(terminé) Feu de camp | Love Stories / Horror Stories | Clarke

Clarke ne savait toujours pas ce qui lui avait pris lorsqu'elle avait décidé de se rendre à cette fête. Ça ne lui ressemblait tellement pas. Pourtant, en voyant l'invitation jetée sur une table, chez elle, elle s'était dit que ça pouvait être une bonne idée. Une bonne idée pour quoi ? Se changer les idées ? Se détendre ? Penser à autre chose ? Il fallait dire que la vie de Clarke était un véritable bazar dernièrement. Si les choses semblaient s'arranger d'un côté, ce qu'elle apprenait de l'autre ne faisait que les compliquer. Elle n'arrivait plus à savoir qui elle était, elle n'arrivait plus à vivre comme avant. Avoir retrouvé Bellamy avait réveillé bien trop de souvenirs en elle. Des souvenirs qu'elle aurait aimé, finalement, ne jamais retrouver. Elle avait été un monstre sa vie entière. Incapable de protéger les siens sans faire le mal. Pourtant, même si Bellamy était porteur de mauvais souvenirs, elle était si heureuse de l'avoir retrouvé. Ils étaient trois désormais : Octavia, Bellamy et elle. Et même si Octavia ne se souvenait de rien, même si Bellamy avait apporté avec lui de bien trop douloureux souvenirs, elle se disait qu'au moins, elle n'était plus seule. Alors pour essayer d'oublier tout ça le temps de quelques heures, la jeune femme s'était dirigée vers cette fête, oubliant au passage qu'il fallait s'y rendre déguisée. Mais, peu importe. Elle ne comptait pas s'éterniser de toute façon alors à quoi bon se déguiser ?

Arrivée sur les lieux de la fête, la jeune femme observa les alentours. Il semblait y avoir tant de choses à faire. Les gens semblaient s'amuser, profiter de la fête. Clarke avait l'impression d'être complètement à côté de la plaque. Elle ne se sentait pas dans l'ambiance, elle ne se sentait pas à l'aise. Mais comme elle avait fait l'effort de venir jusqu'ici, elle se décida à s'installer près de l'un des feux de camp. Semblait-il que certains s'étaient décidés à raconter des histoires effrayantes. Après tout, écouter les histoires des autres, c'était peut-être ce qu'il lui fallait. Peut-être que ça lui ferait du bien. Ou que ça l’ennuierait profondément. Au moins, elle n'aurait pas besoin de parler, c'était déjà ça.

A peine deux ou trois minutes après son arrivée, une autre jeune femme vint s'installer à ses côtés. Clarke lui jeta un coup d'oeil rapide, tentant de se reconcentrer sur l'histoire racontée, mais la personne en question s'approcha de Clarke pour la questionner. « Je ne suis pas là depuis longtemps, mais je ne pense pas. » Elle ne voulait pas juger l'histoire, simplement qu'elle n'était qu'à son commencement et que donc, elle n'avait rien loupé de bien intéressant pour le moment. « En revanche, si tu es là pour avoir peur, je crains que ce ne soit pas le bon endroit. » souffla-t-elle, un sourire aux lèvres, se permettant le tutoiement. En effet, l'histoire semblait davantage amusante, clichée presque, plus qu'effrayante. Mais rien ne disait que ça n'allait pas devenir effrayant, après tout. Peut-être fallait-il simplement être patient. 

Écouter pour ne pas parler, c'était le meilleur choix que Clarke avait pu faire en arrivant à cette petite fête, incapable de savoir ce qu'elle faisait ici. Le mieux aurait été qu'elle reste chez elle, devant un film stupide, mais elle avait préféré se changer les idées. Comme s'il était possible de se changer les idées dans des cas comme le sien ! Elle avait appris tellement de choses en quelques semaines qu'elle se sentait submergée par toutes les pires émotions. Tout était incontrôlable. Pourtant, parce qu'elle n'était pas prête à abandonner, elle était là. Assise autour de ce feu de camp, écoutant l'histoire d'une oreille et la jeune femme qui venait de s'installer à ses côtés de l'autre.

Clarke n'était pas spécialement dérangée par le fait de discuter pendant que le type racontait son histoire. Elle chuchotait, restait discrète. Du bruit, il y en avait de toute façon partout autour d'eux. Alors quelques voix qui chuchotaient n'allait plus rien changer. Elle essayait, malgré tout, d'écouter - ou avait essayé - et de s'intéresser, même si ça prenait beaucoup trop de temps pour démarrer. Elle fit donc part à l'inconnu de son ressenti : si elle voulait avoir peur, ce n'était pas le bon endroit. Ce n'était pas le bon endroit pour Clarke en tout cas. D'autres pouvaient sans doute trouver quelque chose d'effrayant dans ces histoires. « Et tu viens à une fête où tout pourrait mal se passer ? Tu es courageuse ! » rétorqua Clarke, sourire toujours aux lèvres. La ville lui en avait fait suffisamment voir pour se dire que tout pouvait mal se passer alors si l'on était du genre trouillard, ce n'était sans doute pas l'endroit idéal. « Je ne compte pas raconter quoi que ce soit pour ma part. Ecouter me suffit amplement ! » Parce qu'elle n'avait rien à raconter, hormis le monstre qu'elle avait été autrefois. Si elle expliquait avoir tué son meilleur ami, seraient-ils tous suffisamment horrifiés ? Peut-être, mais pas dans le sens où on l'attendait ! Donc, elle n'avait rien à raconter.

