaient prouver que leur mari était infidèle pour le faire payer très cher lors du divorce, en l’humiliant un peu -beaucoup- au passage. Donc elle savait que son travail de dominatrice pouvait amener à des requêtes plus particulières que de simples actes de parties de jambes en l’air.

Le message qu’elle avait reçu avait été plutôt bref. Un endroit public, un rendez-vous, une cliente qui voulait s’offrir ses services pour faire chanter quelqu’un. Il y avait dans ce message quelque chose qu’elle avait du mal à qualifier, mais qui lui semblait différent de ce qu’elle avait pu expérimenter par le passé. Ce n’était pas une femme bafouée qui lui parlait. Il y avait une certaine froideur ou peut-être un détachement dans ce message ? Elle n’aurait pas su dire, mais elle était piquée d’une grande curiosité. Ça allait être intéressant.

Elle prit le temps de se préparer ce jour-là. Les cheveux impeccables dans un chignon rétro. Son maquillage était soigné : yeux légèrement charbonneux et lèvres carmin comme elle les aimaient. Pour la tenue, elle prit son temps avant de la choisir. Elle était là pour parler business, mais chaque conversation dans son milieu était aussi un jeu de séduction. Elle n’était pas certaine de ce qu’on allait lui demander de faire, mais on l’avait contactée via son site. Elle ne pouvait pas avoir l’air trop strict. Elle enfila une robe noire un peu vintage qui arrivait aux genoux, mais avaient les épaules dénudées. Les manches étaient courtes. Elle agrémenta sa tenue de longs gants noirs également pour rendre le tout un peu plus chaud. Après tout, le printemps, était encore un peu timide.

L’heure approchant, elle jeta un dernier coup d’œil au miroir, mis ses lunettes de soleil sur son nez, prit son manteau et se dirigea vers le parc où elle avait rendez-vous. Ses talons claquaient avec un bruit agréable, dans une démarche habituée à ce genre d’exercice. Elle prit deux cafés à emporter et se dirigea vers un banc libre à l’entrée ouest du parc. Elle observa un instant les promeneurs, ceux qui faisaient leur jogging, les enfants et les chiens. Puis son regard se porta sur une femme qui avançait d’une démarche sûre d’elle dans sa direction. C’était elle.

Avec élégance, Irène se leva du banc et serra la main de sa future cliente. Elle était belle. Pas que ça ait beaucoup d’importance, mais ça faisait toujours plaisir de traiter avec un si charmant minois. Avant de s’asseoir, elle récupéra un des deux cafés et le tendit à son vis-à-vis.

- J’ai pensé qu’une boisson chaude ne nous ferait pas de mal par ce temps. J’espère que vous aimez le café.

   

A situations désespérées, mesures désespérées, quand on ne sait plus exactement vers qui se tourner et que l’on a le sentiment d’avoir épuisé toutes ses options, que nous reste-t-il encore ? Pas grand-chose, si ce n’est de mettre le plus d’œufs possibles dans des paniers différents avec l’espoir que cela suffise. La situation de Margot est aussi belle qu’invivable. S’être débarrassée de son frère et être parvenue à éteindre la vigilance des inspecteurs de police, c’est une chose, mais ce n’est pas assez. Alana, tout comme elle, ont tenté de parler à Will, elles ont tenté d’ouvrir le dialogue avec Hannibal… et le résultat avait été… mitigé, voire même s’était tourné en leur défaveur. Elles devront cherché leur salut ailleurs, c’est une chose que Margot a accepté, de même qu’elle a également compris qu’Abigail, en la circonstance, et malgré les affinités qu’elle s’était trouvée avec elle, ne leur serait d’aucune utilité en la circonstance.

Qu’attendre d’Irène Adler exactement, c’est difficile à dire…. Elle a seulement songé que cette femme à la personnalité pour le moins impressionnante pourrait bien, d’une manière ou d’une autre, servir ses intérêts… Quant à cette proposition de chantage… Elle-même ne sait pas trop où cela les mènera… mais il y a un sujet à creuser, et de toute évidence, il faut qu’une autre qu’elles se chargent de mener la danse. Toutes fières et indépendantes soient-elles, elles ne peuvent pas espérer s’en tirer par leurs propres moyens.

