La loi du plus fort ▿ Scar.

Jasmine ne savait même plus comment elle était arrivée là. Enfin, comment elle était arrivée, ça elle s'en souvenait, mais le pourquoi lui échappait totalement. On lui avait soufflé à l'oreille que ce parti politique était ce qu'elle recherchait parce qu'il prônait l'égalité et la justice. La justice corrompue et l'égalité des classes les plus riches, c'était tout ce que le discours qu'elle venait d'entendre lui apprenait. Elle ne voyait rien de particulièrement intéressant dans ce parti. Les idées lui paraissaient archaïques et dépassées depuis bien longtemps. Ce monde était moderne. Il était plus ouvert que celui d'où elle venait. Ce monde offrait une chance à chacun - ou ce monde prétendait le faire, tout du moins. Il fallait conserver ça. Mieux encore, il fallait le développer jusqu'à son maximum. Il fallait étendre cette liberté et ces chances autant que possible, pour offrir ce qu'il y avait de mieux à chaque habitant de cette île maudite. Brimer davantage les libertés, ne donner le pouvoir qu'aux plus riches ou aux plus influents, ne donnerait rien de bon, Jasmine en était persuadée.

C'était donc en supportant ces idées qu'elle ne partageait pas, pour la plupart, qu'elle devait passer les très longues minutes de ce discours. Bien sûr, elle aurait pu partir tout simplement, mais ce n'était pas son genre. Elle resterait jusqu'au bout, au moins pour entendre les bêtises qui étaient racontées et pouvoir s'en préserver, plus tard. Pour mieux choisir un parti à rallier, il fallait tous les connaître et déterminer celui qui, à la fois, correspondait à ses propres valeurs et était, en même temps, le plus apte à combattre les dérives de tous les autres. Ce qui n'était pas simple du tout.

Jasmine écoutait donc attentivement et ne pouvait retenir des soupirs d'agacement de temps à autre ou de lever les yeux au ciel à d'autres moments. Fallait-il donc vraiment écouter tant de bêtises ? Tous ces gens autour d'elles, étaient-ils comme elle ? S'étaient-ils laissés bernés par des discours faussés et de fausses promesses ou pensaient-ils vraiment que cette manière de gouverner était celle à souhaiter pour cet endroit ? Comme si cela allait lui donner la réponse, Jasmine observait quelques visages, les uns après les autres. Certains semblaient passionnés et convaincus, d'autres semblaient plus septique, comme elle, et c'était un constat plus rassurant - tous n'étaient donc pas des cas désespérés, c'était une bonne nouvelle.

Jasmine n'en revenait pas. Plus les minutes passaient, plus elle trouvait cette situation risible. Pensaient-ils pouvoir fédérer beaucoup de monde avec de tels discours ? Jasmine aurait aimé répondre que non et que c'était purement impossible, qu'elle en était certaine. La réalité - qui était effrayante aux yeux de la jeune femme - était qu'elle voyait bien, dans les yeux et les réactions de certains, que ce parti pouvait parler à bien des gens. Malgré ses discours plus que limites, des personnes, dans cette assemblée, adhéraient aux idées. Jasmine observait les gens autour d'elle, tout en soupirant et en désespérant de ce qu'elle était en train de voir. Heureusement pour elle, certains semblaient aussi dépassés et désespérés par ce qui était en train d'être dit. C'était le cas de son voisin, ou ça semblait l'être tout du moins, à la réflexion qu'il lui adressa. C'était rassurant, d'une certaine façon de voir que certaines personnes étaient encore capables de faire la différence entre le bien et le mal - dans une certaine mesure, tout du moins.

