La maison de l'Etrange ▿ Jasmine

Cette soirée se voulait tranquille. Dalia avait invité Jasmine à venir passer la soirée chez elle, afin de pouvoir discuter de tout et de rien, comme elles le faisaient autrefois. Seulement, Jasmine avait été demandée ailleurs. Une personne - simple connaissance ou ami, Dalia ne savait pas - lui avait demandé de garder sa maison pour la nuit. Cette personne devait s’absenter et ne voulait pas laisser sa demeure sans surveillance. Dalia ne comprenait pas bien, puisque, après tout, les maisons pouvaient se garder seules et n’avaient pas besoin de baby-sitter. En se rendant là-bas, Jasmine allait bien laisser sa maison sans surveillance. Qu’importe, puisqu’elle avait accepté, la question ne se posait plus. Pour ne pas s’y rendre seule, Jasmine avait demandé à Dalia de l’accompagner. Ainsi, leur soirée n’allait pas être annulée, seulement déplacée.

Dalia avait alors apporté tout ce qu’elle avait prévu - en en laissant une partie pour ses enfants, qui avaient invité deux ou trois amis pour la soirée - et s’était rendue à l’adresse donnée par Jasmine. À première vue, la maison semblait tout à fait normale, même si elle dégageait quelque chose d’angoissant. Dalia n’y avait prêté aucune attention, se disant qu’elle était simplement mal à l’aise à l’idée de passer la nuit dans la maison d’un parfait inconnu. Mais les choses avaient très vite mal tourné. D’abord, il y avait eu ce bruit à l’étage, ce vase brisé alors qu’aucune fenêtre n’était ouverte et qu’aucun animal ne se trouvait par ici. Puis il y avait eu ces rires d’enfants. S’il y avait eu un enfant ici, elles auraient été mises au courant, non ? Le propriétaire des lieux n’était pas aussi inconscient tout de même. Seulement, après avoir vérifié l’étage, il n’y avait rien, personne, pas d’enfant. Tout commençait à devenir très étrange, mais malgré ça, Dalia essayait de garder son calme, elle essayait de voir le bon côté des choses, le côté rationnel des choses. Mais après s’être toutes les deux assoupis dans le canapé, les amies s’étaient réveillées en sursaut après avoir entendu un bruit de fracas. Et du coin de l’œil, Dalia avait vu cette silhouette. Cette enfant en longue robe blanche, assise, jouant tranquillement avec sa poupée - qui paraissait si ancienne - et lorsque les deux femmes s’adressaient à elle, elle ne bougeait pas, elle ne répondait pas. Pas jusqu'à ce qu’elle lève le doigt vers les murs ensanglantés du salon. Aussitôt, Dalia s’était retournée pour interroger l’enfant, mais elle avait disparu. Comment est-ce que tout cela était possible ? « Jasmine, bon sang, c’est quoi cette plaisanterie ? C'est la maison de qui, ici ? » Elle n’avait pas encore posé la question et elle le regrettait désormais.

Spoiler:

Ses plans étaient bousculés. Jasmine avait prévu de passer la soirée avec Dalia, comme elles le faisaient autrefois. Discuter, rire, évoquer de vieux souvenirs... Une bonne soirée en perspective. Cependant, Jasmine avait été appelée ailleurs. Ayant du mal à refuser de rendre service, mais ne voulant pas annuler sa soirée pour autant, elle avait prévu de faire les deux à la fois. Un voisin avait besoin de Jasmine pour garder sa maison puisqu'il devait s'absenter. Après avoir obtenu l'autorisation de ce dernier, qui n'y voyait aucun inconvénient, Jasmine avait prévenu Dalia : la soirée se ferait ailleurs, mais en dehors du lieu, rien ne changeait. La soirée était maintenue.