Les deux femmes se sont donc donné rendez-vous sur Weatherly Park, et au moment de la voir arriver, Margot ne tarde pas à la reconnaître, fidèle à la description qui lui en avait été faite. Une femme élégante, transpirant la rigueur et l’assurance. Le genre de femme qui impressionne… Le genre de femme qui vous séduit assez naturellement, également. Si le cœur de Margot n’était si indéniablement attaché à son épouse, sans doute serait-elle capable de se laisser séduire par cet imposant brin de femme qu’elle trouve à présent patiemment installée sur un banc du parc. Margot reste aussi professionnelle qu’Irène peut l’être elle-même et lui serre la main avant d’accepter le café que lui propose Irène.

« En effet, vous avez visé juste », confirme Margot avant de daigner tremper ses lèvres dans le café à emporter acheté à son attention. « Par quoi commençons-nous », dit-elle, bien décidée à ne pas tourner autour du pot. « Je suppose que vous allez avoir besoin de davantage d’information à son sujet ? »

   

Sa cliente semblait être une femme raffinée, sûre d’elle et qui allait à l’essentiel. C’était un caractère qui plaisait à Irène. Elles étaient là pour parler business pas pour compter les fleurs. Elle se demandait tout de même si la femme en face d’elle n’était pas aussi un peu gênée de faire appel à ses services. Cela ne l’aurait pas étonnée : ça arrivait souvent. Elle ne connaissait pas encore les liens qui liaient sa cliente avec sa proie, mais selon le cas, il n’était pas évident de faire appel à elle. Pourtant, Irène avait du mal à envisager que sa cliente était une femme trompée. Elle connaissait les gens, elle savait lire en eux d’une certaine façon même si elle n’était pas Sherlock Holmes. Sa cliente était trop forte pour être une femme cherchant vengeance après une tromperie.
Irène prit une gorgée de son propre café avec un petit sourire en l’écoutant parler

- Je veux tout savoir. Son nom, son métier, son âge, son adresse si vous l’avez, ses relations familiales : dressez moi le portait le plus complet possible.

Elle reprit une gorgée de café savourant la boisson même si elle continuait de préférer le thé avec une pointe de lait, toute bonne britannique qu’elle était. Elle apporta quelques précisions sur ce qu’elle voulait connaître.

- Tout ce que vous savez sur lui qui peut-être une faiblesse, ou même des choses qui ne vous semblent pas importantes… S’il aime le rouge, s’il est croyant, s’il aime le vin, la chasse à cours, la natation, le théâtre... Tout ce que vous pouvez m’en dire me sera utile pour lui tendre le piège.

Cela semblait parfois un peu trop de demander autant de renseignements, mais en réalité plus Irène en savait plus elle dominait la situation et c’était précisément ce qu’on voulait. Plus elle en savait et plus elle savait sur qu’elles touchent elle pouvait appuyer. Il fallait le faire discrètement comme si par hasard, elle avait trouvé la chose parfaite pour tisser sa toile autour de sa proie.

- Il faut aussi que je sache ce que vous voulez obtenir par tout ceci. Des photos, des vidéos, des aveux… Dans quelles circonstances ?