Aux mots de l'homme, un sourire s'était dessiné sur ses lèvres. Elle était amusée, d'une certaine façon, parce qu'il avait utilisé très précisément le bon mot. Celui qu'elle cherchait. Celui qu'elle ne trouvait pas. C'était pathétique. La situation était pathétique. Ils étaient tous pathétiques à applaudir et soutenir de tels discours. Ils ne méritaient aucun autre qualificatif, aucune pitié ou gentillesse de leur part. Jasmine essayait de se montrer juste et de ne pas juger, mais certains cas ne le permettaient clairement pas. « Je n'aurais pas dit mieux. » Affirma Jasmine dans un murmure, un regard complice adressé à cet inconnu. Elle était plutôt heureuse de trouver une sorte d'allié dans cette assemblée, quelqu'un qui était d'accord avec elle - et qu'importe s'ils n'étaient d'accord que sur ce point. « Je peux vous demander ce qui vous amène ici ? Puisqu'il semblerait que vous n'y soyez pas à votre place. » Ce n'était que de la curiosité pure. Elle était curieuse de comprendre s'il s'était trompé sur le compte de ce parti ou si, comme elle, il s'était retrouvé là un peu par hasard, piégé par de jolis mots et de belles promesses.

Ce meeting ne ressemblait en rien à ce qu'on lui avait vendu. Pathétique était le mot précis, exact et parfait pour décrire ce qu'elle ressentait à cet instant, face aux discours qu'elle entendait depuis tout à l'heure. Si beaucoup semblaient d'accord avec ce qui était dit, ça ne semblait pas être le cas de la personne à ses côtés. Curieuse, Jasmine se demandait donc ce qu'il faisait là, s'il n'adhérait pas à leurs idées - comme elle, en d'autres termes. Avait-il été invité, lui aussi, sous de faux prétextes et avec des arguments plus mensongers les uns que les autres ? Elle avait vu juste, il avait été invité. Le pauvre semblait regretter cette perte de temps et ce qu'elle pouvait le comprendre. « J'ai été invitée également. Quelqu'un m'a vanté les mérites de ce parti et m'a proposé de venir m'en rendre compte par moi-même. » Et autant dire qu'elle n'était pas déçue du voyage, elle avait désormais la certitude que ce parti n'était pas pour elle et que cette personne était de très mauvais conseil. « Eh bien, je peux désormais assurer que ce parti n'est pas fait pour moi. » Elle qui cherchait encore sa voie, qui cherchait encore en qui croire et qui suivre, s'était laissée bercée par les belles paroles de cette personne et elle n'aurait très clairement pas dû.

« Enchantée Scar. » Souffla-t-elle en lui tendant une main pour qu'il la serre dans la sienne. « Jasmine. » Se présenta-t-elle à son tour, tout aussi simplement. Il n'y avait pas grand-chose à dire de plus à un inconnu, en réalité. « Votre visage ne m'est pas totalement inconnu... » Et pourtant, elle était incapable de dire pourquoi. S'étaient-ils déjà croisés ? A d'autres meetings peut-être ? Ou peut-être vivaient-ils dans la même rue ? Ou son visage ressemblait à un visage de sa connaissance ? Jasmine n'en savait rien, simplement, elle était persuadée que ce visage ne lui était pas totalement inconnu. A tort, peut-être - et finalement, quelle importance cela avait ?

Jasmine aurait aimé être aussi catégorique que Scar à propos de ce parti. A ses yeux, il ne valait rien non plus, mais ceux qui le supportaient semblaient nombreux. Il ne suffisait pas d'être un bon parti pour perdurer, il suffisait d'avoir des partisans nombreux et motivés - capables d'être convaincus par des idées, par des avantages ou par des arrangements. Certains voyaient leurs avantages avant de voir l'intérêt général. « Je partage votre point de vue. Cependant, je crains que ce parti ne dure si certains continuent à les soutenir comme ils le font. » Disait-elle en désignant d'un léger signe de tête l'assemblée attentive. Peut-être que ce parti n'atteindrait jamais les sommets, mais il pouvait se faire une petite place et avoir une influence en ville - c'était en tout cas ce que Jasmine craignait.