Jasmine était arrivée la première. Elle avait récupéré les clés et quelques recommandations de la part du propriétaire. Puis, une fois seule, elle s'était installée dans le canapé en attendant l'arrivée de Dalia. Autant dire que Jasmine avait hâte parce qu'elle ne se sentait pas particulièrement à l'aise. La maison n'était pas effrayante, mais... Peut-être était-ce de se retrouver seule dans une maison inconnue qui lui causait ce sentiment étrange d'insécurité ? Oui, ce devait être ça.

Dalia arrivée, les deux femmes avaient commencé leur soirée tranquillement, dans le salon. Elle riait, s'amusait, discutait. Comme Jasmine était heureuse de l'avoir retrouvée. Elle se sentait si bien depuis. Tellement mieux. Mieux... Jusqu'à sentir l'ambiance changer radicalement. Jasmine avait oublié son malaise depuis l'arrivée de son amie et ne se préoccupait plus de cette maison. Sauf qu'il y avait eu un bruit étrange, à l'étage, alors qu'elles étaient censées être seule. Un vase brisé. Peut-être était-il mal posé et qu'il avait fini par tomber ? Oui, c'était certainement cela.

Jasmine tentait de se rassurer tant bien que mal. Mais comment se rassurer lorsque le bruit, désormais, ressemblait à des rires d'enfants ? Par acquit de conscience, pour vérifier que rien d'anormal ne se passait dans cette maison, les deux femmes fouillèrent donc l'étage, mais, évidemment, il n'y avait aucun enfant. Elles étaient seules ici. Enfin, seules... Une fois encore, elles en avaient conclu qu'il s'agissait simplement de leur imagination parce qu'elles étaient dans une maison un peu étrange qu'elles ne connaissaient pas.

Rassurées, les deux femmes avaient continué leur soirée jusqu'à s'assoupir dans le canapé, épuisée. Un énorme bruit les avait réveillées. Jasmine s'était aussitôt redressée, sans s'apercevoir de la silhouette. Dans un premier temps, tout du moins. Puis, mieux réveillée, elle avait vu cette enfant à la robe blanche, assise, en train de jouer. A tour de rôle, sans s'approcher, les deux femmes l'interrogeaient et lui demandaient qui elle était. Elles avaient fouillé la maison et n'avaient pas trouvé d'enfant, d'où sortait celle-ci ?

L'ambiance était terrifiante. Les choses étaient effrayantes. Et les choses empirèrent lorsque la jeune fille leva la main vers les murs, plein de sang. Le coeur battant à tout rompre, Jasmine avait voulu interroger l'enfant à ce sujet, mais elle n'était plus là. Jasmine se remémorait alors les événements de la soirée. Ce vase cassé sans fenêtre ouverte, cette poupée qui apparaît mystérieusement en haut des escaliers, ces rires d'enfant, ce bruit affreux, cette enfant tout droit sortie d'une autre époque, ces murs plein de sang... Elles avaient essayé d'être rationnelles, mais il se passait quelque chose. C'était une évidence et elle ne pouvait plus nier la vérité désormais.

Tout comme Jasmine, Dalia était terrifiée. « Je ne sais pas... Je... C'est un voisin. Il est arrivé il y a quelques semaines... Je... Je l'ai croisé à quelques reprises et il m'a demandé ce service... » C'était un vieil homme discret, mais sympathique et Jasmine ne s'était pas méfiée. Elle devait l'avouer. « Je suis désolée Dalia ! On devrait s'assurer qu'il n'y a pas d'enfant ici, une dernière fois, et partir. » Tant pis pour la promesse, elle tenterait d'expliquer au propriétaire ce qui s'était passé - même s'il ne la croirait certainement pas. Elles n'allaient pas prendre, elles ne pouvaient pas prendre, le risque de passer la nuit ici avec tous les événements étranges qui s'y déroulaient.