Finalement, complètement distraites, elles ne semblaient plus écouter ce pauvre homme qui racontait son histoire. A la place, la femme lui proposa un muffin. Clarke se servit aussitôt, elle mourrait de faim. « Merci. » Elle croqua dedans sans attendre et reprit : « C'est délicieux ! Ça fera au moins une bonne chose dans cette journée ! » souffla-t-elle, amusée. Il fallait bien qu'elle trouve des points positifs à cette journée stupide - stupide parce qu'elle n'arrivait pas à se mettre dans la même ambiance que tout le monde, pour d'autres ce moment devait être agréable. « Enchantée Love. » lança-t-elle en tendant une main, se contentant de sourire à la réflexion sur ses parents. « Clarke ! Les miens n'avaient, semble-t-il, pas le même genre d'humour. » Enfin la blonde se décida à jeter un petit coup d'oeil à l'homme qui racontait son histoire et qui semblait les maudire à cet instant. « J'ai l'impression qu'il nous déteste ! » souffla-t-elle cette fois-ci, accompagnant ses mains d'un signe de la tête, mais reprenant malgré tout aussitôt : « Tu as tenté d'autres activités ? » peut-être pourrait-elle partager un meilleur plan, quelque chose de plus intéressant.

Cette jeune femme n'avait pas totalement tort ! Fallait-il vraiment se rendre à une fête d'Halloween pour voir les choses mal tourner dans cette ville maudite ? Clarke s'était déjà retrouvée dans bien des situations difficiles, dangereuses et inexplicables depuis qu'elle était ici. Aucun besoin de se retrouver dans une fête pour vivre ça ! Cette ville semblait avoir une conscience et elle semblait adorer jouer de ses pouvoirs sur les habitants en leur envoyant toute sorte de choses. Malgré tout, l'occasion était sans doute trop belle pour cette ville de provoquer un quelconque problème dans ce genre d'endroit. Il y avait du monde, des gens prêts à être effrayés, des gens déjà effrayés. « Tu n'as pas tort ! » Lança Clarke, sourire amusé en retour à celui de cette femme. Si elles devaient commencer à ne plus rien faire par crainte des actions de cette ville, autant vivre recluse à jamais - et ce n'était en rien une preuve que rien n'allait arriver !

Si Clarke était venue ici, elle ne pouvait pas expliquer pourquoi. Elle était ici parce qu'elle avait besoin d'être quelque part. Cet endroit était idéal et quelque part même, peut-être, au fond d'elle, elle espérait qu'il s'y passe quelque chose. Quelque chose lui permettrait de se défouler, d'oublier un instant. Alors non, elle n'avait pas la moindre intention de raconter quoi que ce soit, juste d'écouter avec l'espoir que les mots suffiraient à lui faire oublier son passé - espoir simplement, elle savait très bien que ça ne fonctionnerait pas. « Enfin, peut-on vraiment dire qu'on écoute ? » Plaisanta Clarke, un regard rapide jeté au pauvre narrateur qu'elles n'écoutaient pas, avant d'accepter la pâtisserie tendue par cette inconnue. Aussitôt goûtée, aussitôt complimentée. Comme elle venait si bien de le dire, il y avait au moins une bonne chose dans cette journée. Elle était plus que douée en pâtisserie, il fallait l'avouer !

Vint alors le temps des présentations. A la réflexion sur son prénom, Clarke se contenta d'un signe de tête et d'un sourire, pour la remercier. Puis pour continuer la conversation - alors que ce n'était pas du tout l'endroit pour - Clarke lui demanda si elle avait déjà testé d'autres activités ici. Après tout, certains étaient là depuis l'ouverture et avaient eu le temps de tenter bien des choses, peut-être était-ce son cas ? Avec un peu de chance, Love pourrait lui présenter des activités plus intéressantes que celle-ci. Clarke hocha la tête aux explications de son interlocutrice. Elle n'était pas non plus très friande de ce genre d'événements, elles se comprenaient sur ce point. « C'est ma première activité également. A vrai dire, je ne sais même pas ce que je fais ici. Je n'aime pas ce genre de fêtes. » Avoua Clarke, en secouant la tête, sourire aux lèvres, amusée par sa présence surprenante. « Mais je crois que je ferai tâche si j'allais au bal. » Reprit la blonde en désignant sa tenue d'une main puisqu'elle n'avait pas pris la peine de se déguiser. « Vous ne craignez pas que la ville nous enferme dans cet endroit, que des monstres sortent de partout, que cette nuit soit la pire de toute votre vie ? » Clarke elle-même ignorait si elle était sérieuse ou non, mais comme les deux femmes l'avaient déjà dit, ici, il fallait s'attendre à tout alors pourquoi pas à ça !

A la remarque de la jeune femme, Clarke ne put s'empêcher de sourire. Elles se trouvaient bien incapables de justifier leur présence à cette fête, pourtant elles étaient là. Clarke avait eu besoin et envie de se changer les idées. C'était la meilleure réponse qu'elle pouvait donner. La meilleure justification. Elle n'avait sans doute pas choisi l'endroit idéal pour ça, en revanche. « C'est une bonne façon de rompre l'ennui. » Rétorqua Clarke en haussant les épaules, un sourire aux lèvres. Au moins, ici, elle voyait du monde et elle pouvait tenter des activités. Ce n'était pas un remède certain contre l'ennui, mais c'était une façon d'essayer et de s'occuper, au moins.

Quant à Clarke, elle ne détailla pas les potentielles raisons de sa venue, préférant garder ça pour elle et se contentant d'assurer qu'elle n'aimait pas ce genre de fête. Il fallait dire qu'elle n'y était pas vraiment habituée. Sur l'Arche, puis sur Terre, il y avait bien d'autres choses à faire que la fête. Hormis le jour de l'unité, les occasions de se réunir n'étaient pas nombreuses. Alors se rendre au bal d'Halloween, ici ? Certainement pas. Sa présence autour de ce feu de camp était déjà un véritable effort. De plus, elle ne portait même pas de costume et elle préférait éviter les regards interrogateurs quant à son absence de tenue adaptée à la situation. Moins Clarke attirait les regards et les questions, mieux elle se sentait. Surtout actuellement.