Puisqu'ils semblaient partager le même point de vue, ils poursuivaient leur conversation en se présentant. Il serait certainement plus simple de discuter ainsi - et plus agréable, également. A force d'observation, Jasmine se rendait compte que ce visage ne lui était pas totalement inconnu. Il ne lui était pas aussi familier que quelqu'un à qui elle aurait déjà parlé, mais il y avait ce quelque chose chez lui qui lui évoquait quelqu'un - cependant, impossible de savoir qui. Parce que Jasmine n'avait pas envie de réfléchir à ça pendant des heures, elle lui posait la question directement. Il lui expliquait donc simplement qu'il était une personne médiatisée et qu'elle le connaissait probablement grâce à ça. En effet, ce n'était pas totalement impossible. C'était même plutôt logique, en fait. « C'est sans doute ça, oui. » Répondit-elle simplement, en souriant. « Ce serait avec plaisir. » Affirmait-elle à la demande qu'il lui faisait. Elle avait hâte de quitter cet endroit et ce meeting parfaitement désagréable. « Il me tarde de quitter cet endroit. Et nous pourrons poursuivre notre conversation. » Parce que s'ils partageaient le même point de vue concernant ce parti, peut-être avaient-ils des points de vue totalement opposés concernant la politique en général ? Et Jasmine appréciait particulièrement discuter et débattre de ce genre de choses, à condition que la personne en face était agréable et intéressante. « Vous voulez aller quelque part en particulier ? » Peut-être connaissait-il un endroit calme où ils pourraient discuter sans être dérangé dans le coin ?

La croyance de certains partisans avait le don d'effrayer Jasmine pour l'avenir de cette ville. S'il avait un tel soutien, ce parti avait des chances de durer dans le temps et de prendre de l'importance. Tout ce que Jasmine ne souhaitait pas le moins du monde, en d'autres termes. C'était un parti dangereux, aux idées d'un autre temps. Si la ville devait être dirigée par quelqu'un d'autre que ce maire invisible, ce ne devait certainement pas être par ce parti-là.

L'inconnu tentait de la rassurer. Il jugeait que ces gens croyaient parce qu'ils n'avaient qu'une version, qu'une vision, qu'il manquait des arguments, des contres-arguments pour leur ouvrir les yeux. Jasmine doutait que les choses puissent être aussi simples, mais elle l'espérait, quelque part tout au fond d'elle. Comme ils le disaient également, ils n'étaient pas des moutons incapables de réfléchir par eux-mêmes, c'était ce qui les différenciait de ces autres gens. Peut-être. Elle l'espérait, en tout cas. Elle espérait être toujours capable de choisir par elle-même et ne pas se faire avoir. « Vous êtes producteur ? » Ou il animait une émission dans laquelle il pouvait choisir librement ses thèmes et ses sujets ? Dans tous les cas, il avait un pouvoir médiatique et il pouvait s'en servir à bon escient. Jasmine trouvait cela courageux d'oser se lever contre les problèmes de cette société publiquement. « J'espère que vous réussirez. Vous avez tout mon soutien. » Ce n'était pas grand-chose, mais c'était tout ce qu'elle pouvait lui offrir. Un soutien réel et absolu dans cette mission qu'il se donnait de détruire ce parti.

Les deux interlocuteurs décidèrent finalement de se rendre sur la terrasse d'un café pour continuer la discussion. « Je passe beaucoup trop de temps enfermée moi aussi, alors je vous suis. » Dans un bureau de l'association ou chez elle. Prendre l'air lui ferait le plus grand bien. Profiter de ce beau temps également.

En très peu de temps, ils avaient trouvé leur bonheur. « Parfait ! » Avait-elle dit en s'y dirigeant pour s'y installer. « Vous connaissez des partis qui valent le coup dans cette ville ? »Demanda-t-elle sans perdre plus de temps, impatiente d'évoquer la politique de cet endroit. C'était un sujet qui l'intriguait et auquel elle s'intéressait beaucoup. Elle espérait même un jour jouer son propre rôle dans cet endroit comme elle avait voulu le faire à Agrabah, cependant il était parfois compliqué de s'y retrouver au milieu de l'émergence de tous les partis, sans connaître les bonnes personnes et sans savoir par où commencer.

Jasmine, en venant ici, n'avait pas imaginé repartir aussi vite, après avoir entendu autant de bêtises, accompagnée d'un homme qui semblait tout aussi agacé par les bêtises entendues. Elle avait trouvé un interlocuteur intéressant pour évoquer la politique. Elle en profitait. Ce n'était clairement pas tous les jours qu'elle tombait sur des personnes qui s'intéressaient à la politique de cet endroit et qui étaient ouvertes à la discussion. A vrai dire, ces personnes devaient être nombreuses, mais Jasmine ne savait pas où chercher. Elle avait beaucoup de mal à trouver sa place au milieu de tous ces politiciens parce qu'elle se familiarisait encore avec tout ce que la politique de cet endroit signifiait. Tout était bien différent d'Agrabah.