Cette soirée devait être géniale. Les deux amies auraient dû rire, s'amuser et se remémorer de bonnes choses. Et voilà qu'elles se retrouvaient à avoir peur. Voilà qu'elles se retrouvaient dans une maison inconnue, avec des bruits étranges, des objets qui semblaient se déplacer et se briser seuls, avec des rires d'enfants et avec cette étrange enfant qui semblait venir tout droit du passé. Sans oublier tout ce sang qui coulait sur les murs. Où étaient-elles tombées ? Comment avaient-elles pu se retrouver dans une telle situation ? Jasmine connaissait cette personne ? Ou avait-elle accepté de rendre service à un inconnu qui lui avait demandé de l'aide ? Connaissant Jasmine, les deux options étaient possibles. Et Dalia n'allait pas la juger pour cela. Même si la jeune femme avait perdu son sourire et sa bonne humeur habituelle, elle n'allait pas rendre Jasmine responsable.

Terrifiées, les deux amies avaient essayé d'interroger l'enfant, mais elle avait disparu. Cette enfant, existait-elle vraiment ? Après tout, elles avaient fouillé la maison une première fois et ne l'avaient pas trouvé. Sans oublier que le propriétaire n'avait jamais parlé de l'enfant. Il avait demandé à Jasmine de garder la maison, pas l'enfant. Il était peut-être âgé, mais il n'aurait certainement pas oublié de mentionner la présence de cette étrange jeune fille.

Dalia savait déjà que cette maison appartenait à un voisin de Jasmine, mais elle avait besoin d'en savoir plus sur cet homme. Qui était-il ? Jasmine avait peut-être déjà échangé avec lui de nombreuses fois ? Peut-être le connaissait-elle bien ? Peut-être y avait-il une raison valable pour expliquer toutes ces choses étranges qui se passaient dans cette maison ? Seulement voilà, cet homme n'habitait là que depuis quelques semaines et Jasmine n'avait que très peu échangé avec lui. Sa bonté avait fait qu'elle avait accepté de garder sa maison, sans même le connaître. Sa bonté venait de les conduire tout droit dans un piège, potentiellement mortel. « Ne t'excuse pas Jasmine. Tu n'y es pour rien. Tu as été piégée, tu n'as pas à t'en vouloir. » Dit-elle pour excuser Jasmine, employant un ton légèrement maternel. « Pas besoin de fouiller la maison, cette enfant faisait vraiment flipper. C'est une tueuse, ou un fantôme ou quelque chose comme ça, elle n'a certainement pas besoin de nous. On s'en va. » Ajouta-t-elle en attrapant la main de son amie, grimaçant grossièrement lorsqu'elle parlait de l'enfant et de ce qu'elle pouvait être. Dalia s'était avancée vers la porte d'entrée et avait tourné la poignée, sauf que, bien évidemment la porte ne s'ouvrait pas. « Jasmine, tu as dû verrouiller la porte quand je suis arrivée. Où est-ce que tu as reposé la clé ? » Lui demanda-t-elle en ne voyant pas la clé sur la porte, ni aux alentours et en étant persuadée qu'elle était celle qui avait refermée. Puis après un sursaut, elle désigna la vitre de la tête pour que Jasmine tourne le regard. L'enfant se tenait à quelques pas d'elle. Elle était immobile et semblait les fixer d'un regard vide et sombre. Que devaient-elles faire lui parler et essayer de comprendre ? Ou bien l'ignorer en cherchant à fuir au plus vite ?

Il n'y avait rien d'agréable dans cette maison, ni les bruits inquiétants, ni les ombres terrifiantes... Jasmine regrettait amèrement son choix de rendre service à un homme qu'elle connaissait à peine en gardant sa maison. Elle ne comprenait pas très bien ce qui les attendait, et elle n'était pas très certaine d'avoir envie de le découvrir, mais elle savait désormais que ce ne serait pas bon. Les bruits étranges étaient une chose, cette enfant terrifiante en était une autre. Il ne fallait pas non plus oublier ce sang qui coulait le long des murs. Non, décidément, rien de bon ne les attendait dans cette maison des horreurs.

