(Terminé) Mensonges et trahison ▿ Sabrina.

Sophie tournait en rond. La colère montait en elle de seconde en seconde et se mélangeait avec sa peine. Elle se sentait dépassée par tout ce qu'elle ressentait. Elle se sentait perdue et terriblement blessée. Elle avait mal. Terriblement mal. Elle avait été trahie et blessée de la pire des façons. Son amie. Sa meilleure amie, même, dans ce monde avait joué avec elle. Sophie lui avait accordé toute sa confiance. Elle l'avait aimée et acceptée, avec ses particularités, si nouvelles pour Sophie. Elle avait fait des efforts pour la comprendre, elle l'avait hébergée et elle lui était toujours venue en aide. Depuis quatre ans, Sophie était une présence amicale pour Sabrina. Elle avait tellement vécu d'aventures ensemble. Sophie avait naïvement cru que Sabrina était sincère avec elle. Elle avait cru en chacun de ses mots et, surtout, en chacun de ses mensonges.

A l'instant où elle avait compris, elle avait senti son coeur se serrer dans sa poitrine. C'était tellement douloureux. La colère était montée en elle et elle avait eu envie de hurler, mais elle n'en avait rien fait. Les larmes étaient venues, elles aussi. Nombreuses et inarrêtables. Elle pleurait, encore et encore. Elle était incapable de s'arrêter, mélange de rage et de déception, de peine et de rancoeur. Comment avait-elle pu lui faire ça après tout ce que Sophie lui avait donné ? La confiance était importante aux yeux de Sophie. Elle était essentielle, même. Pourtant, Sabrina en avait joué et venait de la perdre.

La douleur d'avoir été trahie était si forte que Sophie avait eu envie de lui faire du mal. Elle avait envie de la maudire, de lui souhaiter tout le malheur du monde, de hurler au monde ses secrets. Elle avait envie de se jeter sur elle et de lui faire physiquement ce qu'elle lui infligeait psychologiquement. C'était terrible, horrible, impossible. Comment pouvait-elle contenir une telle douleur et une telle colère ? Comment accepter ce qu'elle venait d'apprendre ? Comment s'en remettre ? Comment pardonner ? Comment continuer comme avant ? Comment continuer, tout simplement ? Combien de temps mettrait-elle à s'en remettre ? Sabrina s'excuserait-elle ? Assumerait-elle ses erreurs et leurs conséquences ? Chercherait-elle à nier ? A la manipuler et à se servir d'elle une nouvelle fois ?

Sophie n'était même pas certaine de connaître la moitié de l'histoire. Peut-être que des choses restaient toujours profondément enfouies en elle et n'attendaient que d'être réveillées ? Peut-être aurait-elle pu se dire, également, qu'elle rêvait et que rien de ce qu'elle imaginait été réel, mais elle ne le pouvait pas. Ce n'était pas un simple rêve. Ce n'était pas un vague souvenir. Pour elle ne savait quelle mystérieuse raison, certains souvenirs très précis lui étaient revenus. Trop précis, trop vivaces pour être faux.

Alors, en tournant en rond, elle avait attendu que Sabrina franchisse le seuil de la porte d'entrée. Cette porte qu'elle franchissait presque chaque jour, avec le sourire, heureuse et amicale, comme si elle n'avait jamais rien fait de mal. Et, à l'instant où elle l'avait entendue, sans attendre que Sabrina ne referme la porte ou ne se présente à elle, Sophie s'était précipitée vers elle, le visage déformé par les pleurs et la colère. « Tu comptais te moquer de moi encore longtemps, Sabrina ? » Sa voix était froide, son ton était sec. Il n'y avait que ce fameux mélange de rage, de désespoir et de colère. Elle ne donnait pas d'informations supplémentaires, simplement parce qu'elle n'y pensait pas, tant les raisons de cette colère semblaient évidentes à ses yeux.