Elle ne pouvait pas absolument tout fournir en fonction de la cible, mais elle arrivait généralement à trouver quelque chose d’assez compromettant pour que son client soit satisfait de sa prestation.
Irène ne prenait pas de notes. Il ne fallait pas de trace de leur entretien, mais elle avait une bonne mémoire et elle était très concentrée sur ce que sa cliente voudrait bien lui dire. Il n’était pas question qu’elle échoue surtout pour un cas qui semblait intéressant comme celui-ci. Sa cliente dégageait une élégance certaine, mais aussi une force de caractère dépassant la moyenne. Irène ne pouvait pas croire qu’il s’agisse d’une banale histoire de tromperie. C’était plus profond, plus intéressant et ce n’était pas pour déplaire à la dominatrice…
   

Dès l’instant où Margot avait décidé d’entrer dans le vif du sujet, Irene avait suivi presque immédiatement, et la confiance affichée de cette dernière, la fermeté de ton et l’assurance avec laquelle elle semblait prête à prendre les choses en mains, non sans expertises, avaient de quoi rassurer immédiatement la jeune femme. Certes, elle ignore encore si elle fait réellement le bon choix en s’adressant à elle mais… aux grands maux, les grands remèdes. Elle a trop à perdre pour ne pas miser sur tous les chevaux qu’elle peut, après tout. Alors elle accepte de répondre à ses questions avec toute la précision dont elle est capable.

« Il s’appelle Hannibal Lecter, il est psychiatre. Je ne suis plus certaine de son âge, si c’est vraiment important, je devrais pouvoir le retrouver assez facilement. Il a la cinquantaine, il habite une maison plutôt cossue sur Lockwood Hill. Il y organise régulièrement des réceptions, ce peut être une manière assez efficace de l’aborder, à moins que vous ne souhaitiez vous faire passer pour l’une de ses patientes. » Elle déroule ces informations à mesures qu’elles lui viennent à l’esprit. Elle essaie de se montrer la plus rigoureuse et la plus exhaustive possible… mais le sujet est si vaste et si complexe qu’il n’a bien évidemment rien de si simple. « Il vit avec son compagnon, Will Graham, et leur fille… Ils ne l’ont pas adoptée à proprement parler mais ils la considèrent comme telle, elle s’appelle Abigail Hobbs. »

Elle s’interrompt dans son discours et prend le temps d’ingérer une grande gorgée de café. Au-delà de la difficulté à faire le tri entre informations utiles et inutiles, elle se replonge de la sorte dans tout ce qui l’angoisse. Devoir dresser un portrait si complet de l’homme qui menace dans l’ombre de briser sa famille lui donne le sentiment de le rappeler de son plein gré à son bon souvenir, et c’est tout ce qu’elle voulait.

« C’est un esthète, un amateur d’art, il aime les belles choses… et c’est un grand cuisinier. Il aime choisir… » Elle grimace. « …attentivement ses ingrédients. C’est un homme méticuleux… et un menteur de haute volée. » Hannibal et Mason incarnent aux yeux de Margot deux versants d’une même cruauté, l’une vulgaire, l’autre raffinée… mais le résultat est le même dans les deux cas. Margot est parvenue à se débarrasser de Mason, elle parviendra à se débarrasser d’Hannibal. « Ce que je veux, c’est quelque chose de suffisamment compromettant pour le mettre en danger… ou pour mettre sa famille en danger. »

Le faire chanter au prétexte de connaître sa nature ne servirait à à rien, car Margot n’a aucune preuve tangible de cela… Elle veut pouvoir le faire chanter, et ainsi mettre sa femme et son fils hors de danger. Bien sûr, le plus simple serait peut-être d’apprendre à son interlocutrice le monstre qu’Hannibal Lecter est réellement… Mais si Irene Adler possède un semblant d’instinct de survie, elle refusera probablement de marcher plus longuement avec elle. Margot ne veut pas prendre ce risque.


   

Au fil de la conversation, Irène se rend compte que ce qu’elle demande à la femme en face d’elle est difficile. Elle ne sait pas encore ce que cet homme a fait, mais une chose est sûre, son vis-à-vis à peur de lui. Pourtant, elle se montre courageuse, essayant de dresser le portait le plus exact possible, prévoyant les points faibles sur lesquels Irène pourrait jouer. Ce ne sera pas simple. Un psychiatre, c’est jouer avec le feu, Irène en a conscience même si elle ne connaît pas l’homme. En général, les métiers dans ce domaine sont forts pour cerner les gens et voir clair dans leur jeu, ce qui n’arrange pas la dominatrice.