L'enfant refusait d'apporter des réponses à leurs questions. Pire encore, elle avait disparu. Comment faisait-elle cela ? Etait-ce un esprit ou quelque chose du genre ? Dans ce monde, il ne fallait s'étonner de rien après tout. Désolée d'avoir entraîné son amie dans toute cette histoire, Jasmine tentait de lui donner toutes les informations qu'elle avait à propos de l'homme et de cette maison, ce qui revenait à ne rien lui dire puisqu'elle n'avait aucune information sur lui.

Maternelle et protectrice, Dalia tentait de rassurer Jasmine et de la faire déculpabiliser, mais ce n'était évidemment pas suffisant. Elle savait qu'elle était responsable. Elle avait été piégée, en effet, mais elle avait été naïve et trop peu prudente. Il ne leur restait plus qu'à partir. Jasmine voulait s'assurer une dernière fois qu'il n'y avait pas d'enfant, mais Dalia l'en dissuadait. Il n'y en avait pas. Elle parlait de tueuse ou de fantôme, de quelque chose, en tout cas, qui n'avait pas besoin d'elles. Après un instant d'hésitation, Jasmine avait acquiescé. Il ne fallait pas prendre de risque supplémentaire. Dalia avait raison, cette enfant sortait tout droit d'un cauchemar et mieux valait l'oublier.

Main dans la main, les deux femmes s'étaient approchées de la porte d'entrée pour s'enfuir, mais cette dernière était fermée. Verrouillée. Le coeur de Jasmine battait à tout rompre. Elle était terrifiée. Courageuse, mais terrifiée. « Je n'ai pas fermé la porte, Dalia. » S'il y avait bien une chose dont elle était certaine, c'était celle-là. C'était stupide d'ailleurs, en y réfléchissant bien, de ne pas avoir fermé, mais elle avait oublié. Elle ignorait donc où était la clé et encore plus pourquoi et comment la porte s'était verrouillée, mais, dans le fond, elle ne préférait pas le savoir parce que la réponse devait être terrifiante, aussi terrifiante que tout ce qui était en train de se passer.

Jasmine ne savait pas quoi faire. Elles étaient clairement tombées dans un piège et il fallait réfléchir à la meilleure façon de s'en sortir. Cependant, il était particulièrement difficile d'y réfléchir lorsque Dalia lui désignait la fenêtre d'un coup de tête. Elle désignait le reflet de l'enfant mystérieuse dans cette fenêtre. Enfant qui se trouvait à deux ou trois mètres derrière elles, seulement. L'enfant ne parlait toujours pas. Elle se contentait de les fixer. Son regard donnait l'impression qu'il n'y avait pas d'âme et cela faisait frissonner Jasmine.

Inutile de lui parler de nouveau, il était préférable de la fuir. Alors, toujours main dans la main, Jasmine s'était éloignée le plus possible de cette chose pour se diriger vers les escaliers. « Puisqu'on ne peut pas sortir d'ici, on va s'enfermer dans une chambre jusqu'à ce que le jour se lève. L'enfant est en bas, nous serons tranquilles. » Elle le disait sans le penser. Juste pour se rassurer. Elle savait que cette enfant aurait le pouvoir d'entrer si elle le voulait, mais il lui fallait bien garder et trouver un peu d'espoir pour affronter la situation.