Les réponses de la jeune femme à propos de ce bal ou de ce dont la ville était capable amusèrent Clarke autant qu'elles l'intriguèrent. Enfin, ce qui l'intriguait était surtout la fin de ce qu'elle avait dit. Elles partageaient ce point, des choses horribles, elle en avait vécu aussi. A tel point qu'elle se trouverait bien incapable de citer la pire chose qu'elle avait vue ou faite. Sa vie, surtout après son arrivée sur Terre, n'avait été qu'une succession de décisions conduisant à la mort d'innocents ou de coupables. Alors comment choisir le pire souvenir ? « Tu ne veux pas la raconter ? » Demanda-t-elle en faisant un signe de la tête vers le conteur actuel. « Ou me la raconter ? » Demanda-t-elle, curieuse, même si elle avait parfaitement conscience qu'elle n'était qu'une inconnue et que cette autre inconnue n'avait pas forcément envie de dévoiler le pire moment de sa vie. « Je suis désolée, je crois que je suis un peu trop curieuse. » Affirma-t-elle finalement, avant de soupirer et de jeter un coup d'oeil autour d'elle. « Simplement, quelque chose me dit que tes histoires valent plus le coup que les leurs. » Ce n'était pas gentil pour les gens autour d'elle, mais eux cherchaient à raconter pour faire peur - ça se sentait - et ça ne fonctionnait pas pour Clarke. Sans doute prendrait-elle davantage plaisir à écouter une véritable histoire, mais elle se contenterait de ce que cette femme lui donnerait. Sa présence suffisait déjà à rendre cette soirée plus intéressante, elle n'allait pas la gâcher en se montrant trop insistante et en la faisant fuir.

Clarke ignorait ce qui poussait cette inconnue à se confier de la sorte, mais elle était prête à l'écouter - et l'incitait même à lui raconter. L'histoire qu'elle était en train d'écouter - ou qu'elle était censée écouter, pour être tout à fait exacte - ne la passionnait pas le moins du monde. Son interlocutrice, en revanche, semblait bien plus intéressante à ses yeux et quelque chose lui laissait penser que son histoire valait réellement le coup d'être entendue. Dans un premier temps, Clarke lui proposa donc de raconter son histoire à tout le monde, si elle le voulait. Ou, si elle préférait, de la lui raconter à elle seule. Ou, si Clarke était d'une indiscrétion et d'une impolitesse incroyables, de ne rien dire du tout. La blonde ne lui en tiendrait pas rigueur et trouverait autre chose pour discuter, préférant largement sa présence à celle des autres inconnus. « Laissons-les à leurs histoires de fantômes... ou de vampires, je ne sais même plus. » Ajouta Clarke, un sourire amusé aux lèvres, en jetant un coup d'oeil discret aux autres participants. Ce n'était pas gentil à dire, mais Clarke n'avait pas spécialement envie de faire preuve de gentillesse ou de fausse politesse aujourd'hui, alors elle n'allait pas faire semblant que l'histoire l'intéressait.

La curiosité dont faisait preuve Clarke ne semblait pas déranger Love, au contraire. Elle semblait prête à se livrer, sans la moindre difficulté. Elle en profitait même pour souffler que sa propre curiosité la poussait à attendre une histoire de Clarke, juste après avoir raconté la sienne. A cette demande, Clarke se contenta de hocher la tête. Elle réclamait, elle donnait, c'était presque logique, non ? Puis, sans rien ajouter, Love débuta son histoire. Tout semblait plutôt simple et habituel - enfin pour un monde comme celui-ci, moins pour un monde comme celui de Clarke - une femme mariée, avec un fils, une histoire qui ressemble à un conte de fées... mais rien qui ne se passe comme prévu. Toutes les belles histoires avaient une fin tragique, non ? Ou connaissaient des péripéties avant de bien se terminer ? Clarke n'avait encore jamais entendu personne lui raconter une histoire où tout se passait bien du début à la fin.

Évidemment, Clarke ne s'attendait pas à ce genre d'histoire et son visage devait dévoiler toute sa surprise, qu'elle ne cherchait pas à cacher. Son mari était dangereux et elle avait, malgré tout, voulu le confronter, ce qui s'était avéré fatal pour elle. Réellement fatal. Il l'avait tuée. La jeune femme resta silencieuse un instant, observant son interlocutrice et la dévisageant. Elle n'était pas la première à lui raconter être morte avant d'arriver ici, ce qui avait déjà poussé Clarke à se demander si elle avait survécu, elle aussi, dans son monde. « Je... Je sais pas quoi te dire... » Répondit-elle en se sentant bête de cette réponse. « Je suis désolée ? » Tenta-t-elle, presque hésitante. Que fallait-il dire lorsque quelqu'un vous annonçait être mort ? Difficile à dire ! « C'est... Enfin, je te crois, t'es pas la première à me raconter être... morte, avant d'arriver ici... » Dit-elle, un peu gênée par sa propre réaction, mais elle ne savait pas quoi dire et rester silencieuse n'aurait pas été respectueux pour Love qui venait de se livrer sur un terrible moment de sa vie. « Ton fils ? Ton mari ? Tu les as recroisés dans cette ville ? » Plus indiscrètes et étranges comme questions, il n'y avait pas. Ce n'était pas de la curiosité mal placée, simplement, elle se demandait à quel point cette ville était particulière et cherchait toujours à comprendre une logique derrière tout ce qu'elle faisait. Si Love était morte, avait-elle vu cette nouvelle vie comme une seconde chance ? Ou avait-elle recroisé le chemin de son mari rapidement, la mettant en danger de nouveau ?