Jouer les patientes, c’était une bonne idée d’approche, mais elle trouvait ça trop risqué. Elle serait dans une position qui se voudrait de faiblesse puisqu’elle vient se livrer à son ennemi et c’est bien la dernière chose qu’elle souhaite. En revanche, être invitée à une soirée mondaine lui semble plus dans ses cordes et elle pourrait jouer avec plus d’atouts.

- Il est donc en couple avec un homme, mais ils ont une fille adoptive en quelque sorte. Est-ce que vous savez s’il aime les femmes également ? S’il est quelqu’un de frivole ou au contraire plutôt sérieux ? C’est toujours plus compliqué pour moi de faire céder un homme qui n’aime pas les femmes même si ce n’est pas impossible.

Elle continua d’écouter ce que sa cliente pouvait lui dire comme autre information. C’était donc un homme cultivé auquel elle avait affaire. Parfait. Elle n’aimait pas trop fréquenter les classes moyennes. De toute façon, ils ne pouvaient pas se payer ses services… Savoir qu’il était un bon menteur compliquait de nouveau la mission, mais ce n’était pas grave, elle aussi savait mentir. C’était un nouveau jeu qui s’ouvrait à elle et pas des moindres.

- Qu’est-ce qui pourrait l’atteindre ? Une histoire de tromperie avec son compagnon ? Je suis désolée de devoir insister mais je veux être aussi préparée que possible. De quel type de chantage parlez-vous exactement ? Si c’est un psychiatre et un esthète, j’imagine qu’il a une certaine réputation d’homme distingué. Le voulez-vous en laisse nu avec une laisse autour du cou ?

Irène n’avait pas du tout saisi ce qu’il y avait à comprendre sur Hannibal. En même temps, comme l’aurait-elle pu avec ce que lui disait sa cliente. Elle voyait un homme avec une réputation sans tache malgré une homosexualité affichée : ce qui avait dû faire jaser quelques personnes. À moins qu’il ait gardé ce détail pour lui ce qui pourrait être un levier de pression… Irène cherchait une faille dans laquelle s’engouffrer.

- La relation qu’il a avec Mr Graham est-elle connue du grand public ? Que connaissez-vous de lui ?

Si attaquer le psychiatre semblait difficile peut-être, aurait-elle plus de chance avec d’autres personnes dans cette histoire. Irène n’avait peur de rien, c’était peut-être ce qui causerait sa perte, mais pour l’instant, elle ne le savait pas. Hannibal n’était pas n’importe qui…

- Pouvez-vous m’en dire plus sur cette jeune femme qu’ils ont pris sous leurs ailes ? Elle est orpheline ?

Peut-être qu’il ne fallait pas attaquer l’homme, mais sa fille. Elle serait sans doute plus facilement manipulable et donc plus facile à utiliser. Encore une fois, il fallait qu’elle en sache plus.

   

« Oh il apprécie la compagnie des femmes », commente Margot avec un sourire amer en songeant non sans un léger agacement au fait que cet homme dangereux, qui promettait à présent de tuer son épouse, avait autrefois mis cette dernière dans son lit… Mais ce n’était que manipulation… Margot se serait aisément convaincu du fait qu’Hannibal Lecter serait bien incapable d’aimer qui que ce soit en dehors de lui-même si sa relation avec Will Graham, si étrange et incompréhensible soit-elle, se rapprochait bel et bien de ce que l’on pourrait qualifier d’une sincère histoire d’amour. Un amour tordu et abject mais… Hannibal avait sa propre définition de l’amour. « En revanche je l’imagine plutôt fidèle, quoique je n’ai jamais pris la peine ni eu particulièrement l’envie de le vérifier par moi-même. »

Elle ne pense pas que cette femme, si séduisante soit-elle, soit capable de le détourner de… peu importe les critères « conjugaux » qu’il aura imposé à son histoire, mais elle est capable, en tant qu’individu et aussi en tant que femme, de véritablement susciter son intérêt… Sur ce point, elle n’a guère de doute… Elle peut avoir sa curiosité… Et gagner la curiosité du docteur Lecter est une chose certes dangereuse, mais sans doute le seul moyen d’obtenir quelque chose en retour. Est-elle prête à sacrifier cette femme sur l’autel de ses propres intérêts ? Pour sauver sa femme et son fils, oui. Mais c’est un extrême auquel elle n’entend consentir qu’en dernier recours, bien sûr.