Sophie ne s'attendait pas à obtenir les aveux de Sabrina à peine la porte franchie, mais il était évident, pour elle, que son amie comprenait parfaitement où elle voulait en venir - à moins qu'elle ne lui cachait plus de choses encore que ce qu'elle imaginait ? Sabrina était démasquée et elle devait se sentir prise au piège, voilà pourquoi elle jouait la comédie. Si elle avait tant joué avec la mémoire de Sophie, pour qu'elle ne s'en souvienne pas, il y avait une raison. Sabrina ne voulait pas que Sophie connaisse toute la vérité. Certainement parce que cette vérité était difficile à entendre et accepter pour la jeune femme - que son amie la manipulait était pire encore, néanmoins. Aujourd'hui encore, rien ne pouvait permettre à Sophie d'affirmer que Sabrina ne recommencerait pas en lui effaçant de nouveau la mémoire. Sophie allait rester sur ses gardes, mais elle ne pouvait pas grand-chose contre la sorcière. Elle avait pris ses précautions et elle avait noté quelque part ces souvenirs qui lui étaient revenus, mais elle ignorait si ça allait être suffisant. Après tout, avec une sorcière comme amie, ce jeu pouvait être sans fin.

Sabrina faisait comme si elle ne comprenait pas. Elle jouait à celle qui n'avait rien à se reprocher, ce qui n'attisait que davantage la colère de Sophie. Il était grand temps qu'elle assume ses actes et ses mensonges, désormais. Elle avait suffisamment joué avec l'esprit et les souvenirs de Sophie. Pour garder ses distances - elle supposait qu'il fallait qu'elles soient proches pour que cette dernière puisse user de ses pouvoirs sur elle - Sophie avait fait quelques pas en arrière lorsque Sabrina s'était approchée. Puis, après avoir pris une grande inspiration pour se donner du courage, elle lui avait répondu, en tentant de la regarder droit dans les yeux pour lui montrer que, cette fois-ci, ce n'était plus la peine de faire semblant. « Je sais tout. Qui tu es véritablement et ce que tu m'as fait. » C'était direct, mais il était inutile de tourner autour du pot puisque Sabrina ferait semblant de ne pas comprendre pour se protéger et protéger ses mensonges. « Tu as joué avec mes souvenirs et ma mémoire. » Ajouta-t-elle pour bien lui faire comprendre qu'elle avait réellement compris - même si elle ne savait pas comment cela fonctionnait, elle savait ce qui s'était passé.

Sophie était en colère. Sophie était hors d'elle. Sophie était blessée. Sophie était perdue. Elle connaissait Sabrina depuis des années maintenant, elle la considérait comme son amie, comme sa meilleure amie, même. Et pourtant... Et pourtant, Sabrina ne s'était pas gênée pour jouer avec elle, avec ses sentiments, avec ses souvenirs. Sabrina s'était servie d'elle. Combien de fois ? Depuis quand ? Considérait-elle vraiment Sophie comme une amie ou était-elle juste une idiote bien pratique ? La deuxième hypothèse était forcément la bonne parce que personne ne traitait ses amis comme Sabrina avait traité Sophie. Comment avait-elle pu être aussi stupide ?

Stupide, elle ne l'était plus. Endormie, manipulée, elle ne l'était plus non plus. Ses souvenirs - ou une partie, tout du moins - s'étaient réveillés et elle ne laisserait pas Sabrina y toucher - pour s'en assurer, elle avait tout noté quelque part. Bien sûr, elle avait conscience d'être moins forte qu'elle et de n'avoir aucun moyen pour la contrôler, mais elle se défendrait autant qu'elle le pouvait. Sophie ne jouait plus. Avec franchise et sans prendre de gants, elle avait dit à Sabrina qu'elle savait tout. Son ton était froid, sec, mais aussi brisé. Il y avait en elle un mélange de peine, de déception et de colère. Un mélange dangereux et difficile à gérer pour Sophie qui contrôlait mal ses émotions.

Sabrina avouait. Sans se défendre, sans nier, elle avouait que Sophie disait la vérité. Sophie le savait. Elle en était persuadée, mais l'entendre lui dire était plus difficile qu'elle ne l'avait imaginée parce que ça rendait les choses terriblement réelles. Sans qu'elle ne puisse rien contrôler, elle s'était mise à pleurer. Alors, elle pleurait et elle tentait de contrôler la colère qui montait en elle à mesure où elle entendait les justifications de celle qu'elle croyait être son amie. « Tu n'avais pas le choix ? » Criait-elle comme elle le faisait rarement. « Tu n'avais pas le choix ? » Répétait-elle, la voix brisée. « On a toujours le choix et ce choix, c'est moi qui devais l'avoir, pas toi. Tu n'as pas à jouer avec la mémoire des gens. » Pour qui se prenait-elle ? Une déesse ? Sophie seule avait le droit de lui demander d'effacer sa mémoire, Sabrina n'avait pas à prendre ce genre de décisions, qu'importe ce que Sophie avait pu apprendre, qu'importe ce que Sophie n'était pas censée, selon Sabrina, savoir.