Fuir ! Elles devaient fuir ! Quitter cette maison au plus vite. Tant pis pour le propriétaire. Tant pis pour la maison. Tant pis pour la promesse. Elles devaient penser à leur survie avant toute chose. Seulement, une fois devant la porte d'entrée, Dalia avait essayé de l'ouvrir, mais elle était verrouillée. Par précaution, Jasmine avait très certainement tourné la clé lorsque son amie était arrivée. Et elle l'avait sans doute retirée de la serrure avant de la glisser dans sa poche ou avant de la déposer n'importe où ailleurs. Seulement, Jasmine disait ne pas avoir fermé la porte. Elle semblait si sûre d'elle. Alors qui ? Qui avait fermé la porte ? Qui avait pris la clé ? Qui avait condamné les deux amies à rester enfermer dans cette maison de l'horreur. Dalia s'apprêtait à répondre lorsque ses yeux se posèrent sur la fenêtre se trouvant à ses côtés. Cette enfant se trouvait là, juste derrière elles et la porte d'entrée était bien évidemment fermée à clé. Alors que devaient-elles faire ? Devaient-elles ignorer cette enfant et faire en sorte de sortir au plus vite ? Ou devaient-elles lui parler ? Lui poser des questions peut-être ? Essayer d'en apprendre plus sur cet endroit ? Sur le propriétaire ? Sur l'enfant elle-même ?  Était-ce seulement utile ? Puisqu'après tout, l'enfant était silencieuse. Même lors des premières questions, elle l'avait été. Dalia n'avait pas l'habitude de se trouver dans ce genre de situation, alors, elle ne savait pas vraiment comment elle devait réagir face à tout cela.

Jasmine fut celle qui prit une décision. Sans un son, elle s'avança, tenant toujours la main de Dalia dans la sienne - impossible de se séparer dans un tel moment. Jasmine se dirigea vers les escaliers, d'après elle, puisqu'elles ne pouvaient pas sortir d'ici, elles allaient s'enfermer dans une chambre en attendant que le jour se lève. C'était peut-être une bonne idée. Ou peut-être pas. Comment le savoir ? Si cet homme était dangereux, il allait s'occuper d'elles à son retour ? Et si cette fille pouvait entrer dans la pièce dans laquelle elles voulaient s'enfermer ? Si elles se retrouvaient piéger dans un espace encore plus restreint avec elle ?

Même si Dalia n'était pas certaine de ce qu'elles devaient faire, elle suivit Jasmine dans les escaliers. Les deux femmes avaient monté quelques marches, lorsque l'enfant se mit à prononcer quelques mots. « Vous aussi, vous m'abandonnez ! »  Puis après ces quelques mots, elle se mit à hurler. A hurler sans s'arrêter - elle n'avait pas besoin de reprendre son souffle, une preuve qu'elle n'était plus vivante - et s'était mise à avancer doucement. Sa robe était désormais couverte de sang - ou elle l'était déjà depuis le début, mais Dalia n'avait pas fait attention à ce détail, pourtant important - et elle était plus menaçante que jamais. Son regard vide faisait plus peut que jamais.  « Jasmine, dépêche-toi. Cours ! » Dit-elle avec crainte, en voyant que l'enfant était de plus en plus proche.

En courant, les deux femmes étaient arrivées en haut de l'escalier. L'enfant était toujours derrière elles, mais à l'étage, il y avait comme des murmures, des bruits de griffes sur les murs et des objets qui se déplaçaient seuls. Dalia aurait voulu ne pas être là. Elle aurait voulu que Jasmine n'accepte pas. Sans réfléchir, Dalia avait entraîné Jasmine dans une pièce, celle qui semblait la moins dangereuse, sans savoir si c'était vraiment le cas.  « Il faut qu'on déplace le meuble contre la porte. Et ensuite, on essaie d'ouvrir la fenêtre. On est au premier étage, on peut sauter. On se blessera peut-être, mais au moins, on sera vivante. »

Fuir était la seule solution. La seule pour survivre, pour sortir d'ici, pour oublier cette soirée catastrophique. Fuir. Mais comment fuir lorsque la porte était fermée à clé et que l'on n'avait pas la clé ? Comment fuir quand une silhouette inquiétante vous observait à deux mètres derrière vous ? A défaut de fuir, alors, il fallait se cacher. Jasmine, dans cette optique, avait traîné Dalia avec elle jusque dans l'escalier tout en lui racontant son plan. Il fallait s'enfermer dans une pièce et attendre que le jour se lève. Des failles, à ce plan, il y en avait plein, mais Jasmine refusait de les voir pour le moment.