« L’image me plairait sincèrement », dit-elle avec un léger sourire, quand Irene suggère qu’elle pourrait vouloir le voir nu avec une laisse autour du cou (et elle s’épargnera de lui apprendre qu’elle l’a en réalité déjà vu dans une position à peu près similaire quand Lecter était prisonnier de son frère). « Mais je doute que ce serait assez, pour lui… En revanche… Supposer que son compagnon l’ait trahi pourrait le pousser à l’erreur. » Et probablement signer la mort de Will, mais ce dernier a perdu toute sorte de compassion de sa part dès l’instant où il a si clairement choisi son camp. « Je parle d’une trahison émotionnelle plus que physique. » Elle marque une pause. « Je connais un peu Will Graham. Un homme instable… très fragile. » Elle marque une pause. « Quant à Abigail… » A ce sujet, elle hésite. Malgré tout ce qui devrait les opposer, Margot éprouve une certaine tendresse pour Abigail… elle se reproche déjà assez de l’avoir en partie instrumentalisée, elle voudrait la mêler le moins possible à ces histoires. « C’est une jeune orpheline, oui… et… je préférerais qu’elle ne soit pas une victime collatérale de nos petits arrangements. »

   

Plutôt fidèle, même s’il aimait les femmes. Ça n’arrangeait pas les affaires d’Irène. Bien sûr, elle avait déjà entendu ce genre de propos qui se révélaient faux une fois mis en situation concrète avec la personne, mais elle avait le sentiment que ce ne serait pas le cas dans cette histoire. Un psychanalyste avait effectué un travail sur lui avant d’exercer. Ce ne serait pas un homme lambda guidé par ses pulsions les plus primaires. Elle ne pouvait pas attaquer sous cet angle et c’était une sacrée épine sous le pied.

- J’imagine bien que vous n’avez pas eu envie de tester la théorie par vous-même. Après tout, c’est pour ça que des femmes comme moi existent.

Elle offrit un petit sourire encourageant à sa cliente. Ce n’était pas facile d’avoir quelqu’un qu’on veuille faire tomber peu importe les raisons. Alors s’imaginer essayer de le séduire pour avoir un moyen de pression, c’était quasiment impossible. Et rendre l’impossible possible, c’était créer un besoin. Et créer un besoin, c’était du marketing sur lequel Irène avait basé son métier.
Elle écouta avec attention ce que lui dit sa cliente, prenant une gorgée ou deux de café pendant ce temps.

- On ne touche pas la jeune femme, entendu. C’est un choix louable et je peux m’en accommoder. On s’attaquerait donc au compagnon, Will Graham. Sachez tout de même que si Abigail est leur fille adoptive, elle subira les effets d’une trahison de la part de Will même si celle-ci est orchestrée de A à Z.

Elle laissa un petit instant à sa cliente pour réfléchir.

- Voyez ça comme un jeu d’échec. Nous voulons atteindre le roi, et pour cela, nous allons détruire sa meilleure défense, la reine. Pourtant, tous les autres pions seront partis pris dans le jeu. Je ne peux pas vous garantir qu’elle ne sera pas affectée par ce que je vais faire.  

Même si elles cherchaient avant tout un moyen de pression et pas forcément à briser une famille, c’était un risque qu’elles ne pouvaient ignorer.

- Parlez-moi un peu plus en détail de Will Graham s’il vous plaît. Vous me dites qu’il est instable : dans quel sens ? Est-il dangereux ?