Même si rien ne l'obligeait à être désolée pour cette inconnue, Clarke l'était forcément. Ce qu'elle avait vécu était horrible et, forcément, poussait à la compassion. L'horrible épreuve que la jeune femme avait dû traverser l'avait aidé à en ressortir plus forte. Cette deuxième chance - si on pouvait considérer ce monde comme une deuxième chance - lui permettait de ne plus faire les mêmes erreurs. En revanche, et Clarke le comprenait parfaitement, elle s'inquiétait de ne pas savoir ce que son fils était devenu. Sa plus grande crainte était évidemment que son fils se retrouve avec son père. Après ce qu'il lui avait fait, Clarke ne pouvait que comprendre et partager sa crainte. Clarke était mère, elle aussi, et, tout comme Love, elle ignorait tout de l'endroit où se trouvait son enfant. Trois ans, presque, de recherches qui étaient restées vaines. Trois ans à espérer, sans jamais trouver. Mais la mère ne perdait pas espoir. Jamais. Enfin, elle essayait. Cette inquiétude que Clarke entendait dans la voix de Love, elle ne pouvait que la comprendre et la partager. Si Clarke ignorait tout de l'endroit où pouvait être Madi, Love craignait que son fils ne soit entre de mauvaises mains, ce qui était certainement pire. « Je comprends tes craintes... » Souffla Clarke en tentant de lui lancer un sourire rassurant et plein de soutien. « T'as essayé de faire le tour des orphelinats de la ville ? » Demanda-t-elle, tentant de proposer quelque chose, peut-être de totalement stupide. Sait-on jamais, peut-être s'était-il retrouvé dans l'un d'eux à son arrivée en ville, s'il n'était ni avec son père, ni avec sa mère. Ou peut-être avait-il été recueilli par une autre famille ? Ou peut-être n'était-il tout simplement pas ici ?  

Parce qu'elle pensait utile de le préciser, la jeune femme lui assura qu'elle la croyait. Après tout, lorsqu'une personne bien vivante vous annonçait sa mort, vous n'étiez pas obligés de la croire. Néanmoins, Clarke en avait suffisamment entendu depuis son arrivée dans cette mystérieuse ville pour la croire sans émettre le moindre doute quant à son histoire. Clarke s'intéressait alors davantage à l'histoire de son interlocutrice. Après de tels aveux, elle ne pouvait pas simplement changer de conversation, puis si ces questions la dérangeaient, elle pouvait demander à Clarke d'arrêter à tout moment. Si elle n'avait pas revu son fils, elle n'avait pas non plus revu son mari depuis son arrivée ici. Si l'un était une bonne chose, l'autre la rendait malheureuse. Craindre la présence de quelqu'un sans pouvoir la confirmer ou l'infirmer devait être terrible. Surtout une personne comme son mari qui pouvait la retrouver pour lui faire du mal à n'importe quel instant. Elle devait vivre avec la crainte permanente de le croiser en ville. Clarke, néanmoins, comprenait - ou croyait le comprendre, en tout cas - ce que son interlocutrice voulait dire. Cette envie de retrouver les siens, tout en ayant peur. Elle, elle craignait de retrouver les mauvaises personnes. Clarke craignait davantage de retrouver son peuple qui la jugerait pour ses actes, toujours commis en leur nom, mais qu'on lui avait si souvent reproché - à juste titre peut-être, elle n'en savait rien.  « Je crois que je comprends... » Souffla Clarke en observant la femme serrer ses bras contre elle. Longtemps, elle avait espéré retourner chez elle, mais pour y trouver quoi ? Un monde désolé ? Une planète détruite ? Des guerres ? Des menaces ? Une énième fin du monde ? Peut-être qu'elle était mieux ici, elle aussi. Simplement, elle voulait retrouver les siens plus que tout au monde. Clarke n'avait toujours vécu que pour son peuple et sans lui, elle se sentait vide. « Tu le retrouveras... » Assura-t-elle, ajoutant presque aussitôt : « Il doit être auprès de toi. » Et en aucun cas auprès du monstre qu'elle lui avait décrit. « Et si lui aussi est là... Tu l'as dit toi-même, tu en es ressorti plus forte. Il ne te fera plus de mal. » Elle tentait de lui insuffler du courage et de l'espoir. Elle ignorait si c'était la meilleure chose à faire, mais Clarke faisait ce qu'il lui semblait être le mieux à cet instant. « Entoure-toi, ne reste pas seule, et il ne pourra plus te faire aucun mal. » Elle l'espérait de tout coeur, en tout cas. Elle imaginait l'angoisse permanente de vivre avec cette menace au-dessus de la tête et ça ne devait pas être facile à supporter. Si quelque chose pouvait lui apporter un minimum un sentiment de sécurité, elle ne devait pas s'en priver.

Clarke aurait aimé avoir une solution à lui proposer. Elle ne la connaissait peut-être pas, mais elle connaissait la douleur de perdre un enfant et elle savait à quel point c'était une chose impossible à supporter. Les premières semaines, après son arrivée ici, la jeune femme avait fait elle-même le tour des orphelinats, mais sa situation était si particulière qu'elle n'avait rien pu trouver. Elle n'avait qu'un prénom et des dessins qu'elle avait faits elle-même. Pas d'âge, pas de détails... Elle avait oublié tout le reste concernant Madi, alors, forcément, ses recherches s'étaient vite retrouvées limitées. « J'ai l'impression que c'est cet endroit qui décide de quand et comment tu retrouves les gens que tu aimes. Tu pourras fouiller tout ce que tu veux, si cette ville a décidé que ce n'était pas le bon moment, tu ne pourras pas les retrouver. » Expliqua Clarke dans un haussement d'épaules. Sa théorie pouvait paraître étrange, mais elle ne voyait pas d'autres explications. Elle avait fouillé absolument partout pour, finalement, tomber par hasard sur Octavia, puis, des mois plus tard, sur Bellamy. Combien de fois était-elle passée à côté d'eux sans pouvoir les voir ? Sans pouvoir remarquer leur présence ? Non, cette ville décidait de tout, aussi étrange que cela pouvait paraître.