Elle avait juste besoin de s'éloigner de cette chose, d'avoir une seconde pour réfléchir. Il semblait parfaitement inutile d'interroger l'enfant, malgré les milliers de questions qui devaient leur passer par la tête, alors il fallait bien faire quelque chose, même sans rien comprendre à l'histoire. Sauf que l'enfant se décidait à parler, finalement. Elle les accusait de l'abandonner, eux aussi. Jasmine, pour la rassurer, pour espérer la mettre de son côté, pour faire quelque chose, s'apprêtait à lui dire que non, qu'elles étaient désolées et qu'elles restaient avec elle, mais l'enfant se mit à hurler. Hurler de ce cri qui vous déchirait de l'intérieur, qui vous blessait, qui était insupportable et violent. Elle ne reprenait jamais son souffle, elle hurlait en continu. Pire encore, elle s'avançait vers les deux amies qui se trouvaient au milieu de l'escalier.

Elle n'allait pas vite, mais le temps de réagir, elle était presque là. Menaçante. Criant toujours. Sa robe semblait flotter. Son regard était vide d'émotions, mais il y avait tout de même de la haine. Dalia avait fini par réagir en entraînant Jasmine avec elle, lui demandant de courir. En effet, il n'y avait plus que cela à faire pour mettre de la distance avec ce monstre. Courir. Vers où, elle ne savait pas, mais courir.

A l'étage, il y avait des bruits, des murmures, des objets qui se déplaçaient. Derrière elles, il y avait l'enfant. Elles étaient prises au piège. Elles ne trouveraient de sécurité nulle part. Dalia les avait alors conduites dans une des pièces, sans trop réfléchir. Dans ce genre de moments, il n'y avait pas le temps d'analyser ou de réfléchir. Jasmine n'était même pas certaine qu'il y avait de véritables bons ou mauvais choix. Il fallait juste agir. Alors, elles agissaient. Comme le disait Dalia, elles poussaient un meuble contre la porte pour s'assurer que rien ne puisse entrer - rien de vivant, qui ne traverse pas les murs, en tout cas. Puis, elles se dirigèrent vers la fenêtre. Une fois encore, Dalia avait raison. Elles étaient au premier étage, elles pouvaient sauter. Elles se blesseraient peut-être, mais elles seraient en vie et loin de cet endroit. C'était tout ce qui importait.

Alors, Jasmine essayait d'ouvrir la fenêtre, mais en vain. « Elle est coincée. » Elle ne bougeait pas d'un millimètre. Sans réfléchir, la jeune femme avait donc attrapé une chaise qui traînait dans un coin et avait donné un premier coup suivi d'un autre et encore d'un autre. Il ne se passait rien. La fenêtre ne se fissurait même pas. « Nous sommes coincées. » Disait-elle comme une évidence. Et pour ne rien arranger à une situation déjà désespérée, des grincements et des bruits de griffes s'étaient fait entendre de plus en plus clairement dans le placard qui se trouvait à côté d'elles. « Il y a quelque chose dans le placard. » Une fois encore, elle ne faisait que constater une réalité. Elle avait si peur qu'elle paraissait presque dénuée de toute émotion en réalité. Elle n'arrivait plus à réagir. « On doit l'ouvrir ? » Ou pas. A vrai dire, elle n'en savait rien. Si cette chose ne pouvait pas sortir d'elle-même, autant la laisser coincée là-dedans, non ? C'était toujours ça de pris, un danger en moins.