Irène se rendait compte au fur et à mesure de la conversation que sa mission serait bien plus complexe qu’elle ne l’avait imaginé au départ. Elle était intelligente, mais elle s’attaquait à des gens qui ne semblaient pas être simples d’esprit. Une relation charnelle était assez facile à mettre en place, bien que le terme « facile » pût être pris avec des pincettes. En revanche une trahison sentimentale, c’était un travail sur le long terme. Il fallait une attirance physique pour commencer la chose, mais il fallait du temps et de l’engagement pour y parvenir.

- Connaissez-vous le type de femme qu’il aime ? Ce qu’il lui plaît d’une manière générale ? Je comprends qu’il ne soit pas évident de parler de ses « ennemis » mais vous me demandez quelque chose de difficile à mettre en place si j’en sais aussi peu. Bien sûr, ça ne veux pas dire que je refuse. J’aime le challenge. Mais il faudra aussi y mettre le prix.

   

Tester par elle-même la fidélité d’Hannibal aurait été une erreur à tant de niveau qu’elle ne se le serait certainement pas permise, au-delà de l’échec annoncé d’une initiative aussi hasardeuse. Abuser de ses charmes, même avec des hommes, afin d’obtenir ce qu’elle veut, Margot n’a pas réellement de souci moral ou éthique avec cela (Will en a eu la preuve, d’ailleurs), mais son passif avec Hannibal les préserve, autant elle qu’Alana, de se risquer de nouveau sur un terrain à ce point dangereux. Alors oui, Irene pourra s’en donner à cœur joie, quand bien même elle doute fort que des méthodes aussi simples puissent avoir le moindre effet sur lui… Il les trouvera probablement les considérer comme insultantes, d’ailleurs… Et Hannibal est capable du pire quand on s’attaque à son bon sens.

Quant à Abigail, Margot apprécie que son interlocutrice entende ses dires et accepte de ne pas s’en prendre à elle, quand bien même elle a raison de souligner qu’elle sera tout naturellement une victime collatérale de leurs manigances… Mais c’est un mal pour un bien. Plus tard, quand Abigail sera sauve, et éloignée des griffes de ses « pères », quand leur influence se sera estompée, alors… peut-être qu’elle lui pardonnera. Et même si ça ne devait pas être le cas, par ailleurs, ce n’en est pas moins un risque à prendre.

« Je l’entends bien », admet Margot avec un hochement de tête entendu. « J’accepte les risques les plus nécessaires. »

Abigail sera sauve… en temps et en heure. Mais pour le moment, la priorité reste de se débarrasser d’Hannibal – et par extension de Will. Et quoi qu’il en soit, Margot privilégiera toujours sa famille, Abigail passera nécessairement après Alana et Morgan.

« Il est instable mentalement, très fragile psychologiquement. Je dirais qu’il est dangereux au sens où il est imprévisible. » Elle marque une pause, elle ne peut pas tout dire une fois encore, au risque qu’Irène décline sa proposition. « Il est constamment sur le fil, ce qui le rend influençable mais aussi potentiellement hostile. Il est également très peu sociable, mais pas impossible à séduire. » Là encore, Margot en sait quelque chose. « Il aime les défis, il aime qu’on attise sa curiosité… » Margot la détaille de haut en bas. « Vous pourriez aisément être son genre. Vous l’intrigueriez suffisamment, en tout cas. » Margot ajuste ses manches. « Quant au prix à payer, vous n’avez pas d’inquiétude à vous faire. J’ai de l’argent. Beaucoup d’argent. » Merci Mason.


   

Irène écouta avec la plus grande attention ce que lui disait sa cliente, chaque détail avait son importance, elle le savait mieux que personne. Ce Will était donc plutôt la cible qu’il fallait toucher pour faire douter de sa fidélité à Hannibal. Jusqu’ici, rien d’impossible, mais les éléments n’allaient pas en sa faveur. Hannibal était visiblement un psychiatre et il connaissait bien les ressorts de l’être humain. Peut-être serait-il capable de pardonner à son amant ses dérives. Mais elle voyait déjà trop loin.

