Le Kerberos ▿ Elsa

Maura semblait craindre cet endroit. Elle avait peur de croiser son père. Avait peur d’entrer dans cette pièce. Pourtant, il n’y avait rien ici. Rien en dehors de ce siège, trônant au centre de la pièce. Mais Maura pouvait se rassurer, son père n’était pas ici. D’ailleurs, il n’y avait absolument personne ici. Cette dernière était entrée, s’était approchée du siège et l’avait effleurée du bout des doigts, puis sa main s’était dirigée vers la table qu’il y avait à côté et enfin, elle avait ouvert une boîte. Elsa s’était contenté d’observer ce que Maura faisait, tout en restant silencieuse. Il n’y avait rien à fouiller ici. Alors Elsa n’avait rien d’autre à faire. Elle ne pouvait qu’attendre. Attendre que Maura dise quelque chose. Attendre que quelque chose ne se passe. Et sa compagne d’aventure avait fini par ouvrir la bouche. Voilà pourquoi elle craignait tant cette pièce. Son père ne semblait pas être un homme bon. Enfin, c’était l’impression que ça donnait en tout cas. « À quoi est-ce qu’il sert ? » Demanda-t-elle en s’approchant de la jeune femme. Elle avait refusé de prendre ce sérum et désormais, elle voulait se l’injecter. Pourquoi ? Et si le produit qu’il contenait était dangereux ? Et s’il était mortel ? « Êtes-vous certaine que c’est une bonne idée ? » Elles devaient réfléchir et ne pas se précipiter. Même si Elsa craignait que ce soit, en effet, la chose à faire si elles voulaient sortir d’ici. « Êtes-vous prêtes à prendre un risque en vous l’injectant ? » Elsa n’était pas du genre bavarde, mais elle enchaînait les questions, parce qu’elles lui semblaient essentielles.

Une fois à côté de Maura, Elsa avait attrapé le sérum. Comme si le tenir allait lui donner les réponses qu’elle attendait. La blonde, observait ce qu’elle tenait dans les mains, mais bien évidemment, elle n’était pas plus avancée, bien évidemment. « Que décidez-vous ? » Si Elsa ne tenait pas à ce que Maura meurt sous ses yeux. Elle ne tenait pas à ce qu’il lui arrive quoi que ce soit de mauvais. Et elle ne voulait pas avoir à rester seule dans cet endroit. Mais la décision finale ne lui revenait pas. C’était à Maura de décider.

Il était difficile pour Maura de se retrouver ici, dans cette pièce. La pièce de ses cauchemars. La pièce où son père lui injectait un sérum de force. La pièce où elle devenait prisonnière de ses pires cauchemars. « Je l'ignore. » Répondit-elle franchement, mais l'esprit toujours ailleurs, lorsqu'Elsa lui demanda à quoi servait le sérum. Ses souvenirs étaient trop flous pour qu'elle en soit entièrement certaine. « Je crois que ça a un lien avec une simulation... » Elle n'était plus sûre de rien, mais elle était certaine d'avoir été enfermée, par son père, dans une simulation avant son arrivée dans cet autre monde - qu'elle jugeait probablement être également une simulation, d'ailleurs.    

« Je ne suis certaine de rien. » Affirma Maura en attrapant la seringue pour l'observer de plus près. Elle devait comprendre que Maura n'affirmait rien, elle supposait, elle ressentait, elle faisait parler son instinct. Rien de plus. Alors, elle ne pouvait pas dire s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise idée. « Je crois... » Avait-elle soufflé avant de reposer le sérum à sa place pour observer les alentours. « Non... Enfin, je ne sais pas. J'ai l'impression que c'est ce que je dois faire, que j'ai été conduite ici pour cette raison... Mais comment savoir s'il ne s'agit pas d'un piège ? » Et si tout ça avait été savamment orchestré par son père ? Afin qu'elle s'injecte ce sérum de sa propre volonté ? C'était impossible à savoir.

La jeune femme s'était approchée et avait attrapé le sérum. Instinctivement, Maura avait eu un léger mouvement de recul avant de longuement l'observer en silence. « Nous devons nous l'injecter. » Avait-elle conclu, incluant ainsi cette pauvre inconnue qui n'avait rien demandé à personne. La décision était prise. Elle ne devait plus reculer. « Nous ne sommes pas ici par hasard... » Alors, il fallait comprendre pourquoi et quoi faire. Et Maura ne voyait pas d'autres choses à faire... Il fallait le tenter. Il fallait tenter quelque chose. Que risquaient-elles de toute façon ? Si elles ne le faisaient pas, elles risquaient d'être éternellement coincées ici, en revanche. Dans tous les cas, elles étaient en danger.   