Si cette ville avait décidé que ce n'était pas le bon moment pour elle, Clarke restait persuadée qu'elle retrouverait son enfant. Elle était sa mère et la place d'une mère était auprès de son enfant. Dans le fond, Clarke espérait sans doute mériter la même chose, retrouver Madi. Clarke n'avait jamais été la meilleure pour conseiller les gens. Souvent, elle fonçait tête baissée ou réfléchissait au meilleur plan pour finalement prendre la décision que beaucoup jugeaient mauvaise. Clarke prenait les décisions que personne ne voulait prendre. Pourtant, dans un monde comme celui-ci, elle avait le droit de garder espoir et d'en donner. Tout n'était pas perdu. Rien ne devait être fait dans la précipitation. Cet endroit ne semblait pas régi par les mêmes lois que son monde. Quelqu'un de perdu, n'était pas forcément perdu pour toujours. Les gens réapparaissaient. Les bons, comme les mauvais. Il suffisait de s'entourer, de ne pas affronter les évènements seuls et Clarke voulait croire que ça suffirait. Elle, elle n'avait pas su le faire. Love devait le faire. Elle devait se protéger de ce mari dangereux et retrouver son fils, pour le protéger. « J'ai passé ma vie à me méfier ou à essayer de faire confiance pour être trahie... » Mais son monde était différent. Les guerres, les alliances, les trahisons étaient monnaie courante. Clarke, elle-même, avait, à de nombreuses reprises, rompu ses promesses et trahi les gens qu'elle aimait. « Alors je ne pourrais pas te dire de faire confiance à n'importe qui, ce serait stupide... Mais... Je suppose qu'il faut savoir se lancer, prendre des risques et essayer. » Apprendre à faire confiance, c'était presque plus compliqué que préparer un plan d'action pour gagner contre l'ennemi. Alors, si elle comprenait son manque de confiance, elle ne pouvait rien lui conseiller, à part d'essayer, quitte à être déçue - ce qu'elle n'espérait, évidemment pas.  

La suite des paroles de Love avait fait baisser les yeux de Clarke. Elle semblait contempler le sol avec une attention toute particulière. Que pouvait-elle répondre à ça ? Là où Love semblait être une victime, Clarke était une coupable. Elle avait le sang de tellement d'innocents sur les mains... Un monde différent, des décisions différentes, prises pour la survie de son peuple... Mais ici, les gens ne pouvaient pas comprendre et ils la considéraient forcément comme un monstre - ce qu'elle était sans doute, en partie. « L'endroit d'où je viens était... Très différent de celui-ci. » Ici, il y avait une vie, un monde, de l'espoir. Son monde, à elle, ce n'était qu'apocalypse et fin du monde. « J'ai vécu seule, là-bas, pendant des années. Il n'y avait plus personne. » Difficile de lui expliquer pourquoi elle s'était retrouvée seule sur une planète, d'autant qu'elle n'en avait pas gardé de souvenirs, elle n'avait que ce qu'on lui avait raconté. « Enfin... J'aurais dû être toute seule... » La seule à avoir du sang d'ébène, la seule à pouvoir survivre aux radiations... « Mais j'ai trouvé une petite fille. Madi. » Son prénom, soufflé comme une caresse, lui faisait toujours un mal de chien à prononcer parce qu'il lui rappelait son absence. « Je l'ai élevée comme ma fille. » Son regard se relevait pour regarder Love. Oui, elle partageait sa douleur de mère, celle d'avoir perdu son enfant. « Elle est ma fille. » Ce n'était pas comme sa fille, c'était sa fille. « Je l'ai cherchée partout, mais... Je ne me souviens plus vraiment d'elle. Juste son visage et son prénom. » Ce n'était pas un aveu facile à faire puisqu'elle pensait être jugée pour ça. « J'ai perdu une partie de ma mémoire et je ne me souviens pas de mon enfant. » Un long soupir plein de désespoir s'échappa d'entre ses lèvres. « Alors, oui, quand je te dis que je comprends. Je te comprends. Vraiment. » Et ce n'était qu'une minuscule partie de son histoire. Des choses difficiles, Clarke en avait vécues plus que son lot, mais elle ne pouvait pas tout déballer à une inconnue, même si cet aveu, concernant sa fille, s'était fait tout naturellement et lui faisait un bien fou. 

Elles n'étaient que deux mères, perdues, seules, malheureuses. Deux mères qui avaient perdu leur enfant. Deux mères qui désespéraient de les revoir un jour. Elles comprenaient la douleur l'une de l'autre. Elles pouvaient se soutenir dans une épreuve comme celle-ci. Love n'avait pas vu grandir son bébé. Un bébé qui avait dû bien grandir et changer, en trois ans. Clarke ne se souvenait plus de sa petite fille. Juste un visage et un prénom. Un visage qu'elle rêvait de voir de nouveau. Un prénom qui la hantait chaque jour.

Clarke se sentait bien mieux en se confiant. Elle était venue ici, sans savoir pourquoi, parce qu'elle n'arrivait plus à gérer la pression et tout ce qui n'allait pas. Et, si elle s'était imaginée faire une erreur, elle avait trouvé cette autre mère. Comme si le destin les avait mises sur le chemin l'une de l'autre pour s'écouter, s'entraider, se soutenir. Clarke ne s'était pas sentie aussi soulagée depuis une éternité. Parler faisait tellement de bien. Parler à quelqu'un qui comprenait votre douleur, plus encore. « Merci. » Soufflait-elle, simplement, lorsque Love lui avait dit à quel point elle était désolée pour elle. Elle n'y était pour rien, mais elles partageaient la même peine et ne pouvaient qu'être désolées l'une pour l'autre.