Scar lui confirmait être producteur d'émissions de télévision, puis lui retourna la question. « Je travaille pour une association qui défend le droit des femmes. » Expliqua-t-elle à son tour - un sujet qui, selon elle, devrait être au coeur, ou tout du moins l'une des préoccupations principales, des partis de cet endroit. Dans tous les cas, elle l'encourageait et espérait pour lui qu'il réussirait à faire ce qu'il voulait faire, à obtenir ce qu'il voulait obtenir. D'autant que ça l'arrangeait elle-même, de voir ce genre de parti disparaître, détruit pour les propos qu'il tenait. Alors, oui, elle l'encourageait à le faire. Et, mieux encore, à réussir - ce dont il ne semblait pas douté, sûr de lui. « Je suis impatiente de voir ça. » rétorqua-t-elle alors à ses certitudes. Elle n'avait aucune pitié pour des gens comme ceux qu'elle venait d'entendre. Ils méritaient d'être détruits et de perdre tout pouvoir dans cet endroit.

Après avoir accepté, Jasmine avait suivi le jeune homme jusqu'à la terrasse d'un café, à laquelle ils s'étaient tous les deux installés. Ils avaient pris leur commande et, sans perdre une seconde, Jasmine avait questionné son interlocuteur à propos des partis politiques qui existaient dans cette ville. Ils étaient nombreux, très différents et Jasmine avait parfois du mal à s'y retrouver. Il était parfois très simple d'éliminer certains partis qui ne dissimulaient pas leurs mauvaises intentions, d'autres fois plutôt simple de déterminer ceux qui mentaient, mais... il en restait toujours un certain nombre. Certains très visibles, d'autres plutôt très discrets. Ce qui ne facilitait clairement pas les choses pour apprendre à les connaître.

La question qu'elle lui posait n'était pas simple puisqu'elle dépendait de bien des choses et notamment d'un point de vue très personnel à ce sujet, mais elle s'intéressait surtout à la question de savoir s'il y avait des partis qui n'étaient pas gangrénés par la corruption, les sales affaires. Des partis fiables, respectueux des règles... Ensuite, elle se ferait sa propre opinion en fonction des idées de chacun et de ce qui l'intéressait, elle. « Ce n'est pas rassurant. » Entendre que tous les partis ici étaient mauvais... Non, rien de rassurant, vraiment. Si ce maire finissait par se faire remplacer par pire que lui... Etait-ce seulement possible de toute façon ? Peut-être qu'elle s'inquiétait pour rien, après tout. « C'est une question compliquée, mais je pense qu'avant toute chose, j'aimerais des idées qui protègent les droits des plus faibles, de ceux qui finissent toujours par payer le prix des décisions des plus forts. » Autrement dit, elle voulait, avant toute chose, la justice. Rien ne comptait plus à ses yeux, même si certains trouvaient ça parfaitement idiot. « Tout naturellement, ceux qui semblent avoir un problème avec l'idée de voir une femme à la tête de cette ville sont éliminés d'office. » Elle ne connaissait que trop bien les difficultés pour les femmes à obtenir ce qu'elles voulaient. Ici, les choses semblaient légèrement différentes, mais certains partis semblaient ne pas apprécier ces progrès. Hors de question, à ses yeux, qu'ils n'obtiennent le moindre pouvoir, évidemment.

A la question de son interlocuteur, Jasmine n'avait pu faire autrement que sourire. Beaucoup se questionnaient souvent à ce propos et c'était quelque chose qu'elle avait découvert, elle-même, en arrivant dans ce monde nouveau et étrange. Les associations n'existaient pas dans son royaume et elle avait dû tout apprendre, comme beaucoup, en en arrivant ici. Elle n'était pas bénévole dans cette association, mais salariée, ce qui lui permettait de recevoir un salaire en échange de ses heures de travail. « Je le suis, oui. » Elle ne gagnait pas une fortune, mais elle n'était pas à plaindre, ayant largement de quoi se débrouiller grâce à l'argent qu'il y avait sur son compte à son arrivée dans ce monde. Le travail n'était qu'un plus lui permettant de se sentir utile et lui permettant de rendre service à la société, comme elle avait toujours voulu le faire.