À quoi servait ce sérum ? Pourquoi son père tenait tant à lui injecter ? Et pourquoi, elle, le refusait tant ? Elsa voulait comprendre, mais ce n’était pas aussi simple que ça en avait l’air. Maura avait perdu une partie de sa mémoire. Ses souvenirs étaient flous, vagues, incertains. Elle supposait, imaginait, croyait, sans jamais être certaine. Elle disait que son père était mauvais, qu’il voulait lui faire du mal et qu’elle devait l’éviter. Elles pouvaient donc en conclure que ce sérum était mauvais, qu’il fallait l’éloigner d’elles. Pourtant, elle hésitait à le prendre, pensant que c’était leur unique moyen de sortir d’ici. Le choix lui revenait, Elsa pouvait la conseiller, mais en aucun cas elle ne pouvait la forcer. Elle n’avait pas le droit de la forcer à ne pas le prendre et n’avait pas le droit de la forcer à le prendre.

Maura parlait, faisait part de ses doutes, de ses suppositions. Quant à Elsa, elle écoutait, elle réfléchissait et elle observait. Elle détestait se sentir impuissante et inutile dans ce genre de cas. « Nous ? » Finit-elle par dire lorsque Maura avait dit qu’elles devaient se l’injecter. Toutes les deux ? Pourquoi Elsa ? En quoi était-elle concernée ? Ce monde n’était pas le sien. Ce souvenir n’était pas le sien. Quel était son rôle dans cette histoire ? Devait-elle guider Maura, l’aider à prendre le bon choix ? Était-elle là par pur hasard ? S'était-elle retrouvée au mauvais endroit, au mauvais moment ? Si ce sérum était vraiment la clé, alors elle n’allait pas avoir le choix. Pourtant, il n’y avait qu'un seul sérum. Peut-être devraient-elles faire un choix ? Ou devaient-elles se le partager en espérant que la dose injectée soit suffisante ? « Vous avez sans doute raison. » Lâcha-t-elle presque aussitôt. Elles devaient se l’injecter, toutes les deux. Elles devaient essayer cette option. Elle était risquée, certes, mais ne l’étaient-elles toutes pas ? « Qui se lance en première ? »

Dans ces étranges aventures, il n'y avait aucune certitude, juste des suppositions. Elles pouvaient imaginer, proposer des hypothèses, mais jamais affirmer quoi que ce soit. Il fallait réfléchir par rapport à la situation, au sens qu'il fallait lui donner. Dans tous ses rêves, lorsque Maura était dans cette pièce, son père lui injectait de force ce produit. Si ce dernier avait été là, elle aurait supposé que la mise à l'épreuve était de l'en empêcher, cette fois-ci. Puisqu'il n'était pas là, mais que ce produit l'était, elle supposait que, peut-être, il était plutôt question de se dépasser, de dépasser ses peurs et ses limites, et de se l'injecter elle-même.

Maura avait partagé ce point de vue avec la jeune femme, sans pouvoir lui donner beaucoup plus d'explications ou de détails. Et ce ne devait pas être facile à entendre puisque Maura supposait que ce sérum, elle devait se l'injecter, elle aussi. S'injecter un produit sans rien en savoir... Ce devait être terrifiant, plus encore que ça ne l'était déjà pour Maura. Alors, oui, elle comprenait ses réticences et ne lui en voulait pas. « Je suis désolée. Je sais que ce n'est pas rassurant, que je ne vous apporte que peu de réponses, mais... » Mais, quoi ? Elle n'en savait rien elle-même. Mais heureusement, elle avait accepté. Plus par dépit que par envie, évidemment, mais elle avait accepté sans que Maura ne doive argumenter. Elle faisait preuve d'un très grand courage.

A la question qui avait suivi, Maura avait longuement hésité en observant l'aiguille. « Pensez-vous être capable de vous l'injecter seule ? Si ce n'est pas le cas, vous devez passer la première. Qui sait ce qui se passera à l'instant où je me l'injecterai. » Si elle était capable de le faire elle-même, alors, dans ce cas, Maura commencerait pour être certaine que la jeune femme ne craigne rien - enfin, elle ne pouvait être certaine de rien, mais c'était un début.