Puisqu'elles ne pouvaient pas sortir, elles devaient se protéger, se mettre à l'abri. Au moins jusqu'à ce que le propriétaire de cette maison revienne. Au moins avant que le soleil ne se lève. Les deux amies devaient donc trouver l'endroit idéal pour rester enfermées et en sécurité pendant encore quelques heures. Mais comment réfléchir correctement dans de telles circonstances ? Comment réfléchir lorsque des créatures étranges se trouvaient à quelques pas de vous seulement ? Une enfant étrange, des bruits tout aussi étranges, des objets qui se déplaçaient tout seuls... Autant dire que toutes ces choses n'avaient rien de rassurant. Toutes ces choses empêchaient de réfléchir correctement. Et dans la panique, Dalia avait entraîné Jasmine dans une pièce et lui avait demandé de l'aider à pousser un meuble contre la porte. Cela n'avait peut-être aucune utilité dans un tel moment, mais Dalia préférait le faire, juste au cas où.

Dans cette pièce, il y avait une fenêtre. Une chance, peut-être, de sortir de cette maison hantée. Les deux amies étaient au premier étage. Quelques mètres les séparaient alors de la pelouse, mais elles devaient tenter leur chance. En sautant, elles risquaient de se faire mal, de se blesser, mais c'était toujours mieux que de passer des heures avec ces choses sortant du réel. C'était mieux que d'être tué par cette enfant à la robe ensanglantée ou par toute autre créature ou chose hantant cette maison. Jasmine semblait d'accord avec Dalia, seulement, elle avait beau essayer d'ouvrir la fenêtre, cette dernière ne bougeait pas d'un pouce. Visiblement, elle était, elle aussi bloquée. La porte d'entrée avait été fermée à clé, alors qu'aucune d'elles n'y avait touché. Les fenêtres semblaient bloquées. Elles étaient alors piégées dans cette maison. Était-ce l'œuvre du propriétaire ou de ces choses ? « Non ! Il y a forcément un moyen de sortir d'ici. » Dalia habituellement souriante et amusante, avait perdu ce côté de sa personnalité. Elle était effrayée, alors elle ne ressentait plus que la peur, l'envie de fuir et le besoin de protéger celle qui se retrouvait avec elle dans cette mésaventure.

Comme si ce n'était pas suffisant, Jasmine avait fait remarqué qu'il y avait quelque chose dans le placard. Les bruits de griffes qui provenaient de ce dernier en étaient la preuve. Mais devaient-elles l'ouvrir ? Ou devaient-elles ignorer ce qu'il y avait à l'intérieur ? Quelle serait la réaction de la chose qui se trouvait à l'intérieur ? Si elle voulait être découverte ? Et si au contraire, elle voulait rester cachée ? « Non, on le laisse fermé. » Aussitôt avait-elle prononcé ces paroles, le placard s'était ouvert, et les bruits avaient cessé dans le placard. Un frisson parcourut la jeune femme lorsqu'une sorte de vent frais était venu la parcourir. Puis tout à coup, des bruits s'étaient fait entendre sous le lit. « La chose s'est déplacée. Qu'est-ce qu'elle cherche à faire ? Qu'est-ce qu'elle attend de nous ? »

Elles étaient tombées dans un piège. Un piège qui était destiné à se refermer sur elles pour de bon ou simplement à les effrayer ? Elle n'en savait rien. Elle n'était pas certaine d'avoir envie de savoir. Jasmine craignait sincèrement d'être enfermée ici pour de bon. Dalia, tout naturellement, refusait catégoriquement cette idée. Elle gardait espoir et elle restait persuadée qu'il y avait forcément un moyen de sortir.

Jasmine ne répondait rien, mais conservait une part d'espoir face à celui de son amie. Elles allaient s'en sortir. Elles ne baisseraient, en tout cas, pas les bras. Même si elles étaient enfermées ici, même si cette enfant effrayante était dans la maison, même s'il y avait ces étranges bruits de griffes dans le placard de la chambre dans laquelle elles se trouvaient... La question, maintenant, était de savoir s'il fallait ouvrir ce placard, ou non. Dalia y avait répondu avec certitude : elles le garderaient fermé. Jasmine se contenta de hocher la tête. Elle n'irait pas contre l'avis de son amie.