D'autres services devaient être rendus à la société, comme détruire ceux qui souhaitaient faire le mal autour d'eux en accaparant un pouvoir qui n'était pas à eux - comme ce parti qu'ils venaient tous les deux d'entendre parler. Scar promettait de détruire médiatiquement ceux-là et Jasmine devait avouer avoir hâte de voir le résultat. Elle espérait tant que ces gens-là ne puissent jamais accéder à la moindre forme de pouvoir, de crainte de voir la répression partout en ville. « Vraiment ? » demanda-t-elle après la proposition de l'homme de la faire assister à tout cela en direct, au premier rang. « Eh bien, ce serait avec plaisir. » Comment refuser d'assister à cela alors qu'elle rêvait de voir les résultats ? C'était une chance, une chance qu'elle devait saisir.

Ils continuaient de discuter des différents partis qui se battaient en ville. Lui prétendait qu'aucun parti ne valait véritablement le coup. Elle n'était pas suffisamment informée, mais cette information n'était pas là pour la ravir, bien au contraire. Elle était désespérante à souhait, même. Jasmine, cependant, ne voulait pas baisser les bras et être fataliste. Elle gardait espoir de voir les choses s'arranger et un parti valable naître. Ou peut-être était-elle naïve, tout simplement ? Dans tous les cas, elle tenait à y croire encore, au moins, jusqu'à être convaincue que c'était inutile et qu'elle perdait son temps. « Les gens faibles, à mes yeux, ce sont tous ceux qui n'ont pas forcément voix au chapitre, ceux que l'on a tendance à ignorer parce qu'ils n'ont pas les moyens financiers pour être intéressants aux yeux de beaucoup, parce qu'ils sont considérés comme trop jeunes, parce que ce sont des femmes, parce qu'ils n'ont pas les moyens de faire entendre leurs voix ou de s'exprimer... » Listait-elle sans penser à faire une liste complète. Quant aux gens forts, il comprendrait qu'il s'agissait des opposés aux catégories qu'elle venait de citer.

Jasmine ajoutait quelque chose à propos des femmes, expliquant que tous ceux qui les bannissaient d'entrée pour les postes importants ne l'intéressaient évidemment pas. Elle avait passé sa vie à se battre pour avoir le droit de diriger son royaume, elle n'allait certainement pas faire marche arrière maintenant. « J'approuve votre point de vue. » Souriait Jasmine lorsqu'il affirma que les femmes avaient souvent plus de suite dans les idées. « Votre tribu ? Je suis peut-être curieuse et vous avez parfaitement le droit de refuser, mais j'aimerais beaucoup entendre parler de votre ancienne vie, du monde où vous étiez avant d'être ici, de son fonctionnement... » Jasmine était curieuse de comprendre comment les autres mondes fonctionnaient en temps normal, elle l'était encore plus lorsqu'elle obtenait quelques petites informations, comme elle venait de le faire, au détour d'une conversation.

« En effet, il ne faut pas s'attendre à gagner des millions en travaillant dans une association, » confirma-t-elle en souriant. Heureusement, ce n'était pas son but. Elle avait déjà tout l'argent dont elle avait besoin. Si elle travaillait dans cette association, c'était uniquement pour le bien qu'elle espérait faire autour d'elle, pour se sentir utile, pour donner à ceux qui en avaient le plus besoin. Si elle avait voulu s'enrichir, en arrivant dans ce monde, Jasmine aurait pris une autre voie. Si elle ne connaissait pas les associations avant d'arriver ici, elle en avait rapidement appris le fonctionnement et les difficultés que ces dernières rencontraient. Si quelqu'un devait s'enrichir, c'était donc bien ces dernières. Sans moyen financier, il était difficile, voire impossible, de venir en aide à tous ceux qui en avaient besoin, de mener à bien les actions nécessaires pour aider et changer les choses. Et, comme s'il avait lu dans ses pensées, il avait sorti son chéquier pour inscrire un chiffre suffisamment élevé pour que Jasmine ne sache quoi dire un court instant. « Vous savez que je pourrais mettre ce chèque à mon nom ? » Parce qu'il lui faisait drôlement confiance pour une femme qu'il connaissait depuis une heure à peine. « Je plaisante évidemment et... » Mieux valait le préciser, non ? « Je vous remercie sincèrement. Vous n'imaginez même pas comme ce genre de dons nous est utile et précieux. » Elle ne pouvait certainement pas refuser un don aussi généreux. Elle ne pouvait rien refuser du tout et elle était touchée par son geste.    