Puis, la jeune femme avait continué, expliquant davantage ce qui la touchait. « Je ne peux qu'imaginer comme c'est difficile de ne pas avoir assisté à tout ça. » Parce qu'elle, elle n'avait jamais eu à vivre ça pour Madi, mais elle imaginait sans peine, la douleur de ne pas voir son enfant grandir et évoluer. « Quand tu le retrouveras, vous aurez tout le temps de rattraper ces trois dernières années. Tu ne connais peut-être pas son premier mot, mais tu lui en apprendras beaucoup d'autres. Tu n'as pas assisté à ses premiers pas, mais tu assisteras à beaucoup d'autres choses. Tu lui feras découvrir cet endroit, tu l'accompagneras pour ses sorties scolaires, tu l'emmèneras camper au milieu de la forêt, tu fêteras halloween avec lui et tu le consoleras après ses cauchemars. » Parce que Clarke souhaitait de tout coeur que cet enfant revienne dans la vie de sa mère le plus rapidement possible. Elle imaginait les retrouvailles d'un jeune enfant et de sa mère, une mère qui aurait alors toutes les occasions de lui apprendre un tas de choses et de lui montrer comme elle l'aimait. « Et tu lui apprendras à cuisiner. » Parce qu'après avoir goûté ses délicieuses pâtisseries, il serait dommage de ne pas partager ce savoir avec son enfant, s'il appréciait la cuisine. « Tu apprendras à connaître ton fils comme j'apprendrai à connaître ma fille, à nouveau. Ce sera peut-être difficile d'oublier tout le temps perdu, mais il nous faudra alors penser à tout le temps qui nous sera offert avec eux. » Parce que si elles les retrouvaient, Clarke refusait l'idée de les perdre à nouveau. Parce que Clarke refusait l'idée qu'elle ne retrouve jamais sa petite fille. Parce que Clarke avait besoin, pour une fois, de garder un peu d'espoir pour ne pas sombrer. « On n'a peut-être pas pu assister à tout, on a peut-être oublié des choses, mais on se créera de nouveaux souvenirs avec eux. »

Clarke n'était pas forcément la mieux placée pour rassurer les gens ou leur parler. Elle était même plutôt maladroite, parfois. Néanmoins, elle comprenait cette femme comme personne. Elle avait l'impression de se voir, de lire sa propre peine à travers elle. Elle partageait, sans le moindre doute, l'une des pires douleurs au monde : celle de savoir son enfant loin de soi. Il était difficile de vivre et d'avancer sans savoir s'il allait bien, s'il était heureux, s'il était là. Madi était tout pour Clarke. Elle le savait. Elle le sentait. Pour elle, elle détruirait cette ville, elle détruirait ce monde. Pour elle, elle abattrait tous les obstacles. Pour elle, elle ferait n'importe quoi. Cette femme vivait la même chose. Elle devait vivre avec cette absence impossible à combler. Avec ce manque impossible à satisfaire. Qui pouvait mieux la comprendre, alors ?

Clarke n'était pas du genre à se confier aussi facilement. Elle n'avait pas le contact difficile, mais pour de telles confidences, les choses étaient différentes. Avec elle, pourtant, les choses s'étaient faites naturellement. Les aveux s'étaient faits avec simplicité. Elle se sentait soulagée. Elle avait eu besoin de dire tout ça, de rencontrer quelqu'un à qui parler. Clarke avait l'impression que cette femme n'avait pas été mise sur sa route par hasard. Elle était là parce qu'elles avaient besoin de l'une de l'autre. C'était une rencontre naturelle, nécessaire. C'était le genre de rencontre qui vous permettait de vous rappeler que parler n'était pas un mal. Au contraire, Clarke se sentait libérée d'un certain poids. Alors, c'était pour ça. Pour ça qu'elle avait quitté son appartement pour se rendre à cette fête, sans comprendre pourquoi, parce qu'elle devait la rencontrer. Ça ne pouvait pas être un stupide hasard. Le hasard ne pouvait pas si bien faire les choses.

Alors Clarke avait essayé de rassurer Love et de trouver les mots justes. Elle lui promettait qu'elles les retrouveraient et qu'elles profiteraient alors de chaque instant pour se créer des milliers de nouveaux souvenirs. Les mots de Love la faisaient sourire. Elle n'était pas juste quelqu'un de mauvais, elle avait pu remonter le moral de cette mère. Elle savait qu'elle était un monstre, mais il y avait bien quelque chose de bien en elle. C'était rassurant, quelque part. Alors qu'elle lui proposait de se revoir, Clarke avait eu une hésitation. Non pas parce qu'elle n'en avait pas envie, simplement qu'elle ne voulait pas mettre cette femme en danger par sa simple présence. Clarke attirait la mort. « J'aimerais beaucoup. » Avait-elle fini par souffler. Clarke avait besoin d'avoir des gens comme elle dans son entourage, elle avait besoin de se découvrir des amis, elle avait besoin de partager ses peines avec quelqu'un qui la comprenait vraiment. « On va les chercher ensemble. On va les trouver ensemble. Et, on pourra s'entraider dans nos pires moments... Ça m'a fait beaucoup de bien de pouvoir parler d'elle. J'ai la même impression, j'ai l'impression de me voir en toi. Nos douleurs se répondent, on doit vivre avec la même perte... à croire qu'on était faites pour se rencontrer ce soir. » Avouait-elle, en regardant dans le vide. Parler à quelqu'un qui la comprenait, ça changeait tout. « Et, bien sûr, je ne dirai pas non pour goûter à d'autres de tes pâtisseries. » Elle souriait, ajoutant naturellement : « De là d'où je viens, je n'ai jamais eu l'occasion de goûter de si bonnes choses. » Sur l'Arche, puis sur une Terre d'après apocalypse, les bonnes choses étaient rares, alors si elles pouvaient passer de bons moments autour de bonnes choses à manger tout en parlant de leurs enfants, elle n'hésiterait pas. C'était un bon moyen de nourrir leurs souvenirs et de les garder près d'elles, d'une certaine façon.