Sa cible Will, ne serait pas simple à aborder. Il semblait avoir des problèmes psychologiques ce qui n’était pas sa spécialité. Elle devait avouer que pour certains clients, les demandes relevaient plus d’un problème psy que d’un simple fantasme, mais là elle se retrouvait avec quelqu’un d’imprévisible. Pas impossible mais plus dur à gérer. N’aimait-elle pas un peu le challenge ? Elle vivait pour ça.

- Est-ce que vous savez ce qu’il l’attire chez une femme ? Sa force de caractère, son indépendance ou bien tout au contraire sa fragilité ? Est-il du genre à vouloir protéger la veuve et l’orphelin ? Je m’excuse ces questions ne sont pas évidente, mais le cas me semble suffisamment complexe pour que j’essaie de ne pas tout gâcher à la première approche.

Irène avait hâte de commencer cette mission. Elle n’avait pas l’habitude que les cas soient si retors, mais il s’agissait ici d’une vraie stratégie à mettre en place sans en avoir l’air pour n’éveiller aucun soupçon. Pousser un homme à la faute, c’était son domaine. Pousser un homme associable et imprévisible, à la faute, c’était… Inhabituel ?

- Quel est son métier ? Est-ce que je pourrais trouver un lien pour me rapprocher de lui à travers cela ? Ou plutôt ses passions ?

Plus elle en savait, plus elle pouvait se permettre des stratagèmes pour venir à bout des résistances les plus farouches. Tout le monde avait des points sensibles. Sa cliente elle-même révélait beaucoup sur elle en parlant des autres. Tout le monde en disait sur soi-même lorsqu’on parlait de quelqu’un d’autre. Mais Irène n’était pas là pour embêter sa cliente.

- Que voulez-vous comme preuve ? Souhaitez-vous un cliché compromettant purement sexuel ? Une preuve d’une affection plus sentimentale ? Jusqu’où dois-je aller ? Je me chargerais évidemment de vous montrer la preuve puis de la faire parvenir à son amant sans qu’il n’y ait le moindre intermédiaire entre vous et lui. Nous ne voulons pas de représailles.

Pour ce qui était de la question de l’argent, Irène savait que quand quelqu’un lui répondait ça, elle n’avait pas à s’inquiéter pour ses règlements de prestations. En plus, cela se voyait rien qu’à la tenue de sa cliente. Elle n’était pas en train de discuter avec la première venue.

Elle but une gorgée, la dernière de son café. Elle avait hâte de commencer.

   

« Ne vous excusez pas, vos questions prouvent que vous prenez les choses au sérieux », affirme Margot, qui n’ira pas reprocher à son interlocutrice la multitude de ses questions, alors que ces dernières sont proches d’essentielles pour savoir appréhender des personnalités aussi complexes que celles de Will et d’Hannibal.

Margot les a fréquentés de suffisamment près pour les connaître au moins un peu, et avoir pu décortiquer leur psyché d’autant plus efficacement que sa fréquentation très assidue d’une psychiatre a pu te donner quelques indices complémentaires à ce sujet.

« Je dirais que l’apparence est accessoire, pour lui… Mais oui, il aime les causes perdues », admet-elle, à plus forte raison que tu en étais toi-même une. « Il aime ceux dans qui il réussit à se reconnaître. » Comme Hannibal, en somme.

Armée de ces informations, Irene pourrait-elle être capable de se détourner d’Hannibal pour ses beaux yeux ? Margot n’en sait honnêtement rien, mais elle pense que cette première approche, quelle qu’en  soit l’issue, pourrait d’ores et déjà apporter à Irene un certain nombre d’informations qui n’auraient absolument rien de superfétatoire, et c’est ce constat qu’elle garde à l’esprit au moment de lui apporter les réponses les plus précises qu’elle peut au regard des circonstances. Et elles pourront ensuite décider de la suite.