Et alors qu'elle rangeait le précieux chèque qu'il venait de faire pour l'association et qu'elle s'empresserait de déposer dès que possible, il lui posa une question qui la fit réfléchir. « C'est une excellente question, » concéda-t-elle, avant de détailler. « En réalité, le système en place, les partis, c'est quelque chose de très différent de l'endroit d'où je viens. C'est même... radicalement différent et je crains toujours de ne pas être assez prête, de ne pas comprendre tous les rouages, d'être perdue au milieu de tout ça... Puis, je suis très jeune, qui me prendrait au sérieux ? » Toutes ces difficultés auxquelles elle essayait de faire face en apprenant à chaque fois que cela était possible. Elle se renseignait, elle cherchait, elle questionnait et elle comprenait mieux les choses un peu chaque jour. Mais certaines choses ne changeraient pas avant un certain temps, notamment son âge, et qui prendrait au sérieux une gamine d'à peine plus de vingt ans ? On prenait déjà difficilement au sérieux une femme plus âgée, alors elle... Avait-elle la moindre chance ?

Pourtant, elle avait des idées. De nombreuses idées. Des idées qu'elle travaillait depuis chez elle, depuis qu'elle avait fait en sorte de convaincre son père qu'elle était prête à prendre la relève, à gouverner. Elle n'en pouvait plus de voir la misère chez elle, comme elle n'en pouvait plus de voir le malheur ici. Elle était idéaliste, peut-être, utopiste, certainement, mais elle aurait aimé que chacun puisse avoir son mot à dire, que personne, sauf s'il avait commis le pire, ne soit exclu de la société dans laquelle il vivait sous tel ou tel prétexte. Elle rêvait d'un monde idéal dans lequel chacun aurait sa place, son mot à dire et les moyens de vivre décemment, correctement. « Encore une excellente question, » répondit-elle en souriant et en réfléchissant plus sérieusement à sa question. « Dans une certaine mesure, je peux les comprendre et je pense que l'on doit leur pardonner. » Dans une certaine mesure, évidemment, Jasmine ne cautionnait pas tout sous prétexte de se faire entendre. « Je pense qu'il faut savoir se battre pour se faire entendre, qu'il faut parfois faire des choses que beaucoup ne jugent pas acceptables pour cela. Si on se contente d'accepter son sort, de se taire, de ne pas se battre, comme certains le demandent, alors rien ne change jamais et vous faîtes exactement ce que les plus forts veulent que vous fassiez. Ceux qui vous jugent pour vos actions, parce que vous vous êtes battu, sont ceux qui ont peur de vous voir réussir, de ne plus être capable de vous faire taire. » Alors, elle était prête à comprendre beaucoup de choses, beaucoup de luttes, pour faire entendre sa voix. « En revanche, je n'accepte pas que l'on blesse pour atteindre ce but. » Pas physiquement en tout cas - sauf peut-être dans le cas extrême de tyran qu'il faudrait éliminer pour obtenir la paix - parce qu'il y avait de nombreuses autres façons de faire, de se révolter.

Curieuse, après une réflexion de son interlocuteur, Jasmine avait posé une question à propos de son ancien monde. Elle avait conscience d'être trop curieuse et de peut-être dépasser les limites, ainsi elle comprenait son refus. Il lui apprenait seulement qu'il n'était pas humain et qu'il avait fait de mauvaises choses qu'il ne voulait pas voir s'ébruiter. Il la rendait plus curieuse encore, avec cette envie de se faire une véritable opinion de lui, mais elle insisterait pas. « Je comprends, évidemment. Je suis désolée si ma question vous a mis mal à l'aise. » Parce que c’était l'impression qu'elle avait eu et que ce n'était pas son but.