Clarke avait connu bien des souffrances dans la vie, mais celle de ne pas savoir où était sa fille et comment elle allait était la pire de toutes. Même sans se souvenir de cette enfant, ses sentiments étaient si puissants qu'ils dépassaient tout ce que la logique voulait. Elle était prête à retourner chaque pierre de cette ville pour retrouver Madi. Elle était prête aux pires choses pour retrouver une enfant dont elle n'avait plus rien d'autre qu'un visage et un nom comme souvenir. Clarke n'avait pas porté Madi en elle, mais chaque parcelle de son corps la réclamait. Elle voulait sentir le parfum de ses cheveux ou pouvoir la serrer contre elle. Elle avait ce besoin maternel de la protéger et de la tenir dans ses bras pour la rassurer. Elle aimait Madi plus qu'elle n'avait jamais aimé quiconque et son absence était terrible. Alors, forcément, lorsque Clarke trouvait quelqu'un qui partageait sa douleur de mère, elle ne pouvait que s'attacher à elle. Les gens essayaient de la comprendre dans son entourage, mais beaucoup ne pouvaient qu'essayer. Il était difficile d'imaginer ce manque qui vous bouffait de l'intérieur et qui vous détruisait peu à peu. Il était difficile pour son entourage de comprendre comment une enfant qu'elle ne connaissait même pas pouvait tant lui manquer. Love la comprenait, elle. Elles n'étaient que deux mères éplorées et malheureuses. Deux mères à la recherche de leur enfant. Leurs douleurs se répondaient et elles trouvaient du réconfort à travers ça.

Alors Clarke ne pouvait qu'accepter la proposition de son interlocutrice. Elle n'était qu'une inconnue pour elle, et Clarke n'était pas tellement du genre à s'attacher à la première venue - enfin, en fonction des situations et des périodes, mais pas en cette période - pourtant, elle était une inconnue qui partageait sa peine et qu'elle voulait revoir. C'était une sorte de besoin qui était né à l'instant où elle avait compris qu'elles étaient pareilles sur bien des points. Et, en se comprenant autant, Clarke espérait peut-être trouver une alliée dans ses recherches. Des recherches qui restaient désespérément vaines, même après trois ans.

Elle comprenait Love et ses réticences à faire confiance au destin. Clarke y croyait parfois. D'autres fois, elle n'y croyait plus. Ce soir, elle avait envie - ou besoin - d'y croire. « Je crois que, pour la première fois, je suis capable de faire confiance à quelqu'un que je connais à peine, moi aussi. » Clarke était souvent méfiante et sur ses gardes. Elle s'alliait aux gens, mais ne leur accordait pas tout de suite une confiance absolue. Avec Love, la situation était différente. Etrange, même. Naturellement, une confiance était née entre elles et elles s'étaient confiées l'une à l'autre alors qu'elles n'étaient que deux inconnues. « On a vécu suffisamment de choses étranges toutes les deux, ce n'est qu'une chose de plus sur notre longue liste, non ? » tentait-elle de plaisanter lorsque Love lui exprimait son impression étrange face à cette confiance mutuelle et innée alors qu'elles ne se connaissaient pas.

A la question qui avait suivi, Clarke avait poussé un soupir. Pas d'ennui ou d'agacement, simplement parce qu'il y aurait tant à dire et, en même temps, si elle se dévoilait trop, la confiance que Love lui donnait disparaîtrait sans doute bien vite. « Ce serait très long et... » Elle pouvait, au moins, en dire quelques mots, après tout. « Je viens d'ici, de la Terre. » A chaque fois, elle avait l'impression que la personne en face ne la croirait pas et pourtant, ils avaient tous des histoires folles et différentes. « Mais du futur. D'un futur. Un futur où la Terre a été détruite par un holocauste nucléaire et où les derniers humains se sont réfugiés dans l'espace. C'est là que je suis née, dans l'espace, sur une Arche. Nous étions censés y rester encore plusieurs générations avant que la Terre ne soit de nouveau habitable puis il y a des problèmes avec l'oxygène et j'ai été envoyée, avec cent autres mineurs, sur Terre pour voir si l'air était respirable. » Clarke regardait dans le vide, tentant de donner les éléments essentiels uniquement, sans effrayer Love avec des détails. « Et l'air était respirable. On s'est débrouillé comme on a pu, en attendant l'arrivée du reste de l'Arche et on a remarqué que, finalement, la Terre était toujours habitée. Alors, on a connu la guerre, encore et encore, pour survivre, pour gagner notre place sur Terre, pour notre peuple. J'ai pris la tête de ce groupe de jeunes, avec celui qui est devenu mon meilleur ami, et... J'étais si jeune, j'ai dû prendre des décisions terribles avec lesquelles j'ai encore du mal à vivre aujourd'hui. Tu sais, c'était la guerre et je voulais juste sauver ma famille, mon peuple... On voulait juste survivre et avoir une chance. Ils ont envoyé des gamins sur Terre, alors forcément, on n'allait pas faire de miracles sans préparation. » Clarke parlait difficilement parce qu'elle ne voulait pas effrayer Love et qu'elle avait l'impression que quoi qu'elle dise, elle passerait pour le monstre ayant sacrifié des centaines d'innocents pour protéger sa famille. « Donc, tu vois, les bons petits plats, ce n'était pas notre quotidien. » Avait-elle fini par dire pour tenter de détendre l'atmosphère et pour revenir sur un sujet plus joyeux qui faisait taire tous ses souvenirs remontés à la surface.

Le lendemain, en se réveillant, Clarke se demanderait sans doute ce qui lui avait pris. Pourquoi s'être ainsi confiée à une inconnue ? Habituellement, la jeune femme faisait preuve de plus de méfiance, mais peut-être ressentait-elle quelque chose de naturel, quelque chose qui la mettait en confiance ? Après tout, elle partageait la peine que Clarke jugeait la pire sur cette Terre, après en avoir connu de bien nombreuses pourtant : elles avaient perdu leur enfant. Puis, Clarke avait l'impression étrange qu'elles n'étaient pas si différentes l'une de l'autre, mais bien sûr, elle ne pouvait se l'expliquer. C'était ainsi, voilà tout.

Sans presque pas d'hésitation, la jeune femme s'était donc confiée sur sa vie passée et sur son monde. Elle n'était pas trop entrée dans les détails, mais assez, tout de même, pour prendre le risque de voir Love prendre la fuite si elle jugeait que son histoire ne tenait pas du tout la route. Le futur apocalyptique, l'histoire de ces cent jeunes envoyés sur une terre potentiellement inhabitable, la survie, la guerre... Tout y passait de façon rapide. Un bref exposé d'une vie qui mériterait des heures pour être racontée en détail. Heureusement, Love n'avait pas pris la fuite. Elle semblait même plutôt la croire, ce qui la rassurait. Et, en même temps, avec tout ce qu'il y avait d'incroyable et d'extraordinaire ici, pourquoi ne l'aurait-elle pas cru ?