Sabrina était une menteuse manipulatrice égoïste. Sabrina était un monstre. Sabrina était tout ce que Sophie ne croyait pas. Comment avait-elle pu lui mentir pendant de si longues années ? Comment avait-elle pu la manipuler pour lui faire oublier ce qu'elle ne voulait pas qu'elle sache ? Comment avait-elle pu se servir d'elle en se montrant si égoïste pour protéger ses petits secrets, au détriment de la confiance que Sophie lui accordait ? C'en était trop pour la jeune femme. Beaucoup trop. Ses souvenirs étaient revenus et Sophie ne décolérait pas.

Et elle décolérait moins encore en entendant Sabrina se justifier. Non, se chercher des excuses. La soirée d'Halloween, son père, les aveux de Lucifer, la réaction de Sophie... Des excuses. Ce n'était rien que des excuses pitoyables pour se défendre et manipuler Sophie d'une autre façon. Un mensonge - surtout de cette ampleur - était un mensonge, qu'importent les raisons. Sophie l'écoutait, mais elle se moquait bien de ce qu'elle entendait. Elle était bien trop blessée pour cela. En réalité, Sabrina n'avait pas tort sur tout. Il était vrai que Sophie avait beaucoup de mal avec la magie et que, par ses croyances et son éducation, elle associait forcément le diable au mal, mais avec le temps Sabrina n'aurait-elle pas pu lui prouver le contraire ? En lui laissant le temps d'accepter ? En lui laissant le temps de digérer ? En lui prouvant les choses ? Là, son comportement poussait Sophie à croire que ses premières intuitions étaient les bonnes. Elle s'était piégée elle-même. Sabrina était devenue ce qu'elle ne voulait pas être pour se protéger.

« Tu n'es pas une mauvaise personne parce que tu es la fille du diable... » Toujours aussi étrange à dire et à penser pour Sophie. « Tu es une mauvaise personne parce que tu as décidé de me mentir, de m'effacer la mémoire et de te servir de moi parce que tu avais besoin de moi. Ce sont tes choix qui te rendent mauvaise, pas qui est ton père. » Et elle n'en démordrait pas. Sabrina voulait conserver sa petite vie tranquille ici, dans cette maison et elle s'était servie de la stupidité et de la naïveté de Sophie pour ça. « J'aurais dû prendre mes distances avec toi à l'instant où tu m'as révélé ce que tu étais. Tu aurais pu me prouver que qui était ton père importait peu, que tu étais différente ! Tu aurais pu me prouver, avec le temps et avec les actes, que tu valais bien plus que tout ça... » Elle soupirait, elle ne criait plus désormais, mais elle était désarmée face à une telle situation. « Mais tu as préféré mentir et manipuler. » Ce qui était pire que tout pour la jeune femme qui se sentait utilisée. Trahie. « Je ne veux plus jamais te voir. » Parce que comment lui faire confiance après une telle trahison ? Alors même s'il était difficile de mettre fin à une telle complicité, même s'il était difficile de laisser Sabrina se débrouiller, Sophie jugeait qu'elle n'avait pas d'autres choix.

Sabrina et Sophie ne se comprenaient pas. La mortelle ne comprenait pas comment son amie avait pu lui mentir et manipuler son esprit sans le moindre remord. Ses souvenirs n'appartenaient qu'à elle, ce qu'elle voulait conserver en mémoire ou oublier, également. Sophie avait déjà perdu une grande partie de sa vie d'adulte sans avoir son mot à dire et Sabrina la privait d'autres de ses souvenirs, par égoïsme. Elle voulait se protéger et elle ne pensait qu'à ça, sans penser aux conséquences pour Sophie. Cependant, la sorcière ne voulait pas voir les choses de cette façon. Alors qu'elle était en tort, elle prenait un ton froid pour contredire les mots de Sophie. Selon elle, le problème n'était pas le mensonge ou la manipulation, mais uniquement le fait que le père de Sabrina était le diable en personne.