Cependant, la chose semblait d'un autre avis puisque, aussitôt la réponse donnée, la porte s'était ouverte. Jasmine n'avait rien vu en sortir, mais elle avait senti le frisson la parcourir et le sursaut l'attraper lorsque les bruits s'étaient fait entendre, désormais, sous le lit. « Je ne sais pas. » Souffla-t-elle en se reculant au maximum avec Dalia pour se protéger, lorsque cette dernière la questionna. « Mais je dois te dire quelque chose... » Une histoire similaire, qui lui était arrivé quelques mois auparavant - plus d'un an, même. « Une voisine est venue chez moi, en panique, parce qu'il y avait quelque chose chez elle... Il n'y avait plus d'électricité, j'ai cru qu'elle paniquait seulement et... Il y avait une chose, sous le lit, qui exigeait qu'on lui rende quelque chose. » Ce n'était pas rassurant, mais Dalia devait savoir que ce n'était pas la première fois que Jasmine était confrontée à ce genre de choses - soit c'était partout pareil, soit ce quartier était loin d'être fréquentable pour les êtres humains. « Je ne te dis pas que c'est la même créature, mais... Je pense que tu dois le savoir. » Pourquoi, en revanche, elle n'en savait rien. « Si la petite fille ne nous répondait pas, peut-être aurions-nous plus de chance avec cette chose ? » Autrement dit, peut-être devraient-elles s'adresser directement à la créature ? A moins que cette créature ne soit cette petite fille, en réalité ?

Il fallait garder espoir. Elles n’avaient pas le choix. Elles ne pouvaient pas abandonner. Pas aussi vite. Dalia n’était pas du genre à baisser les bras, bien au contraire. Elle était plutôt du genre à se battre et à voir le bon côté des choses, refusant d’être pessimiste. En revanche, elle cherchait à prendre les meilleures décisions. Il ne fallait pas faire les mauvais choix, pas dans une telle situation où tout pouvait leur être fatal. 

Dans cette pièce, Dalia se pensait en sécurité. Pour un temps du moins. Un temps qui fut de courte durée, puisque des bruits de griffes s’étaient fait entendre dans le placard. Jasmine se questionna alors. Devaient-elles ouvrir le placard ? Ou devaient-elles le laisser fermer ? Aux yeux de Dalia, la réponse était évidente, elle avait choisi de laisser le placard fermé - sans savoir si cette solution était la bonne - pour empêcher de laisser la créature, qui se cachait à l’intérieur, s’échapper. Ce choix n’était certainement pas le bon, puisque la créature semblait être tout de même sortie de sa cachette pour se réfugier sous le lit. Que voulait cette créature ? Qu’est-ce qu’elle attendait d’elles ? Jasmine n’en savait rien, cela était évident, comment aurait-elle pu le savoir ? Enfin, même si elle ne savait pas, elle semblait avoir quelque chose à lui avouer. Dalia, habituellement bavarde, resta muette en attendant que Jasmine reprenne la parole. Jasmine lui expliqua alors qu’elle avait déjà fait face à une situation semblable. Une voisine était déjà venue chez elle, en panique, parce qu’une créature s’était introduite chez elle. « Ce quartier est très peu… fréquentable ! Tu devrais peut-être songer à déménager. » Annonça-t-elle un peu sous le ton de la plaisanterie, malgré la situation. « En tout cas, je suis rassurée de savoir que ce n’est pas la première fois que ça t’arrive. Puisque tu es toujours là, c’est que cette créature ne va pas forcément nous tuer. C’est déjà une bonne chose. » Continua-t-elle dans sa tentative d’ironiser un peu la situation. « Alors discutons avec cette créature… » Dalia s’approcha légèrement du lit - gardant un peu de distance au cas où la chose sortirait brusquement pour s’en prendre à elle. « Comment on s’adresse à une créature exactement ? » Demanda-t-elle finalement, ne sachant pas comment s’y prendre. Jasmine avait plus d’expérience, elle savait certainement comment faire, Dalia l'espérait en tout cas.