« Il est profiler, je vous conseillerais de le rencontrer ailleurs que sur son lieu de travail », dit-elle avec un léger sourire. « Mais on peut trouver un autre moyen. » Elle sourit.  « Vous avez des chiens ? Il a-dore les chiens. Et la pêche, il me semble », ajoute-t-elle en fronçant les sourcils, songeant aux centres d’intérêt de Will… Elle l’estime plutôt rustre dans l’ensemble. Ses loisirs sont aussi simples que son esprit peut être complexe. « Je pense que les preuves d’affection seront plus efficaces que de simples clichés… mais je ne suis pas contre le fait que vous obteniez les deux. » Elle hausse les épaule. « Autant rassembler le plus d’éléments possibles, n’est-ce pas ? »

Margot est incapable de jauger les chances de succès de son interlocutrice, mais elle mise néanmoins sur tout ce qui serait susceptible de déstabiliser ses ennemis, et à ce titre, elle ne trouve aucune difficulté à accumuler les possibilités.


   

Irène sentait que cette affaire allée être complexe. Son instinct de survie lui disait que c’était trop compliqué, travailler avec un proche d’un psychiatre ce n’était pas évident. Il s’agissait de gens plus complexes à séduire, car il se méfiait de ce qu’Irène projetait volontiers à la vue de tous. Elle savait aller droit au but, elle aussi analysait les gens, leurs envies, leurs secrets. Elle sentait bien que l’affaire qu’on lui confiait serait difficile à mener à bout. Les causes perdues ce n’était pas un jeu simple à jouer. Faire en sorte qu’il se reconnaisse en Irène ne serait pas non plus quelque chose d’accessible à n’importe qui…
Pourtant, c’était un défi et Irène adorait les défis. Sa raison lui criait de ne pas se lancer plus avant dans ce projet, mais son cœur lui voulait expérimenter le danger potentiel que cela pouvait représenter. C’était d’autant plus risqué qu’elle ne pouvait pas juste disparaître dans un autre pays si les choses tournaient mal. Elle serait coincée dans cette ville…

Irène sourit quand sa cliente lui révéla l’amour de Will pour les chiens. Elle avait beaucoup de laisses, mais pas nécessairement pour animaux… Enfin, tout dépendait comment on voyait les choses. Parfois, ils aimaient se faire traiter de chiens ou de petits cochons…

- Je peux toujours aller à une fourrière et récupérer un chien errant. Ce n’est pas spécialement quelque chose qui correspond à mon mode de vie, mais ça pourrait mettre utile.

Elle se voyait déjà en talon aiguille avec un doberman à ses côtés pour la protéger des dangers. Sous ses airs dangereux, elle savait qu’il s’agissait d’une race de chien très fidèle et aimante. Les humains en avaient fait un symbole dangereux en leur coupant les oreilles et la queue ce qui lui donnait effectivement une aura impressionnante. Et les impressions, c’était avec ça que jouait Irène. Finalement, c’était peut-être une très bonne idée…

- Est-ce que vous savez dans quel quartier il habite ? Que je puisse tomber accidentellement sur lui lors de la balade de mon futur chien. Ou encore s’il a des habitudes de vie que vous connaissez ? Du genre, il va toujours faire un footing le lundi matin, il fait ses courses le jeudi…

Elle offrit un sourire complice à sa cliente, amusée par la simple idée de faire cette rencontre fortuite avec un élément qu’elle n’avait même pas encore en sa possession. Elle ferait tout son possible pour séduire Will même si ce serait compliqué et risqué. Le chien allait sûrement créer un lien entre eux s’il les adorait comme le disait Margot.

- Très bien pour les conditions du contrat. Évidemment, je vous tiendrais au courant de l’évolution de la situation à des moments stratégiques pour que vous sachiez comment j’avance dans mon travail. Y a-t-il autre chose que je devrais savoir ou nous prenons congé ici ?