Si Sophie devait se montrer entièrement franche, il était vrai que la véritable nature de Sabrina l'effrayait. Il était vrai que son père l'effrayait. Il était vrai que tout ceci rentrait en contradiction avec ce que Sophie était. Cependant, elle était persuadée qu'elle aurait pu apprendre à vivre avec. Avec le temps. Au tout début, l'idée que Sabrina puisse être une sorcière l'effrayait terriblement, mais elle s'y était faite avec le temps. A ça aussi, elle aurait pu s'habituer. Elle en était certaine, et ce, même si elle avait déjà demandé à Sabrina de partir pour ça. En revanche, se faire à des mensonges et retrouver une confiance perdue après avoir été manipulée... Ça, elle doutait pouvoir s'en remettre réellement un jour et s'y faire. « A tout ça, avec le temps, j'aurais pu m'y faire. » Assura Sophie, plutôt calmement. « Pas à tes mensonges. Parce que je ne saurai plus jamais si je peux te faire confiance et si tu n'es pas en train de me manipuler. » Alors oui, Sophie, au plus profond d'elle-même, détestait ce que Sabrina était, mais elle aurait pu s'y habituer parce que Sabrina était son amie et parce qu'elle l'aimait profondément. La première fois, Sophie avait été surprise. La première fois, Sophie avait été choquée. La première fois, peut-être que c'était trop tôt pour l'esprit de Sophie. Trop tôt pour le comprendre. Trop tôt pour l'accepter. Mais la première fois, elle aurait été libre d'y réfléchir, de voir le bon côté, de s’habituer à l'idée et de décider par elle-même - ce qui restait l'essentiel à ses yeux.

« Tu n'as pas le droit de mentir et de m'en rendre responsable. » Comment pouvait-elle agir ainsi ? Comment pouvait-elle rendre Sophie responsables alors qu'elle était la seule à avoir décidé de mentir et de manipuler ? La seule à avoir jouée avec sa mémoire ? Même si elle l'avait mal vécu, Sabrina ne pouvait pas rendre responsable les autres. Elle était la seule coupable. La seule responsable. De ses choix. De ses actes. De ses décisions. « Pour me prouver qui tu étais, tu n'aurais pas dû faire ça. Tu aurais dû me laisser du temps. Tu aurais dû être patiente avec moi. Le choix, tu l'as toujours eu, contrairement à moi. » La manipuler pour ne pas la perdre, c'était forcé Sophie dans ses choix et dans ses décisions. C'était choisir pour elle. C'était refuser ses décisions. Alors même si c’était pour ne pas la perdre ou parce qu'elle tenait à elle, rien ne pouvait excuser le comportement de Sabrina. Et Sophie avait beaucoup de mal à voir son amie se dédouaner de la sorte, rendre les autres responsables plutôt que d'assumer. Sabrina ne réussissait pas à la faire culpabiliser, en revanche, Sophie avait de plus en plus l'impression de se tromper sur qui était réellement Sabrina - une menteuse, égoïste, qui profitait des autres sans jamais assumer les conséquences de ses actes.

Sophie préférait en rester là. Sabrina devait partir. Elle devait quitter cette maison, que Sophie lui avait offerte comme un refuge, pour ne plus jamais la manipuler ou lui mentir. Sabrina ne devait plus pouvoir se servir d'elle comme elle le faisait, comme si elle n'était qu'un vulgaire jouet. Et cette fois-ci, Sabrina semblait accepter la décision de l'humaine. Enfin, accepter était un bien grand mot, mais elle ne semblait pas tenter de manipulation et elle ne suppliait pas. Elle était touchée par ce qui était en train de se passer, mais elle allait partir. Brutalement, même. Elle se téléportait simplement - dans sa chambre, supposait Sophie, puisqu'elle n'allait pas partir sans Salem et sans ses affaires - en laissant Sophie ici, seule et sans avoir reçu des excuses qu'elle méritait pourtant. Seule face à tout ce qui venait de se passer et seule, après avoir perdu l'amie qui comptait certainement le plus à ses yeux, dans ce monde.