Et elle lui faisait savoir, qu'elle la croyait. Les doutes de Clarke n'en étaient plus, elle se sentait soulagée d'avoir pu parler un peu avec cette inconnue qui avait su l'écouter. Elle la croyait. Elle jugeait tout ça complètement fou - et elle avait raison - mais elle la croyait. « Différente. Pas banale. » Elle n'aimait pas ce terme. Il s'agissait de sa vie. D'une vie qui lui avait pris beaucoup. Alors oui, pas d'apocalypse, pas de fin du monde, pas de natifs à combattre, pas de guerre à gagner, mais une histoire où elle avait rencontré ses difficultés et ses propres monstres à combattre. Puis, à sa dernière question, Clarke haussa les épaules dans un premier temps, son regard se perdant dans le vide. La question était plus difficile qu'il n'y paraissait. « Je crois, je ne sais pas. » Avoua-t-elle en reposant son regard sur ce qui s'approchait le plus d'une amie en cette soirée. « Il me manque tout une partie de la mémoire. » Alors, forcément, ça n'aidait pas. « Et le seul qui pourrait tout m'apprendre, mon meilleur ami, est réticent à me raconter toute l'histoire. » Il lui avait dit certaines choses, mais pas tout. Quelque chose le bloquait, mais Clarke était loin de s'imaginer quoi. « On se retrouve à peine et... Je crois qu'on a dû se faire beaucoup de mal. » Parce que Bellamy et Clarke, ce n'était pas ça, ce n'était pas ce à quoi ça ressemblait depuis leurs retrouvailles. Ils étaient autre chose l'un pour l'autre que ces deux presque étrangers, heureux de se voir, mais distants comme jamais ils ne l'avaient été. « mais je suppose que si j'étais morte, il me l'aurait dit. » S'il le savait, évidemment. Après un énième soupir et haussement d'épaules, la jeune femme avait conclu : « Non, je crois que j'ai eu plus de chance que toi. Je crois que j'ai survécu à tout ça. » Sur ce coup-là, elle avait été probablement plus chanceuse.

Ça l'était, difficile. Difficile de ne pas pouvoir se souvenir en dépit de tous ses efforts. Difficile de ne pas pouvoir se rappeler des gens que vous aviez rencontré, aimé, détesté. Difficile de ne pas se souvenir du pourquoi votre meilleur ami était tout à coup si distant avec vous. Difficile de ne se souvenir que du prénom de sa fille et de son visage, sans être capable de mettre une histoire dessus. A bien des titres, Clarke trouvait cette situation compliquée et invivable. Puis, lorsqu'elle réfléchissait, elle se disait que son esprit avait dû vouloir la protéger d'une vérité, d'une réalité, trop dure à porter pour elle. Clarke, des souvenirs qu'elle avait conservés, avait souvent fait des choix difficiles et impossibles. Elle avait tué l'homme qu'elle aimait, elle avait sacrifié tout un peuple pour sauver le sien, elle avait connu la guerre avec les natifs, elle avait dû trahir des gens qu'elle aimait, elle avait été trahie par la femme qu'elle aimait... Non, sa vie n'avait pas été un long fleuve tranquille. Par la suite, de ce que Bellamy avait accepté de lui dire, les choses ne s'étaient pas arrangées. Après le Mont Weather, Clarke avait fui, puis était rentrée. Les mauvaises décisions et les choix impossibles avaient continué. On reprochait toujours à Clarke de semer le chaos et la mort autour d'elle, mais on lui demandait toujours de diriger, de prendre les décisions. Alors, peut-être que son esprit avait voulu la préserver du pire, même si cela voulait dire lui prendre le meilleur également ?

« Ça l'est. Plus encore quand tu sais que tu as dû faire des choses... terribles, mais que tu ne sais pas quoi. » Admettait-elle en baissant les yeux. Comment Love pouvait-elle encore être là ? Ne pas avoir fui ? « Personne. Je n'ai retrouvé que lui. Et sa soeur. Mais sa soeur refuse même de me parler parce qu'elle a tout oublié, jusqu'à mon existence et celle de son frère. » C'est un sourire plein d'amertume qui prenait place sur le visage de Clarke. L'amnésique, la semi-amnésique et le menteur. Ils formaient un beau trio, ces trois-là.

A sa réflexion sur la survie, Clarke avait haussé les sourcils en soupirant. Elle avait clairement raison, elle se le disait souvent, elle-même. Survivre n'était pas toujours une chance. Vivre, en était une. Mourir était parfois une libération. « Je ne lui en veux pas, tu sais. » Elle avait été en colère, mais elle ne lui en voulait pas. Elle voyait toute la détresse de Bellamy et cela lui brisait simplement le coeur. « Il ne va pas bien lui non plus. Il m'a déjà raconté certaines choses et... Ce n'est pas facile pour lui d'être celui qui me rappelle de tels souvenirs. » Et elle s'en voulait de lui imposer de lui raconter. Elle s'en voulait de lui faire tant de mal. « Tu crois que j'ai le droit d'exiger de lui qu'il me raconte tout, même si ça le rend malheureux ? » Demanda-t-elle à sa nouvelle amie, à la recherche d'un véritable conseil. « Il a le droit de vouloir oublier lui aussi, il a le droit de ne pas vouloir se souvenir, non ? » En réalité, Clarke ne savait plus. C'était une situation bien plus que délicate. « Et si je n'arrivais pas à supporter la vérité ? Si c'était trop difficile de me souvenir des gens que j'ai aimés et perdus ? Des guerres que j'ai menées ? Des décisions que j'ai prises ? » Love n'en savait rien, mais Clarke était perdue et elle trouvait une oreille attentive en cette jeune femme, alors elle cherchait un avis, des conseils.